LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Arrêt du 4 juin 2025
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 617 F-D
Pourvoi n° G 24-11.511
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUIN 2025
La société Crm08, aux droits de laquelle vient la société Crm92, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 24-11.511 contre le jugement rendu le 22 décembre 2023 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans le litige l'opposant :
1°/ au comité social et économique de la société Crm08, aux droits de laquelle vient la société Crm92, dont le siège est [Adresse 1],,
2°/ à la société Diagoris, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Crm92, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité social et économique de la société Crm92 et de la société Diagoris, et l'avis écrit de Mme Canas, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Nanterre, 22 décembre 2023), statuant selon la procédure accélérée au fond, le comité social et économique de la société Crm08, aux droits de laquelle vient la société Crm92 a engagé, le 27 mars 2023, une procédure d'alerte économique.
2. Le 31 mai 2023, le comité social et économique a décidé de recourir à un expert-comptable pour l'assister.
3. Le 9 juin 2023, la société a saisi le tribunal judiciaire aux fins d'annulation de cette délibération.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société fait grief au jugement de la débouter de sa demande d'annulation de la résolution du comité social et économique du 31 mai 2023 ayant décidé de se faire assister d'un expert, alors « qu'il n'y a pas un droit général à l'expertise ; que le droit d'alerte économique du comité social et économique ne peut être exercé que si l'expertise qu'il sollicite est nécessaire et qu'il ne dispose pas d'informations suffisantes sur une situation objectivement préoccupante ; qu'en jugeant, en l'espèce, que "la baisse sensible" des résultats de la société pour l'année 2022 suffisait à justifier une nouvelle expertise, quand, en moins de quatre ans, le CSE de la société Crm08 avait déjà sollicité vingt expertises, dont quatre dans le cadre d'alertes économiques, de sorte qu'il disposait déjà d'une parfaite connaissance de la situation économique de l'entreprise rendant inutile une nouvelle expertise, le tribunal judiciaire a violé les articles L. 2312-63 et L. 2315-92 du code du travail, ensemble l'article L. 2315-86 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2312-63, L. 2315-86 et L. 2315-92 du code du travail :
5. Il résulte du premier de ces textes que lorsque le comité social et économique a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander des explications à l'employeur.
6. Il résulte des deux autres textes qu'un expert-comptable peut être désigné par le comité social et économique dans le cadre d'une alerte économique et que la société peut contester devant le président du tribunal judiciaire la nécessité d'une telle expertise.
7. Le président du tribunal judiciaire n'a pas à statuer sur le bien-fondé du droit d'alerte économique exercé par le comité, mais seulement à apprécier la nécessité de l'expertise.
8. Pour rejeter la demande d'annulation de la délibération du comité social et économique ordonnant une expertise, le jugement constate que les résultats de la société pour l'année 2022 accusent une baisse sensible, que le nombre de salariés connaît également une baisse significative et que, si le contrat de prestation conclu avec le principal client de la société a été renouvelé pour deux ans, il ne comporte aucun engagement quant au volume minimal de services qui pourront lui être facturés. Il retient que le comité justifie, à la date de la décision litigieuse, de faits préoccupants de nature à compromettre la pérennité économique de l'entreprise et que l'existence de précédentes expertises sur la situation économique et financière de la société ne saurait remettre en cause la nécessité de procéder à l'analyse particulière des faits mis en avant par le comité.
9. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants tenant au bien fondé du droit d'alerte économique, alors que la société soutenait avoir répondu à l'ensemble des questions posées par le comité social et économique et que ce dernier disposait par ailleurs des informations issues des dernières expertises comptables en matière de consultation sur la situation économique et financière ordonnées en 2022, sans rechercher si le comité social et économique ne disposait pas d'informations suffisantes quant à la situation économique de l'entreprise et si l'expertise décidée était nécessaire, le président du tribunal judiciaire n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 22 décembre 2023, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Nanterre ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Paris ;
Condamne le comité social et économique de la société Crm92 et la société Diagoris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le comité social et économique de la société Crm92 et la société Diagoris et les condamne in solidum à payer à la société Crm92 la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé publiquement le quatre juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.