LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 14 mai 2025
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 492 F-D
Pourvoi n° P 24-13.057
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 MAI 2025
Mme [O] [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 24-13.057 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2024 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant à la société Raon distribution, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ménard, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [N], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société Raon distribution, après débats en l'audience publique du 1er avril 2025 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ménard, conseiller rapporteur, Mme Degouys, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 19 janvier 2024), Mme [N] a été engagée en qualité d'hôtesse de caisse le 31 août 1996 par la société Raon distribution, qui exerce sous l'enseigne E.Leclerc.
2. Elle a été en arrêt de travail à compter du 25 septembre 2018.
3. Une tendinopathie non calcifiante non rompue de l'épaule droite lui a été diagnostiquée le 24 juillet 2019.
4. Par décision du 21 septembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie a reconnu cette pathologie au titre des maladies professionnelles.
5. La salariée a été déclarée inapte à son poste avec dispense de reclassement le 13 janvier 2021 et licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 13 février 2021.
6. Elle a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir l'application des règles protectrices applicables aux victimes d'accident du travail et de maladies professionnelles, ainsi que des dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes à titre de reliquat d'indemnité spéciale de licenciement et d'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis, alors « que les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement ; que l'inaptitude a, au moins partiellement, une origine professionnelle dès lors que le salarié, victime d'une maladie professionnelle, est arrêté de manière ininterrompue depuis la date de reconnaissance de cette maladie jusqu'à la déclaration d'inaptitude ; que pour débouter la salariée de ses demandes, la cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, qu'elle ne démontrait pas, d'une part, l'existence d'un lien quelconque entre la maladie ayant causé l'inaptitude professionnelle et la tendinopathie qui lui a été diagnostiquée le 24 juillet 2019 et, d'autre part, que cette dernière affection ait eu une origine professionnelle ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que la salariée avait été placée en arrêt de travail à compter du 25 septembre 2018 sans jamais reprendre le travail jusqu'à son licenciement pour inaptitude le 13 février 2021, que la caisse primaire d'assurance maladie avait reconnu l'origine professionnelle de la ''tendinopathie non calcifiante non rompue épaule droite'' diagnostiquée le 24 juillet 2019 et lui avait attribué un taux d'incapacité permanente de 16 % dont 4 % à titre professionnel, et que la salariée produisait trois ordonnances médicales postérieures au licenciement dont une faisait expressément référence à l'''accident du travail du 24 juillet'', la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 1226-14 du code du travail. »
Réponse de la Cour
8. Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
9. La cour d'appel, après avoir constaté que la caisse primaire d'assurance maladie avait reconnu la pathologie dont souffrait la salariée au titre des maladies professionnelles le 21 septembre 2020, a relevé que le diagnostic de tendinopathie de la salariée, intervenu le 24 juillet 2019, était largement postérieur à la date indiquée par cette dernière comme étant celle de son arrêt de travail initial, soit le 25 septembre 2018.
10. Elle a ajouté que la salariée ne produisait aucun arrêt de travail, pas même celui du 25 septembre 2018, ni aucun document médical relatif à la cause de cet arrêt de travail et à ses éventuelles prolongations et que les seuls éléments médicaux étaient trois ordonnances, postérieures à son licenciement, lui prescrivant un antidépresseur, un anxiolytique et un anti-inflammatoire, qui ne mentionnent aucune pathologie, la première faisant seulement référence à un « accident du travail du 24 juillet 20... . »
11. Le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, dont elle a déduit que la salariée ne rapportait pas la preuve d'un lien de causalité entre la maladie professionnelle diagnostiquée et son inaptitude.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
13. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, alors « que le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité ; que lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de la maladie professionnelle dont il a été victime, il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié ; que pour débouter la salariée de sa demande, la cour d'appel a estimé qu'outre que le caractère professionnel de la maladie de la salariée n'est pas établi, cette dernière ne produit aucune pièce relative à ses conditions spécifiques de travail, ne versant au dossier que des documents généraux sur la prévention des risques professionnels des métiers de la grande distribution et notamment d'hôtesse de caisse. Dès lors, la salariée ne présentant aucun élément sur les conditions effectives d'exercice de son travail, il n'est pas possible de déterminer si son employeur a respecté son obligation de sécurité à son égard ; qu'en statuant ainsi, quand il incombait à l'employeur de démontrer qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir la maladie reconnue comme étant d'origine professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 1235-3, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »
Réponse de la cour
Vu l'article 1353 du code civil et les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail :
14. Il résulte de ces textes que lorsque le salarié invoque un manquement de l'employeur aux règles de prévention et de sécurité à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime, il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
15. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, l'arrêt retient qu'outre que le caractère professionnel de la maladie de cette dernière n'est pas établi, elle ne produit aucune pièce relative à ses conditions spécifiques de travail, ne versant au dossier que des documents généraux sur la prévention des risques professionnels des métiers de la grande distribution et notamment d'hôtesse de caisse et que dès lors, la salariée ne présentant aucun élément sur les conditions effectives d'exercice de son travail, il n'est pas possible de déterminer si son employeur a respecté son obligation de sécurité à son égard.
16. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de démontrer qu'il avait pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de la salariée, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [N] de ses demandes tendant à voir dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts en résultant et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et en ce qu'il la condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 19 janvier 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Raon distribution aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Raon distribution et la condamne à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatorze mai deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.