N° 10576 du rôle Inscrit le 19 février 1998 Audience publique du 20 février 1998
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Recours formé par Monsieur … ALOYA contre le ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement
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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 février 1998, par Maître Gilbert HELLENBRAND, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assisté de Maître Stéphane MAAS, avocat inscrit à la liste II du même tableau, au nom de Monsieur … ALOYA, actuellement sans état, de nationalité angolaise, actuellement placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 février 1998, prolongeant d’un mois une mesure de placement, instituée par décision ministérielle du 12 janvier 1998, à son égard;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal le 20 février 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Stéphane MAAS en remplacement de Maître Gilbert HELLENBRAND et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Par décision du ministre de la Justice du 12 janvier 1998, notifiée à Monsieur … ALOYA, de nationalité angolaise, en date du 12 janvier 1998, celui-ci a été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.
Par décision ministérielle du 9 février 1998, la mesure de placement a été prorogée pour une nouvelle durée maximum d’un mois, à partir de sa notification. Ladite décision lui fut notifiée le 11 février 1998.
La décision de prorogation de son placement est fondée sur les considérations et motifs suivants: « Considérant que l’intéressé a été contrôlé dans le train par la DICCILEC alors qu’il était en possession d’un passeport falsifié;
- que l’entrée en France lui a été refusée;
- qu’il est démuni de toutes pièces d’identité et de voyage valables;
- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels;
- qu’il se trouve en situation irrégulière au Grand-Duché;
1 - que le danger existe qu’il essaye de se soustraire à son éloignement;» Par requête déposée le 19 février 1998, Monsieur ALOYA a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de prorogation de son placement.
Il fait valoir que la décision entreprise ne serait pas fondée, dès lors qu’il n’entend pas se soustraire à un rapatriement vers son pays d’origine, mais, au contraire, qu’il coopère avec les autorités luxembourgeoises dans les démarches requises pour obtenir un passeport angolais en vue de son rapatriement.
Il soutient en outre que la condition d’une « nécessité absolue » exigée par l’article 15 (2) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère pour prolonger une mesure de placement ferait défaut, au motif que le ministre de la Justice ne démontrerait pas avoir fait, pendant la période de placement écoulée, les diligences nécessaires pour lui faire délivrer un passeport angolais. Dans ce contexte, le demandeur reproche plus précisément au ministre d’avoir omis pendant tout ce temps de contacter l’ambassade angolaise aux prédites fins.
Le demandeur invoque encore la violation de l’article 15 (1) de la loi précitée du 28 mars 1972, dès lors qu’il ne serait pas établi que les circonstances de fait auraient empêché une prise de contact avec les autorités angolaises en vue de la délivrance d’un passeport.
En ordre subsidiaire, pour le cas où la mesure de prolongation du placement serait jugée justifiée en principe, il demande la réformation de la décision entreprise en ce qu’elle ordonne son placement dans un établissement pénitentiaire et il sollicite à être placé dans un établissement approprié, c’est-à-dire un « centre où il serait certes encadré étroitement, mais où il ne serait pas traité comme un détenu ».
Le délégué du gouvernement oppose en premier l’irrecevabilité du recours au motif que l’identité du demandeur ne serait pas établie et que l’article 1er de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière contentieuse devant le Conseil d’Etat prévoit que la requête introductive doit indiquer entre autres les noms des parties.
A titre subsidiaire, le délégué expose que le 10 janvier 1998 les autorités françaises ont demandé aux autorités luxembourgeoises de reprendre le demandeur qui, lors d’un contrôle dans le train Luxembourg-Thionville a été trouvé en possession d’un passeport portugais falsifié et que, le 11 janvier 1998, il a fait l’objet d’une mesure de rétention au Centre Pénitentiaire de Luxembourg sur ordre du parquet, suivie d’une mesure de placement audit Centre Pénitentiaire par décision ministérielle du 12 janvier 1998 en attendant son rapatriement.
Il relève encore qu’en l’absence de pièce d’identité valable, les empreintes digitales du demandeur ont été prises et que le ministre a sollicité le 9 février 1998 auprès de l’ambassade de la République de l’Angola à Bruxelles la délivrance d’une pièce permettant au demandeur de rentrer dans son pays d’origine.
2 Au fond, le représentant étatique soutient que les conditions pour un refoulement et un placement du demandeur sont remplies, étant entendu que le demandeur a été remis aux autorités luxembourgeoises sans qu’il ait pu donner des preuves sur son identité, qu’il ne disposait pas de moyens d’existence et qu’un rapatriement vers l’Angola était impossible.
Il soutient que le reproche tiré de ce que le ministre n’aurait pas pris dans l’immédiat un contact avec l’ambassade de l’Angola ne serait pas fondé.
Quant à l’endroit du placement, le délégué soutient que le placement au Centre Pénitentiaire est justifié parce que l’identité du demandeur serait inconnue, qu’il n’a pas de moyens d’existence nécessaires pour subvenir à ses besoins et qu’il est en aveu de séjourner au Luxembourg sous une fausse identité, sans permis de séjour et en travaillant sans permis de travail.
Il convient en premier lieu d’examiner le moyen d’irrecevabilité du recours introductif d’instance soulevé par le délégué du gouvernement tiré de ce que l’identité du demandeur ne serait pas établie.
Aux termes de l’article 5 paragraphe 4 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée au Luxembourg par une loi du 29 août 1953 « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant le tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».
En l’espèce, même si l’identité du demandeur n’est pas établie, le prédit article lui confère le droit à un recours effectif devant le tribunal administratif, compétent d’après l’article 15(9) de la loi précitée du 28 mars 1972, afin de statuer, en tant que juge du fond, en matière de décisions de placement prises par le ministre de la Justice, étant donné qu’au moment de l’introduction de son recours, il était privé de sa liberté en se trouvant incarcéré au Centre Pénitentiaire de Luxembourg. Le moyen d’irrecevabilité est partant à abjuger.
Le recours en réformation contre la décision ministérielle entreprise du 9 février 1998, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.
L’article 15 alinéa 1er de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que, lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois. L’article 15 alinéa 2 ajoute que la décision de placement peut être reconduite à deux reprises pour la même durée d’un mois, en cas de nécessité absolue.
Il en découle que tant une décision de placement qu’une décision de prorogation d’un placement au sens des dispositions précitées présupposent une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.
Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de Monsieur ALOYA est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, peut être prise, «sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à 3 résidence, … «2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour; (…) 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis; (…) ».
Il convient donc en premier lieu de vérifier la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement et de prorogation d’un placement.
Il ressort d’un procès-verbal de la Police Judiciaire de la République Française du 10 janvier 1998, établi au sujet du demandeur, que celui-ci, pour entrer en France, a déclaré se nommer VARELO BARRADO Célestino et a présenté un passeport portugais altéré et falsifié;
qu’il a déclaré être sans domicile fixe et qu’il vivait clandestinement au Luxembourg depuis mars 1997; qu’il a encore déclaré que le prédit passeport ne lui appartenait pas et ne correspondait pas à son identité réelle; qu’il l’a acheté, en janvier 1997, au Portugal pour transiter à travers l’Espagne et la France pour gagner le Luxembourg et qu’il en aurait fait usage depuis lors; qu’il a encore déclaré avoir occupé divers emplois « au noir » au Luxembourg.
Il ressort encore d’un procès-verbal du Service de la Police Judiciaire de la gendarmerie grand-ducale du 27 janvier 1998 qu’en date du 12 janvier 1998, le demandeur a confirmé avoir quitté le Portugal en mars 1997 pour venir au Luxembourg; qu’il aurait séjourné depuis lors clandestinement au Luxembourg; qu’il a refusé de donner des précisions quant à son lieu de résidence effectif et quant à son entourage, qu’il a déclaré ne jamais avoir eu de passeport de son pays d’origine, l’Angola.
Il se dégage de ces constatations que Monsieur ALOYA se trouvait dans une situation qui justifiait son éloignement du territoire en vertu de l’article 12, 4) de la loi précitée du 28 mars 1972.
Les conditions de forme et de fond pour un refoulement étaient partant remplies à son égard.
La mesure de placement attaquée n’est cependant légalement admissible que si le refoulement ne peut être mis à exécution en raison d’une circonstance de fait.
Or, comme le demandeur n’était pas en possession d’un passeport valable, son rapatriement était matériellement impossible dans l’immédiat sans l’accomplissement de formalités supplémentaires auprès des autorités de son pays d’origine en vue de l’obtention d’un passeport ou d’un laissez-passer, de sorte qu’il a valablement pu être estimé qu’une circonstance de fait a rendu impossible l’exécution de la mesure d’éloignement.
Il convient encore de préciser que le reproche quant à l’inactivité des autorités luxembourgeoises n’est pas fondé, étant donné qu’il ressort du dossier que les empreintes digitales du demandeur ont été prises le 12 janvier 1998 en vue de l’établissement de son identité réelle, que le ministre de la Justice a contacté les autorités angolaises en date du 9 février 1998 en vue de la délivrance d’un titre d’identité ou d’un laissez-passer permettant son rapatriement vers l’Angola et que l’ambassade de la République d’Angola a accusé réception de ce courrier le 17 février 1998, tout en informant les autorités luxembourgeoises qu’un représentant de l’ambassade entendait se rendre au Centre Pénitentiaire le 20 février 1998 pour 4 rencontrer le demandeur. Par ailleurs, le simple retard des autorités luxembourgeoises à contacter l’ambassade de l’Angola n’est pas à lui seul de nature à vicier la décision entreprise, d’autant plus qu’il ressort du dossier que le demandeur a déclaré avoir personnellement entamé des démarches aux mêmes fins.
Une mesure de placement, surtout au Centre Pénitentiaire, ne se justifie cependant qu’au cas où il existe encore, dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision de refoulement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieur.
En l’espèce, il échet de relever qu’il ressort des deux procès-verbaux précités que le demandeur est en aveu d’avoir séjourné au Luxembourg depuis mars 1997 sans être en possession d’une autorisation de séjour valable.
Il ressort également du dossier qu’il a fait usage d’un faux passeport pendant tout le temps qu’il a séjourné au pays et qu’il refuse de donner des précisions quant à son lieu de résidence effectif.
Il existe partant, dans le chef du demandeur, un risque de fuite de nature à compromettre ultérieurement la mesure de rapatriement. Cette conclusion ne saurait être énervée par la simple affirmation du demandeur qu’il ne s’opposerait pas à un rapatriement dans son pays d’origine.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours laisse à être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Campill, premier juge Mme. Lenert, premier juge Monsieur Schroeder, juge et lu à l’audience publique extraordinaire du 20 février 1998, par M. Campill, premier juge, en présence du greffier.
s. Legille s. Campill 5