N° 10346 du rôle Inscrit le 2 octobre 1997 Audience publique du 2 février 1998
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Recours formé par Monsieur … TAHIRAJ ressortissant albanais du Kosovo contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10346 et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 1997 par Maître Cathy ARENDT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … TAHIRAJ, demeurant actuellement à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 août 1997, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été rejetée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 1997;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 10 décembre 1997;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Cathy ARENDT et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 16 novembre 1994, Monsieur … TAHIRAJ a oralement sollicité la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Monsieur TAHIRAJ a été entendu une première fois en date du 1er février 1995 par un agent du service de police judiciaire sur les motifs à la base de sa demande et sur l’itinéraire emprunté pour se rendre au Luxembourg. A la demande de la commission consultative pour les 1 réfugiés, il a fait l’objet d’une audition complémentaire par un agent du ministère de la Justice le 2 décembre 1996.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 17 juillet 1997, le ministre de la Justice a informé Monsieur TAHIRAJ, par lettre du 14 août 1997, notifiée le 4 septembre 1997, que sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été rejetée aux motifs suivants: « …vous restez en défaut de faire état de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie vous serait intolérable dans votre pays. De même, vous restez en défaut d’établir une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou l’appartenance à un groupe social. ».
Par requête déposée le 2 octobre 1997, Monsieur TAHIRAJ a introduit un recours en réformation contre la décision du 14 août 1997.
A l’appui de son recours, il fait tout d’abord valoir que la décision ministérielle entreprise encourt la réformation pour insuffisance de motivation.
Au fond, il soutient que la décision repose sur une appréciation erronée des faits.
Dans ce contexte, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fondé sa décision de refus non seulement sur une appréciation erronée de la situation de fait ayant existé au moment de son départ mais encore d’avoir omis de tenir compte de l’évolution ultérieure de la situation en général des Albanais au Kosovo, étant donné que le climat général d’hostilité envers la communauté albanaise s’est encore renforcé au courant des années.
Concernant sa situation individuelle, il fait encore exposer qu’il a quitté son pays d’origine parce qu’il craignait d’être persécuté en raison de son appartenance au groupement politique « Balli Kombetar (Le Front de la Nation) », mouvement interdit par les autorités en octobre 1994, qui militait, sans violence, pour la réunification du Kosovo et de l’Albanie.
Reconnaissant ne pas avoir eu un rôle officiel de dirigeant, il soutient qu’il n’en resterait pas moins qu’il jouait un rôle actif, étant donné qu’il a été en charge de la rédaction des écrits utilisés par le groupement pour faire connaître ses idées et pour sensibiliser l’opinion publique.
Il fait ajouter que le risque de persécution qu’il encourrait et encourt toujours serait d’autant plus grave en raison du fait que son cousin était un membre dirigeant du prédit groupement, condamné par défaut en raison de ses activités et reconnu comme réfugié politique aux Etats-Unis d’Amérique.
Il fait encore valoir qu’une perquisition a eu lieu dans la maison de ses parents le 21 octobre 1994, lors de laquelle les policiers ont trouvé son carnet de membre dudit groupement, ainsi que du matériel de propagande.
Il estime que la situation générale d’oppression des Albanais au Kosovo et particulièrement de ceux qui militent pour l’indépendance du Kosovo ainsi que sa situation spécifique justifient sa crainte avec raison d’être persécuté au sens de la Convention de Genève. Il n’accepte pas le reproche de ne pas avoir rapporté la preuve de sa persécution dans son pays d’origine et souligne les difficultés qu’il éprouve à rassembler et à produire des preuves précisément en raison du risque de persécution.
2 Finalement, il soutient qu’un retour dans son pays d’origine serait « d’autant plus intolérable (…) alors qu’il était l’une des victimes de l’accident ferroviaire ayant eu lieu en juin 1997 à Luxembourg », dès lors que son état de santé défectueux ne lui permettrait pas d’affronter les poursuites et sanctions qu’il risquerait d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine.
Le délégué du gouvernement demande le rejet du moyen tiré d’une insuffisance de motivation, étant donné que la décision entreprise serait motivée en droit et en fait.
Au fond, le représentant étatique estime que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a refusé l’admission du demandeur au statut sollicité, étant donné que les allégations du demandeur relativement à son rôle joué au sein du groupement « Balli Kombetar » faites respectivement lors de ses deux auditions et en cours de procédure, seraient contradictoires.
Pour le surplus, les faits par lui exposés relativement à sa situation particulière ne seraient ni prouvés ni de nature à justifier une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.
La possibilité d’un recours en réformation ayant été introduite, en matière de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, par l’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, entrée en vigueur le 11 mai 1996, contre les décisions ministérielles de refus prises en application de l’article 12 de la même loi, le présent recours en réformation, exercé par ailleurs dans le délai légal, a été valablement introduit.
Le moyen de réformation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que la décision ministérielle litigieuse serait entachée d’illégalité pour absence de motivation, n’est pas fondé, dès lors qu’il ressort des pièces versées au dossier que tant la décision elle-même que l’avis de la commission consultative pour les réfugiés auquel le ministre s’est rallié, en en adoptant également les motifs, et qui a été annexé en copie à la décision, de sorte qu’il en fait partie intégrante, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels le ministre se base pour justifier sa décision, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur (cf. C.E. 30 avril 1993, GASPAR VIEGAS, n° 8731 du rôle).
L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond du refus d’accorder le statut de réfugié politique.
Au voeu de l’article premier, section A, 2) de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
Il se dégage des pièces versées et des renseignements dont dispose le tribunal que la situation des Albanais du Kosovo en général était difficile au moment de l’introduction de la demande par Monsieur TAHIRAJ, la pression exercée par le pouvoir serbe en place ayant même eu tendance à se renforcer par la suite.
3 Il ne ressort pas, cependant, des pièces et renseignements dont dispose le tribunal, que la situation serait telle que tout Albanais du Kosovo, du seul fait de son appartenance à cette ethnie, aurait raison de craindre une persécution de la part des autorités.
Le tribunal doit partant examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur d’asile et examiner, concrètement et individuellement s’il a raison de craindre d’y être persécuté.
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
En l’espèce, d’une part, si les activités dans un parti ou mouvement d’opposition poursuivant l’autonomie du Kosovo peuvent justifier des craintes de persécution, la simple qualité de membre à elle seule étant insuffisante, il y a lieu de constater que lors de ses auditions, telles que celles-ci ont été relatées dans le rapport du service de police judiciaire du 2 février 1995 ainsi que dans le compte rendu de l’agent du ministère de la Justice du 2 décembre 1996 figurant au dossier, le demandeur a seulement déclaré que les activités du mouvement se sont limitées à des réunions clandestines et qu’il n’avait pas de responsabilités particulières au sein du mouvement, mais n’a pas fait état de la moindre activité concrète. Par ailleurs, il reste actuellement en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif concernant de telles activités.
D’autre part, s’il est vrai que le demandeur fait état d’une perquisition de la police serbe chez ses parents, au cours de laquelle la police a trouvé sa carte de membre et du matériel de « propagande » - qui, selon le demandeur, n’était pas destiné à être distribué au public, mais constituait des documents de travail pour préparer des « discours » -, il n’invoque, ni a fortiori ne prouve, des menaces concrètes ou des mauvais traitements envers sa personne de la part des autorités pour des motifs d’ordre politique.
Concernant les craintes de persécutions en raison du fait que son cousin était un des dirigeants du prédit groupement, le demandeur n’allègue ni ne prouve un quelconque fait personnel, précis et concret de persécution de ce chef.
Finalement, son état de santé précaire, à le supposer établi, reste sans pertinence aucune quant au bien-fondé de sa demande d’asile.
Il découle des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention de Genève et, partant, le ministre a refusé à bon droit le statut de réfugié politique.
Le recours en réformation est partant à rejeter.
Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 2 février 1998, par le vice-président, en présence du greffier.
s. Legille s. Schockweiler greffier assumé vice-président 5