LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 24-86.949 F-D
N° 01016
17 JUIN 2025
ODVS
QPC INCIDENTE : NON LIEU À RENVOI AU CC
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 JUIN 2025
M. [W] [C] a présenté, par mémoire spécial reçu le 1er avril 2025, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 26 septembre 2024, qui, pour apologie de terrorisme, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et deux ans d'inéligibilité.
Des observations ont été produites.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [W] [C], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de l'association [1], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 17 juin 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, M. Bigey, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article 421-2-5 du code pénal, telles qu'interprétées par la jurisprudence de la Cour cassation, en ce qu'elles incriminent au titre de l'apologie du terrorisme, la tenue de propos incitant publiquement à porter un jugement favorable sur une infraction qualifiée de terroriste ou sur son auteur, indépendamment de l'inscription de bonne foi de ces propos dans un débat politique sur un sujet d'intérêt général, méconnaissent-elles le droit à la liberté d'expression et de communication garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et ces dispositions sont-elles entachées d'une incompétence négative contraire aux articles 34 de la Constitution et 11 précité en ce qu'elles ne prévoient pas les garanties assurant qu'il soit tenu compte d'une telle circonstance ? ».
2. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.
3. La disposition législative contestée a été déclarée conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 18 mai 2018 (Cons. const., 18 mai 2018, décision n° 2018-706 QPC).
4. Une nouvelle interprétation par la Cour de cassation d'une disposition législative déclarée antérieurement conforme à la Constitution peut constituer un changement des circonstances de droit, ouvrant la possibilité d'en saisir à nouveau le Conseil constitutionnel.
5. Dans son arrêt du 27 novembre 2018 cité au mémoire (Crim., 27 novembre 2018, pourvoi n° 17-83.602), qui est d'ailleurs antérieur à la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2020 (Cons.const., 19 juin 2020, décision n° 2020-845 QPC) qui a confirmé la décision susvisée du 18 mai 2018, la Cour de cassation n'a pas consacré un nouveau critère d'application du texte incriminant le délit d'apologie de terrorisme.
6. Par ailleurs, à supposer qu'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme soit susceptible de caractériser un changement des circonstances de droit, dans l'arrêt cité au mémoire (CEDH, arrêt du 23 juin 2022, [K] c. France, n° 28000/19), cette juridiction a considéré que la condamnation prononcée contre M. [K] portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, mais n'a pas retenu que le texte d'incrimination d'apologie de terrorisme portait atteinte à ce principe.
7. Les décisions précitées ne constituent donc pas un changement des circonstances de droit susceptible de modifier l'appréciation de la conformité de cette disposition législative à la Constitution.
8. Enfin, l'augmentation des poursuites engagées sur le fondement de ce texte en proportion du nombre de faits pouvant relever de son application ne saurait caractériser un changement des circonstances de fait justifiant un réexamen de la constitutionnalité dudit texte.
9. Il n'y a donc pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du dix-sept juin deux mille vingt-cinq.