N° 10264 du rôle Inscrit le 29 août 1997 Audience publique du 16 février 1998
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Recours formé par Monsieur … ALLES contre l’Entreprise des Postes et Télécommunications en matière d’affectation
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Vu la requête déposée le 29 août 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ALLES, facteur des Postes, demeurant à …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications du 26 juin 1997, l’affectant d’office au relais d’Arsdorf;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 2 septembre 1997, portant signification dudit recours à l’Entreprise des Postes et Télécommunications;
Vu le mémoire en réponse déposé le 24 novembre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges KRIEGER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’Entreprise des Postes et Télécommunications;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 24 novembre 1997, portant signification dudit mémoire en réponse à Monsieur … ALLES;
Vu le mémoire en réplique déposé le 4 décembre 1997 au greffe du tribunal par Maître Jean-Marie BAULER au nom de Monsieur … ALLES;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 4 décembre 1997, portant signification dudit mémoire en réplique à l’Entreprise des Postes et Télécommunications;
Vu le mémoire en duplique déposé le 16 décembre 1997 au greffe du tribunal par Maître Georges KRIEGER au nom de l’Entreprise des Postes et Télécommunications;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Pierre BIEL, demeurant à Luxembourg, du 17 décembre 1997, portant signification dudit mémoire en duplique à Monsieur … ALLES;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maîtres François MOYSE, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Georges KRIEGER en leurs plaidoiries respectives.
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1 Monsieur … ALLES a été affecté au bureau principal des Postes de Walferdange en date du 17 décembre 1990 afin d’y exercer la fonction de facteur des Postes. A la suite de cette nomination, il a été promu au rang de facteur comptable et affecté au relais des Postes de Lorentzweiler, qui constitue un bureau en sous-ordre du bureau principal de Walferdange.
En date du 21 juillet 1995, Monsieur ALLES a épousé Mademoiselle … HIPPERT, préposée du bureau des Postes de Walferdange.
La fédération syndicaliste des facteurs et des travailleurs des Postes et Télécommunications Luxembourg (« FSFL ») a adressé, en date du 1er octobre 1996, une lettre au directeur de la division des Postes, afin de le rendre attentif au fait que le personnel des bureaux des Postes de Walferdange et du relais de Lorentzweiler se plaignait de « conditions de travail difficiles suite à des problèmes provoqués par des manigances résultant des liens familiaux entre le préposé-facteur de Lorentzweiler et la préposée de Walferdange ». Par ce même courrier, le président de la FSFL a prié le directeur de la division des Postes de s’occuper d’urgence de cette affaire afin qu’il soit mis fin à cette situation.
Une réunion a été organisée à l’initiative de la division des Postes, le 27 novembre 1996, à laquelle assistait le personnel des bureaux des Postes de Walferdange et du relais de Lorentzweiler, lors de laquelle les « graves problèmes et les dysfonctionnements résultant de la pression exercée par le facteur de Lorentzweiler sur la préposée du bureau de Walferdange » furent discutés.
Une lettre de rappel, datée du 2 décembre 1996, a été adressée par le président de la FSFL au directeur de la division des Postes insistant pour qu’une solution soit prise dans l’intérêt de tous les concernés en vue « de rétablir un climat de travail et une ambiance permettant un déroulement normal du service ».
Dans une lettre du 6 décembre 1996, le directeur de la division des Postes a informé la FSFL que la réunion du 27 novembre 1996 « avait permis d’effectuer un échange de vues contradictoire et par ce biais de mieux cerner les causes à l’origine de ce profond malaise ».
Dans cette même lettre, le directeur exprimait l’avis que « des efforts plus ou moins grands de la part de toutes les parties en cause en fonction de leur implication dans l’origine des problèmes (étaient exigés) afin de rétablir un climat de travail approprié ». Il indiquait en outre qu’ « il faut pouvoir s’attendre d’hommes et de femmes d’âge mûr de retrouver la confiance nécessaire et de rétablir une communication digne de ce nom », en insistant sur le fait que si « la situation ne commençait pas à s’améliorer dans un délai de 2 à 3 mois (il se verrait) dans l’obligation de prendre les mesures appropriées à l’égard de ceux ou de celles qui par leur comportement n’auraient pas contribué au rétablissement d’une situation normale ».
En date du 3 mars 1997, le président de la FSFL a adressé une lettre au directeur général de l’Entreprise des Postes et Télécommunications par laquelle il l’a rendu attentif à la persistance de conditions de travail difficiles et de dysfonctionnements aux bureaux des Postes de Walferdange ainsi qu’au relais de Lorentzweiler, en formulant des reproches à la fois à l’encontre de la préposée du bureau de Walferdange et à l’encontre de son mari, facteur-
comptable au relais des Postes de Lorentzweiler, et en exigeant des « sanctions envers les vrais responsables ». En annexe à ce courrier, se trouvaient deux lettres émanant respectivement du délégué du personnel du bureau des Postes de Walferdange et d’un facteur des Postes du relais de Lorentzweiler, adressées toutes les deux au président de la FSFL, par lesquelles ces deux personnes se plaignaient du comportement à la fois de la préposée du 2 bureau des Postes de Walferdange, Madame … ALLES-HIPPERT, et du facteur- comptable au relais des Postes de Lorentzweiler, Monsieur … ALLES.
Par courrier du 12 mars 1997, le directeur général de l’Entreprise des Postes et Télécommunications a informé la FSFL que le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications « a décidé de charger le service inspection et contrôle d’une enquête administrative pour analyser la situation aux bureaux concernés ».
En date des 18, 19, 21, 25 et 27 mars 1997, 16 personnes au service du bureau principal des Postes de Walferdange et du relais des Postes de Lorentzweiler, ont été entendues par deux enquêteurs au service de l’Entreprise des Postes et Télécommunications.
Les mêmes enquêteurs ont interrogé Monsieur ALLES en date du 21 mars 1997 et Madame ALLES-HIPPERT en date du 24 mars 1997 sur les faits à la base des réclamations présentées non seulement par le personnel au service du bureau de Walferdange et du relais de Lorentzweiler mais également par la FSFL, qui s’est fait le porte-parole du personnel en question.
Les enquêteurs, chargés de « procéder à une enquête administrative au sujet de la situation conflictuelle aux bureaux de Walferdange et de Lorentzweiler », nommés par décision du comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications, ont remis au directeur général de l’Entreprise des Postes et Télécommunications leur rapport daté du 14 avril 1997 dans lequel ils ont constaté que « les responsabilités pour cet état des choses déplorable sont à notre avis à situer de part et d’autre, certes à des degrés d’importance variables… Il n’y a pas de doute que la cause principale du malaise provient du comportement de Monsieur ALLES, même si ce dernier est en son for intérieur convaincu que tout son agir n’est que pour le plus grand bien des clients de l’Entreprise des Postes et Télécommunications ». D’après les enquêteurs, les agissements de Monsieur ALLES auraient des retombées sur son épouse. Au cours des entretiens que les enquêteurs ont eus avec Madame ALLES-HIPPERT, ils lui auraient proposé un éventuel changement d’affectation à un poste équivalent dans la division des Télécommunications, que celle-ci aurait toutefois refusé.
En conclusion, les enquêteurs ont proposé au directeur général des Postes et Télécommunications « de décharger Monsieur ALLES de la gestion du relais de Lorentzweiler et de l’affecter, dans l’intérêt du service, à un poste de remplaçant de facteurs-
comptables », en recommandant de ne pas mettre de personnel sous les ordres directs de Monsieur ALLES.
Par lettre du 3 juin 1997, adressée par le directeur général adjoint de l’Entreprise des Postes et Télécommunications à Monsieur ALLES, ce dernier a été informé qu’au vu de « sa part à l’origine de situations conflictuelles » existant aux bureaux de Postes de Walferdange et de Lorentzweiler, et en tenant compte du fait que cette situation était devenue incompatible avec « l’intérêt bien compris du service », le comité de direction avait l’intention de le changer d’affectation, en lui proposant de choisir parmi les relais de Arsdorf, Reisdorf, Dahlheim et Dippach.
Par lettre du 10 juin 1997 adressée par le mandataire de Monsieur ALLES à l’Entreprise des Postes et Télécommunications, Monsieur ALLES a informé son employeur qu’il considérait le changement d’affection comme une sanction disciplinaire cachée, en considérant encore que la décision prise par l’Entreprise des Postes et Télécommunications serait basée sur une enquête administrative menée au mépris des règles élémentaires garantissant le statut des fonctionnaires et les droits de la défense.
3 Par décision du 26 juin 1997, le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications a affecté d’office Monsieur ALLES au relais d’Arsdorf.
Par requête déposée le 29 août 1997, Monsieur … ALLES a introduit un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du 26 juin 1997 l’affectant d’office au relais d’Arsdorf.
A l’appui de son recours, il estime tout d’abord que la décision critiquée est insuffisamment motivée et partant annulable, au motif que dans la mesure où la décision fait simplement référence à un « comportement intolérable à l’égard de ses collègues de travail », sans préciser un quelconque incident de nature à envisager une quelconque mesure à son encontre, elle ne contient pas une motivation assez explicite, d’autant plus qu’elle n’indique pas en quoi consisterait l’intérêt du service qui commanderait son déplacement vers un relais très éloigné de celui où il était affecté avant cette mesure.
Il fait encore exposer que la décision critiquée constitue en fait une sanction disciplinaire déguisée et qu’elle viole partant les dispositions légales applicables en la matière.
L’Entreprise des Postes et Télécommunications conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif qu’un tel recours n’est pas prévu en la matière.
En ce qui concerne le moyen tiré d’une motivation insuffisante de la décision critiquée, elle rétorque que la lettre précitée du 3 juin 1997 contient des précisions assez claires afin de mettre Monsieur ALLES en mesure de connaître la motivation de la décision critiquée. Elle ajoute qu’elle n’entendait pas se baser sur l’un ou l’autre des incidents constatés afin d’établir des fautes professionnelles commises le cas échéant par Monsieur ALLES.
Quant au fond, elle estime qu’en tant qu’autorité compétente elle peut organiser ses services non seulement dans l’intérêt du service auquel le fonctionnaire est muté, mais également dans l’intérêt du service auquel le fonctionnaire était affecté avant sa mutation, et que, dans les limites de l’intérêt du service, elle dispose d’une entière liberté d’appréciation pour affecter un agent à un emploi plutôt qu’à un autre. Elle conteste que la mesure prise constitue une mesure disciplinaire cachée, en insistant sur le fait que l’intérêt du service où était affecté Monsieur ALLES était réel au vu du comportement de celui-ci, et de la situation conflictuelle qui existait aux bureaux de Walferdange et de Lorentzweiler, qu’il s’agissait de résoudre. Elle indique également qu’en été 1997, deux relais étaient vacants, celui d’Arsdorf et celui de Reisdorf et que deux autres relais devaient être vacants sous peu, à savoir celui de Dahlheim et celui de Dippach. Le bon fonctionnement du service public l’aurait donc obligée d’affecter du personnel à ces relais. Le choix du relais d’Arsdorf n’aurait pas été arbitraire étant donné que par son courrier du 3 juin 1997, elle aurait laissé le choix à Monsieur ALLES d’opter pour l’un des quatre relais en question. Comme sa tentative d’arrangement n’aurait pas été fructueuse, puisque Monsieur ALLES se serait opposé à toute décision de mutation, elle a d’office procédé au changement d’affectation du demandeur.
Enfin, l’Entreprise des Postes et Télécommunications sollicite la condamnation du demandeur au paiement d’une indemnité de procédure de 40.000.- francs sur base de l’article 131-1 du code de procédure civile.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste tout d’abord la version des faits présentée par l’Entreprise des Postes et Télécommunications en affirmant qu’il a toujours effectué son travail avec efficacité et dévouement et que les remarques faites à l’égard de ses collègues de travail ont toujours eu pour but une amélioration du travail de l’Entreprise des 4 Postes et Télécommunications. Il conteste également les accusations portées contre lui ayant pour objet de démontrer qu’à la suite de son mariage avec la préposée du bureau de Walferdange, les dysfonctionnements au sein des bureaux de Walferdange et de Lorentzweiler se seraient aggravés.
En ce qui concerne l’intérêt du service au sein duquel il était prévu de le muter, il expose, arguments à l’appui, que pour chacun des quatre relais qui lui ont été proposés, l’intérêt du service n’était pas donné.
En ce qui concerne l’intérêt du service auquel il était affecté avant la décision de mutation, il fait valoir que certains de ses collègues de travail souhaitaient se débarrasser de lui, en rappelant qu’aucune faute professionnelle ne lui a été reprochée. Il estime en outre que la décision du changement d’affectation est contraire à l’intérêt de ce service, au motif que le bureau des Postes de Walferdange et le relais de Lorentzweiler fonctionnaient de manière satisfaisante nonobstant le fait qu’il est le mari de la préposée du bureau de Walferdange. Il ajoute que cette mutation forcée entraîne de graves désavantages pour lui et remet totalement en cause sa vie familiale, d’autant plus qu’il a construit sa maison près de son lieu de travail et que le fait de travailler à Arsdorf l’éloignerait de 5o km de son domicile et qu’il ne peut de ce fait plus déjeuner à midi ensemble avec son épouse. Cette situation entraînerait des coûts importants (voiture, essence, déjeuners etc.) du fait qu’il a été affecté, au vu de sa situation personnelle, dans un des relais les plus éloignés du pays.
Dans son mémoire en duplique, l’Entreprise des Postes et Télécommunications expose que le relais d’Arsdorf ne fonctionnait qu’avec des remplaçants et qu’il était donc dans l’intérêt du service d’y nommer un titulaire permanent. Elle ajoute que le relais de Reisdorf n’était pas encore attribué au moment où elle proposait à Monsieur ALLES, par lettre du 3 juin 1997, de choisir entre un des quatre relais y énumérés, en notant qu’elle ne comprenait pas pourquoi Monsieur ALLES n’a pas voulu saisir la chance d’être nommé à Reisdorf. Enfin, elle affirme encore que les relais de Dahlheim et de Dippach n’étaient pas vacants en date du 3 juin 1997, mais qu’elle était néanmoins prête à les proposer à Monsieur ALLES sachant qu’ils seront déclarés vacants sous peu.
La loi ne prévoyant pas de recours de pleine juridiction en matière de changement d’affectation, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision du 26 juin 1997.
En revanche, le recours de droit commun en annulation, introduit en ordre subsidiaire, régulier par rapport aux exigences de forme et de délai, est recevable.
Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que la décision litigieuse serait entachée d’illégalité pour insuffisance de motivation, n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort des pièces figurant au dossier que tant la décision elle-même que la lettre antérieure du 3 juin 1997 adressée au demandeur ensemble avec l’interrogatoire du 28 mars 1997 mené par deux enquêteurs de l’Entreprise des Postes et Télécommunications dans le cadre de l’enquête administrative effectuée aux bureaux de Walferdange et de Lorentzweiler au cours duquel il a été entendu au sujet des différents problèmes se posant dans les bureaux des Postes en question, tel que cela ressort de l’annexe 4 du rapport d’enquête du 14 avril 1997 adressé au directeur général de l’Entreprise des Postes et Télécommunications, indiquent de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications s’est basé pour justifier sa décision, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur (cf. C.E.
30 avril 1993, GASPAR VIEGAS N° 8731 du rôle).
5 L’existence de motifs ayant été vérifiée, il s’agit d’analyser la justification au fond du changement d’affectation de Monsieur ALLES décidé par le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications.
En vertu de l’article 6, alinéa 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, applicable au personnel de l’Entreprise des Postes et Télécommunications « le fonctionnaire peut faire l’objet d’un changement d’affectation, avec ou sans changement de résidence. Par changement d’affectation il y a lieu d’entendre l’assignation au fonctionnaire d’un autre emploi correspondant à la fonction dont il est investie au sein de son administration.
Le changement d’affectation peut intervenir d’office dans l’intérêt du service ou à la demande de l’intéressé; il est opéré par le chef de l’administration dont le fonctionnaire relève. » Le paragraphe 5, alinéa 1er du même article 6 dispose que « les changements d’affectation, …. opérés d’office ne peuvent comporter l’attribution au fonctionnaire concerné d’un emploi inférieur en rang ou en traitement; avant toute mesure, le fonctionnaire concerné doit être entendu en ses observations ».
Il en découle que l’autorité compétente peut, en-dehors du cas où l’intéressé a sollicité un changement d’affectation, décider d’office que la personne en question soit affectée dans un autre service, à partir du moment où cette mutation intervient soit dans l’intérêt du service dans lequel la nouvelle affectation doit être faite soit dans celui du service où il était affecté avant sa mutation. La liberté d’appréciation dont dispose l’administration pour décider un changement d’affectation d’un fonctionnaire se trouve donc limitée par la preuve à apporter par l’employeur que l’intérêt de l’un des deux services en question justifie le changement d’affectation projeté. En outre, le changement d’affectation ne doit avoir aucune influence sur le rang, le traitement et la carrière du fonctionnaire concerné.
Le changement d’affectation peut notamment être effectué afin de remplir une vacance d’emploi dans un service de l’administration compromettant le fonctionnement du service en question et à laquelle il n’est pas possible de pourvoir par un autre moyen. Il peut également être motivé par le caractère public pris par des différends d’ordre privé et constituer ainsi une mutation dans l’intérêt du service.
En tout état de cause, les changements d’affectation peuvent être décidés d’office, même en l’absence du consentement de l’intéressé.
Cependant, le changement d’affectation ne doit en aucun cas comporter pour l’intéressé un préjudice disproportionné par rapport à l’intérêt du service. Ainsi l’administration doit tenir compte, dans une certaine mesure, de la situation particulière du fonctionnaire concerné dans la mesure où l’intérêt du service ne s’en trouve pas compromis.
Comme les changements d’affectation peuvent soit être motivés par un intérêt du service soit revêtir un caractère disciplinaire, le juge administratif peut être amené à vérifier si un changement d’affectation ne cache pas en réalité une sanction disciplinaire.
Afin de déterminer s’il s’agit d’une sanction disciplinaire déguisée, le tribunal administratif ne s’arrête pas à la lettre de la mesure prise par l’administration, mais lui restitue, s’il y a lieu, sa véritable qualification, pour sanctionner le cas échéant l’absence de garanties 6 disciplinaires. A cette fin, le tribunal doit s’interroger sur les effets de la mesure (existence d’une atteinte à la situation professionnelle du fonctionnaire) et sur ses motifs (grief contre le fonctionnaire). Il y a lieu de qualifier la mesure prise de sanction administrative à partir du moment où la nature de la mesure est essentiellement répressive en ce sens qu’elle a pour objet de punir le manquement du fonctionnaire à l’une de ses obligations professionnelles. Elle est alors fondée sur des griefs ou des fautes qui lui sont reprochés.
Il appartient encore au juge administratif, dans le cadre d’un recours en annulation, d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision critiquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement cette décision et de contrôler si elle n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Le tribunal est tout d’abord amené à vérifier si le changement d’affectation est justifié par l’intérêt de l’un des deux services concernés.
En ce qui concerne le service dont faisait partie Monsieur ALLES avant son changement d’affectation, il ressort des pièces et informations soumises au tribunal, que les relations entre Monsieur ALLES, d’une part, et, d’autre part, certains membres du personnel des bureaux de Walferdange et de Lorentzweiler se sont dégradées au fil des années. Le résultat de l’enquête administrative menée suite à une décision prise par le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications, qui ressort du rapport fait en date du 14 avril 1997 au directeur général de l’Entreprise des Postes et Télécommunications, amène le tribunal à constater qu’il existe une mésentente grave entre différents membres du personnel de ces bureaux, due non seulement au comportement de Monsieur ALLES, mais également à celui d’autres membres du personnel de ces deux bureaux, ce qui a pour conséquence une mauvaise ambiance et des dysfonctionnements au sein de ce service. Cette situation est aggravée par le fait que la préposée du bureau des Postes de Walferdange, qui est le chef du service, est mariée avec Monsieur ALLES, le facteur-comptable du relais des Postes de Lorentzweiler. Cette situation causerait, d’après d’autres membres du personnel, une situation intenable.
Il n’appartient pas au tribunal de prendre position par rapport aux différents griefs formulés de part et d’autre alors que pour les besoins des présentes, il suffit de constater que le fonctionnement du service est entravé du fait qu’il existe une mésentente grave entre plusieurs membres du personnel, qui empêche un fonctionnement harmonieux et efficace du service en question. Etant donné que l’Entreprise des Postes et Télécommunications doit, comme tout employeur, veiller au bon fonctionnement de ses services, il lui appartient de prendre les mesures qui s’imposent afin de rétablir une situation acceptable pour tous.
Le tribunal est encore amené à constater qu’indépendamment des différentes causes qui sont à l’origine de la mésentente existant aux bureaux de Walferdange et de Lorentzweiler, sur lesquelles le tribunal n’entend pas prendre position au vu notamment de leur gravité toute relative, en retenant simplement que les relations humaines et professionnelles existant entre différents membres du personnel des bureaux en question sont loin d’être satisfaisantes, les liens du mariage existants entre Monsieur ALLES, facteur-comptable au relais de Lorentzweiler et Madame ALLES-HIPPERT, préposée du bureau de Walferdange, peuvent légalement justifier, à eux seuls, un changement d’affectation de l’un des deux partenaires afin d’éviter une situation qui peut se révéler être difficile lorsque l’un des partenaires constitue le supérieur hiérarchique de l’autre. L’intérêt du service auquel Monsieur ALLES était affecté 7 avant sa mutation, justifie partant la mesure prise, telle que celle-ci a d’ailleurs été proposée dans le rapport d’enquête du 14 avril 1997, précité.
Pour le surplus, le tribunal constate que l’intérêt du service dans lequel Monsieur ALLES était nouvellement affecté justifie, à son tour, la mesure prise. En effet, il importe de retenir qu’il n’est pas contesté que le poste de facteur-comptable auprès du relais d’Arsdorf était vacant depuis un certain temps et qu’il ne fonctionnait qu’avec des remplaçants, alors que des tentatives antérieures d’engagement d’un titulaire permanent étaient restées sans résultat.
L’intérêt du service afférent du relais d’Arsdorf autorisait donc l’Entreprise des Postes et Télécommunications à exiger que le poste de facteur-comptable auprès du relais d’Arsdorf soit occupé par un titulaire permanent.
Il résulte des considérations qui précèdent, que, objectivement, les intérêts des deux services en question pouvaient en l’espèce légalement justifier la mesure du changement d’affectation prise à l’encontre de Monsieur ALLES.
Monsieur ALLES fait encore valoir que la mesure prise à son encontre serait en réalité une sanction déguisée, étant donné qu’il lui serait reproché un comportement intolérable à l’égard de ses collègues de travail. Le tribunal est toutefois amené à constater que ni le rapport de l’enquête administrative du 14 avril 1997 ni la lettre adressée en date du 3 juin 1997 à Monsieur ALLES, ne mentionnent une quelconque faute professionnelle commise par Monsieur ALLES, qui pourrait être à la base d’une éventuelle décision de le sanctionner pour son comportement considéré comme étant intolérable par d’autres collègues de travail. Au contraire, la lettre précitée du 3 juin 1997 mentionne expressément l’intérêt du service comme étant à l’origine du changement d’affectation proposé par le comité de direction. Cette motivation est d’ailleurs confirmée par une lettre du 11 juillet 1997 adressée au mandataire de Monsieur ALLES. Par ailleurs, il ne ressort d’aucun élément du dossier que la mesure du changement d’affectation prise à l’encontre de Monsieur ALLES pourrait être considérée comme constituant une sanction disciplinaire déguisée. L’argument afférent du demandeur doit partant être écarté.
Le tribunal constate encore que la formalité procédurale prévue par le paragraphe 5, alinéa 1er de l’article 6 de la loi précitée du 16 avril 1979, a été respectée dans la mesure où Monsieur ALLES a été invité, par lettre du 3 juin 1997, à faire parvenir ses observations éventuelles au sujet du changement d’affectation projeté en indiquant le cas échéant sa préférence pour l’un des quatre relais des Postes énumérés dans la lettre en question et qu’il a, par lettre du 10 juin 1997, fait parvenir, par l’intermédiaire de son mandataire, ses observations à l’Entreprise des Postes et Télécommunications. Par conséquent, Monsieur ALLES a été entendu en ses observations, tel qu’exigé par les dispositions légales précitées.
En principe, lorsqu’elle décide une mesure de changement d’affectation de l’un de ses fonctionnaires, l’administration doit tenir compte, dans une certaine mesure, de la situation particulière propre au fonctionnaire en question, pour autant que cela n’aille pas à l’encontre de l’intérêt du service. D’une manière générale, le changement d’affection ne doit pas porter préjudice au fonctionnaire en question et la mesure doit être proportionnée par rapport à l’intérêt du service.
En l’espèce, il n’est pas contesté que Monsieur ALLES ne subit aucun préjudice quant à son traitement, son grade et ses chances d’avancement du fait de son changement d’affectation. Toutefois, il est indéniable que Monsieur ALLES a été affecté au relais le plus éloigné à la fois du relais où il était affecté antérieurement et de son domicile, alors que trois autres relais avaient été antérieurement envisagés par l’Entreprise des Postes et 8 Télécommunications comme lieux d’affectation de Monsieur ALLES, qui se trouvent tous à une distance largement inférieure. Le tribunal constate que le relais d’Arsdorf, auquel il a été affecté, se situe à 50 km de son domicile et que ceci a pour conséquence que sa vie familiale risque d’être perturbée et qu’il subit en outre un préjudice financier et une perte de temps libre non négligeables du fait des trajets qu’il doit faire afin de se rendre à son nouveau lieu de travail. Du fait de ce préjudice causé à Monsieur ALLES, la mesure prise par le comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications consistant dans le changement d’affectation de Monsieur ALLES du relais de Lorentzweiler à celui d’Arsdorf, est disproportionnée par rapport aux effets recherchés afin de garantir le bon fonctionnement du service. Ce préjudice est d’autant plus injustifié qu’au moment où l’Entreprise des Postes et Télécommunications projetait de faire changer Monsieur ALLES d’affectation, trois autres relais étaient vacants ou étaient sur le point de devenir vacants, et qui se trouvaient tous beaucoup plus près de son domicile.
Le changement d’affectation décidé dans le cas d’espèce n’est donc pas légalement justifié dans la mesure où, nonobstant le fait qu’il a été pris dans l’intérêt du service, a pour conséquence un préjudice injustifié à subir par Monsieur ALLES et le recours est partant à déclarer fondé.
Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure présentée par l’Entreprise des Postes et Télécommunications est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
déclare recevable et fondé le recours en annulation;
partant annule, pour excès de pouvoir, la décision du comité de direction de l’Entreprise des Postes et Télécommunications du 26 juin 1997;
renvoie l’affaire devant ledit comité;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure;
condamne l’Entreprise des Postes et Télécommunications aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 16 février 1998 par le vice-président, en présence du greffier.
9 Legille Schockweiler greffier vice-président 10