Numéro 10112 du rôle Inscrit le 1er juillet 1997 Audience publique du 7 janvier 1998 Recours formé par les époux … CLEES et … WEILER contre le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial
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Vu la requête, inscrite sous le numéro du rôle 10112, déposée le 1er juillet 1997 au greffe du tribunal administratif par Monsieur … CLEES pour compte de Monsieur et Madame … CLEES-WEILER, demeurant à …, tendant à la réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal pour les années 1989, 1990 et 1991 émis le 26 août 1993, suite au silence du directeur de l’administration des Contributions directes face à leurs réclamations des 15 septembre 1993 et 5 avril 1994;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 1997;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur … CLEES, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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Suite au dépôt des déclarations relatives à l’impôt sur le revenu et l’impôt commercial communal pour les années 1989, 1990 et 1991, les époux … CLEES et … WEILER, demeurant à …, se virent notifier les bulletins d’impôt afférents, tous émis en date du 26 août 1993 par le bureau d’imposition Luxembourg III.
Par courrier du 15 septembre 1993, les époux CLEES-WEILER ont introduit une réclamation auprès du même bureau d’imposition contre lesdits bulletins d’impôt.
Cette première réclamation fut complétée de leur part par une lettre du 5 avril 1994 adressée au même bureau d’imposition et portant réclamation supplémentaire relativement à l’imposition pour l’année 1990 et motivation complémentaire de leur réclamation prémentionnée.
Faute de réaction à la fois du bureau d’imposition et du directeur de l’administration des Contributions directes, Monsieur … CLEES a introduit le 1er juillet 1997 « pour compte de » Monsieur et Madame … CLEES-WEILER un recours en réformation contre lesdits bulletins d’impôt.
Le délégué du Gouvernement soulève en premier lieu l’irrecevabilité du recours tirée du fait que Monsieur … CLEES tendrait à représenter son épouse, alors que l’article 109 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif consacrerait le monopole de représentation des avocats et des « professionnels du chiffre », les époux étant par ailleurs à considérer comme deux contribuables distincts, tant pour les besoins de l’impôt sur le revenu que pour ceux de l’impôt commercial communal. Le recours serait en conséquence irrecevable pour autant qu’introduit au nom de Madame … CLEES-WEILER.
Ce moyen est à abjuger en ce que les deux époux sont à considérer comme ayant agi pour eux-mêmes au sens de l’article 109 de la loi du 7 novembre 1996 précitée. Les époux imposés collectivement par voie d’assiette, tout en constituant des contribuables distincts, ont intérêt à contester ensemble un bulletin d’impôt commun au sens du paragraphe 210 (2) de la loi générale des impôts (Abgabenordnung), ci-après appelée « AO », ce bulletin affectant leurs intérêts communs, les époux CLEES-WEILER étant présumés mariés sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, à défaut d’autres éléments de précision fournis. Face à ces intérêts communs, il est impératif d’éviter tout risque de contrariété de situations suite à un recours exercé par l’un des époux seulement. Les époux CLEES-WEILER ayant en l’espèce agi ensemble à l’encontre des bulletins critiqués dès la phase de la réclamation, Monsieur … CLEES ne saurait être considéré comme le simple représentant de son épouse, alors même qu’il a matériellement signé seul la requête introductive.
Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Les demandeurs reprennent en premier lieu leur grief, déjà formulé dans leur réclamation du 15 septembre 1993, que le bureau d’imposition aurait méconnu les prescriptions du paragraphe 205 (3) AO en ce qu’il a omis de leur communiquer préalablement et par écrit les redressements qu’il entendait apporter à leurs déclarations d’impôt et de leur permettre de la sorte de prendre position dans le cadre de la procédure d’instruction, cette irrégularité entachant de nullité les bulletins ainsi visés. Ils concluent en conséquence, dans le cadre de leur recours en réformation, à l’annulation des bulletins critiqués pour violation de cette formalité.
Le délégué du Gouvernement admet la matérialité du défaut de communication préalable des redressements opérés par lesdits bulletins d’impôt au vu de la lettre du bureau d’imposition à l’adresse de Monsieur … CLEES et portant à leur connaissance le détail des redressements, ce courrier revêtant la date du 13 octobre 1993 et se trouvant ainsi être postérieur aux bulletins d’impôt critiqués.
Le représentant étatique analyse ensuite la notion de « wesentliche Abweichung » qui conditionne l’existence de l’obligation de communication préalable instaurée par le paragraphe 205 (3) AO. Il considère que cette notion ne vise pas un seuil variable en termes de chiffres, 2 interprétation qui en ferait un instrument livré à la seule appréciation définitive du juge, mais qu’elle doit être comprise dans un sens objectif d’incidence sur le principe ou la cote de l’impôt tels que visés par le paragraphe 232 alinéa 1er AO. La disposition du paragraphe 205 (3) AO devrait ainsi être considérée dans le cadre du principe inquisitoire de la procédure d’imposition, découlant du paragraphe 204 AO, et représenterait un instrument contribuant à la recherche de la vérité. Il cite encore en ce sens la jurisprudence du directeur des Contributions, notamment deux décisions récentes du 6.12.1996 (n° du rôle C6495) et du 13.12.1996 (n° du rôle C6721), qui, au terme d’une certaine évolution, a considéré que « la disposition du § 205 (3) AO a un caractère contraignant (« sind … mitzuteilen ») et constitue une forme substantielle destinée à protéger les intérêts du contribuable ». Il conclut en conséquence à ce que le tribunal statue ce qu’en droit il appartient.
Le paragraphe 205 (3) AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».
Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.
Le droit ainsi consacré en faveur du contribuable d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, doit être considéré comme un droit élémentaire face à l’administration fiscale, découlant à la fois du principe du contradictoire et des droits de la défense durant la phase précédant l’établissement d’un bulletin d’impôt, pareille façon de procéder étant de plus de nature à éviter des réclamations et recours ultérieurs.
La notion de « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable, qui conditionne l’application des formalités prévues par le paragraphe 205 (3) AO, doit dès lors être interprétée de façon objective en ce sens qu’elle englobe toutes les hypothèses où le bureau d’imposition envisage de retenir un élément de droit ou de fait susceptible d’influer sur la décision d’imposition et qui s’écarte de la situation telle que déclarée par le contribuable, pourvu que cet élément soit de nature à affecter le principe d’imposabilité ou la cote d’impôt tels qu’envisagés par le paragraphe 232 (1) AO. Elle ne vise par contre pas les erreurs purement matérielles, notamment de calcul, dans les déclarations du contribuable.
La formalité prévue au paragraphe 205 (3) AO étant ainsi destinée à protéger les droits des contribuables, tout en contribuant à éviter des réclamations et recours ultérieurs, elle doit être qualifiée de substantielle. Dans la mesure où sa violation a été invoquée devant le tribunal dans le cadre d’un recours ayant pour objet une cote d’impôt ou le principe d’imposabilité, elle entraîne l’annulation des bulletins d’impôts émis au terme de la procédure ainsi viciée, dans la mesure de la « wesentliche Abweichung » établie en cause.
En l’espèce, il est constant que le bureau d’imposition a omis d’informer les époux CLEES-WEILER, préalablement à la prise des bulletins d’impôts correspondants en date du 26 août 1993, au sujet des reprises sur frais généraux et de la modification de la base d’amortissement d’un immeuble qu’il se proposait d’effectuer par rapport à leurs déclarations d’impôt pour les années 1989, 1990 et 1991. Cette information n’a eu lieu que par courrier du 3 13 octobre 1993. Il est encore constant que les époux CLEES-WEILER ont fait état de cette absence d’information préalable dans leur recours déposé le 1er juillet 1997 au tribunal administratif.
Il s’ensuit que le recours est justifié et que les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal pour les années 1989, 1990 et 1991 émis le 26 août 1993 encourent l’annulation, de sorte que l’analyse des autres moyens invoqués par les demandeurs devient superflue.
PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, déclare le recours en réformation recevable, le dit également fondé, partant annule les bulletins de l’impôt sur le revenu et de l’impôt commercial communal pour les années 1989, 1990 et 1991 émis le 26 août 1993 à l’encontre des demandeurs, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes, condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par:
M. DELAPORTE, premier vice-président, Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, et lu à l'audience publique du 7 janvier 1998 par le premier vice-président, en présence du greffier.
s. SCHMIT s. DELAPORTE greffier assumé premier vice-président 4