N° 10468 du rôle Inscrit le 22 décembre 1997 Audience publique du 22 janvier 1998
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Recours formé par Monsieur … VESHAJ contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10468 et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 1997 par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … VESHAJ, …, demeurant actuellement à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 26 novembre 1997, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal le 9 janvier 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François MOYSE ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 24 juin 1997, Monsieur … VESHAJ, de nationalité albanaise, a oralement sollicité la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur VESHAJ a été entendu en date des 24 juin et 7 août 1997 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile, ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, Monsieur VESHAJ a exposé qu’il n’était pas membre d’un parti politique ou d’un groupe social défendant les intérêts de personnes dans son pays d’origine et qu’il était autorisé à rentrer dans son pays. Interrogé sur les conséquences éventuelles lors d’un retour dans son pays d’origine, il a indiqué que « tout peut arriver en Albanie », que les bandes criminelles sont 1 omniprésentes, que la vie n’était plus sûre dans son pays d’origine et qu’il lui était impossible d’y retourner, en prenant en considération tout ce qu’il a pu voir à Vlore, sa ville d’origine.
Questionné plus particulièrement sur les motifs à la base de sa demande d’asile, il a exposé qu’il a sauvé la vie à un ressortissant turc dont la boulangerie a fait l’objet d’un cambriolage par une bande criminelle qui risquait de le tuer. Il pense que les bandes criminelles pourraient le tuer par vengeance, au motif qu’il a aidé le ressortissant turc en le cachant notamment dans son domicile. Cette peur l’aurait ensuite amené, sur proposition de personnes proches du ressortissant turc, à quitter son pays d’origine pour se rendre au Luxembourg, en passant par l’Allemagne. Il a encore précisé qu’il avait peur des bandes criminelles et des terroristes. Lors d’un complément d’audition qui a eu lieu en date du 7 août 1997, il a ajouté qu’après son départ de son pays d’origine, son frère a été touché par une balle lors d’un cambriolage et qu’il se trouvait à l’hôpital à ce moment.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 12 septembre 1997, le ministre de la Justice a informé Monsieur VESHAJ, par lettre du 26 novembre 1997, notifiée le même jour, que sa demande en obtention du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée aux motifs suivants: « .. vous ne faites pas état d’une persécution en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques.
En effet, vous invoquez que la vie en Albanie ne serait plus sûre que vous auriez peur des bandes criminelles et des terroristes qui sillonnent le pays, sans toutefois invoquer d’autres faits à l’appui de votre demande.
Du fait que vous n’invoquez pas de craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, votre demande est considérée comme manifestement infondée aux termes de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ».
Par requête déposée le 22 décembre 1997, Monsieur … VESHAJ a formé un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de la Justice du 26 novembre 1997.
Le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en ce que la décision critiquée ne contiendrait pas une motivation légale. Il prétend plus particulièrement que la simple référence à « l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile » ne permettrait pas de déceler la base juridique exacte de la décision en question.
Quant au fond, il soutient que c’est à tort que le ministre de la Justice a déclaré sa demande en obtention du statut de réfugié politique comme étant manifestement infondée, en faisant valoir qu’il n’a pas pris en considération sa situation personnelle et qu’il a fait une mauvaise appréciation des faits gisant à la base de sa demande d’asile, qui établiraient à suffisance de droit qu’il avait fait l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève.
A l’appui de son recours contentieux, il soutient que sa famille a été menacée depuis son départ et que son frère a été sérieusement blessé par les mêmes bandes criminelles qui le poursuivraient pour avoir sauvé la vie d’un ressortissant turc. Il affirme encore que toute sa 2 famille est sympathisante des démocrates qui sont poursuivis sinon persécutés par le pouvoir socialiste en place en Albanie. Il ajoute que son épouse, qui travaillait au ministère de la Justice, a été licenciée par les socialistes au pouvoir, dans le cadre de l’une des nombreuses purges au sein de l’administration albanaise.
Enfin, il fait état de certificats déposés par lui au greffe du tribunal dont il ressortirait qu’il ne peut pas se réclamer de la protection de la police locale ou nationale de son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif que l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, prévoit un recours en annulation en la matière.
Il estime que la décision critiquée renseignerait avec suffisamment de précision les textes juridiques sur base desquels la décision a été prise et que partant le demandeur n’aurait pas pu se méprendre sur la disposition visée par la référence à l’un des deux règlements grand-
ducaux pris en date du 22 avril 1996.
Pour le surplus, il estime qu’à supposer que la décision litigieuse ne contienne pas une motivation légale, ce fait ne saurait entraîner une annulation de la décision en question, mais aurait simplement pour conséquence de ne pas faire courir le délai du recours contentieux.
Quant au fond, il soutient que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande en obtention du statut de réfugié politique du demandeur manifestement infondée, au motif que lors de l’instruction du dossier, la commission consultative pour les réfugiés et le ministre auraient tenu compte de l’ensemble des faits avancés par le demandeur et plus particulièrement de toutes les déclarations faites par lui lors des deux auditions, ainsi que des pièces et certificats versés par le demandeur à l’appui de sa demande. Il relève que le demandeur a uniquement invoqué comme motif à l’appui de sa demande sa peur des bandes criminelles qui sillonneraient son pays d’origine, en ajoutant que l’expérience subie par son frère ne saurait avoir une incidence sur la situation personnelle du demandeur. Ces faits ne justifieraient pas l’octroi de statut de réfugié politique, étant donné que les craintes du demandeur ne trouveraient pas leur fondement dans sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques, de sorte que le ministre de la Justice a, à bon droit, rejeté sa demande comme étant manifestement infondée.
L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoyant un recours en annulation contre les décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au moyen invoqué par le demandeur, selon lequel la décision critiquée violerait l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, il échet de constater que la décision litigieuse s’est uniquement référée expressément à « l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile » pour établir sa base légale. Il ne saurait être mis en doute que par cette référence à la base légale, le ministre a entendu se référer au règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative 3 à l’examen d’une demande d’asile, et plus particulièrement à l’article 3 de ce règlement grand-
ducal. S’il est vrai que la base légale n’a été indiquée que de manière incomplète dans la décision critiquée, le demandeur n’a pas pu se méprendre sur les dispositions à la fois légales et réglementaires se trouvant à la base de la décision litigieuse. Ce moyen est partant à abjuger.
Concernant le reproche formulé par le demandeur à l’encontre de la décision critiquée, tiré de ce que le ministre aurait fait une fausse appréciation des faits et n’aurait pas pris en compte les craintes de persécution invoquées par lui et que partant la motivation de la décision critiquée ne serait pas fondée, il convient de rappeler que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise.
Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement… ».
En vertu de l’article 3 alinéa 1er du règlement grand-ducal précité du 22 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de craintes de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».
Lors de ses auditions respectives des 24 juin et 7 août 1997, le demandeur n’a pas fait état de motifs de persécution, tels que prévus par l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève. En effet, lors de ces auditions, il a basé sa demande en obtention du statut de réfugié politique exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et sur l’insécurité générale régnant en Albanie, sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Le demandeur a plus particulièrement déclaré ne pas avoir eu d’activités politiques. Il a simplement indiqué avoir peur d’une bande armée qui risquerait de le tuer pour se venger du fait qu’il serait venu au secours d’un ressortissant turc lors d’un cambriolage de la boulangerie appartenant à celui-ci. Il a encore invoqué, à la base de sa demande d’asile, l’existence de bandes criminelles omniprésentes dans son pays d’origine et l’agression dont aurait fait l’objet son frère après son départ de l’Albanie. L’ensemble des faits invoqués par le demandeur ne tombent pas sous le champ d’application de l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève dans la mesure où il n’est ni établi ni même allégué que le demandeur aurait des raisons justifiées de croire qu’il ferait ou pourrait faire l’objet de persécutions de la part des autorités officielles de son pays d’origine. En ce qui concerne l’agression dont aurait fait l’objet le frère du demandeur, le tribunal doit constater que, même si elle se révélait être exacte, il ne ressort ni des déclarations du demandeur ni d’aucun autre élément du dossier que cette agression serait liée à des motifs politiques. De même, il n’existe aucun élément qui puisse amener le tribunal à croire que la bande armée risquant de poursuivre le demandeur pour prendre sa vengeance à la suite de l’aide apportée par le demandeur en faveur du ressortissant turc, soit au service des autorités officielles de l’Albanie et que par conséquent les craintes de persécution alléguées par le demandeur soient liées à des motifs d’ordre politique. Les informations fournies par le demandeur ne permettent pas d’en tirer le moindre élément pouvant être analysé par rapport à la Convention de Genève. Il semble toutefois que le demandeur ait 4 essentiellement peur des bandes criminelles sillonnant l’Albanie. De tels motifs ne sauraient toutefois fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève.
Etant donné que le demandeur n’a pas fait état de persécutions ou de craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, c’est à bon droit que le ministre a décidé que la demande formulée par Monsieur VESHAJ doit être considérée comme étant manifestement infondée.
Il suit des considérations qui précèdent, que le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 22 janvier 1998 par le vice-président, en présence du greffier.
Legille Schockweiler greffier assumé vice-président 5