N° 10481 du rôle Inscrit le 30 décembre 1997 Audience publique du 18 mars 1998
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Recours formé par Monsieur … SKRIJELJ contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10481 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 décembre 1997 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Patrick GRAFFE, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … SKRIJELJ, demeurant …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 novembre 1997 rejetant sa demande d’admission au statut de réfugié politique;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Patrick GRAFFE et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 13 novembre 1996, Monsieur … SKRIJELJ, de nationalité yougoslave, a oralement sollicité la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention».
Monsieur SKRIJELJ a été entendu en dates des 13 et 15 novembre 1996 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande et sur l’itinéraire emprunté pour se rendre au Luxembourg. A la demande de la commission consultative pour les réfugiés, il a fait l’objet d’une audition complémentaire par un agent du ministère de la Justice le 18 juillet 1997.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 16 octobre 1997, le ministre de la Justice a informé Monsieur SKRIJELJ, par lettre datée du 26 novembre 1997, notifiée le 3 décembre 1997, que sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été rejetée aux motifs suivants: «(…)Vous invoquez des problèmes que [vous] auriez eus à l’école ainsi qu’à l’armée. Suite à une bagarre avec des soldats serbes, vous auriez décidé de quitter votre pays.
En premier lieu, l’infraction d’insoumission dont vous faites état ne saurait être considérée comme persécution politique au sens de la Convention de Genève.
En outre, les persécutions et craintes que vous alléguez ne sont pas d’une gravité telle que la vie vous serait, à raison, intolérable dans votre pays.
Ainsi, une crainte justifiée d’une persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.(…) ».
Par requête déposée le 30 décembre 1997, Monsieur SKRIJELJ a introduit un recours en réformation contre cette décision ministérielle de non-reconnaissance du statut de réfugié politique, au motif que la décision ne serait pas fondée, étant entendu qu’elle ne tiendrait pas compte des éléments de fait et de droit ayant existé au moment où la décision a été prise.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours, au motif que le recours ne mentionnerait pas avec suffisamment de précision les motifs pour lesquels la décision entreprise serait irrégulière et, par conséquent, qu’il ne serait pas possible de déceler l’objet du recours.
Concernant le fond, il expose que le seul motif exposé à l’appui de la demande d’admission au statut sollicité, à savoir une situation d’insoumission et les poursuites pénales subséquentes, ne justifierait pas une crainte de persécution au sens de la Convention.
COMPETENCE ET RECEVABILITE Aux termes de l’article 13 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, un recours en réformation est ouvert devant les juridictions administratives contre les décisions de refus du ministre de la Justice statuant sur le bien-fondé d’une demande d’asile. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit par le demandeur.
Quant au moyen d’irrecevabilité invoqué par le délégué du gouvernement, en ce que le recours n’indiquerait pas avec suffisamment de précision les motifs sur lesquels il est fondé, il échet de relever que l’article 1er de l’arrêté royal grand-ducal du 21 avril 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat, applicable devant le tribunal administratif, puisque maintenu en vigueur par l’article 98 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose que le recours doit contenir l’exposé sommaire des faits et des moyens ainsi que les conclusions du demandeur.
En l’espèce, s’il est vrai que le demandeur reste extrêmement sommaire dans l’exposé des faits et moyens, il convient toutefois de constater que, dans sa requête 2 introductive d’instance, il sollicite la réformation de la décision ministérielle entreprise, moyennant octroi du statut de réfugié politique, au motif que le ministre aurait méconnu la situation de fait et de droit ayant existé au moment où il a pris sa décision négative. La requête précise donc à la fois l’objet de la demande et un moyen juridique, tiré de l’erreur d’appréciation des faits voire de la violation de la loi.
Le moyen d’irrecevabilité du recours est partant à déclarer non fondé.
Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
QUANT AU FOND Aux termes de l’article premier, section A, 2. de la Convention, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait craindre d’y être persécuté.
En l’espèce, lors de ses auditions des 13 et 15 novembre 1996 ainsi que du 18 juillet 1997, Monsieur SKRIJELJ, originaire du Monténégro, a fait valoir, d’une part, que, fin septembre 1994, il aurait été renvoyé de la section spéciale pour la formation des policiers de l’école VUK KARADJIZ de Podgoriza, parce qu’il est musulman et que la direction de ladite école estimait que, après avoir terminé ses études, il irait s’établir en Bosnie et, d’autre part, pendant l’accomplissement de son service militaire, qu’il a commencé le 18 septembre 1996, un soldat serbe l’aurait provoqué en raison de sa religion musulmane, lui aurait jeté une assiette remplie de nourriture au visage et l’aurait menacé, avec un couteau à la main, de le tuer; que, le lendemain, ce soldat ainsi que d’autres soldats serbes auraient déclenché une bagarre, lors de laquelle il n’aurait cependant pas été blessé. Suite à cet incident, un soldat serbe, qui était devenu son ami, lui aurait conseillé de s’enfuir pour éviter une escalade de la situation; qu’il aurait suivi ce conseil, et, après avoir demandé un congé de deux jours, il ne serait plus retourné à la caserne, mais, avec l’aide de sa famille, il aurait quitté son pays pour se réfugier au Luxembourg.
Même si le récit du demandeur relatif à son renvoi de l’école de police en 1994 a trait à des pratiques certainement condamnables, ce fait, indépendamment du fait qu’il est antérieur de plus de 2 ans au départ du demandeur, n’est cependant pas d’une gravité telle - même à le supposer établi - qu’il justifie une crainte de persécution au sens de la Convention.
3 Concernant le deuxième volet de l’exposé des faits du demandeur, l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinons politiques, ainsi que le prévoit le prédit article premier, § 2, de la section A de la Convention (cf. C.E. du 7 mai 1996, no 9526 du rôle). Par conséquent, la seule crainte du demandeur des poursuites et des peines infligées du chef d’insoumission ou de désertion ne constitue non plus, en elle-même, une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention.
Les raisons que le demandeur fait valoir pour justifier sa désertion, à les supposer établies, sont insuffisantes pour établir qu’il existait un danger sérieux pour sa personne.
Il ressort des considérations qui précèdent, que l’administration a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention.
Il s’ensuit que le refus d’accorder le statut de réfugié au demandeur ne contrevient pas aux dispositions prévues par la Convention.
Le recours en réformation est partant à écarter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 16 mars 1998, par le vice-président, en présence du greffier.
4 s. Legille s. Schockweiler greffier vice-président 5