LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 4 juin 2025
Cassation partielle sans renvoi
M. BARINCOU, conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 566 F-D
Pourvoi n° F 23-17.945
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
La société Nautitech catamarans, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 23-17.945 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2023 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [N] [Y], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maitral, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de la société Nautitech catamarans, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [Y], après débats en l'audience publique du 5 mai 2025 où étaient présents M. Barincou, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Maitral, conseiller référendaire rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 1er juin 2023), M. [Y], engagé en qualité de contrôleur de gestion par la société Nautitech catamarans le 20 octobre 2014, a été nommé directeur administratif et financier, statut cadre, le 15 septembre 2015 et soumis à une convention de forfait en heures sur l'année. Il occupait, en dernier lieu, les fonctions de directeur administratif et financier et ressources humaines, statut cadre, et était soumis à une convention de forfait en jours depuis le 1er août 2019.
2. Licencié pour faute grave le 1er juillet 2020, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les premier et quatrième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, alors « que l'indemnisation d'un préjudice pour licenciement vexatoire, distinct de celui résultant du licenciement lui-même, est subordonnée à l'existence de procédés vexatoires entourant la mise en oeuvre ou les circonstances du licenciement ; qu'en décidant néanmoins que le licenciement de Monsieur [Y] présentait un caractère vexatoire, motif pris que la société Nautitech catamarans l'avait accusé de déloyauté et d'incompétence professionnelle fautive, ce qui l'avait mis sous pression et humilié, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé de procédés vexatoires exercés par l'employeur entourant la mise en oeuvre ou les circonstances du licenciement, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1217 et 1231-1 du code civil, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a constaté le caractère vexatoire de la rupture, la société ayant mis en oeuvre une procédure de licenciement reposant sur un motif fallacieux en accusant le salarié de déloyauté et d'incompétence professionnelle fautive ce qui l'avait mis sous pression et l'avait humilié et avait ainsi généré un préjudice spécifique, distinct de celui résultant de la perte de l'emploi.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
7. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié pour la période d'octobre 2017 à juillet 2020, des sommes à titre d'heures supplémentaires, outre les congés payés, et à titre de repos compensateurs, alors :
« 1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut, à ce titre, relever un moyen d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen ; qu'en relevant néanmoins d'office le moyen tiré de ce, dans le cadre de la convention de forfait en heures, à laquelle le salarié était soumis entre le 15 septembre 2015 et le 1er août 2019, elle avait manqué à ses obligations découlant des dispositions de l'article L. 3121-60 du code du travail lui imposant de s'assurer régulièrement que sa charge de travail était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail, pour en déduire que ladite convention de forfait était privée d'effet, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que l'article L. 3121-60 du code du travail, inséré au sein des dispositions relatives aux clauses de forfait en jours, qui impose à l'employeur de s'assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail, n'est pas applicable aux clauses de forfait en heures, régies quant à elles par les articles L. 3121-56 et L. 3121-57 du code du travail ; qu'en décidant néanmoins que la convention de forfait en heures, à laquelle le salarié était soumis entre le 15 septembre 2015 et le 1er août 2019, était privée d'effet, motif pris qu'elle ne justifiait pas s'être assurée régulièrement que sa charge de travail était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail, manquant ainsi aux dispositions de l'article L. 3121-60 du code du travail, pour en déduire que le salarié était fondé à solliciter le paiement du temps de travail effectif sur cette période, bien que ces dispositions ne soient pas applicables aux conventions de forfait en heures, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-60 du code du travail. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte des articles L. 3121-55 et L. 3121-64 du code du travail que la convention individuelle fait l'objet d'un écrit qui doit fixer le nombre d'heures compris dans le forfait. A défaut, le salarié retrouve le bénéfice des règles de droit commun de la durée du travail et du décompte des heures supplémentaires dans le cadre de la semaine et du contingent annuel d'heures supplémentaires.
9. L'arrêt constate que la convention de forfait en heures adossée au contrat à durée indéterminée du 15 septembre 2015 a visé les responsabilités confiées au salarié et la disponibilité exigée pour exécuter les fonctions de directeur administratif et financier de même que l'autonomie nécessaire du salarié pour l'exercice de ses responsabilités, de ses missions et de l'organisation de son travail, le tout empêchant de pré-déterminer sa durée de travail.
10. Il en résulte que, la convention de forfait annuelle en heures ne fixant pas le nombre d'heures compris dans le forfait, le salarié était bien fondé à solliciter le paiement des heures supplémentaires sur le fondement des règles de droit commun de la durée du travail.
11. Par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. L'employeur fait grief à l'arrêt de décider que le licenciement pour faute grave du salarié est nul et de le condamner en conséquence à lui payer certaines sommes à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement nul, alors « que le licenciement prononcé pour motif personnel, et dont la cause réelle est un motif économique, n'est pas nul, mais dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en décidant que le licenciement était nul, motif pris qu'il avait été prononcé à tort pour faute grave, en fraude des règles relatives à la procédure de licenciement économique, bien qu'à supposer que la cause réelle du licenciement, prononcé pour faute grave, ait été un motif économique, il n'était pas pour autant nul, mais dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-1, L. 1235-3, L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail :
13. Pour juger le licenciement nul, l'arrêt retient que le salarié soutient exactement avoir été licencié pour faute grave alors même que la suppression de son poste de directeur administratif et financier pour motif économique était envisagée dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi et que sa convocation à l'entretien préalable a suivi de quelques jours l'information du comité social et économique sur le plan de sauvegarde de l'emploi à venir.
14. Il souligne que si la réalité des difficultés économiques n'empêche pas un employeur de licencier un salarié pour faute grave sous réserve d'établir la réalité des griefs articulés contre lui, il apparaît qu'en l'absence de pièces communiquées par la société, la cour n'est pas en mesure de vérifier le rapport d'audit du 13 mai 2020 ni de comparer entre elles les situations comptables présentées successivement par le salarié, ni d'apprécier ses choix de gestion et leur impact sur la sécurité de l'entreprise tel qu'énoncé dans la lettre de licenciement, de sorte qu'en l'état de cette carence de la société qui supporte la charge de la preuve il ne peut être retenu que l'employeur pouvait licencier pour faute grave l'intéressé nonobstant le plan de sauvegarde de l'emploi envisagé.
15. Il en déduit qu'en licenciant à tort le salarié pour faute grave alors que l'élaboration de la version définitive du plan de sauvegarde de l'emploi était en cours, la société a contourné frauduleusement les obligations légales.
16. En statuant ainsi, quand il ne ressortait pas de ces constatations que l'employeur avait détourné les règles lui imposant d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi, ce dont elle aurait dû déduire que, le motif invoqué étant inexact, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
19. Compte tenu des effectifs de l'entreprise (plus de onze salariés), de l'ancienneté de l'intéressé (5 ans et 9 mois) et de sa rémunération brute mensuelle (9 144,63 euros), il convient, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, de fixer à la somme de 52 000 euros le montant dû par l'employeur au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge le licenciement nul et condamne la société Nautitech catamarans à payer à M. [Y] la somme de 64 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 1er juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société la Nautitech catamarans à payer à M. [Y] la somme de 52 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.