LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 9 avril 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 385 F-D
Pourvoi n° R 23-21.703
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 AVRIL 2025
1°/ La société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], prise en son établissement de [Localité 4],
2°/ la société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ M. [Y] [T], domicilié [Adresse 2], agissant en qualité de président du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de [Localité 4],
ont formé le pourvoi n° R 23-21.703 contre le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 29 septembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Rennes, dans le litige les opposant :
1°/ au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à Mme [E] [L], domiciliée [Adresse 1], prise en qualité de représentante du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de [Localité 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations écrites de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste et de M. [T], ès qualités, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de [Localité 4] et de Mme [L], ès qualités, après débats en l'audience publique du 12 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Rennes, 29 septembre 2023), statuant selon la procédure accélérée au fond, la société La Poste a eu pour projet, en mai 2022, « d'ajuster » à compter du mois de septembre suivant la durée du travail de ses préposés affectés sur sa plate-forme de distribution du courrier dite Rennes-Colombier (particuliers) et Rennes entreprises, dépendant de l'établissement de [Localité 4], dans le but d'alléger la charge de travail des préposés le samedi et d'améliorer la qualité de service rendue aux usagers, ces préposés devant désormais travailler un samedi sur deux et non plus sur trois, en contrepartie d'une réduction de leur durée quotidienne de travail de trente-neuf minutes.
2. Ce projet a fait l'objet d'une information du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de [Localité 4] (le CHSCT), au cours de sa réunion du 30 mai 2022 et a été mis en oeuvre à compter du 5 septembre suivant. Une information sur les conditions de travail découlant de la mise en place des nouveaux horaires a été délivrée au CHSCT lors d'une réunion, le 25 octobre 2022, au cours de laquelle a été votée une délibération portant sur le recours à une expertise tendant à étudier l'impact du projet sur les conditions de travail et la santé des préposés.
3. Par actes du 28 octobre 2022, La Poste et M. [T], en sa qualité de président du CHSCT, ont assigné devant le président du tribunal judiciaire le comité, pris en la personne de sa représentante désignée à cet effet, aux fins d'annulation de cette délibération.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La Poste fait grief au jugement de déclarer régulière la délibération du CHSCT de [Localité 4] en date du 25 octobre 2022 décidant une expertise, de la débouter de sa demande d'annulation de la résolution ordonnant une expertise pour projet important et de la condamner à verser au conseil du CHSCT une certaine somme au titre de ses honoraires de procédure, alors :
« 1°/ que le CHSCT ne peut recourir à une mission d'expertise, prise en charge par l'employeur, que dans le cadre et dans les conditions prévus par l'article L. 4614-12 du code du travail, dans sa rédaction, applicable à La Poste, antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ; que l'expertise ordonnée par la délibération doit en conséquence, préciser qu'elle est justifiée par l'existence d'un risque grave ou d'un projet important au sens de ces dispositions ; qu'en l'espèce, la délibération du 25 octobre 2022, décidée et votée après information du 30 mai et mise en oeuvre, le 5 septembre 2022, sur un projet d'adaptation des conditions de travail qui consistait exclusivement à réduire la durée du travail quotidienne de 39 minutes en contrepartie d'un samedi travaillé sur deux et non plus sur trois comme auparavant, prétendait ''...antici[per] une nouvelle dégradation des conditions de travail des agents et l'accroissement des risques pour la santé des salariés depuis cette mise en place du 5 septembre 2022" mais dénonçait aussi ''...la forte présence de salariés précaires... une exposition renforcée à la fatigue pouvant laisser des traces sur l'état de santé des salariés en termes d'usure professionnelle mais aussi, pour les cas les plus extrêmes, un risque d'épuisement professionnel appelé également burn-out... une dégradation de l'équilibre vie privée/vie professionnelle... le souhait de la direction de supprimer les tournées mixtes en passant tous les agents aux mêmes horaires de travail, sans qu'ils aient pris soin de prévenir et consulter le CHSCT...'' et concluait à la nécessité ''... qu'un cabinet d'expertise puisse étudier l'impact de cette réorganisation sur la santé et sur l'évolution et la dégradation des conditions de travail des salariés, et puisse proposer au CHSCT des préconisations nécessaires pour y remédier'' ; que cette délibération qui visait certaines conséquences potentielles de la mise en place des nouveaux horaires, mais également des ''risques'' non identifiés comme graves et plus généralement les conditions de travail dans l'établissement, ne permettait pas de définir le cas de recours à l'expertise ordonnée ; que pour valider cette délibération, le tribunal judiciaire, qui en a isolé certains éléments sans l'apprécier dans son ensemble, a retenu que ''Si le comité, dans sa délibération critiquée [...], ne mentionne effectivement pas, expressément, le type d'expertise qu'il a décidé, il résulte pour autant de la lecture de ladite délibération que les éléments permettant de caractériser un projet important, au sens des dispositions précitées, y figurent bien'' ; qu'en statuant de la sorte, le tribunal judiciaire a violé le texte susvisé ;
2°/ que la décision de recourir à une expertise n'est justifiée que lorsqu'elle a pour objet de permettre au CHSCT de se former un avis éclairé sur une question relevant de sa compétence ; que dès lors, et sauf pour le CHSCT à démontrer l'existence de circonstances spécifiques à l'établissement, l'expertise n'est pas nécessaire lorsque les questions soumises à l'expert ont déjà reçu une réponse à l'occasion d'une précédente expertise réalisée, à la demande du même CHSCT, par le même expert à propos du même projet dans un autre établissement relevant de sa compétence ; qu'en l'espèce, pour valider la délibération du 25 octobre 2022 du CHSCT de l'établissement de [Localité 4] confiant au cabinet Isast une expertise ''projet important'' au sein de l'établissement de Rennes-Le Colombier-Entreprise, le tribunal judiciaire a retenu qu' : ''En ce qui concerne la perte de samedis non travaillés [...]. L'expert précédemment désigné par le CHSCT, dans le cadre d'un projet identique de réajustement des horaires de travail mis en place dans un autre établissement postal, a lui considéré que la réduction du temps de travail quotidien de trente-neuf minutes ne palliera, "en aucun cas", la perte corrélative de jours de repos. Il ajoute que la vingtaine de jours de repos perdus étaient à la fois "bénéfique pour la santé physique mais aussi mentale" des postiers. Il s'en déduit que le projet de réajustement litigieux, lequel vise tous les postiers de l'établissement concerné, modifie de façon significative leurs conditions de travail par une augmentation du nombre de jours travaillés qui l'est tout autant, modification susceptible d'avoir des répercussions sur leur santé physique et mentale. Il en résulte que le CHSCT a pu considérer qu'il s'agissait d'un projet important, au sens des dispositions des anciens articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12 du code du travail, l'autorisant ainsi à décider d'une expertise'' ; qu'en se déterminant aux termes de tels motifs dont il ressort que le CHSCT de [Localité 4] avait été complètement informé de l'incidence du projet de réajustement des horaires de travail sur les conditions de travail des postiers, sans relever de circonstance spécifique au site de Rennes-Le Colombier-Entreprise, le tribunal judiciaire, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 4614-12 du code du travail ;
3°/ que l'existence d'un projet important justifiant le recours à l'expertise doit être caractérisée dans l'établissement où elle est ordonnée ; qu'en déduisant l'existence d'un projet important dans l'établissement de Rennes-Le Colombier-Entreprise des seuls résultats d'une expertise diligentée dans un autre établissement, le tribunal judiciaire, qui s'est déterminé par des motifs impropres à caractériser un projet important dans l'établissement où était ordonnée l'expertise, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, ayant constaté que la délibération litigieuse mentionnait des effets négatifs sur l'ajustement des horaires de travail résultant de la nouvelle organisation, une possible dégradation des conditions de travail des préposés et que le projet litigieux nécessitait une étude d'impact sur la santé et les conditions de travail des salariés, le président du tribunal judiciaire a pu en déduire qu'il résultait des termes de cette délibération qu'une expertise pour projet important était ordonnée.
6. En second lieu, le jugement retient que l'étude d'impact faite par l'employeur a appelé à la vigilance au sujet de la perte de samedis non travaillés en raison de l'impact que cela peut avoir sur la gestion de la vie personnelle des salariés et que le projet de réajustement, lequel vise tous les postiers de l'établissement concerné, modifie de façon significative leurs conditions de travail par une augmentation du nombre de jours travaillés qui l'est tout autant, modification susceptible d'avoir des répercussions sur leur santé physique et mentale.
7. Le président du tribunal, par ces seuls motifs, a pu en déduire l'existence d'un projet important justifiant le recours à une expertise.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne in solidum la société La Poste et M. [T], en sa qualité de président du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement de [Localité 4], aux dépens ;
En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne in solidum la société La Poste et M. [T], ès qualités, à payer à la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 600 euros TTC ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le neuf avril deux mille vingt-cinq, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.