LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 24-81.292 F-D
N° 00654
RB5
20 MAI 2025
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 MAI 2025
Mme [D] [H], épouse [Z], a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 8e chambre, en date du 16 janvier 2024, qui, pour injure publique envers une personne chargée d'un mandat public, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [D] [H], épouse [Z], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mmes [P] [Y], [W] [U], MM. [A] [N], [M] [E], [F] [X] et [T] [O], et les conclusions de Mme Caby, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Lors de la séance du conseil municipal de la commune de [Localité 1] (Val d'Oise) qui s'est tenue le 23 juin 2021, Mme [D] [H], épouse [Z], conseillère municipale, a adressé les propos suivants aux élus de l'opposition : « Vous êtes la honte du genre humain messieurs mesdames ».
3. Mmes [P] [Y] et [W] [U], et MM. [A] [N], [T] [O], [F] [X] et [M] [E], tous membres de l'opposition, ont fait citer Mme [H] devant le tribunal correctionnel du chef d'injures envers des personnes mentionnées à l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
4. Par jugement du 3 novembre 2022, le tribunal a déclaré Mme [H] coupable d'injure publique, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
5. Mme [H] a relevé appel de cette décision et le procureur de la République appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement, déclaré Mme [H] coupable pour les faits d'injure publique envers un corps constitué, un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité ou un citoyen chargé d'un service public par parole, écrit, image ou moyen de télécommunication par voie électronique, condamné Mme [H] à une peine d'amende de 1 000 euros avec sursis et condamné Mme [H] à payer à chacune des parties civiles (à l'exception de M. [X] et M. [E]) la somme de 1 euro au titre de son préjudice moral et la somme de 700 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, puis, y ajoutant, condamné Mme [H] à payer à chacune des parties civiles (à l'exception de M. [N] et M. [E]) la somme de 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, alors « que, lorsque des expressions injurieuses sont indivisibles d'imputations diffamatoires, le délit d'injure est absorbé par celui de diffamation ; qu'en retenant l'injure, sans s'expliquer, comme il leur était demandé, sur le point de savoir si les expressions prétendument injurieuses adressées par Mme [Z], adjoint au maire à l'opposition municipale, qui s'inscrivaient dans le cadre d'un débat houleux lors d'un conseil municipal, n'étaient pas indivisibles d'imputations relevant de la diffamation, suivant lesquelles les membres de l'opposition municipale n'ont pas apporté leur aide aux tabernaciens lors de la crise sanitaire et ont hué des médecins en marge de l'inauguration du pôle médical de [Localité 1] le 10 juillet 2019, les juges du fond n'ont pas légalement justifié leur décision, en violation des articles 29, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter la qualification de diffamation et déclarer la prévenue coupable d'injure, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas contesté que Mme [H] a employé l'expression « vous êtes la honte du genre humain messieurs mesdames » et qu'il ressort des débats que ces termes ont été employés en réponse aux propos tenus par les membres de l'opposition qui reprochaient à la municipalité sa gestion de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.
8. Les juges précisent que ce n'est qu'en fin d'intervention, après avoir pris la parole sur les actions entreprises par la municipalité, que Mme [H] a ajouté les propos qui lui sont reprochés.
9. Ils ajoutent que ces termes, rabaissant les personnes visées à une frange méprisable de l'humanité, sont bien constitutifs d'une expression outrageante qui ne renferme l'imputation d'aucun fait précis, peu important qu'ils aient été tenus suite à des critiques sur la gestion de la crise sanitaire.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
11. En effet, il ressort du procès-verbal de retranscription des débats que si les propos litigieux faisaient suite à un débat entre les membres de la majorité municipale et l'opposition sur la gestion de la crise sanitaire, Mme [H] n'a pris la parole au cours de ces débats que pour proférer les propos litigieux et n'avait à aucun moment tenu des propos à l'endroit des parties civiles pouvant recevoir la qualification de diffamation.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement, déclaré Mme [H] coupable pour les faits d'injure publique envers un corps constitué, un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité ou un citoyen chargé d'un service public par parole, écrit, image ou moyen de télécommunication par voie électronique, condamné Mme [H] à une peine d'amende de 1 000 euros avec sursis et condamné Mme [H] à payer à chacune des parties civiles (à l'exception de M. [X] et M. [E]) la somme de 1 euro au titre de son préjudice moral et la somme de 700 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, puis, y ajoutant, condamné Mme [H] à payer à chacune des parties civiles (à l'exception de M. [N] et M. [E]) la somme de 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, alors « que, l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 ne réprime les injures dirigées contre les personnes visées à l'article 31 de cette même loi que si les propos se rattachent directement à leur fonction ou à leur qualité ; que pour dire que les poursuites ont été à bon droit engagées sur le fondement de l'article 33 de la loi de 1881, les juges du fond ont énoncé que les propos litigieux, tenus lors d'un conseil municipal, l'ont bien été à raison de la qualité d'élus des parties civiles ; qu'en statuant de la sorte, sans indiquer en quoi les propos se rattachaient directement à la fonction ou à la qualité des parties civiles, les juges du fond n'ont pas légalement justifié leur décision, en violation des articles 29, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Le moyen n'est pas fondé pour les motifs qui suivent.
15. Il ressort du procès-verbal des débats du conseil municipal que les propos injurieux faisaient suite à l'intervention de plusieurs élus de l'opposition au sujet de la gestion de la crise sanitaire, à savoir Mmes [Y] et [U].
16. Il en résulte que ces propos étaient manifestement dirigés à l'endroit des élus de l'opposition municipale présents dans la salle qui avaient pris part aux débats.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement, déclaré Mme [H] coupable pour les faits d'injure publique envers un corps constitué, un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité ou un citoyen chargé d'un service public par parole, écrit, image ou moyen de télécommunication par voie électronique, condamné Mme [H] à une peine d'amende de 1 000 euros avec sursis et condamné Mme [H] à payer à chacune des parties civiles (à l'exception de M. [X] et M. [E]) la somme de 1 euro au titre de son préjudice moral et la somme de 700 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, puis, y ajoutant, condamné Mme [H] à payer à chacune des parties civiles (à l'exception de M. [N] et M. [E]) la somme de 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel, alors :
« 1°/ que, premièrement, ne peuvent donner lieu à condamnation pour injures, des propos, même outrageants à l'égard de la partie civile, qui ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que ne dépassent pas de telles limites le fait pour un adjoint au maire, lors d'une séance du conseil municipal et à l'issue d'un débat houleux opposant la majorité à l'opposition, de s'adresser aux élus de cette dernière de la façon suivante : « vous êtes la honte du genre humain messieurs mesdames » ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 29, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que, deuxièmement, ne peuvent donner lieu à condamnation pour injures, des propos, même outrageants à l'égard de la partie civile, qui ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en retenant que les propos de Mme [Z] constituaient une injure dépassant les limites admissibles de la liberté d'expression, sans rechercher, comme ils y étaient invités, s'ils ne témoignaient pas cependant d'une critique, fût-elle vive, du comportement des membres de l'opposition consistant à huer des médecins, puis à refuser de prendre part à l'élan citoyen de solidarité lors de la crise sanitaire, exprimée sous le coup de l'émotion dans le cadre d'un débat houleux lors d'une séance du conseil municipal, qui par suite n'excédait pas les limites admissibles de la liberté d'expression, les juges du fond n'ont pas légalement justifié leur décision, en violation de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 29, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 et 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme :
18. La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de ce texte.
19. Pour confirmer le jugement sur la culpabilité de Mme [H], l'arrêt attaqué énonce que la liberté d'expression est une liberté fondamentale en application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, dont les limites doivent être appréciées avec tolérance, en tenant compte du débat politique sur la vie publique.
20. Les juges ajoutent que la liberté d'expression ne saurait autoriser des propos méprisants portant manifestement atteinte à la réputation et à la dignité des personnes en les rabaissant à une frange méprisable de l'humanité.
21. Ils concluent que de tels propos excèdent les limites de la liberté d'expression et ne sont aucunement justifiés par la polémique politique, ni par une réponse immédiate à une prétendue provocation, s'agissant de propos excessifs tenus en fin d'intervention sans commune mesure avec ceux des interlocuteurs.
22. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé.
23. En effet, les propos poursuivis, pour outrageants qu'ils soient à l'égard des parties civiles, exprimaient l'opinion critique d'un élu dans le contexte d'un débat politique, et ne dépassaient ainsi pas les limites admissibles de la liberté d'expression au sens de l'article 10 susvisé.
24. Dès lors, la cassation est encourue de ce chef.
Portée et conséquence de la cassation
25. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
26. En raison de la cassation ainsi prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 16 janvier 2024 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt-cinq.