LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 19 juin 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 601 F-D
Pourvoi n° S 23-21.129
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JUIN 2025
Mme [H] [E], domiciliée [Adresse 8], a formé le pourvoi n° S 23-21.129 contre l'arrêt rendu le 20 juin 2023 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [O] [F], veuve [V], domiciliée [Adresse 7], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [E], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mai 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 20 juin 2023) et les productions, par jugement du 13 décembre 2016, un tribunal paritaire des baux ruraux a, entre autres dispositions, ordonné à Mme [V] de « laisser Mme [E] accéder librement et exploiter les parcelles rurales cadastrées section ZO numéros [Cadastre 1] (lieu-dit L'Épisse) ainsi que [Cadastre 2] et [Cadastre 3] (lieu-dit [Localité 5]), situées sur le territoire de la commune d'[Localité 4] (Puy-de-Dôme) » dans le délai d'une semaine à compter du jour où sa décision aura acquis un caractère définitif, puis, passé ce délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
2. Ce jugement a été confirmé en toutes ses dispositions par un arrêt du 5 mars 2018, lequel a été signifié à Mme [V] le 11 avril 2018.
3. Mme [E] a saisi un juge de l'exécution d'une demande de liquidation de cette astreinte.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Mme [E] fait grief à l'arrêt d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement, alors « que la charge de la preuve de l'exécution d'une obligation de faire assortie d'une astreinte pèse sur le débiteur de l'obligation ; qu'en l'espèce, Mme [E] faisait valoir que dans son jugement du 13 décembre 2016, confirmé par un arrêt irrévocable de la cour d'appel de Riom du 5 mars 2018, le tribunal paritaire des baux ruraux de Thiers avait ordonné à Mme [V] de laisser Mme [E] accéder librement et exploiter les parcelles situées commune d'[Localité 4], cadastrées section ZO n° [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] dans le délai d'une semaine à compter de l'acquisition du caractère définitif de la décision, puis sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé ce délai et que l'arrêt du 5 mars 2018 ayant été signifié à partie le 11 avril suivant, l'astreinte a commencé à courir, à défaut de pourvoi formé dans les deux mois de cette signification, à compter du 19 juin 2018 ; que pour la débouter de sa demande de liquidation d'astreinte et de fixation d'une nouvelle astreinte, la cour d'appel a considéré que « Mme [O] [V] justifie, quelles que soient ses protestations, que les parcelles ZO-[Cadastre 2]a et ZO-[Cadastre 3] ainsi que ZO-[Cadastre 1] demeurent sans aucune constitution d'entraves matérielles vis-à-vis de Mme [H] [E] », par la production d'un procès-verbal de constat dressé le 19 novembre 2021 par Me [C], huissier de justice à Ambert ; qu'en statuant ainsi quand le procès-verbal de constat du 19 novembre 2021 versé aux débats par Mme [V] était insusceptible d'établir que cette dernière avait exécuté l'obligation « de laisser Mme [H] [V], née [E], accéder librement et exploiter les parcelles situées commune d'[Localité 4], cadastrées section ZO n° [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] dans le délai d'une semaine à compter de l'acquisition du caractère définitif de la décision », entre le 19 juin 2018, date à laquelle l'astreinte avait commencé à courir, et le 19 novembre 2021, date du procès-verbal de constat, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1353 du code civil et L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1353 du code civil et l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution :
6. Aux termes du premier de ces textes, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
7. Selon le second, l'astreinte provisoire est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. Elle est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.
8. Pour infirmer le jugement en ce qu'il avait liquidé l'astreinte à une certaine somme, fixé une nouvelle astreinte provisoire et condamné Mme [V] à payer à Mme [E] une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, après avoir retenu que l'obligation faite à Mme [V] de laisser Mme [E] accéder librement à la parcelle ZO [Cadastre 2] ne pouvait s'appliquer que sur sa partie ZO [Cadastre 2]a demeurée en nature de pré et à usage agricole, puis relevé qu'il résulte d'un constat d'huissier établi le 19 novembre 2021 à la demande de Mme [V], d'une part, que les parcelles ZO [Cadastre 2]a et ZO [Cadastre 3] sont aisément accessibles depuis des terrains sectionnaux, d'autre part, que l'accès à la parcelle ZO [Cadastre 1] demeure matériellement libre, l'arrêt retient que Mme [V] justifie que ces parcelles sont librement accessibles sans aucune constitution d'entraves matérielles vis-à-vis de Mme [E].
9. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que Mme [V] avait exécuté, pour la période antérieure au procès-verbal de constat, l'obligation mise à sa charge, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
10. Mme [E] fait grief à l'arrêt de rejeter le surplus de ses demandes, alors « que le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice servant de fondement aux poursuites, ni remettre en cause la validité des droits et obligations qu'il constate ; qu'en l'espèce, le tribunal paritaire des baux ruraux de Thiers, par jugement du 13 décembre 2016 confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Riom du 5 mars 2018, a ordonné à Mme [V] « de laisser Mme [H] [V], née [E], accéder librement et exploiter les parcelles situées commune d'[Localité 4], cadastrées section ZO n° [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] » ; que pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a retenu qu'il appartenait à Mme [E] « d'en user, en faisant le cas échéant prévaloir son titre judiciaire d'occupation directement auprès de la personne occupant actuellement cette parcelle rurale » ; qu'en se déterminant de la sorte, quand il appartenait au contraire à Mme [V] de permettre à Mme [E] d'accéder librement et exploiter la parcelle ZO-[Cadastre 1], la cour d'appel a violé l'article L. 131-4 et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 131-4 et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution :
11. Il résulte de ces textes que le juge, saisi d'une demande de liquidation d'astreinte, ne peut modifier la décision qui l'a prononcée.
12. Pour rejeter les demandes de liquidation d'astreinte pour la période du 2 juillet 2021 au 15 septembre 2022, à parfaire jusqu'à l'arrêt à intervenir, de fixation pour l'avenir d'une astreinte définitive et de condamnation de Mme [V] au paiement d'une certaine somme à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance au titre des parcelles rurales cadastrées section ZO numéros [Cadastre 1] (lieu-dit [Localité 6]) ainsi que [Cadastre 2] et [Cadastre 3] (lieu-dit [Localité 5]), situées sur le territoire de la commune d'[Localité 4], l'arrêt retient qu'en ce qui concerne la parcelle ZO-[Cadastre 1], il ressort d'un constat d'huissier que son accès demeure matériellement libre et qu'il appartient à Mme [E] d'en user, en faisant le cas échéant prévaloir son titre judiciaire d'occupation directement auprès de la personne occupant cette parcelle rurale.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait qu'il ressortait du constat établi le 19 novembre 2021 qu'un tiers occupait cette parcelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [V] à payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le dix-neuf juin deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.