LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 23-86.632 F-D
N° 00316
LR
12 MARS 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 MARS 2025
M. [S] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 6 septembre 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'aide à l'usage par autrui de stupéfiants, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [S] [I], les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Vienne, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 février 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Courant 2016, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Vienne a signalé au procureur de la République l'existence de prescriptions anormales d'un médicament classé comme stupéfiant, le Skenan, réalisées par M. [S] [I], médecin, ainsi que la délivrance irrégulière par plusieurs pharmaciens de ce médicament.
3. Une information a été ouverte notamment des chefs d'aide à l'usage de produits stupéfiants et d'escroquerie. M. [I] a été mis en examen de ces chefs, et renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y être jugé pour les seuls faits d'aide à l'usage de stupéfiants, les faits d'escroquerie ayant fait l'objet d'un non-lieu.
4. Par jugement du 14 décembre 2021 le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable d'avoir facilité à autrui, par quelque moyen que ce soit, à titre onéreux ou gratuit l'usage de Skenan, substance ou plante vénéneuse classée comme stupéfiant, en l'espèce en rédigeant des ordonnances prescrivant ce produit en dehors de son indication thérapeutique à des patients qu'il savait être des toxicomanes, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, et a déclaré la constitution de partie civile de la CPAM de la Haute-Vienne irrecevable.
5. Cette dernière a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [I] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Vienne la somme de 63 670,54 euros au titre de remboursements qu'elle avait effectués indûment, alors :
« 2°/ que les tribunaux correctionnels ne peuvent statuer que sur les faits relevés par l'ordonnance ou la citation qui les a saisis, à moins que le prévenu ait accepté expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux ainsi visés à la prévention ; qu'en retenant que les agissements de M. le Dr [I] avaient engendré un préjudice financier pour la CPAM de la Haute-Vienne quand pourtant les termes de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, laquelle avait écarté toute qualification d'escroquerie au préjudice de cette caisse et avait prononcé des non-lieux de ce chef spécifique, excluaient tout préjudice de la CPAM en lien avec les faits reprochés aux prévenus, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 388 du Code de procédure pénale ;
3°/ que la commission par un médecin du délit, spécifique, de facilitation à l'usage de produits stupéfiants, non accompagné d'une escroquerie au préjudice d'une caisse de sécurité sociale, n'est, en tant que telle, pas de nature à engendrer un dommage pour cette même caisse ; qu'en retenant que la commission de ce seul délit, non accompagné d'une escroquerie au préjudice de la CPAM de la Haute-Vienne, par M. le Dr [I], médecin souscripteur qui avait pourtant expressément veillé à indiquer sur ses ordonnances la mention « NR » (pour « non-remboursable »), avait engendré un préjudice financier pour cette caisse en raison de remboursements que celle-ci aurait tout de même effectués, la cour d'appel a violé l'article 1240 du Code civil, ensemble l'article 222-37 du Code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 du code de procédure pénale :
8. Il résulte de ce texte que l'action civile n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
9. Pour infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la constitution de partie civile de la CPAM irrecevable, et condamner M. [I] à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts, l'arrêt attaqué retient que les agissements conjoints de ce dernier, et du pharmacien distributeur, qui ont été définitivement sanctionnés au plan pénal sous la qualification de facilitation à autrui, à titre gratuit ou onéreux, de l'usage de Skenan, sont directement et certainement à l'origine du préjudice de la CPAM, l'ordonnance du médecin, qu'elle soit remboursable ou non remboursable, ayant facilité la délivrance du produit par le pharmacien à des patients qui, pour la grande majorité, bénéficiaient du tiers payant assuré par la caisse.
10. Les juges précisent qu'il ressort des investigations réalisées que les patients se rendaient spécifiquement chez le docteur [I] dans le but d'obtenir cette prescription, ainsi réalisée pour les vingt-quatre patients listés par la CPAM, hors tout cadre légal, alors que leur état de santé ne la justifiait pas. Les sommes correspondant à ces consultations ont été, soit réglées directement par le patient qui obtenait ensuite son remboursement par la CPAM de la Haute-Vienne via la pharmacie au moment de la délivrance de Skenan, en remettant au pharmacien sa carte vitale, soit prises en charge directement par la CPAM de la Haute-Vienne au titre de la couverture maladie universelle, le médecin obtenant ensuite le remboursement des consultations auprès de la caisse.
11. Ils ajoutent que les auditions réalisées dans le cadre de l'information ont démontré que les patients bénéficiaient du tiers payant pour la prise en charge de la consultation du médecin et du médicament, que l'ordonnance prescrive le caractère remboursable du médicament, ou non.
12. Ils en concluent que sans la commission de l'infraction dont M. [I] a été déclaré coupable, la CPAM n'aurait, de manière certaine, pas subi le préjudice dont elle réclame réparation, qui consiste tant en des remboursements du prix du médicament qu'en des remboursements du prix de la consultation.
13. En prononçant ainsi, alors que le préjudice de la CPAM trouve son origine directe, non dans l'infraction commise par le médecin, mais dans les agissements des assurés sociaux, qui ont sollicité le remboursement ou la prise en charge par la caisse du coût des consultations et des médicaments, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé.
14. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation:
La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à M. [I]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Limoges, en date du 6 septembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives à M. [I], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Limoges et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.