LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 23-87.010 F-D
N° 00443
SL2
2 AVRIL 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 AVRIL 2025
M. [N] [C], Mme [X] [V] et la société [3] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de M. [C], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 2 juin 2023, qui, dans la procédure suivie contre les deux premiers des chefs de banqueroute, faux et dissimulation frauduleuse de biens par un débiteur, complicité et recel, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Jaillon, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de Mme [X] [V] et de M. [N] [C], les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société [3], es qualité de liquidateur judiciaire de M. [N] [C], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Jaillon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [1], dont le gérant est M. [N] [C], a souscrit le 28 décembre 2011 un prêt de 390 000 euros auprès de la [2] pour procéder à l'achat d'un fonds de commerce. M. [C] s'en est porté caution personnelle et solidaire à hauteur de 350 350 euros.
3. A partir du mois de février 2013, la société n'a pu rembourser le prêt et le 9 octobre suivant, la [2] a mis en demeure M. [C] de payer au titre de son engagement de caution.
4. La société [1] a été placée en redressement judiciaire le 20 août 2014 puis en liquidation judiciaire le 1er octobre suivant. La date de cessation des paiements a été fixée par le jugement du tribunal correctionnel au mois de mars 2013.
5. La [2] a déclaré sa créance à la procédure de redressement judiciaire. En outre, elle a obtenu du tribunal de commerce le 1er mars 2018 un jugement condamnant M. [C] au paiement de sa créance.
6. Par ailleurs, M. [C] a fait l'objet d'une procédure de rétablissement professionnel puis de liquidation le 31 mai 2019 et la SCP [3] a été désignée comme mandataire judiciaire.
7. Le 28 septembre 2016, la [2] a déposé plainte pour faux et usage, à la suite du non-paiement des échéances du prêt et de la vente du fonds de commerce et de son patrimoine par M. [C].
8. A l'issue de l'enquête préliminaire, M. [C] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, en sa qualité de dirigeant de la société [1], des chefs de banqueroute, dissimulation de tout ou partie de ses biens personnels et faux et usage. Mme [V] a, quant à elle, été poursuivie des chefs de complicité du délit de dissimulation de biens personnels par dirigeant de personne morale faisant l'objet d'une procédure collective, commis par son concubin M. [C], et recel de dissimulation de biens personnels par dirigeant de personne morale faisant l'objet d'une procédure collective.
9. Par jugement du 18 février 2021, les juges du premier degré ont relaxé M. [C] des faits de dissimulation de biens par un dirigeant de personne morale faisant l'objet d'une procédure collective, l'ont déclaré coupable pour le surplus et l'ont condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, 7 000 euros d'amende dont 5 000 euros avec sursis et trois ans d'interdiction de gérer. Ils ont relaxé Mme [V] et ordonné la restitution des sommes saisies sur ses comptes.
10. Sur l'action civile, ils ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la SCP [3] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [C], recevable la constitution de partie civile de la [2] et ont débouté cette dernière du fait des relaxes prononcées. Ils ont enfin constaté l'engagement de Mme [V] à ce que les sommes saisies sur son compte bancaire pour un total de 92 400,34 euros, dont la restitution a été ordonnée, soient intégralement affectées au remboursement de la dette de M. [C] auprès de la [2].
11. La SCP [3] ès qualités de liquidateur de M. [C] a relevé appel de la décision sur l'action civile.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens proposés pour M. [C] et Mme [V]
12. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen proposé pour M. [C] et Mme [V]
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. [C] et Mme [V], divorcée [O] ont commis une faute civile établie à partir et dans la limite des faits, objets des poursuites, des chefs de dissimulation frauduleuse de biens par un débiteur, complicité et recel, et les a condamnés solidairement à payer à la SCP [3], ès qualités de représentant des créanciers de la liquidation personnelle de M. [C], une somme de 15 955,58 euros en réparation de son préjudice, alors :
« 1°/ que, d'une part, M. [C] était poursuivi pour avoir, en contradiction avec les articles L 654-1 et L 654-14 dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, en sa qualité de dirigeant d'une personne morale placée sous le coup d'une procédure collective, détourné une partie de ses biens en vue de soustraire tout ou partie de son patrimoine aux poursuites de la personne morale ayant fait l'objet de cette procédure ; qu'il résulte de ces textes que l'infraction, et par voie de conséquence la faute civile qui peut être retenue contre le prévenu relaxé, suppose nécessairement que le détournement allégué ait eu pour objet de soustraire tout ou partie du patrimoine aux poursuites de la personne morale placée en liquidation judiciaire ; en relevant expressément que l'opération de vente immobilière reprochée à M. [C] aurait eu pour objet d'éviter que la banque, qui était son créancier personnel en sa qualité de caution, puisse poursuivre ses biens immobiliers, la Cour d'appel n'a pas constaté la condition de l'article L 654-14 alinéa 1er, relative à l'intention de soustraire le patrimoine aux poursuites de la personne morale, et non pas du créancier de la personne physique ; en retenant une faute de ce chef, la Cour a violé lesdits textes, outre l'article 1240 du code civil ;
2°/ que l'interdiction résultant des articles L 654-1 et L 654-14 précités dans leur version applicable à l'espèce suppose nécessairement que la décision plaçant la personne morale en procédure collective soit antérieure à l'acte de détournement ou de dissimulation ; il résulte des faits de l'espèce que la personne morale a été placée en redressement judiciaire le 20 août 2014 et en liquidation judiciaire le 1er octobre 2014 ; les actes de disposition reprochés à M. [C], effectués le 25 juin 2013, puis le 31 octobre 2013, soit un an auparavant, ne pouvaient en aucun cas caractériser l'infraction réprimée par ces textes ; la Cour d'appel a encore violé lesdits textes, outre l'article 1240 du code civil ;
3°/ qu'en retenant expressément que le délit de dissimulation frauduleuse des biens était privé de son élément légal dès lors que la disposition du prix de cession des biens immobiliers était antérieure à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, tout en entrant en voie de condamnation prétendument dans les termes et limites de la poursuite, la Cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 et 497 du code de procédure pénale :
14. Il se déduit de ces textes que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation doit résulter d'une faute démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
15. Il résulte de l'arrêt attaqué que les juges du premier degré ont renvoyé M. [C] des fins de la poursuite de dissimulation de tout ou partie de ses biens personnels par dirigeant de personne morale faisant l'objet d'une procédure collective et Mme [V] des fins de complicité et recel de ce délit, au motif que les actes de dissimulation ou de détournement et les transferts de fonds qui ont suivi sont antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 20 août 2014 et qu'ainsi, l'élément matériel de l'infraction n'est pas constitué.
16. Pour déclarer M. [C] et Mme [V] responsables du préjudice invoqué par la SCP [3] et les condamner à lui verser des dommages-intérêts, l'arrêt énonce que, dès la mise en demeure de la [2] le 23 mai 2013 en sa qualité de caution personnelle, M. [C] qui en tant que gérant de la société [1] ne pouvait ignorer sa situation financière dégradée et ne pouvait plus faire face à ses engagements depuis le mois de mars 2013, date de la cessation des paiements, a entrepris de vendre son patrimoine.
17. Les juges retiennent que Mme [V] a notamment déclaré que M. [C] ne voulait pas honorer sa dette vis-à-vis de la banque et qu'elle savait que l'argent qui avait alimenté ses comptes provenait de la vente du patrimoine.
18. Ils ajoutent que M. [C] et Mme [V] ont agi en conscience et en fraude des droits des créanciers pour soustraire de leurs poursuites inéluctables le patrimoine immobilier.
19. Ils en concluent qu'ils ont commis une faute civile dans les termes et les limites de la poursuite.
20. En statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait, pour caractériser la faute civile dans la limite des faits objet de la poursuite, retenir des faits commis avant la date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 20 août 2014, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
22. La cassation à intervenir ne portera que sur les seules dispositions civiles relatives aux faits de dissimulation frauduleuse de biens par un débiteur, complicité et recel.
23. Il n'y a pas lieu d'examiner le moyen de cassation proposé pour la SCP [3].
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 2 juin 2023, mais en ses seules dispositions civiles relatives aux faits de dissimulation frauduleuse de biens par un débiteur, complicité et recel, toutes autres dispositions étant maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi et dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.