N° 10391 du rôle Inscrit le 31 octobre 1997 Audience publique du 11 mars 1998
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Recours formé par Monsieur … LATIC contre le ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10391 et déposée le 31 octobre 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Luc GONNER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … LATIC, de nationalité yougoslave, demeurant à …, tendant à l’annulation de deux décisions du ministre du Travail et de l’Emploi intervenues respectivement les 30 juillet et 22 septembre 1997, la première refusant de lui accorder le permis de travail sollicité, et la seconde rejetant un recours gracieux exercé contre la première décision;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 janvier 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Jean-Luc GONNER au greffe du tribunal administratif le 16 février 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jean-Luc GONNER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 17 février 1997, Monsieur … WAGNER, agriculteur, demeurant à… , a déclaré à l’administration de l’emploi, ci-après dénommée « ADEM », une vacance de poste pour un ouvrier agricole. Suite à cette déclaration, l’ADEM lui a assigné cinq candidats.
Le 27 février 1997, Monsieur WAGNER a engagé Monsieur … LATIC, de nationalité yougoslave, en qualité d’ouvrier agricole avec un salaire mensuel brut de 45.000.- francs pour une durée de travail de 45 heures par semaine.
Par déclaration d’engagement non datée, entrée à l’ADEM le 26 mars 1997, Monsieur WAGNER a introduit une demande en obtention d’un permis de travail en 1 faveur de Monsieur … LATIC. Cette déclaration mentionne comme date d’entrée en service de Monsieur LATIC le 27 février 1997.
Le permis de travail fut refusé à Monsieur LATIC par arrêté du ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après le « ministre », du 30 juillet 1997, aux motifs suivants:
« 1. pour des raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi; 2. priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen (E.E.E.); 3. occupation irrégulière depuis le 27 février 1997; 4. des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place et 5 personnes ont été assignées à l’employeur ».
Le recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur LATIC le 7 août 1997, a été rejeté à son tour le 22 septembre 1997 aux motifs suivants: « (…) La loi m’accorde le pouvoir de refuser le permis de travail s’il existe des motifs réels qui ont trait à la situation, à l’évolution et à l’organisation du marché de travail.
La situation du marché de l’emploi luxembourgeois est malheureusement mauvaise dans la mesure où fin juillet 1997, il y avait 5.857 demandeurs d’emploi inscrits aux bureaux de placement de l’administration de l’emploi, contre 5.089 fin juillet 1996 et 4.598 fin juillet 1995. La même situation et une évolution similaire peuvent être constatées dans les autres Etats membres de l’Union Européenne. En outre, l’emploi d’ouvrier agricole ne nécessitant aucune qualification particulière, 2.163 demandeurs d’emploi étaient concrètement disponibles sur place au moment de la prise de décision.
Dans ces conditions, et eu égard à nos engagements d’accorder une priorité aux ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne, je considère qu’il est nécessaire de refuser le permis de travail luxembourgeois à Monsieur LATIC.
Finalement, quant à votre argument que les fermiers luxembourgeois préfèrent engager un domestique étranger bien motivé plutôt qu’une personne envoyée par l’administration de l’emploi mais non-candidate à un travail dur et pénible, je tiens à préciser qu’aucune disposition légale n’oblige le ministre du Travail et de l'Emploi à accorder le permis de travail dans de telles circonstances si, par ailleurs, il existe des motifs ayant trait au marché de l’emploi qui recommandent un refus.
La situation actuelle sur le marché luxembourgeois décrite ci-avant, de même que les motifs indiqués dans l’arrêté ministériel du 30 juillet 1997 me conduisent à refuser le permis de travail de Monsieur LATIC ».
Par requête déposée le 31 octobre 1997, Monsieur LATIC a introduit un recours en annulation contre les décisions précitées du ministre. Le demandeur soutient que les motifs indiqués par le ministre ne correspondraient ni à la réalité ni au critère de précision requis par la loi.
Il fait valoir plus particulièrement que les motifs invoqués par le ministre ne permettraient de refuser un permis de travail qu’à condition de se référer avec précision à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi existant au moment 2 où la décision est prise. La décision de refus devrait également être motivée d’après les éléments objectifs tirés du marché de l’emploi. Il estime que les deux premiers motifs invoqués par le ministre à l’appui de son refus ne répondent pas au critère de précision requis et ne sauraient dès lors légalement justifier la décision émise.
Il considère que le motif de l’occupation irrégulière depuis le 27 février 1997 ne serait pas une raison valable pour refuser un permis de travail, dès lors que précisément depuis cette date, il aurait entrepris les démarches nécessaires en vue d’obtenir un permis de travail.
Il conteste en dernier lieu la disponibilité concrète des demandeurs d’emploi assignés par l’ADEM pour le poste d’ouvrier agricole. Il fait valoir qu’il appartient à l’employeur de décider quel candidat est le mieux approprié pour occuper le poste vacant, alors qu’attribuer de telles prérogatives au ministre reviendrait à lui permettre de s’immiscer dans les pouvoirs de l’employeur quant à l’organisation de son entreprise.
Le délégué du gouvernement soutient que le refus d’accorder un permis de travail au demandeur serait basé sur une motivation à la fois légale, réelle et suffisante et qu’elle répondrait par ailleurs aux exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes.
Dans ce contexte, il fait valoir en premier lieu que le ministre peut refuser le permis de travail s’il existe des motifs réels qui ont trait à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi. Or, tant la situation sur le marché luxembourgeois que sur le marché européen de l’emploi, avec un taux croissant de chômage et avec de nombreuses demandes de travail émanant surtout d’ouvriers non qualifiés, permettraient de prendre une telle décision. Le demandeur n’aurait dès lors pas pu se méprendre sur le sens à apporter au premier motif invoqué par le ministre à l’appui de sa décision de refus. Il précise encore que dans la mesure où la fonction d’ouvrier agricole ne nécessite aucune qualification particulière, tous les ouvriers non qualifiés entrent en ligne de compte pour occuper le poste en question. Or, fin juillet 1997, 2.042 ouvriers non qualifiés auraient été inscrits comme demandeurs d’emplois aux bureaux de placements publics.
Le représentant étatique relève en deuxième lieu que la priorité à l’emploi des ressortissants de l’EEE constitue une obligation imposée aux Etats membres de l’Union européenne par le droit communautaire et qu’en cas de non respect de cette obligation, l’Etat luxembourgeois risquerait d’être sanctionné par la Cour de justice des communautés européennes suite à un recours en manquement.
En ce qui concerne le motif de l’occupation irrégulière du demandeur depuis le 27 février 1997, il se réfère aux dispositions des articles 9 de la loi du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’ADEM et portant création d’une commission nationale de l’emploi et 4 du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, pour conclure qu’aucun contrat d’emploi n’aurait légalement pu se former au mépris de ces dispositions.
3 Il relève en dernier lieu, que des demandeurs d’emploi appropriés étaient disponibles sur place et que cinq personnes avaient été assignées à l’employeur.
A titre subsidiaire, le représentant étatique fait ajouter que le demandeur ne dispose pas d’une autorisation de séjour au Luxembourg. Ce dernier se trouverait dès lors en situation illégale au Luxembourg, situation qui serait à assimiler à celle d’un travailleur recruté à l’étranger. L’employeur n’aurait dès lors pas respecté les dispositions de l’article 16 de la loi précitée du 21 février 1976, prohibant le recrutement de main-d’oeuvre à l’étranger sans autorisation préalable de l’ADEM.
Il conclut qu’il résulterait des considérations qui précèdent que l’arrêté ministériel du 30 juillet 1997 remplit le critère de motivation requis par l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur estime que les précisions fournies par le délégué du gouvernement dans son mémoire ne pourraient pas être prises en compte pour justifier après coup la décision de refus.
Il fait ajouter que s’il est vrai que le taux de chômage est en augmentation dans tous les pays européens, il serait également constant que la plupart des personnes au chômage ne seraient pas disposées à accepter un travail agricole.
En ce qui concerne l’assignation de cinq personnes par l’ADEM, le mandataire de Monsieur LATIC fait valoir qu’aucun des candidats ainsi envoyés n’aurait trouvé l’approbation de l’employeur, qui aurait par ailleurs clairement indiqué sur les formulaires remis par l’ADEM les raisons pour lesquelles il n’était pas disposé à engager telle ou telle personne. Si besoin était, il demande au tribunal d’ordonner la production de ces pièces.
En termes de plaidoiries, le litismandataire de Monsieur LATIC a confirmé que ce dernier était entré en service auprès de Monsieur WAGNER en date du 27 février 1997, mais que le contrat de travail a entre-temps été résilié et qu’il a quitté le pays au courant du mois de décembre 1997.
Un recours de pleine juridiction n’étant pas prévu en la matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Le reproche d’une absence ou insuffisance de motivation des décisions attaquées est à abjuger, dès lors que l’arrêté ministériel attaqué ensemble avec le complément de motivation fourni par la décision confirmative indiquent de manière suffisamment détaillée les motifs en droit et en fait sur lesquels l’administration s’est basée pour justifier sa décision de refus d’accorder le permis de travail sollicité, de sorte que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la portée à attribuer aux décisions litigieuses.
Au voeu de l’article 28 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1. l'entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l'emploi de la main-
d'oeuvre étrangère, et de l’article 1er du règlement grand-ducal précité du 12 mai 4 1972, seuls les travailleurs ressortissant d’un des pays membres des communautés européennes sont dispensés de la formalité du permis de travail et bénéficient au même titre que les nationaux de la priorité d’embauche par rapport aux travailleurs ressortissant d’Etats non membres de l’Union européenne.
Un étranger non ressortissant de l’Union européenne ou de l’E.E.E doit donc être autorisé conformément aux dispositions du règlement grand-ducal précité du 12 mai 1972 à occuper un emploi sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg. Les motifs pouvant justifier le refus d’octroyer un permis de travail sont énoncés à l’article 27 de la loi précitée du 28 mars 1972 ainsi qu’à l’article 10 (1) du règlement grand-
ducal précité du 12 mai 1972 qui dispose que « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés aux travailleurs étrangers pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité d’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».
En l’espèce, le ministre a basé sa décision notamment sur la considération que des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles pour occuper l’emploi déclaré vacant par Monsieur WAGNER. En effet, l’ADEM, informée de la vacance de poste en date du 17 février 1997, a assigné cinq candidats à l’employeur. L’administration a dès lors, a priori, rapporté la preuve de la présence de main-d’oeuvre disponible et prioritaire.
Le demandeur fait contester la disponibilité concrète des demandeurs assignés par l’ADEM à l’employeur en affirmant que « les personnes envoyées par l’ADEM ne sont pas des candidats à un travail dur et pénible et se présentent à contre-coeur chez le patron pour un emploi qu’ils répugnent ». Cependant, il ne suffit pas de contester par des affirmations générales la disponibilité concrète des demandeurs d’emploi, mais il incombe à l’employeur de prouver concrètement en quoi les candidats proposés par l’ADEM ne correspondent pas au profil légitimement prétracé par lui, surtout en prenant en considération que l’emploi d’ouvrier agricole ne nécessite aucune qualification particulière.
Il ressort d’un récapitulatif des assignations, versé en cours de délibéré de l’accord des parties par le délégué du gouvernement, que deux formulaires d’assignation n’ont pas été retournés par Monsieur WAGNER à l’ADEM et qu’un formulaire indiquait comme motif de refus que le poste était déjà occupé par un autre demandeur, en l’espèce par Monsieur LATIC qui travaillait sans permis de travail au Grand-Duché au mépris des dispositions légales et réglementaires en vigueur.
L’employeur n’a dès lors pas précisé concrètement les raisons qui permettraient de justifier sa décision de ne pas embaucher les personnes assignées. Au moins pour ces trois assignations, le demandeur reste en défaut de prouver que l’employeur pouvait, pour des motifs légitimes, refuser les candidats proposés par l’ADEM. Au vu 5 des explications qui précèdent, le reproche que le ministre s’immiscerait dans l’organisation de l’entreprise de l’employeur est également à écarter.
Le ministre du Travail et de l'Emploi a dès lors légalement pu invoquer le motif que des demandeurs d’emploi étaient disponibles sur place pour justifier sa décision de refus.
Etant donné que la décision se justifie pour le motif analysé ci-dessus, l’examen des autres motifs, sur lesquels le ministre a encore basé sa décision de refus du 30 juillet 1997, confirmée en date du 22 septembre 1997, devient surabondant et le recours en annulation est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 11 mars 1998 par le président, en présence du greffier.
s. Legille s. Ravarani greffier président 6