LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Annulation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 375 F-D
Pourvoi n° U 23-21.637
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
M. [P] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 23-21.637 contre l'arrêt rendu le 10 mai 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la Société d'exploitation du Stella, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Douxami, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [U], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Société d'exploitation du Stella, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Douxami, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mai 2023), M. [U] a été engagé en qualité de chef de rang par la Société d'exploitation du Stella le 6 janvier 2010.
2. Licencié pour faute grave par lettre du 15 février 2018, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de condamnation de l'employeur à rectifier l'ancienneté indiquée sur l'attestation Pôle emploi, à le rembourser des prélèvements indus sur son salaire et au versement d'une indemnité pour travail dissimulé et à lui payer une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que l'obligation, pour l'intimé, de demander, à l'instar de l'appelant, dans ses conclusions d'intimé l'infirmation ou la réformation du jugement attaqué, résultant de la nouvelle interprétation des articles 954 et 542 du code procédure civile, au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, donnée par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020, ne s'applique pas aux instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date du présent arrêt, faute sinon de priver les parties du droit à un procès équitable ; que, dès lors, en énonçant, pour confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de condamnation de la Société d'exploitation du Stella à le rembourser des prélèvements indus sur son salaire et au versement d'une indemnité pour travail dissimulé, que le dispositif des conclusions de M. [U] ne contenait aucune demande d'infirmation ou de réformation des chefs de jugement de première instance, tout en constatant que l'appel avait été relevé par la Société d'exploitation du Stella par acte du 3 juillet 2020, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que la portée donnée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 3 juillet 2020, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver le salarié d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a violé les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
5. Il résulte du premier et du troisième de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié).
6. Cependant l'application immédiate de cette règle de procédure qui a été affirmée pour la première fois dans cet arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants, principal et incident, du droit à un procès équitable.
7. Il en résulte que si l'appelant incident est soumis à cette règle de procédure, celle-ci ne s'applique qu'aux appels incidents formés dans les instances introduites par une déclaration d'appel postérieure à l'arrêt du 17 septembre 2020, quelle que soit la date de l'appel incident (2e Civ., 1er juillet 2021, pourvoi n° 20-10.694, publié).
8. Pour juger que la cour d'appel ne pouvait que confirmer le jugement en ce qu'il avait débouté le salarié de ses demandes de condamnation de l'employeur à rectifier l'ancienneté indiquée sur l'attestation Pôle emploi, à le rembourser des prélèvements indus sur son salaire et à lui payer une indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions de l'intimé ne contient aucune demande d'infirmation ou de réformation des chefs de jugement de première instance.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible par les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 3 juillet 2020, et a privé le salarié d'un procès équitable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il y a lieu dès lors d'annuler l'arrêt de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
ANNULE, mais seulement en ce qu'il en ce qu'il déboute M. [U] de ses demandes de condamnation de la Société d'exploitation du Stella à rectifier l'ancienneté indiquée sur l'attestation Pôle emploi, à le rembourser des prélèvements indus sur son salaire et à lui payer une indemnité pour travail dissimulé, et en ce qu'il condamne M. [U] aux dépens et à payer à la Société d'exploitation du Stella la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 10 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la Société d'exploitation du Stella aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société d'exploitation du Stella et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.