LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 464 F-D
Pourvoi n° S 23-16.621
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
La société Crédit foncier de France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-16.621 contre l'arrêt rendu le 16 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. [W] [O], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Crédit foncier de France, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [O], après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2023), engagé le 1er juin 2005 avec reprise d'ancienneté au 1er septembre 1995, par la société Crédit foncier de France (la société), en qualité de directeur entreprises et investisseurs au sein de l'entité pôle Développement, M. [O] est devenu le 10 novembre 2010 directeur exécutif et a occupé, à compter du 1er février 2016, les fonctions de chargé de mission auprès du directeur général.
2. Le 24 janvier 2012, la société et les organisations syndicales représentatives ont signé un accord de gestion prévisionnelle des départs en retraite (GPDR), puis un deuxième accord de ce type, dit GPDR 2, est intervenu le 20 février 2017 pour une entrée en vigueur le 1er mars suivant.
3. Dans ce cadre, était proposé aux salariés seniors un départ à la retraite entre le 1er mars 2017 et le 31 décembre 2020, dispositif auquel le salarié a adhéré par lettre du 27 juin 2017, son départ effectif et la rupture de son contrat de travail prenant effet le 31 décembre 2019.
4. Par ailleurs, dans le cadre de l'intégration des activités du Crédit foncier de France au sein du groupe Banque populaire Caisse d'épargne (BPCE), prévue pour le 1er avril 2019, ont été signés au sein de l'entreprise un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), le 26 octobre 2018.
5. Afin de bénéficier de l'application de la procédure de licenciement collectif et des mesures prévues par le PSE, le salarié a, par lettre du 26 mars 2019, déclaré à son employeur vouloir révoquer son adhésion au dispositif GPDR 2.
6. La société s'étant opposée à ce qu'il bénéficie des dispositions du PSE, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 16 juillet 2019, d'une action en nullité de la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. La société fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité de la rupture du contrat de travail pour discrimination liée à l'âge et de la condamner à payer au salarié des sommes à titre de rappel sur la rémunération variable due au titre de 2019, d'indemnité de préavis, des congés payés afférents, du solde restant dû sur l'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la nullité du licenciement et du préjudice né de la discrimination liée à l'âge, alors :
« 1°/ que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ; que le délai de prescription de l'action en justice afin de contester une manifestation claire et non équivoque de volonté de partir en retraite court à compter du moment où cette volonté se manifeste, nonobstant l'éventuelle manifestation ultérieure contraire d'y renoncer ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que le salarié a manifesté, le 27 juin 2017, la volonté de partir en retraite, de sorte que l'action en justice destinée à remettre en cause cette volonté clairement exprimée, engagée le 16 juillet 2019, était tardive, le délai de prescription ayant couru depuis le 27 juin 2017 ; qu'en décidant, au mépris de ses propres constatations, que l'action du salarié engagée le 16 juillet 2019 n'était pas prescrite, bien que celui-ci ait manifesté une volonté de rompre son contrat de travail le 27 juin 2017, la cour d'appel a violé les articles 2219 du code civil et L. 1471-1 du code du travail ;
2°/ que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture ; que le délai de prescription de l'action en justice afin de contester une manifestation claire et non équivoque de volonté de partir en retraite court à compter du moment où cette volonté se manifeste, nonobstant l'éventuelle manifestation ultérieure contraire d'y renoncer ; qu'en l'espèce, en se fondant sur le fait ''qu'est intervenu le 26 octobre 2018 comme le prévoit l'article 6-1 alinéa 2 de l'accord GPDR 2 ci-dessus rappelé, un accord PSE adossé à un accord GPEC, dans le délai de l'accord GPDR 2 dont le terme était fixé au 31 décembre 2020'', inopérant pour en déduire qu'"il ne peut être considéré que l'engagement pris par M. [O] le 27 juin 2017 était ferme et définitif", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2219 du code civil et L. 1471-1 du code du travail ;
3°/ que seul l'exercice de la clause de "revoyure" prévue à l'article 6.1 de l'Accord de gestion prévisionnelle des départs en retraite du 20 février 2017 dit GPDR 2 permet au salarié de revenir sur son adhésion en principe irrévocable au GPDR 2 ; qu'il convient d'entendre par "exercice de la clause" la seule décision d'une des parties signataires de l'accord GPDR 2 de demander une révision de l'accord et ce, dans le respect des modalités de forme qui avaient été arrêtées par les parties ; qu'en revanche, de simples discussions entre les organisations syndicales représentatives (OSR) et la Direction dans le cadre de la négociation des accords GPEC et PSE ne peuvent être assimilées à un exercice de la clause de revoyure prévue à l'article 6.1 ; qu'en l'espèce, en n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles les conditions de l'article 6-2 de l'accord GPDR 2 définissant les conditions de la révision de l'accord n'avaient pas ici été mises en oeuvre et qu'en dehors du processus de révision défini par cet article et en application de l'article 6-1 alinéa 2, des réunions de négociation avec les organisations syndicales représentatives ont été fixées, la cour d'appel a violé les articles 6.1, 6.2 et 15 de l'Accord de gestion prévisionnelle des départs en retraite du 20 février 2017 dit GPDR 2 ;
4°/ que la manifestation irrévocable de volonté du salarié de rompre le contrat de travail par l'adhésion à l'accord GPDR 2 ne lui permet plus ensuite de soutenir qu'il aurait fait l'objet d'un licenciement discriminatoire lié à l'âge ; qu'en l'espèce, en retenant que l'action du salarié était recevable "d'autant que sollicitant la nullité de son licenciement à raison de la mesure de discrimination liée à l'âge dont il estime avoir été victime, les dispositions de l'article L. 1134-5 du code du travail aux termes duquel l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination lui sont applicables", bien que la manifestation irrévocable de volonté du salarié de rompre le contrat de travail par l'adhésion à l'accord GPDR 2 le 27 juin 2017 ne lui permette plus d'invoquer, ensuite, un licenciement lié à l'âge, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 1134-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
8. Aux termes de l'article L. 1471-1, alinéa 2, du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
9. Il résulte de ce texte qu'en cas de départ à la retraite d'un salarié, la prescription de l'action en contestation de la rupture court à compter de la date à laquelle il a notifié à l'employeur sa volonté de partir à la retraite. Toutefois, lorsque le départ à la retraite s'inscrit dans un dispositif, auquel a adhéré le salarié, mis en place par un accord collectif réservant expressément une faculté de rétractation de la part du salarié, la prescription de l'action en contestation de la rupture ne court qu'à compter de la rupture effective de la relation de travail.
10. L'arrêt retient que l'accord GPDR 2 du 20 février 2017 prévoit en son article 15 « Expression des collaborateurs », à l'alinéa 3, que « l'engagement pris par le collaborateur sera alors irrévocable, ferme et définitif sauf dans les cas limitatifs suivants sur présentation d'un justificatif : [...] - exercice de la clause de revoyure telle que prévue à l'article 6.1. »
11. L'arrêt retient également que, selon l'article 6.1 de cet accord, intitulé « clause de revoyure », « dans l'hypothèse, ce qui n'est ni souhaité par la direction ni d'actualité, où le Crédit foncier se verrait contraint d'envisager un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) sur la période couverte par le présent accord, une réunion de négociation avec les organisations syndicales représentatives serait fixée ».
12. Ayant constaté que le salarié avait adhéré le 27 juin 2017 à l'accord GPDR 2 et qu'il avait dénoncé cette adhésion le 26 mars 2019, sollicitant le bénéfice des dispositions sur la procédure de licenciement économique, la cour d'appel, qui a relevé que la rupture effective de la relation de travail était intervenue le 31 décembre 2019, a, par ces seuls motifs, exactement retenu que l'action engagée le 16 juillet 2019 n'était pas prescrite.
13. Le moyen, inopérant en sa quatrième branche en ce qu'il critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Crédit foncier de France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit foncier de France et la condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.