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06/05/2025 | FRANCE | N°52500453

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 06 mai 2025, 52500453


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


CZ






COUR DE CASSATION
______________________




Arrêt du 6 mai 2025








Cassation partielle




M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président






Arrêt n° 453 F-D


Pourvoi n° H 23-22.730








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS<

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025


L'association [4], dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 23-22.730 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2023 par la cou...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 6 mai 2025

Cassation partielle

M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président

Arrêt n° 453 F-D

Pourvoi n° H 23-22.730

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025

L'association [4], dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 23-22.730 contre l'arrêt rendu le 21 septembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [V] [I], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à la Direction générale de Pôle emploi dont le siège est [Adresse 1], devenu France travail,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de l'association [4], de la SCP Duhamel, avocat de Mme [I], après débats en l'audience publique du 25 mars 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Brinet, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2023), Mme [I] a été engagée en qualité de chef de service pédagogique et éducatif à compter du 15 juin 2003 par l'association [4] (l'association). En dernier lieu, elle occupait les fonctions de directrice adjointe.

2. Convoquée le 25 août 2016 à un entretien préalable à un éventuel licenciement et mise à pied à titre conservatoire, la salariée a été licenciée pour faute lourde par lettre du 12 septembre 2016.

3. Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, elle a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

4. L'association, de son côté, a également saisi la même juridiction prud'homale en répétition de l'indû et paiement de dommages-intérêts en réparation de ses divers préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. L'association fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la condamner aux indemnités subséquentes et de la débouter de ses demandes, alors « que l'astreinte est une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise ; qu'en retenant que « la simple coïncidence de dates entre des formations et une période d'astreinte ne [suffit] pas à établir que la salariée n'effectuait en réalité aucune astreinte à ces dates ou à une autre », la cour d'appel a violé l'article L. 3121-9 du code du travail et l'article 1er de l'accord n° 2005-04 du 22 avril 2015 de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif relatif aux astreintes. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 3121-9 du code du travail, constitue une astreinte la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise.

7. Contrairement à ce que soutient le moyen, ce texte n'impose aucune obligation au salarié de demeurer à son domicile ou à proximité.

8. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel, après avoir constaté que l'employeur reprochait à la salariée d'avoir suivi des formations durant ses temps d'astreinte, a retenu qu'aucune faute ne pouvait valablement être imputée à la salariée à cet égard, la simple coïncidence de dates entre des formations et une période d'astreinte ne suffisant pas à établir que la salariée n'effectuait en réalité aucune astreinte à ces dates ou à une autre.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

10. L'association fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la condamner aux indemnités subséquentes et de la débouter de ses demandes, alors :

« 4°/ que le juge ne peut écarter tout abus du salarié dans l'exercice de sa liberté d'expression sans examiner si les propos qu'il a tenu ne sont pas injurieux, diffamatoires ou excessifs ; qu'en se bornant à relever que « le courrier daté du 11 juin 2016 [?] signé de M. [H] et de Mme [I] adressé à MM. [Y] et [F], administrateurs et membres du bureau de l'association par lequel comme le soutient l'employeur ils indiquent que la continuité des établissements est en péril et leur transmettent le compte rendu d'une réunion du conseil de direction n'est pas abusif au seul motif qu'il « n'a été diffusé qu'aux membres du bureau et contient un questionnaire qui a été effectivement transmis au président de l'association » sans examiner les propos tenus par Mme [I] dans ce courrier et sans vérifier s'il n'étaient pas injurieux, diffamatoires ou excessifs, alors qu'elle constatait que les rapports de l'ARS et du Conseil Départemental de l'Essonne établis à l'issue d'un contrôle concluaient à l'absence de « danger grave et/ou imminent dans l'accompagnement des résidents » de la maison d'accueil spécialisée et à l'absence d'« ingérence de l'association » ou de « graves dysfonctionnement dans la prise en charge et l'accompagnement des résidents » du foyer de vie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du l'article L. 1121-1 du code du travail ;

5°/ que le juge ne peut écarter tout abus du salarié dans l'exercice de sa liberté d'expression sans examiner si les propos qu'il a tenus ne sont pas injurieux, diffamatoires ou excessifs ; qu'en se bornant à relever que le « courrier daté du 11 juillet 2016 signé de M. [H] et Mme [I] adressé au président de l'association et en copie à l'ARS, l'inspection du travail, la médecine du travail, les syndicats, le bureau de l'association par lesquels ils reprochent au président de l'association ses propos lors d'une réunion du comité d'établissement du 7 juillet 2016 » n'est pas abusif aux seuls motifs que les thèmes évoqués « relève[nt] de leur liberté d'expression » et que « [l]es missions d'inspection [diligentées en réaction à ce courrier] n'ont pas été inutiles », sans examiner si les propos tenus par Mme [I] dans ce courrier ne relevaient pas de l'injure, de la diffamation, ou de l'excès, alors qu'elle constatait que les rapports de l'ARS et du Conseil Départemental de l'Essonne établis à l'issue d'un contrôle concluaient à l'absence de « danger grave et/ou imminent dans l'accompagnement des résidents » de la maison d'accueil spécialisée et à l'absence d'« ingérence de l'association » ou de « graves dysfonctionnement dans la prise en charge et l'accompagnement des résidents » du foyer de vie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du l'article L. 1121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

12. D'abord, l'arrêt retient que l'employeur ne pouvait s'appuyer que sur deux lettres, datées du 11 juillet 2016 et cosignées par la salariée avec le directeur de l'établissement, la première adressée à deux administrateurs membres du bureau de l'association, indiquant que la continuité des établissements est en péril, et la seconde, adressée au président de l'association avec copie à l'agence régionale de santé, l'inspection du travail, la médecine du travail, les syndicats et le bureau de l'association, reprochant au président de l'association ses propos lors d'une réunion du comité d'établissement du 7 juillet 2016.

13. Ensuite, l'arrêt retient que le contenu de la première de ces lettres ne peut pas suffire à caractériser l'intention de nuire alléguée par l'employeur dès lors qu'elle n'a été diffusée qu'aux membres du bureau et contient un questionnaire qui a été effectivement transmis au président de l'association.

14. Enfin, s'agissant de la seconde lettre, l'arrêt retient que sa large diffusion ne suffit pas davantage à caractériser l'intention de nuire dès lors que, concernant essentiellement une réunion des délégués du personnel et du comité d'entreprise tenue le 7 juillet 2016, elle reprend les points qui y ont été abordés.

15. Ayant ensuite analysé de manière détaillée la reprise de ces différents points, l'arrêt retient que cette seconde lettre relève d'un exercice non abusif de la liberté d'expression des salariés dès lors que son envoi a entraîné l'organisation de missions d'inspection qui n'ont pas été inutiles dans la mesure où elles ont révélé, d'une part s'agissant de la maison d'accueil spécialisée, des manquements et dysfonctionnements, sans toutefois qu'ils constituent un danger grave ou imminent, dans l'accompagnement des résidents, et se sont montrés plus réservés en ce qui concerne les conditions de travail des salariés et, d'autre part s'agissant du foyer de vie, ont conclu à l'absence de graves dysfonctionnements dans la prise en charge et l'accompagnement des résidents mais ont préconisé une réorganisation comprenant des actions correctives, de sorte qu'il ne pouvait valablement être reproché à la salariée d'avoir provoqué ces missions d'inspection.

16. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée et qui a fait ressortir l'absence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs contenus dans la seconde lettre, a légalement justifié sa décision.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen pris en sa première branche

Enoncé du moyen

18. L'association fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la condamner aux indemnités subséquentes et de la débouter de ses demandes, alors « que la lettre de licenciement fixant les limites du litige, le juge ne peut retenir que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse sans examiner l'ensemble des griefs énoncés dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, l'employeur reprochait à Mme [I] d'avoir « donné l'autorisation à une personne non qualifiée, M. [N] [T], chef de service d'accéder au serveur au lieu du siège de l'établissement, ce qui a permis la destruction fin juin début juillet 2016 du planning de présence du directeur ainsi que l'écrasement du fichier du personnel entrainant de multiples incohérences dans les plannings horaires de salariés nécessaires à l'établissement de leurs bulletins de paie » et de ne pas avoir « remédier à ces dysfonctionnements » ainsi que d'avoir « régularisé a posteriori en fabriquant un faux document comme justificatif, l'absence injustifiée du 27 juin 2016 de M. [N] [T] » ; qu'en jugeant le licenciement de Mme [I] sans cause réelle et sérieuse sans examiner ces deux griefs figurant dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1232-6, et L. 1235-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1232-6 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :

19. Il résulte de ce texte que le juge est tenu d'examiner l'ensemble des griefs invoqués dans la lettre de licenciement.

20. Pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le premier grief, relatif à l'envoi de multiples lettres à l'agence régionale de santé, à deux des membres du bureau de l'association, aux délégués du personnel, aux médecins des établissements, au médecin du travail, à l'inspection du travail et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et le deuxième grief de dissimulation du dossier du chef de service accusé de faits de harcèlement ne peuvent être retenus ; que les faits du troisième grief tiré de la prise de congés payés en août 2016 concomitamment avec l'absence du directeur ne caractérisent pas une faute ni une volonté de nuire ; qu'aucune faute ne peut être imputée à la salariée au titre du quatrième grief de mise en place d'un système de double astreinte et que l'intention de nuire n'est pas caractérisée, pas plus que n'est établie l'existence d'une cause réelle et sérieuse de sorte que la faute tirée du cinquième grief consistant dans l'envoi de lettres à des familles contenant des informations erronées sur la disponibilité de places dans les établissements n'est pas retenue.

21. En statuant ainsi, sans examiner les sixième et septième griefs, énoncés par la lettre de licenciement, tirés de l'autorisation donnée au chef de service d'accéder au serveur au lieu du siège de l'établissement et de la régularisation a posteriori d'une absence injustifiée de ce chef de service par l'établissement d'un faux document, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

22. Le moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de condamner l'association à payer à la salariée la somme de 3 823,36 euros à titre de remboursement de la déduction effectuée en septembre 2016 au titre des astreintes et la déboutant de sa demande en paiement d'une somme au titre des astreintes indûment perçues du 12 septembre 2013 au 31 décembre 2015, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.

23. La cassation des chefs de dispositif condamnant à payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, d'indemnité conventionnelle de licenciement et à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt la condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à son encontre et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute l'association [4] de ses demandes de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel, de son préjudice moral et de sa demande de remboursement d'astreinte pour la période du 12 septembre 2013 au 31 décembre 2015 et en ce qu'il la condamne à payer à Mme [I] la somme de 3 823,36 euros à titre de remboursement de la déduction effectuée en septembre 2106, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mme [I] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52500453
Date de la décision : 06/05/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 21 septembre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 06 mai. 2025, pourvoi n°52500453


Composition du Tribunal
Président : M. Barincou (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Duhamel, SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers

Origine de la décision
Date de l'import : 13/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:52500453
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