LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 mars 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 143 F-D
Pourvoi n° A 24-50.006
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 MARS 2025
Le procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, palais de Justice de Paris parquet général [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 24-50.006 contre l'arrêt rendu le 28 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle3, chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [R],
2°/ à M. [Z] [J],
3°/ à M. [S] [J]-[R],
4°/ à Mme [Y] [J]-[R],
tous deux représentés par MM. [R] et [J],
tous quatre domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [R], de M. [J], de M. [S] [J]-[R], et de Mme [J]-[R], après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 novembre 2023) et les productions, M. [J] et M. [R] se sont mariés le 4 juillet 2016 à Temple-sur-Lot (Lot-et-Garonne).
2. Une ordonnance de filiation rendue le 15 août 2018, sur requête du 10 août 2018, par la cour supérieure de l'Etat du Vermont les déclare parents légaux des deux enfants à naître au plus tard le 27 août 2018, de Mme [V] à [Localité 3] (Vermont), dit qu'ils détiendront conjointement et exclusivement les droits et responsabilité parentaux et que la mère porteuse n'est pas le parent des enfants. Elle ordonne également l'établissement d'actes de naissance conformes à la décision rendue.
3. Le 10 août 2018, [S] et [Y] [J] [R] sont nés à [Localité 3].
4. MM. [J] et [R], agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux des enfants, ont assigné le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris pour voir prononcer l'exequatur de la décision américaine et juger que celle-ci produirait les effets d'une adoption plénière.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le ministère public fait grief à l'arrêt de faire produire à la décision rendue le 15 août 2018 les effets d'une adoption plénière sur le territoire français, alors « qu'aux termes des dispositions de l'article 509 du code de procédure civile Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi", que s'agissant des effets de l'exequatur d'un jugement étranger, le juge peut procéder à la traduction d'une institution étrangère dans les catégories du for, afin d'assurer son intégration dans cet ordre juridique, pourvu qu'il ne procède pas à une révision de la décision transposée dans l'ordre interne, qu'en considérant que l'exequatur de l'ordonnance rendue le 15 août 2018 par le tribunal de grande instance de l'Etat du Vermont, produit, en France, les effets d'une adoption plénière, la cour d'appel de Paris, par son arrêt en date du 28 novembre 2023, a, en réalité, procédé à une révision prohibée de la décision étrangère, et a en conséquence violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 509 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi.
7. Les jugements étrangers relatifs à l'état des personnes, produisant de plein droit leurs effets en France sauf s'ils doivent donner lieu à une mesure d'exécution sur les biens ou de coercition sur les personnes, peuvent être mentionnés sur les registres français de l'état civil indépendamment de toute déclaration d'exequatur.
8. Leur régularité internationale est cependant contrôlée par le juge français lorsque celle-ci est contestée ou qu'il lui est demandé de la constater.
9. Lorsque, sans prononcer d'adoption, un jugement étranger établissant la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui est revêtu de l'exequatur, cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets.
10. Après avoir constaté que le jugement de première instance avait, par une disposition non frappée d'appel, déclaré exécutoire sur le territoire français la décision du 15 août 2018 instituant une filiation entre les enfants à naître et MM. [R] et [J], l'arrêt décide que cette décision produira en France les effets d'une adoption plénière.
11. En statuant ainsi, alors que la décision revêtue de l'exequatur n'était pas un jugement d'adoption, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. L'ordonnance rendue le 15 août 2018 par la cour supérieure de l'Etat du Vermont établissant le lien de filiation entre les enfants [S] et [Y] [J] [R], nés d'une gestation pour autrui le 10 août 2018 à [Localité 3] dans l'Etat du Vermont, et MM. [J] et [R], qui n'est pas un jugement d'adoption, a été revêtu de l'exequatur par une disposition du jugement de première instance non frappée d'appel.
15. Cette filiation est reconnue en tant que telle en France et produit les effets qui lui sont attachés conformément à la loi applicable à chacun de ces effets.
16. Il y a donc lieu, par ces motifs substitués à ceux des premiers juges, confirmant le jugement de ce chef, de rejeter la demande de MM. [J] et [R] tendant à voir juger que l'ordonnance du 15 août 2018 produira en France les effets d'une adoption plénière.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il dit que l'ordonnance du 15 août 2018 rendue par le « tribunal »du Vermont produira en France les effets d'une adoption plénière et en ce qu'il statue sur les dépens, l'arrêt rendu le 28 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirmant le jugement de ce chef, rejette la demande de MM. [J] et [R] tendant à voir juger que l'ordonnance rendue le 15 août 2018 par la cour supérieure de l'Etat du Vermont produira en France les effets d'une adoption plénière ;
Condamne MM. [J] et [R] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-cinq.