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08/04/2025 | FRANCE | N°C2500468

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 avril 2025, C2500468


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° D 23-87.173 F-D


N° 00468




ODVS
8 AVRIL 2025




REJET




M. BONNAL président,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 AVRIL 2025






M. [W] [Y], Mme

[U] [V] et la société [2], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 7 novembre 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [J] [M] du chef de diffam...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° D 23-87.173 F-D

N° 00468

ODVS
8 AVRIL 2025

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 AVRIL 2025

M. [W] [Y], Mme [U] [V] et la société [2], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 7 novembre 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [J] [M] du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [W] [Y], Mme [U] [V] et la société [2], les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [J] [M], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 15 juin 2021, la société [2], M. [W] [Y], fondateur et dirigeant de la société [3], et Mme [U] [V], son épouse, ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef susvisé à la suite de la publication sur le profil d'établissement [1] [2]-laboratoire [3] des propos suivants : 1. « je trouve les avis d'une naïveté déconcertante. Les clients sont prêts à avaler n'importe quoi. Il suffit pour cela d'un bel emballage doré et d'un langage pseudo-scientifique » ; 2. « les mauvais avis sont réels et ce ne sont pas eux qui posent problème mais les produits vendus par [3]. Savez-vous que M. [Y] [W] (fondateur et dirigeant de [3]) et Mme [Y] [U] (son épouse) ne sont ni médecins et encore moins pharmaciens ? Quant à leur formation scientifique, elle est... pour le moins basique. Et vous leur faites confiance pour gérer votre santé ? Quelles légitimité ont-ils ? Libre à vous de dépenser 20-30 ¿ pour des produits absolument inefficaces ».

3. Par ordonnance du 7 octobre 2022, M. [J] [M] a été renvoyé en qualité d'auteur des propos poursuivis devant le tribunal correctionnel.

4. Par jugement du 28 février 2023, le tribunal l'a relaxé.

5. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté la société [2] et les époux [Y] de leurs demandes, alors :

« 1°/ que lorsqu'une personne est visée par des propos diffamatoires, il importe peu qu'elle n'ait pas été nommément ou expressément désignée, dès lors que son identification est possible ; que la diffamation visant une personne peut rejaillir sur une autre si les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; qu'en retenant que l'avis émis par M. [M] selon lequel « Je trouve les avis d'une naïveté déconcertante. Les clients sont prêts à avaler n'importe quoi. II suffit pour cela d'un bel emballage doré et d'un langage pseudo-scientifique » « ne désigne, ni n'identifie précisément ni [2], ni M. et Mme [Y] » et critique « en réalité la naïveté de certains clients » quand ces propos, hébergés, selon ses propres constatations, sur le profil d'établissement [1] de la société [2], s'ils visent au premier chef les clients de cette société, rejaillissent néanmoins sur celle-ci, leur auteur insinuant qu'elle abuse de la crédulité de ces derniers pour leur faire « avaler n'importe quoi » en utilisant un « langage pseudo-scientifique » et en conditionnant ses produits dans un « bel emballage doré », la cour d'appel a méconnu les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis et déterminé de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée constitue une diffamation, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d'insinuation ; qu'en retenant que l'avis émis par M. [M] sur le profil d'établissement [1] de la société [2] selon lequel « Je trouve les avis d'une naïveté déconcertante. Les clients sont prêts à avaler n'importe quoi. II suffit pour cela d'un bel emballage doré et d'un langage pseudo-scientifique » « n'impute aux parties civiles aucun fait matériel précis », quand cet avis insinue que la société [2] abuse de la naïveté de ses clients en utilisant un « langage pseudo-scientifique » et en conditionnant ses produits dans un « bel emballage doré » afin de leur vendre des compléments alimentaires inefficaces et lui impute ainsi un manque de probité commerciale, fait précis et déterminé portant atteinte à sa considération professionnelle, la cour d'appel a méconnu les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'il appartient aux juges du fond, avant de rechercher si les propos poursuivis dépassent ou non les limites admissibles de la liberté d'expression, ce qui suppose qu'ils s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, de déterminer s'ils constituent une articulation précise de faits portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle le fait est imputé de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; qu'en retenant, pour dire que les propos selon lesquels « Les mauvais avis sont réels et ce ne sont pas eux qui posent problème mais les produits vendus par [3]. Savez-vous que M. [Y] [W] (fondateur et dirigeant de [3]) et Mme [Y] [U] (son épouse) ne sont ni médecins, et encore moins pharmaciens ? Quant à Ieur formation scientifique, elle est... pour le moins basique. Et vous leur faites confiance pour gérer votre santé ? Quelle Iégitimité ont-ils ? Libre à vous de dépenser 20-30 ¿ pour des produits totalement inefficaces » ne caractérisent pas « suffisamment » le délit de diffamation, « qu'ils ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans le cadre de débats sur un site d'informations à propos de produits vendus par une société commerciale soumise aux critiques du marché inhérentes au monde des affaires », la cour d'appel, qui a ainsi déduit l'absence de diffamation de la bonne foi du prévenu, a méconnu les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ en tout état de cause que dépassent le libre droit de critique concernant les produits les attaques personnelles portant atteinte à la considération professionnelle du fabricant ; qu'en retenant, pour dire que les propos selon lesquels « Les mauvais avis sont réels et ce ne sont pas eux qui posent problème mais les produits vendus par [3]. Savez-vous que M. [Y] [W] (fondateur et dirigeant de [3]) et Mme [Y] [U] (son épouse) ne sont ni médecins, et encore moins pharmaciens ? Quant à Ieur formation scientifique, elle est... pour le moins basique. Et vous leur faites confiance pour gérer votre santé ? Quelle Iégitimité ont-ils ? Libre à vous de dépenser 20-30 ¿ pour des produits totalement inefficaces » sont « insuffisamment constitutifs d'une atteinte à l'honneur ou à la considération des parties civiles », que le prévenu s'est contenté de rappeler que « les compléments alimentaires commercialisés par la société [2] n'étant pas des médicaments, ne pouvaient avoir d'effet thérapeutique sur les pathologies décrites par les internautes », quand ces propos laissent en réalité entendre que M. et Mme [Y] tromperaient leurs clients en leur faisant croire que les compléments alimentaires qu'ils vendent auraient des effets thérapeutiques et constituent ainsi des attaques personnelles portant atteinte à leur considération professionnelle, la cour d'appel a méconnu les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que la bonne foi du diffamateur suppose qu'il ait poursuivi un but légitime d'information ; qu'en retenant, pour dire que les propos selon lesquels « Les mauvais avis sont réels et ce ne sont pas eux qui posent problème mais les produits vendus par [3]. Savez-vous que M. [Y] [W] (fondateur et dirigeant de [3]) et Mme [Y] [U] (son épouse) ne sont ni médecins, et encore moins pharmaciens ? Quant à Ieur formation scientifique, elle est... pour le moins basique. Et vous leur faites confiance pour gérer votre santé ? Quelle Iégitimité ont-ils ? Libre à vous de dépenser 20-30 ¿ pour des produits totalement inefficaces » « ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d'expression », qu'ils s'inscrivent « dans le cadre de débats sur un site d'informations à propos de produits vendus par une société commerciale », tout en constatant qu'ils avaient été tenus par un simple internaute sur le profil d'établissement [1] « [2] ¿ Laboratoire [3] », ce dont il résultait qu'ils ne poursuivaient pas un but légitime d'information des consommateurs, la cour d'appel s'est contredite et a ainsi méconnu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

7. Pour rejeter l'existence d'une faute civile à raison des premiers propos publiés par M. [M], l'arrêt attaqué énonce qu'ils n'imputent aucun fait précis portant atteinte à l'honneur ou à la considération des parties civiles.

8. Les juges relèvent que, en effet, ces propos ne désignent, ni n'identifient précisément aucune des parties civiles et ne leur imputent aucun fait matériel précis, critiquant en réalité la naïveté de certains clients.

9. Ils ajoutent que les parties civiles, visées très indirectement en raison de l'hébergement de l'avis litigieux sur leur site professionnel, ne sont dès lors atteintes ni dans leur honneur ni dans leur considération par les propos très généraux et imprécis du prévenu.

10. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

11. En effet, les expressions « Les clients sont prêts à avaler n'importe quoi. Il suffit pour cela d'un bel emballage doré et d'un langage pseudo-scientifique » n'imputent aux parties civiles aucun fait précis portant atteinte à leur honneur ou à leur considération, les propos de M. [M] se limitant à un jugement de valeur sur la démarche scientifique de la société et de ses dirigeants, opinion exclusive de tout débat sur la preuve.

12. Ainsi, les griefs doivent être écartés.

Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches

13. Pour rejeter l'existence d'une faute civile à raison des seconds propos publiés par M. [M], l'arrêt attaqué énonce notamment qu'ils imputent aux parties civiles la vente de produits inefficaces en termes de santé par des personnes aux compétences incertaines, faits précis de nature à faire l'objet d'un débat contradictoire sur leur véracité.

14. Les juges observent que, cependant, ils ne portent pas atteinte à la l'honneur ou à la considération des parties civiles, le prévenu affirmant, dans le contexte où les propos ont été tenus, que les compléments alimentaires commercialisés par la société [2], n'étant pas des médicaments, ne pouvaient avoir d'effet thérapeutique sur les pathologies décrites par les internautes.

15. En l'état de ces seuls motifs, exempts de contradiction, la cour d'appel, qui a exactement apprécié, en considération des éléments extrinsèques qu'elle a analysés souverainement, que les propos poursuivis ne portaient pas atteinte à l'honneur ou la considération des parties civiles, a justifié sa décision.

16. Dès lors, le moyen doit être écarté.

17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 2 500 euros la somme que M. [W] [Y], Mme [U] [V], épouse [Y], et la société [2] devront payer in solidum à M. [J] [M] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500468
Date de la décision : 08/04/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 07 novembre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 avr. 2025, pourvoi n°C2500468


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers

Origine de la décision
Date de l'import : 15/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500468
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