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08/04/2025 | FRANCE | N°C2500465

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 avril 2025, C2500465


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° B 24-81.241 F-D


N° 00465




ODVS
8 AVRIL 2025




CASSATION SANS RENVOI




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 AVRIL 2025






La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 11 janvier 2024, qui, pour recours au travail temporaire malgré interdiction d'y recourir, l'a condamnée à 15 000 euros ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° B 24-81.241 F-D

N° 00465

ODVS
8 AVRIL 2025

CASSATION SANS RENVOI

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 AVRIL 2025

La société [2] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 11 janvier 2024, qui, pour recours au travail temporaire malgré interdiction d'y recourir, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende dont 5 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [2], les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat du syndicat [3], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du syndicat [1], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [C] [B] a été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel, en qualité de représentant légal de la société [2], pour avoir eu recours au travail temporaire malgré l'interdiction d'y recourir.

3. Par jugement définitif du 2 juillet 2019, le tribunal correctionnel a relaxé M. [B] et débouté les syndicats [1] et [3] constitués partie civile.

4. Le 15 novembre 2021, la société [2] a été citée à comparaître, dans les mêmes termes et pour les mêmes faits. Les syndicats précités se sont de nouveau constitués partie civile.

5. Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal correctionnel a déclaré la société prévenue coupable des faits reprochés, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende dont 5 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

6. La société [2] a interjeté appel. Le ministère public a interjeté appel incident. Le syndicat [1] a interjeté appel incident sur les dispositions civiles du jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement correctionnel déféré, a rejeté les exceptions de nullité, a déclaré la société [2] coupable des faits de recours au travail temporaire malgré interdiction d'y recourir du 6 juin 2016 au 14 juin 2016, l'a condamnée au paiement d'une amende de 15 000 euros avec sursis partiel à hauteur de 5 000 euros, a déclaré recevables les constitutions de partie civile du syndicat [1] et du syndicat [3] et l'a condamnée à payer au syndicat [1] la somme de 3 000 euros au titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale et au syndicat [3] la somme de 3 000 euros au titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale et au syndicat [3], alors :

« 1°/ que le droit à un procès équitable édicté par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique non seulement que le justiciable jouisse d'une possibilité effective de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits, mais encore qu'il dispose d'une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne le placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; que tel n'est pas le cas lorsqu'en l'état de la perte intégrale de la procédure, la juridiction pénale statue, s'agissant des éléments susceptibles d'être à décharge du prévenu, exclusivement sur les copies fournies par la partie civile, dépourvues de toute garantie d'authenticité ; qu'en l'espèce la cour d'appel, statuant dans le cadre de poursuites diligentées contre [2] pour recours au travail temporaire malgré interdiction d'y recourir du 6 juin 2016 au 14 juin 2016 au sein de son établissement de Bayonne, faits ayant donné lieu à une décision définitive de relaxe de son représentant dans cet établissement, M. [C] [B], en date du 7 juillet 2019, a constaté qu' « il est constant que la procédure d'enquête originale faisant partie du dossier soumis au tribunal correctionnel dans le cadre des poursuites dirigées contre M. [B] à titre personnel a été égarée et que les poursuites exercées contre la S.A. [2] ont été engagées sur la base d'une copie de la procédure d'enquête préliminaire transmise au Parquet par le conseil du syndicat [1] et d'une copie du procès-verbal 16026 (et de ses annexes) de la DIRECCTE adressée au Ministère public par cette administration et dont les pages de garde du procès-verbal et des annexes (liste de celles-ci) revêtent le tampon et la signature de la responsable de l'unité du site de contrôle d'Anglet » ; que pour écarter l'exception de nullité de la procédure soulevée par [2], la cour d'appel a retenu que « si les procès-verbaux de l'enquête pénale diligentée en suite de la transmission du PV de constat d'infraction ne sont produits ni en original ni en copie certifiée conforme, la circonstance qu'une partie civile en a transmis la copie qui lui a été adressée dans le cadre des poursuites initialement engagées contre M. [B] n'est pas de nature à justifier l'annulation de la procédure, privant simplement les pièces produites par cette partie de la force probante attachée par l'article 429 du code de procédure pénale aux procès-verbaux produits en original ou copie certifiée conforme » ; qu'en statuant de la sorte la cour d'appel, qui s'agissant de l'enquête pénale susceptible d'être à décharge de [2], s'est prononcée sur des éléments exclusivement transmis, en copie non certifiée conforme, par la partie civile, a violé l'article 6 §.1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'est irrégulière et porte atteinte aux intérêts de la personne poursuivie la simple copie d'un procès-verbal d'infraction dressé par l'inspecteur du travail, et dont l'original figurant au dossier de la procédure a disparu, portant sur la première page uniquement, la signature et le tampon de la responsable de l'unité de contrôle, sans aucune mention de sa conformité à l'original ni garantie de l'intégrité du document transmis ; qu'en l'espèce, pour écarter l'exception de nullité de la procédure soulevée par [2], la cour d'appel a retenu qu'il « doit être considéré que l'apposition par la responsable de l'unité de contrôle d'Anglet (service ayant procédé à l'enquête administrative) du tampon du service et de sa signature personnelle sur la première page de la copie du P.V. n° 16026 (relatant les diligences accomplies par les inspecteurs du travail, leurs constatations personnelles, les déclarations de la directrice de l'établissement et de la responsable de l'agence d'intérim par eux recueillies) et sur la feuille de garde de ses annexes (listant celles-ci, jointes à la transmission), documents transmis au Ministère public, garantit suffisamment l'authenticité des copies de ces documents qui constituent la base des poursuites diligentées contre l'établissement de la Poste et leur conformité aux documents originaux disparus » ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a violé derechef le texte susvisé, ensemble les articles 429 et 802 du code de procédure pénale ;

3°/ que le droit à un procès équitable suppose l'accès du requérant à un organe judiciaire de pleine juridiction en fait et en droit, capable de se former sa propre conviction sur les faits essentiels pour la solution de son recours ; que cette garantie n'est pas assurée lorsqu'en raison de la disparition de la procédure, le juge se prononce, en fait, sur des copies non authentifiées des actes de la procédure, partiellement fournies par la partie civile ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé derechef l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

8. Pour écarter l'exception de nullité des poursuites soulevée par la société prévenue en raison de l'absence de la procédure d'enquête originale, l'arrêt attaqué énonce que cette dernière qui faisait partie du dossier soumis au tribunal correctionnel dans le cadre des poursuites dirigées contre M. [B] a été égarée et que les poursuites exercées contre la société [2] ont été engagées sur la base d'une copie de la procédure d'enquête préliminaire transmise au ministère public par l'avocat du syndicat [1] et d'une copie du procès-verbal de constatation de l'infraction et de ses annexes adressée au ministère public par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

9. Ils retiennent qu'il doit être considéré que l'apposition, par la responsable de l'unité de contrôle ayant procédé à l'enquête administrative, du tampon du service et de sa signature personnelle, d'une part, sur la première page de la copie du procès-verbal de constatation de l'infraction qui relate les diligences accomplies par les inspecteurs du travail, leurs constatations personnelles, les déclarations de la directrice de l'établissement et de la responsable de l'agence d'intérim par eux recueillies, d'autre part, sur la feuille de garde de ses annexes établissant la liste de celles-ci et jointes à la transmission, garantit suffisamment l'authenticité des copies de ces documents qui constituent la base des poursuites diligentées contre l'établissement de la société [2] et leur conformité aux documents originaux disparus.

10. Ils ajoutent, par ailleurs, que si les procès-verbaux de l'enquête pénale diligentée en suite de la transmission du procès-verbal de constat d'infraction ne sont produits ni en original ni en copie certifiée conforme, la circonstance qu'une partie civile en a transmis la copie qui lui a été adressée dans le cadre des poursuites initialement engagées contre M. [B] n'est pas de nature à justifier l'annulation de la procédure, privant simplement les pièces produites par cette partie de la force probante attachée par l'article 429 du code de procédure pénale aux procès-verbaux produits en original ou copie certifiée conforme.

11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a, par des motifs exempts d'insuffisance, justifié sa décision sans encourir les griefs visés au moyen pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, les diligences accomplies par le responsable de l'unité de contrôle de l'inspection du travail, qui est une personne assermentée, pour attester de l'authenticité des copies du procès-verbal d'infraction et de ses annexes et de leur conformité aux originaux en vue de leur transmission au ministère public, valent production de copies certifiées conformes.

13. En deuxième lieu, la production par une partie civile d'une copie d'un procès-verbal d'enquête non authentifiée ne saurait entraîner la nullité de cette pièce dès lors que, soumise au débat contradictoire, il revient au juge du fond d'en apprécier souverainement la valeur probante.

14. Enfin, la société prévenue a eu la possibilité de contester l'utilisation en procédure des pièces dont l'authenticité était discutée.

15. Le moyen ne peut qu'être écarté.

Mais sur le deuxième moyen

Vu le principe de l'autorité de la chose jugée :

16. Le principe de l'autorité de chose jugée, fût-ce en méconnaissance de la loi, met obstacle à ce que des poursuites soient reprises devant une juridiction qui a précédemment épuisé sa saisine par une décision devenue définitive.

17. Pour déclarer la société [2] coupable de recours au travail temporaire malgré l'interdiction d'y recourir, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l'article 121-2 du code pénal, retient qu'il est établi, au regard de la décision du 3 janvier 2016 portant délégation de pouvoirs, que la personne physique susceptible d'engager la responsabilité pénale de la personne morale est M. [B], directeur du service « courrier-colis Pays de l'Adour », titulaire, en cette qualité, d'une délégation de pouvoirs.

18. Les juges ajoutent que M. [B], poursuivi en qualité de représentant légal de [2], pour avoir eu recours, du 6 juin au 14 juin 2016, au travail temporaire malgré interdiction d'y recourir, a été définitivement relaxé des fins de la poursuite, par une décision ainsi motivée : « il ressort des éléments du dossier et des débats qu'il convient de relaxer des fins de la poursuite M. [B] ».

19. Ils relèvent que la relaxe du représentant de la société n'exclut pas nécessairement la responsabilité pénale de celle-ci, a fortiori lorsque comme en l'espèce, le jugement de relaxe n'est pas motivé de sorte que l'autorité de chose jugée s'y rattachant ne peut s'étendre à aucun motif particulier.

20. Ils concluent qu'il doit être recherché si, en procédant au recrutement de travailleurs intérimaires pendant la période de prévention, afin de procéder au remplacement de salariés grévistes, M. [B] a sciemment enfreint les dispositions de l'article L.1251-10, 1°, du code du travail.

21. En statuant ainsi, alors qu'il ressort du jugement du 6 juin 2019 que M. [B], poursuivi en qualité de représentant légal de la société [2], a été relaxé du chef de recours au travail temporaire malgré l'interdiction d'y recourir par une décision qui, serait-elle entachée de motifs insuffisants, est devenue définitive, de sorte qu'une faute identique ne pouvait être retenue à l'encontre de la société qu'il représentait poursuivie pour les mêmes faits, et selon la même prévention, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé.

22. La cassation est, par conséquent, encourue.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

24. En raison de la cassation prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner le troisième moyen proposé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 11 janvier 2024 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire en ce qui concerne la déclaration de culpabilité prononcée contre la société [2] ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500465
Date de la décision : 08/04/2025
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau, 11 janvier 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 avr. 2025, pourvoi n°C2500465


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Françoise Fabiani - François Pinatel , SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500465
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