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04/06/2025 | FRANCE | N°12500393

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 04 juin 2025, 12500393


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


CR12






COUR DE CASSATION
______________________




Arrêt du 4 juin 2025








Cassation partielle




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 393 F-D


Pourvoi n° K 24-11.214








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________>



ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025


Mme [I] [L], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 24-11.214 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 chambre ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CR12

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 4 juin 2025

Cassation partielle

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 393 F-D

Pourvoi n° K 24-11.214

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 JUIN 2025

Mme [I] [L], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 24-11.214 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la fondation groupe hospitalier [6], dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Hauts de Seine, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la Cramif,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de Mme [L], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la fondation groupe hospitalier [6], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 avril 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tifratine, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2023), à l'issue d'un accouchement réalisé à l'aide de forceps le 24 mars 2008, au sein de la fondation groupe hospitalier [6] (l'hôpital privé), Mme [L] a présenté, une incontinence anale et urinaire qu'elle a conservée.

2. Le 28 décembre 2015, après avoir obtenu une expertise en référé, réalisée le 20 janvier 2015 par Mme [O] et M. [R], Mme [L] a assigné en responsabilité et indemnisation l'hôpital privé et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine.

3. Par arrêt avant dire droit du 23 septembre 2021, la cour d'appel a ordonné une nouvelle expertise médicale confiée à MM. [Z] et [V] et les experts ont déposé leur rapport le 29 septembre 2022.

4. La responsabilité de la fondation groupe hospitalier [6] a été écartée et les demandes à son encontre rejetées.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Énoncé du moyen

6. Mme [L] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de l'ONIAM, alors « que dans leur rapport déposé le 20 janvier 2015, les docteurs [O] et [R] ont énoncé que "La cause de l'incontinence anale est outre la rupture du sphincter anal, un étirement ou compression du nerf pudendal au cours du travail et du dégagement, événement imprévisible, dont témoigne l'incontinence urinaire permanente survenue après sphinctéroraphie et l'anesthésie totale du périnée. Le forceps joue un rôle prépondérant puisqu'il est observé 4 à 7 fois plus d'incontinence anale du post partum après leur utilisation" et conclu que "l'incontinence anale inconstante et urinaire permanente est en rapport direct et certain avec l'accouchement en cause et ses modalités par forceps, par rupture du sphincter anal associée à une neuropathie du nerf pudendal ; 50 % est attribué à l'état antérieur" ; qu'en énonçant, pour écarter la conclusion des docteurs [Z] et [V] qui, dans leur rapport du 29 septembre 2022, avaient "attach(é) le geste médical à l'apparition de l'incontinence anale", que les docteurs [O] et [R] "énoncent que "la cause de l'incontinence anale est, outre la rupture du sphincter anal, un étirement ou compression du nerf pudendal au cours du travail et du dégagement, évènement imprévisible" sans lien avec le geste médical mais seulement avec l'effet naturel de l'accouchement par voie basse", tandis qu'il résulte des termes clairs et précis du rapport du 20 janvier 2015 que les experts [O] et [R], loin de rattacher l'étirement ou la compression du nerf pudendal à l'effet naturel de l'accouchement par voie basse ni exclure le lien entre cet évènement et le geste médical, avaient retenu le rôle prépondérant de l'utilisation des forceps dans l'incontinence anale résultant conjointement de la rupture du sphincter anal et de l'étirement ou la compression du nerf pudendal, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du rapport du 20 janvier 2015 en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

7. Pour écarter l'existence d'un lien causal entre le recours au forceps et le dommage et rejeter en conséquences les demandes de Mme [L], l'arrêt relève que MM. [Z] et [V] ont rattaché le geste médical à l'apparition de l'incontinence anale, mais que Mme [O] et M. [R] énoncent que « la cause de l'incontinence anale est, outre la rupture du sphincter anal, un étirement ou compression du nerf pudendal au cours du travail et du dégagement, événement imprévisible », et en déduit que le dommage est sans lien avec le geste médical mais seulement en lien avec l'effet naturel de l'accouchement par voie basse.

8. En statuant ainsi, alors que ces experts concluaient que « l'incontinence anale inconstante et l'incontinence urinaire permanente de Mme [L] est en rapport direct et certain avec l'accouchement en cause et ses modalités par forceps », la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de leur rapport, a violé le principe susvisé.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Énoncé du moyen

9. Mme [L] fait le même grief à l'arrêt alors « qu'il résulte du rapport d'expertise déposé le 29 septembre 2022 que les experts [Z] et [V], en réponse au dire du Dr [K] qui avait "évoqué le principe d'un aléa obstétrical au regard de la fréquence de l'incontinence anale post obstétricale telle qu'elle est rapportée dans la littérature, y compris lorsqu'un forceps est requis", avaient conclu que "l'incontinence anale du post partum est le plus souvent transitoire et régresse soit spontanément soit sous l'effet de traitements en quelques semaines ou mois", que "le parcours médico-chirurgical de la patiente montre que l'évolution de cette IA n'est pas banale", que "l'IA du post-partum se limite le plus souvent à une incontinence aux gaz voire aux selles liquides" tandis que pour Mme [L] "14 ans après l'accouchement il persiste une IA sévère (score Wexner ? 17) malgré tous les traitements entrepris, avec retentissement très significatif sur la qualité de vie. Ce type d'IA est donc beaucoup plus rare que les taux d'IA post accouchement habituellement rapportés dans la littérature" (rapport du 29 septembre 2022, p. 18, in fine) ; que les experts avaient conclu : "nous confirmons que le tableau de la patiente ne rentre pas dans les complications fréquentes d'un aléa obstétrical (?)" (rapport, p. 19, § 2) ; qu'il résulte des termes clairs et précis de ce rapport que l'incontinence anale dont souffre Mme [L] est une complication faiblement probable d'un accouchement y compris avec l'utilisation d'un forceps, sans rapport avec les taux de survenance de l'incontinence anale rapportés dans la littérature, qui concernent des troubles limités dans le temps et de moindre gravité ; que pour juger qu'il n'était aucunement établi que l'incontinence anale dont souffre Mme [L] caractérise une conséquence anormale, car très faiblement probable, de son accouchement pratiqué avec forceps le 24 mars 2008, la cour d'appel a relevé que "les docteurs [Z] et [V] (rapport du 29 septembre 2022) indiquent que "la survenance d'une IA (incontinence anale) du post-partum touche près de 13 % des parturientes après un premier accouchement" (voir en ce sens l'article du docteur [M] [T], proctologue au CHU [5], publié en 2014 sur le site de l'association française de Formation Médicale Continue en Hépato-Gastro-Entérologie ¿ FMC HGE). Ils indiquent que les accouchements ultérieurs sont "moins pourvoyeurs d'IA lorsque le premier accouchement n'a pas été suivi d'IA", mais ajoutent que "le risque d'IA est plus significatif dans un certain nombre de cas, et notamment lorsque l'âge de la parturiente est "supérieur à 35 ans", ce qui est le cas de Mme [L], âgée de plus de 42 ans lors de son second accouchement, ou encore lorsqu'une "extraction instrumentale" a été pratiquée, ce qui est le cas en l'espèce, des forceps ayant été utilisés" ; qu'en se fondant sur ces éléments du rapport des docteurs [Z] et [V] relatifs au risque général de survenance d'une incontinence anale du post partum, quelle que soit sa gravité, tandis que les experts avaient clairement conclu que les taux de survenance de l'incontinence anale du post partum habituellement rapportés ne pouvaient concerner les troubles présentés par Mme [L], beaucoup plus rares, la cour d'appel a dénaturé le rapport du 29 septembre 2022 en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

10. Pour écarter la condition d'anormalité du dommage, prévue à l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et rejeter en conséquence les demandes de Mme [L], l'arrêt relève que, dans leur rapport, MM. [Z] et [V] indiquent que « la survenance d'une IA (incontinence anale) du post-partum touche près de 13 % des parturientes après un premier accouchement », mais ajoutent que « le risque d'IA est plus significatif » dans un certain nombre de cas, et notamment lorsque l'âge de la parturiente est supérieur à 35 ans, ou encore lorsqu'une extraction instrumentale a été pratiquée, ce qui était le cas en l'espèce.

11. En statuant ainsi, alors qu'en réponse aux dires des parties ces experts avaient précisé que si « l'incontinence anale du post partum est le plus souvent transitoire et régresse soit spontanément soit sous l'effet de traitements en quelques semaines ou mois », et que si « l'IA du post-partum se limite le plus souvent à une incontinence aux gaz voire aux selles liquides », la situation de Mme [L] est différente en ce que « le parcours médico-chirurgical de la patiente montre que l'évolution de cette IA n'est pas banale », en ce que « 14 ans après l'accouchement il persiste une IA sévère (score Wexner 17) malgré tous les traitements entrepris, avec retentissement très significatif sur la qualité de vie », en ce que « ce type d'IA est donc beaucoup plus rare que les taux d'IA post accouchement habituellement rapportés dans la littérature » et qu'ils avaient conclu « que le tableau de la patiente ne rentre pas dans les complications fréquentes d'un aléa obstétrical », la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de leur rapport, a violé le principe susvisé.

Mise hors de cause

12. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la fondation groupe hospitalier [6], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les conditions de l'indemnisation des préjudices de Mme [L] par la solidarité nationale ne sont pas remplies, en ce qu'il déboute Mme [L] de toute demande indemnitaire formulée contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en ce qu'il condamne Mme [L] aux dépens de première instance, incluant les frais d'expertise judiciaire de M. [R] et Mme [O] et d'appel, incluant les frais d'expertise judiciaire de MM. [Z] et [V], et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la fondation groupe hospitalier [6] et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et condamne l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à payer à Mme [L] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12500393
Date de la décision : 04/06/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 23 novembre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 04 jui. 2025, pourvoi n°12500393


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune (président)
Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert, SARL Ortscheidt, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:12500393
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