LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 465 F-D
Pourvoi n° U 24-10.992
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
La société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 24-10.992 contre le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 12 décembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Laon (1re chambre), dans le litige l'opposant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de [Localité 3], après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Laon, 12 décembre 2023), statuant selon la procédure accélérée au fond, et les pièces de la procédure, la société La Poste (La Poste) a souhaité mettre en place, dans son établissement de [Localité 3], des casiers de tri à cinq colonnes regroupant les points de distribution (PDI) en remplacement des casiers à neuf colonnes prévoyant un espace par PDI. L'information sur ce projet a été mise à l'ordre du jour de la réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de [Localité 3] (le CHSCT) du 15 décembre 2022 et le CHSCT a voté le 17 mars 2023 une délibération décidant de recourir à une expertise pour projet important.
2. Le 31 mars 2023, La Poste a assigné le CHSCT, contestant la nécessité de l'expertise faute de démonstration de l'existence d'un projet important.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La Poste fait grief au jugement de la débouter de sa demande d'annulation de la délibération du CHSCT du 17 mars 2023 ordonnant une expertise "projet important", alors « qu'aux termes de l'article L. 4614-12 du code du travail, dans sa rédaction, encore en vigueur à La Poste, antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé "2°) en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail prévu à l'article L. 4612-8-1" ; que tel n'est pas le cas d'un projet d'adaptation du tri du courrier par les facteurs préalablement à sa distribution consistant uniquement à remplacer les casiers à neuf colonnes par des casiers à cinq colonnes, et à réaliser ce tri sur une table plutôt que dans leur véhicule ; qu'en l'espèce, le tribunal judiciaire a constaté qu'"aux termes de la délibération du 17 mars 2023, le CHSCT de la PPDC de [Localité 3] a motivé sa décision de recourir à une expertise par le fait que le projet de la société La Poste de remplacer le casier de tri à neuf colonnes par un modèle à cinq colonnes, alors que ce casier est un des principaux outils utilisés par le facteur, est de nature à modifier de façon importante les conditions de travail des agents en ce que le tri occupe une part significative de la journée de travail et qu'il se ferait dès lors nécessairement en position assise sans que soit produite une étude d'impact sur les troubles musculosquelettiques pouvant en découler" ; que pour débouter La Poste de sa demande d'annulation de cette délibération, il a énoncé qu'"il est ainsi établi que le projet de la PPDC de la société La Poste de [Localité 3] va d'une part amener les facteurs à effectuer sur table le tri qu'ils effectuaient le plus souvent dans leur voiture, ce tri occupant une part importante de leur journée de travail et que la position assise prolongée induite par ce tri devant une table à effectuer des gestes vers les casiers est susceptible d'entraîner des troubles musculosquelettiques qui n'ont pas été évalués" ; qu'en se déterminant aux termes de tels motifs impropres à caractériser un projet important, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12, 2°, du code du travail, demeurés applicables à La Poste :
4. Aux termes de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.
5. Selon l'article L. 4614-12, 2°, du même code, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1.
6. Pour débouter La Poste de sa demande d'annulation de la délibération du 17 mars 2023, le jugement retient, d'abord, qu'aux termes de cette délibération, le CHSCT a motivé sa décision de recourir à une expertise par le fait que le projet de La Poste de remplacer le casier de tri à neuf colonnes par un modèle à cinq colonnes, alors que ce casier est un des principaux outils utilisés par le facteur, est de nature à modifier de façon importante les conditions de travail des agents en ce que le tri occupe une part significative de la journée de travail.
7. Le jugement retient, ensuite, que le projet va amener les facteurs à effectuer sur table le tri qu'ils effectuaient le plus souvent dans leur voiture, ce tri occupant une part importante de leur journée de travail et que la position assise prolongée induite par ce tri devant une table à effectuer des gestes vers les casiers est susceptible d'entraîner des troubles musculosquelettiques qui n'ont pas été évalués.
8. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, permettant au CHSCT de recourir à un expert, le président du tribunal judiciaire n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
9. La cassation du chef de dispositif déboutant La Poste de ses demandes n'emporte pas celle du chef de dispositif du jugement la condamnant aux dépens mais emporte celle du chef de dispositif la condamnant au paiement d'une somme au titre des frais de procédure, dès lors que La Poste invoquait dans ses conclusions devant le tribunal le caractère abusif du recours à l'expertise.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société La Poste aux dépens, le jugement rendu le 12 décembre 2023, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Laon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Soissons ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société La Poste à payer à la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés la somme de 3 600 euros TTC ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.