LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 466 F-D
Pourvoi n° Y 23-22.147
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de Vallée Vilaine Sud, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 23-22.147 contre le jugement rendu selon la procédure accélerée au fond le 29 septembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Rennes, dans le litige l'opposant à la société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de Vallée Vilaine Sud, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Rennes, 29 septembre 2023), statuant selon la procédure accélérée au fond, la nouvelle gamme courrier de la société La Poste (La Poste) a été présentée le 6 février 2023 au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution (PPDC) du courrier de Vallée Vilaine Sud (le comité). Le même jour, le comité a décidé de recourir à une expertise pour projet important au sens de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail.
2. Par acte du 17 février 2023, La Poste a saisi le président du tribunal judiciaire d'une demande d'annulation de cette délibération.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et cinquième branches
Enoncé du moyen
3. Le comité fait grief au jugement d'annuler sa délibération du 6 février 2023 décidant de faire appel à un expert agréé, alors :
« 2°/ que la contestation par l'employeur de la nécessité de l'expertise décidée par le CHSCT ne peut concerner que le point de savoir si le projet litigieux est un projet important modifiant les conditions d'hygiène et de sécurité ou les conditions de travail, lequel doit être apprécié dans sa globalité ; qu'en annulant la délibération du 6 février 2023 décidant de recourir à une expertise au titre d'un projet important sans examiner, comme il y était pourtant invité par le CHSCT, l'incidence de l'étalement des flux, permis par la distribution pilotée, sur l'activité de distribution, et partant sur les conditions de travail des facteurs, qui est au c?ur du projet de la nouvelle gamme courrier, pour apprécier l'importance dudit projet, le président du tribunal judiciaire a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail, demeuré applicable à La Poste ;
5°/ qu'en l'absence d'une instance temporaire de coordination des différents comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail implantés dans les établissements concernés par la mise en oeuvre d'un projet important modifiant au niveau national les conditions de travail au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail alors applicable, chacun des CHSCT territorialement compétents pour ces établissements est fondé à recourir à l'expertise, nonobstant l'absence de mesures spécifiques d'adaptation à l'établissement ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du CHSCT de la PPDC de Vallée Vilaine du 6 février 2023, le jugement relève que le CHSCT échoue à démontrer le caractère important du projet de nouvelle gamme courrier, après avoir rejeté la valeur probante des questionnaires émanant de "postiers affectés en Loire-Atlantique ou en Vendée" estimant qu'ils n'étaient "guère probants quant aux conditions de travail des postiers relevant de son périmètre" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'en raison de son caractère national, le CHSCT exposant était fondé à justifier de l'impact du projet sur les conditions de travail des agents relevant de sa compétence, en s'appuyant sur des éléments de preuve recueillis en dehors du périmètre d'implantation du CHSCT, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail, demeuré applicable, ensemble l'article 1315, devenu 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Vu les articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12, 2°, du code du travail demeurés applicables à La Poste :
5. Aux termes du premier de ces textes, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.
6. Selon le second, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1.
7. L'existence de mesures spécifiques d'adaptation à l'établissement ne constitue pas une condition de la reconnaissance du projet important au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, de nature, en l'absence d'instance temporaire de coordination des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, à priver le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son droit à faire appel à un expert agréé.
8. Pour annuler la délibération du comité du 6 février 2023 décidant de recourir à une expertise, le jugement retient qu'il ne saurait être déduit de la seule installation de standards de travail, notamment le classement sur table, et d'un renforcement de la part du temps de distribution des facteurs permise par une augmentation du tri mécanisé, que le projet litigieux modifierait de façon significative les conditions de travail des postiers concernés, que parmi les questionnaires produits par le comité pour démontrer que l'étalement des flux recherché par la nouvelle offre courrier modifierait lesdites conditions de travail, ceux émanant de postiers affectés en Loire-Atlantique ou en Vendée ne sont guère probants quant aux conditions de travail des postiers relevant du périmètre du comité et que les autres pièces produites ne sont pas de nature à démontrer le caractère important du projet litigieux.
9. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence d'instance temporaire de coordination des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le comité pouvait, au regard du caractère national de la nouvelle gamme courrier de La Poste, se prévaloir d'éléments de preuve recueillis en dehors de son périmètre de compétence pour démontrer, comme il le soutenait, que la généralisation de la distribution pilotée permettant un étalement des flux modifiait de manière significative les conditions de travail des facteurs, le président du tribunal judiciaire a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation du chef de dispositif annulant la délibération du comité du 6 février 2023 décidant de recourir à une expertise n'emporte pas celle des chefs de dispositif du jugement laissant les dépens à la charge de La Poste et la condamnant au paiement d'une somme en application de l'article L. 4614-13 du code du travail.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de Vallée Vilaine Sud du 6 février 2023 décidant de recourir à une expertise, le jugement rendu le 29 septembre 2023, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Nantes ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société La Poste à payer à la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés la somme de 3 600 euros TTC ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.