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02/02/1998 | LUXEMBOURG | N°10038

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 1998, 10038


N° 10038 du rôle Inscrit le 30 mai 1997 Audience publique du 2 février 1998

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Recours formé par M. … BOURKEL, contre le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière d'indemnités dues aux employés de l'Etat

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Vu la requête déposée le 30 mai 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick WEINACHT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BOURKEL, retraité, demeurant à â€

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N° 10038 du rôle Inscrit le 30 mai 1997 Audience publique du 2 février 1998

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Recours formé par M. … BOURKEL, contre le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative en matière d'indemnités dues aux employés de l'Etat

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Vu la requête déposée le 30 mai 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick WEINACHT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BOURKEL, retraité, demeurant à …, tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation 1) d'une décision du 30 mai 1996 du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, sinon du directeur de l'administration du personnel de l'Etat, l'informant qu'il ne percevrait ses arriérés de rémunération qu'en remontant à la date du 1er avril 1993, 2) d’une décision du même ministre, sinon du même directeur, du 3 mars 1997, rejetant le recours gracieux introduit le 16 août 1996 contre la décision du 30 mai 1996, et 3) d'une décision du 9 mai 1997 du même ministre, sinon du même directeur, portant information qu'une réclamation introduite le 21 avril 1997 par le mandataire du requérant était rejetée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé le 16 octobre 1997;

Vu le mémoire en réplique déposé le 24 novembre 1997 au greffe du tribunal administratif au nom du demandeur … BOURKEL;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Tom FELGEN et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Suivant contrats de louage de services renouvelés annuellement, Monsieur … BOURKEL, demeurant à …, était employé comme chargé de cours à titre temporaire, depuis 1978, au Centre d'enseignement professionnel de Luxembourg, puis au Lycée Technique du Centre. Ayant atteint l'âge de la retraite le 31 mars 1990, il continua à assurer ses cours moyennant des contrats de travail renouvelés annuellement.

2 L'administration du personnel de l'Etat, admettant erronément que Monsieur BOURKEL était à la retraite, cessa dès le 1er avril 1990 ses paiements en sa faveur et le fit rayer des listes d'affiliés de la sécurité sociale.

Monsieur BOURKEL s'étant rendu compte de la cessation des paiements de sa rémunération ainsi que du fait qu'il n'avait plus reçu de contrat de travail pour l'année 1994-95, son conseil adressa le 2 juin 1995 une lettre au ministère de l'Education nationale dans laquelle il se référa à un entretien téléphonique ayant eu lieu la veille et lors duquel le responsable du ministère lui aurait confirmé d'une part que la situation financière de Monsieur BOURKEL ferait l'objet d'un redressement et d'autre part qu'il recevrait pour le 7 juin suivant la confirmation que sa situation pour l'année 1994-95 serait régulière, étant donné que son prochain cours était programmé pour le 8 juin 1995.

Par lettre du 7 juin 1995, signée par l'inspecteur principal premier en rang André WILMES, par délégation du ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle, il fut confirmé que Monsieur BOURKEL avait signé un contrat de louage de services pour l'année scolaire 1994-95 et qu'il pouvait poursuivre ses activités de chargé de cours à condition de se mettre en conformité avec la législation du travail. Dans la suite, Monsieur BOURKEL entreprit les démarches nécessaires et obtint l'autorisation afférente le 10 octobre 1995.

Le 1er avril 1996, Monsieur BOURKEL fit envoyer au ministère de l'Education nationale et de la Formation professionnelle un courrier dans lequel il réclama le calcul de ses arriérés de rémunération.

Le 30 mai suivant, le directeur de l'administration du personnel de l'Etat répondit que, par application de la prescription triennale des actions en paiement des rémunérations de toute nature dues aux salariés prévue par l'article 2277 du code civil, les arriérés de rémunération de Monsieur BOURKEL seraient payés rétroactivement au 1er avril 1993 avec la rémunération du mois de juillet 1996.

Suite à une réclamation formulée par le mandataire de Monsieur BOURKEL dans une lettre du 14 août 1996 et à un échange de courrier subséquent, le directeur de l'administration du personnel répondit le 3 mars 1997 que le ministre du ressort n'avait pas donné son accord à la demande de paiement de tous les arriérés de rémunération litigieux.

Une itérative réclamation du 21 avril 1997 fit l'objet d'une nouvelle décision de refus du 9 mai 1997.

Le 30 mai 1997, Monsieur BOURKEL a introduit un recours tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l'annulation des décisions précitées des 30 mai 1996, 3 mars 1997 et 9 mai 1997, avec attribution des arriérés de rémunération de la période allant du 1er juin 1990 au 31 mars 1993.

L'objet du présent litige est constitué par les arriérés de rémunération que le demandeur réclame en sa qualité d'ancien chargé de cours. En cette qualité, il est à considérer comme employé de l'Etat au sens de la loi modifiée du 27 janvier 1972 3 fixant le régime des employés de l'Etat. En vertu de l'article 11 de cette loi, les contestations résultant du contrat d'emploi et de la rémunération des employés de l'Etat sont de la compétence du juge administratif, statuant en dernière instance et comme juge du fond.

Il s'ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en ordre principal. Le recours en question ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le délégué du gouvernement invoque la prescription prévue par l'article 2277, alinéa 1er du code civil, qui prévoit une prescription triennale des rémunérations de toute nature dues au salarié.

Le demandeur entend en revanche se baser sur l’article 2277, alinéa 5 du code civil, qui prévoit une prescription de cinq ans. A l'appui de sa thèse, il invoque un arrêt de la Cour d’appel du 6 janvier 1969 (Pas. 21, 91), qui a retenu que "le paiement des traitements des fonctionnaires et agents des organismes de droit public est régi par la prescription de cinq ans de l'article 2277 du code civil, applicable à tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts." L'arrêt en question a été rendu à une époque où l'article 2277 du code civil disposait, sans distinction, que "se prescrivent par cinq ans les actions en payement … généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts." La loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail a modifié l'article 2277 du code civil par l'adjonction d'un nouvel alinéa 1er libellé comme suit: "Se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de tout nature dues au salarié." La prédite disposition législative n’a pas apporté de changement à l'applicabilité de l'article 2277 du code civil aux traitements et indemnités des fonctionnaires et agents des organismes de droit public, affirmée par l'arrêt précité de la Cour d'appel, mais l’a plutôt confirmée, l'objectif du législateur ayant été d’unifier le régime de la prescription des rémunérations. D’après les auteurs du projet de loi sur le contrat de travail, ce texte « réalise l’unification des délais de prescription des créances salariales et indemnitaires du salarié » (projet de loi n° 3222, commentaire des articles, p. 32), point qui est aussi relevé dans l'avis du Conseil d’Etat (doc. parl. n° 32226, p. 30) et le rapport de la commission du travail, de la sécurité sociale, de la santé et de la famille de la Chambre des Députés (doc. parl. n° 32229, p. 30).

Le champ d’application de ce texte s’étend à « toutes les créances ayant leur cause dans la prestation de travail » (doc. parl. n° 32223, avis de la Justice de Paix à Luxembourg, p. 20). Les critères essentiels d’application du texte résident dans une prestation de travail fournie, l’existence d’un lien de subordination juridique et des paiements en rémunération du travail fourni.

Sans mettre en cause les spécificités de la fonction publique, le terme « salarié » employé par l’alinéa 1er nouveau de l’article 2277 du code civil est générique et recouvre sous cet aspect aussi les salariés engagés sous le statut de la 4 fonction publique, les trois critères d’application ci-avant énumérés étant également réunis dans leur chef. De plus, faute de disposition spécifique, aucun argument de texte ne plaide en faveur de l’exclusion de la prescription en matière du régime de la fonction publique du champ d’application de cette règle uniforme.

Le délai de prescription de trois ans prévu à l’alinéa 1er de l’article 2277 du code civil est en conséquence applicable aux indemnités des employés de l'Etat (cf.

trib. adm. 23 juillet 1997, n° 9548 du rôle, Hoffmann).

A titre subsidiaire, Monsieur BOURKEL fait valoir que, n'ayant disposé, entre le 1er avril 1990 et le 10 octobre 1995, d'aucun contrat écrit de louage de services, soit il travaillait pour l'Etat sans être engagé avec celui-ci dans des liens contractuels, auquel cas sa rémunération serait due en vertu des articles 1370 et suivants du code civil, relatifs à l'enrichissement sans cause et à la gestion d'affaires, non soumis à la prescription de l'article 2277 du même code, soit la décision du 10 octobre 1995 l'ayant autorisé à continuer à travailler pour l'Etat après avoir atteint l'âge de la retraite a rétroactivement requalifié ses prestations comme étant de nature contractuelle, la prescription triennale de l'article 2277, alinéa 1er du code civil ayant alors commencé à courir à partir du 10 octobre 1995 seulement.

Ce moyen laisse d'être fondé dans ses deux branches. Monsieur BOURKEL ayant travaillé pour l'Etat, sans interruption, jusqu'en 1996, il était lié à celui-ci par un contrat d'emploi, et cela même en l'absence d'écrit, la seule conséquence, sans pertinence en l'espèce, ayant pu être celle de la qualification de contrat d'emploi à durée indéterminée du contrat l'ayant lié à l'Etat dès la continuation de ses prestations sans contrat écrit (v. tribunal. adm. 30 juillet 1997, n° 9937 du rôle, Rollmann). La rémunération due entre 1990 et 1996 constitue partant une indemnité qui lui est due comme employé de l'Etat, sous réserve de sa prescription éventuelle, et cela sans que l'autorisation de travail du 10 octobre 1995 ait eu à cet égard un effet rétroactif.

Monsieur BOURKEL se prévaut encore de l'article 2248 du code civil qui dispose que la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait. Il fait exposer que le 1er juin 1995, Monsieur André WILMES, inspecteur principal premier en rang au ministère de l'Education nationale et de la Formation professionnelle aurait, dans un entretien téléphonique avec son mandataire, reconnu que ses rémunérations n'avaient pas été versées suite à une erreur administrative et que sa situation financière allait être redressée. Il offre en preuve ce fait par l'audition de Monsieur WILMES comme témoin.

L'Etat rétorque que le fonctionnaire en question, ne relevant pas du ministère de la Fonction publique, n'avait pas compétence pour procéder à une quelconque reconnaissance des droits du demandeur.

S'il est vrai qu'en vertu de l'article 4 de la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l'Etat, l'engagement des employés de l'Etat est effectué, sur avis du ministre de la Fonction publique, par le ministre qui a dans ses attributions l'administration ou le service dont relèvera l'employé, la fixation des indemnités leur revenant appartient au conseil de gouvernement, par application de l'article 23, 1. de la 5 loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l'Etat, le calcul et les assignations des indemnités relevant de l'administration du personnel de l'Etat, en vertu de l'article 3, 2. de la loi du 1er février 1984 portant création d'une administration du personnel de l'Etat, laquelle relève du ministre ayant dans ses attributions la Fonction publique.

Il s'ensuit que s'il est vrai que le ministre de l'Education nationale avait compétence pour engager Monsieur BOURKEL, il n'avait compétence, ni pour fixer sa rémunération, ni pour la calculer et l'assigner, ni, par voie de conséquence, pour invoquer la prescription des indemnités ou encore y renoncer.

Le fonctionnaire des affirmations duquel Monsieur BOURKEL se prévaut pour établir une renonciation à la prescription relevant du ministère de l'Education nationale, celui-ci, eût-il disposé, par délégation, d'un pouvoir de décision, n'avait pas compétence pour renoncer à la prescription extinctive au profit de l'Etat.

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que l'administré ne saurait se prévaloir des assurances données par l'administration ou des engagements pris par elle et invoquer sa bonne foi que s'ils ont été donnés sans réserves par un agent compétent (C.E. 19 novembre 1969, n° 5998 du rôle, Collart).

Il suit de ce qui précède que Monsieur BOURKEL ne saurait se prévaloir des déclarations faites par Monsieur André WILMES, inspecteur principal premier en rang au ministère de l'Education nationale, pour en déduire une renonciation valable à la prescription acquise au bénéfice de l'Etat. Pour cette même raison, l'offre de preuve tendant à établir la renonciation par le témoignage du fonctionnaire en question est à écarter comme non concluante.

Il y a lieu d'ajouter que la lettre du 7 juin 1995, signée par Monsieur WILMES, dont se prévaut le demandeur, n'a pas la portée que celui-ci entend lui conférer mais témoigne, en revanche, du respect de la compétence dont était investi en la matière le ministre de l'Education nationale. En effet, il y est exclusivement confirmé "que Monsieur BOURKEL a signé un contrat de louage de services pour l'année scolaire 1994/95 et qu'il peut poursuivre ses activités de chargé de cours au Lycée technique du Centre à condition de se mettre, dans les meilleurs délais, en conformité avec la législation du travail", cette matière touchant exclusivement l'engagement de Monsieur BOURKEL et relevant partant de la compétence du ministre de l'Education nationale.

Monsieur BOURKEL demande finalement l'annulation de la décision du 3 mars 1997 pour violation de l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, en ce qu'elle est intervenue sur recours gracieux et a refusé de faire droit aux prétentions du demandeur, sans prendre position sur les règles de droit invoquées dans ce recours gracieux.

Ce moyen est à son tour à abjuger, d'une part pour défaut d'intérêt, étant donné que l'annulation de la seule décision du 3 mars 1997 n'affecterait pas les autres décisions entreprises dont résulte pourtant le bénéfice de la prescription au profit de 6 l'Etat, et, d'autre part parce que les motifs à la base de la décision se dégagent à la fois de la décision initiale du 30 mai 1996 que celle du 3 mars 1997 s'est bornée à confirmer, et de celle du 9 mai 1997 qui prend position de manière exhaustive par rapport aux nouveaux arguments développés par le demandeur. De toute manière, l'absence de motivation d'une décision administrative n'entraîne pas forcément son annulation, mais suspend les délais de recours.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

La loi prévoyant en la matière un recours en réformation, le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, est irrecevable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, Mme Lamesch, juge, et lu à l'audience publique du 2 février 1998 par le vice-président, délégué à cette fin, en présence du greffier.

s. Legille s. Ravarani greffier assumé président


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10038
Date de la décision : 02/02/1998

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1998-02-02;10038 ?

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