LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CR12
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 7 mai 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 307 F-D
Pourvoi n° V 23-22.972
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 MAI 2025
La société Prause Sonderfahzeuge, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1] (Allemagne), a formé le pourvoi n° V 23-22.972 contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2023 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Iveco Ouest, venant aux droits de la société de diffusion de véhicules industriels, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Prause Sonderfahzeuge, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Iveco Ouest, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 octobre 2023), la société Prause Sonderfahzeuge Gmbh (la société Prause) a vendu à la société de diffusion de véhicules industriels (la SDVI), aux droits de laquelle vient la société Iveco Ouest, un véhicule destiné au remorquage et au transport de véhicules industriels selon une offre acceptée comportant un renvoi à des conditions générales de ventes stipulant une clause attributive de juridiction au profit d'un tribunal allemand.
2. Soutenant que le véhicule livré n'était pas conforme à la commande, la SDVI a introduit une action en résolution de la vente devant une juridiction française.
3. La société Prause a soulevé l'incompétence de cette juridiction au profit de la juridiction allemande.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Prause fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction française compétente pour traiter du litige au fond, alors « que la clause attributive de juridiction contenue dans des conditions générales de vente est réputée connue et acceptée lorsque les conditions générales de vente sont visées dans une offre acceptée par l'acheteur sans que ce dernier ait opposé ne pas avoir eu connaissance des conditions générales ou ne pas avoir été en mesure d'en prendre connaissance, ou ait contesté leur application ; que la cour d'appel relève que le devis accepté mentionnait, à côté de la signature de l'acheteur que « toutes les offres et tous les contrats sont soumis à nos conditions générales et constituent une annexe de la confirmation de commande » et que les conditions générales de vente « institu[ent] le tribunal de la ville de Hilden compétent pour tous les litiges découlant de la relation contractuelle et les soumettant à l'application du droit allemand » ; que pour cependant exclure l'application de la clause d'élection de for à l'action en résolution du contrat de vente initiée par la société SDVI, la cour d'appel retient qu'à l'examen de toutes les pièces versées aux débats, il n'est pas justifié que la société Prause ait transmis à la société SDVI ses conditions générales de vente ou l'ait mise en mesure d'en prendre connaissance, par exemple en lui transmettant un lien internet ; qu'en se déterminant ainsi, quand l'acceptation par la société SDVI du devis visant les conditions générales de vente contenant une clause d'élection de for, sans que cette dernière ait indiqué ne pas avoir pu prendre connaissance des conditions générales de vente, établissait que la société SDVI en avait nécessairement eu connaissance et les avait acceptées, la cour d'appel a violé l'article 25 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 « règlement Bruxelles I bis. »
Réponse de la Cour
5. L'article 25.1 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte) dispose :
« 1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. »
6. La Cour de justice de l'Union européenne a énoncé que lorsqu'une clause attributive de juridiction est stipulée dans des conditions générales, une telle clause est valable en la forme dans le cas où, dans le texte même du contrat signé par les deux parties, un renvoi exprès est fait à des conditions générales comportant ladite clause (CJUE, 7 juillet 2016, Höszig, C-222/15, point 39), susceptible d'être contrôlé par une partie appliquant une diligence normale et qu'il soit établi que les conditions générales comportant la clause attributive de juridiction ont été effectivement communiquées à l'autre partie contractante (CJCE, 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani, 24/76, point 12).
7. La CJUE a encore jugé que dans la mesure où la transmission des informations concernées est réalisée si ces informations sont accessibles au moyen d'un écran, le renvoi, dans le contrat écrit, à des conditions générales par la mention du lien hypertexte d'un site internet dont l'accès permet, en principe, de prendre connaissance de ces conditions générales, pour peu que ce lien hypertexte fonctionne et puisse être actionné par une partie appliquant une diligence normale, équivaut a fortiori à une preuve de communication de ces informations et qu'une clause attributive de juridiction est valablement conclue lorsqu'elle est contenue dans des conditions générales auxquelles le contrat conclu par écrit renvoie par la mention du lien hypertexte d'un site internet dont l'accès permet, avant la signature dudit contrat, de prendre connaissance desdites conditions générales, de les télécharger et de les imprimer, sans que la partie à laquelle cette clause est opposée ait été formellement invitée à accepter ces conditions générales en cochant une case sur ledit site internet (CJUE 24 novembre 2022, Tilman SA, C-358/21, points, 52 à 53 et point 59).
8. L'arrêt relève d'abord que la clause attributive de juridiction dont la société Prause demande l'application est incluse dans ses conditions générales de vente et qu'un renvoi à ces conditions est mentionné, en langue allemande, dans l'offre de contrat rédigée en langue anglaise, qui a été acceptée par la SDVI.
9. Il constate ensuite que si le dirigeant de la SDVI a apposé son paraphe à proximité de la ligne rédigée en allemand portant mention du renvoi aux conditions générales et se traduisant par « toutes les offres et tous les contrats sont soumis à nos conditions générales et constituent une annexe de la confirmation de commande », il n'était pas justifié à l'examen des pièces versées aux débats que la société Prause ait transmis à la SDVI ses conditions générales de vente, ou l'ait mise en mesure d'en prendre connaissance, par exemple en lui transmettant un lien internet.
10. De ces constatations et appréciations, faisant ressortir que le renvoi aux conditions générales fût-il explicite et accepté par la SDVI, il n'était pas justifié que cette dernière avait été en mesure, moyennant des diligences normales, de consulter les conditions générales de vente dans lesquelles était insérée la clause attributive de juridiction, et qu'elle avait pu les sauvegarder ou les imprimer avant la conclusion du contrat, la cour d'appel a pu en déduire que cette clause prévue aux conditions générales de vente n'était pas applicable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Prause Sonderfahzeuge Gmbh aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Prause Sonderfahzeuge Gmbh et la condamne à payer à la société Iveco Ouest la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le sept mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.