LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 6 mai 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 467 F-D
Pourvoi n° P 23-24.024
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 MAI 2025
Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de [Localité 3] Nord 92, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 23-24.024 contre le jugement rendu selon la procédure accélérée au fond le 22 décembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre, dans le litige l'opposant à la société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de [Localité 3] Nord 92, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, après débats en l'audience publique du 26 mars 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Nanterre, 22 décembre 2023), statuant selon la procédure accélérée au fond, la nouvelle gamme courrier de la société La Poste (La Poste) a été présentée le 15 novembre 2022 au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de [Localité 3] Nord 92 (le comité). Le même jour, le comité a décidé de recourir à une expertise pour projet important au sens de l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail.
2. Par acte du 30 novembre 2022, La Poste a saisi le président du tribunal judiciaire d'une demande d'annulation de la délibération du 15 novembre 2022.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le comité fait grief au jugement d'annuler la délibération du 15 novembre 2022 par laquelle il a désigné un expert pour l'assister dans l'analyse de la mise en place de la nouvelle gamme courrier, alors « que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1 du code du travail ; qu'en l'espèce, pour annuler la délibération du 15 novembre 2022 décidant de recourir à une expertise au titre d'un projet important, le président du tribunal judiciaire, après avoir relevé "qu'il ressort effectivement du support de présentation susmentionné que la mise en place de la nouvelle gamme conduit à un "étalement des flux à distribuer" par les postiers et à l'augmentation du "groupage (sic.) des objets à chaque point de remise", a néanmoins considéré que "le principe suivant lequel l'adaptation des tournées des facteurs à l'évolution des flux traités en amont par les plateformes industrielles du courrier est mis en oeuvre depuis l'année 2017", ce dont il a déduit que "la seule circonstance que la mise en place de la nouvelle gamme ait une incidence à ce titre ne saurait, en tant que telle, caractériser une modification substantielle de l'organisation et des conditions de travail des facteurs" ; qu'en se déterminant ainsi, cependant qu'il ressort tant des pièces du dossier que des écritures des parties que c'est la généralisation de la distribution pilotée, laquelle existe depuis l'année 2017, à compter du 1er janvier 2023, qui a permis l'étalement des flux, mis en oeuvre à cette même date, lequel modifie en profondeur les tournées des facteurs et caractérise un projet important, le président du tribunal judiciaire a violé l'article L. 4614-12, 2°, du code du travail, demeuré applicable à La Poste. »
Réponse de la Cour
4. Vu les articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12, 2°, du code du travail demeurés applicables à La Poste :
5. Aux termes du premier de ces textes, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.
6. Selon le second, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1.
7. Pour annuler la délibération litigieuse, le jugement retient que s'il ressort du support de présentation de La Poste que la mise en place de la nouvelle gamme courrier conduit à un étalement des flux à distribuer par les postiers et à l'augmentation du groupage des objets à chaque point de remise, il résulte des pièces produites par La Poste que le principe suivant lequel l'adaptation des tournées des facteurs à l'évolution des flux traités en amont par les plateformes industrielles du courrier est mis en oeuvre depuis l'année 2017 et que, dès lors, la seule circonstance que la mise en place de la nouvelle gamme courrier ait une incidence à ce titre ne saurait, en tant que telle, caractériser une modification de l'organisation et des conditions de travail des facteurs.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il était soutenu, si la généralisation de la distribution pilotée, à compter du 1er janvier 2023, permettant un étalement des flux mis en oeuvre à cette date, modifiait de manière significative les conditions de travail des facteurs, le président du tribunal judiciaire n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
9. La cassation du chef de dispositif annulant la délibération du comité du 15 novembre 2022 décidant de recourir à une expertise emporte celle du chef de dispositif laissant à la charge de chaque partie la charge de ses propres dépens mais n'emporte pas celle du chef de dispositif condamnant La Poste au paiement d'une somme en application de l'article L. 4614-13 du code du travail.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la plateforme de préparation et de distribution du courrier de [Localité 3] Nord 92 du 15 novembre 2022 décidant de recourir à une expertise et en ce qu'il laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens, le jugement rendu le 22 décembre 2023, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Nanterre ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Paris ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société La Poste à payer à la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés la somme de 3 600 euros TTC ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le six mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.