LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partiellement sans renvoi
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 447 F-D
Pourvoi n° X 24-12.973
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [B].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 janvier 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
Mme [Z] [B], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 24-12.973 contre l'arrêt rendu le 7 juin 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société EDF, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [B], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société EDF, après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président et rapporteur, Mme Brinet, conseiller, M. Carillon, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 juin 2023) et les productions, Mme [B] a saisi, le 17 février 2015, la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation de la société EDF à lui payer diverses sommes à titre de rappels de salaire et de dommages-intérêts, après requalification en contrat de travail à durée indéterminée de la relation de travail les ayant liées de mars 2006 à décembre 2014.
2. Par décision du 14 septembre 2016, notifiée le 23 décembre 2016, le conseil de prud'hommes a ordonné la radiation de l'affaire.
3. Le 3 janvier 2018, le conseil de Mme [B] a adressé au conseil de prud'hommes une demande visant à obtenir la requalification de la relation de travail en contrat de travail et la condamnation de la société EDF à lui payer diverses sommes en conséquence.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [B] reproche à l'arrêt attaqué de juger sa demande irrecevable, alors :
« 1°/ qu'en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences mises à leur charge par la juridiction ;que ce délai court à compter de la notification de la décision ordonnant ces diligences ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'il "est constant et non contesté que Mme [B] a saisi le conseil des prud'hommes de Bobigny le 17 février 2015 d'une requête à l'encontre de la société EDF demandant sa condamnation aux titres d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité pour requalification, dommages et intérêts, indemnité de congés payés. Cette affaire [a été] enrôlée sous le numéro du répertoire général 15/662. Le 14 septembre 2016, cette affaire a été radiée avec la précision que l'affaire pourra être rétablie au vu des moyens et du bordereau de communication de la partie la plus diligente à peine de péremption" ; qu'en déclarant cependant cette instance périmée, pour juger sa demande irrecevable, aux motifs que "au 17 février 2017, la preuve d'aucune diligence n'était établie. En conséquence, cette instance était périmée à compter de cette date", la cour d'appel a violé l'article R. 1452-8 du code du travail dans sa rédaction, applicable au litige, antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 ;
2° / que la radiation n'éteignant pas l'instance, le conseil de prud'hommes en reste saisi ; que la règle de l'unicité de l'instance ne fait pas obstacle à ce qu'une nouvelle demande soit introduite devant le conseil de prud'hommes, laquelle s'analyse alors en une demande de rétablissement de la procédure antérieure et qu'il lui appartient en ce cas de joindre les deux affaires ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations propres et adoptées de l'arrêt attaqué que : "le défendeur soutient que dans le cadre de la présente procédure, Mme [B]-[J] formule des demandes strictement identiques à celles qu'elle articulait dans le cadre d'une précédente procédure introduite devant le conseil de prud'hommes de Bobigny, selon saisine en date du 17 février 2015 et portant le numéro de RG F 15/00662 en section encadrement. Cette procédure a fait l'objet d'une radiation selon décision en date du 14 septembre 2016, notifiée le 23 septembre 2016, constatant le défaut de diligences de la demanderesse, aucune demande de rétablissement n'a été formulée. Nouvelle saisine en section Industrie portant le numéro RG F 18/00003 en date du 3 janvier 2018" ; que pour déclarer Mme [B]-[J] irrecevable en son action, la cour d'appel a énoncé, par motifs adoptés, que "la nouvelle saisine du 3 janvier 2018 en section Industrie n'est pas un rétablissement de l'affaire en cours (N° RG F 15/00662), mais bien une 2e procédure distincte de la 1re, même si les demandes sont identiques" ; qu'en statuant de la sorte quand elle devait analyser la seconde requête en une demande de rétablissement de la procédure antérieure et joindre l'ensemble des demandes, la cour d'appel a violé les articles 383 du code de procédure civile, R. 1452-6 et R. 1452-8 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 1452-6 et R. 4152-8 du code du travail, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 :
5. Pour juger périmée, à la date du 17 février 2017, l'instance introduite par Mme [B], l'arrêt retient qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes le 17 février 2015, que l'affaire a été radiée le 14 septembre 2016 et que la preuve d'aucune diligence n'est établie à la date du 17 février 2017.
6. L'arrêt ajoute que cette instance étant périmée à la date de l'introduction de la nouvelle procédure par le conseil de Mme [B], le 3 janvier 2018, cette nouvelle requête ne peut s'analyser comme une demande de remise au rôle du conseil des prud'hommes, de sorte que, la fin des relations commerciales ayant eu lieu le 31 décembre 2014, les demandes sont prescrites.
7. En statuant ainsi alors, d'une part, que le délai de péremption court à compter de la notification de la décision de radiation et, d'autre part, que la radiation n'éteint pas l'instance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond sur le moyen tiré de la péremption de l'instance et la fin de non recevoir tirée de la prescription.
10. En effet, la décision de radiation ayant été notifiée aux parties le 23 décembre 2016, l'instance n'était pas périmée au 3 janvier 2018, date de l'introduction de la nouvelle demande par laquelle Mme [B] a formulé des moyens au soutien de ses demandes et produit ses pièces, accomplissant ainsi les diligences mises à sa charge par la décision de radiation.
11. En application de la règle de l'unicité de l'instance, qui restait applicable à l'instance introduite avant le 1er août 2016, il appartenait au conseil de prud'hommes de joindre les deux affaires et de statuer au fond, la saisine de la juridiction prud'homale du 17 février 2015 ayant interrompu le cours de la prescription.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi sur le moyen tiré de la péremption de l'instance et la fin de non recevoir tirée de la prescription ;
Déclare recevables les demandes de Mme [B] ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société EDF aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société EDF et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.