N° 10501 du rôle Inscrit le 12 janvier 1998 Audience publique du 18 mars 1998
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Recours formé par Monsieur … KABONGO contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête déposée le 12 janvier 1998 au greffe du tribunal administratif par Maître Jacques WOLTER, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KABONGO, de nationalité zaïroise, résidant actuellement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 janvier 1998 l’informant de ce que le Luxembourg s’est déclaré incompétent pour traiter sa demande tendant à se voir reconnaître le statut de réfugié politique;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur en date du 16 février 1998;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé le 13 février 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Jacques WOLTER et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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Monsieur … KABONGO, de nationalité zaïroise, a quitté Kinshasa en date du 16 mai 1997 pour arriver en date du 27 août 1997 à Hendaya en Espagne, en passant par le Togo et le Maroc. Il a ensuite transité par Paris en date du 30 août 1997 pour se rendre au Luxembourg où il est arrivé le 2 septembre 1997.
Il a introduit devant le ministre de la Justice, en date du 4 septembre 1997, une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
1 Par lettre du 10 novembre 1997 à l’adresse de l’office de l’asile et des réfugiés du ministère de l’Intérieur espagnol, le ministre luxembourgeois de la Justice sollicita la reprise de Monsieur KABONGO par l’Espagne, afin que celle-ci se charge du traitement de sa demande d’asile, au motif qu’en vertu de l’article 6 de la Convention relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres des Communautés européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990 et approuvée par une loi luxembourgeoise du 20 mai 1993, ci-après dénommée « la Convention de Dublin », l’Espagne serait le pays responsable pour traiter ladite demande d’asile, étant donné que l’intéressé est entré sur le territoire espagnol en date du 27 août 1997.
Le 18 décembre 1997, l’office de l’asile et des réfugiés précité reconnaissait la compétence de l’Espagne en vue du traitement de la demande d’asile présentée par Monsieur KABONGO et marqua son accord avec la reprise par l’Espagne du demandeur d’asile en question, sur base de l’article 6 de la Convention de Dublin.
Le ministre de la Justice informa Monsieur KABONGO, par lettre du 6 janvier 1998, notifiée le 12 janvier 1998, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants: « … en vertu des dispositions de l’article 6 de la Convention d’application de l’Accord de Dublin, ce n’est pas le Grand-Duché de Luxembourg mais l’Espagne qui est responsable du traitement de votre demande d’asile.
Le Grand-Duché de Luxembourg n’étant pas compétent pour examiner votre demande, je regrette de ne pas pouvoir réserver d’autre suite à votre dossier ».
La remise de Monsieur KABONGO aux autorités espagnoles en date du 12 janvier 1998, s’est avérée impossible, étant donné qu’il a refusé d’embarquer sur le vol à destination de Madrid.
Par arrêté ministériel du 12 janvier 1998, le ministre de la Justice a décidé de placer Monsieur KABONGO au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig pour une durée maximum d’un mois au motif que son rapatriement immédiat n’était pas possible, alors que l’intéressé a refusé d’embarquer dans l’avion et de permettre ainsi son refoulement vers Madrid le 12 janvier 1998. Ledit arrêté ministériel mentionne par ailleurs que l’intéressé ne disposait pas de moyens d’existence, qu’il était démuni de tout document d’identité et de voyage valables et qu’il se trouvait en situation irrégulière au Grand-Duché.
Par requête déposée le 12 janvier 1998, Monsieur … KABONGO a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle du 6 janvier 1998.
Le demandeur reproche tout d’abord au ministre de ne pas avoir tenu compte de l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans la mesure où, d’un côté, l’administration n’aurait pas procédé à son audition et où, d’un autre côté, la commission consultative pour les réfugiés n’aurait pas émis un avis, alors que ces obligations résulteraient clairement des articles 8 et 10 de la loi précitée.
Il fait ensuite critiquer une motivation insuffisante de la décision du 6 janvier 1998, au motif qu’elle n’indique ni la disposition légale sur laquelle elle est fondée ni si les conditions d’application de l’article 8 de la loi précitée du 3 avril 1996 sont remplies.
2 Il estime encore que la décision attaquée violerait l’article 16, plus particulièrement l’article 16-1 ainsi que l’article 32 de la Convention de Genève, en faisant valoir que la décision en question violerait le principe des droits de la défense en ce que, du fait de la décision de le remettre aux autorités espagnoles « quelques minutes » après avoir reçu notification de la décision litigieuse, il n’aurait eu aucune possibilité d’exercer un recours effectif contre la décision « d’expulsion ». Dans ce contexte, il invoque également une violation de l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en se basant sur le fait que son avocat n’aurait pas reçu une copie de la décision d’incompétence du 6 janvier 1998, en estimant que l’avocat devrait recevoir toutes les communications destinées à son client.
Le demandeur soutient par ailleurs que la décision attaquée violerait les articles 5.4 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 5 novembre 1950, approuvée par une loi du 29 août 1953, dénommée ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme », en ce qu’il aurait été dans l’impossibilité d’empêcher judiciairement l’exécution de la mesure administrative consistant dans sa remise aux autorités en vue de son transfert aux autorités espagnoles.
Enfin, il reproche à la décision de violer l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3.
l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, en ce que cet article énumérerait limitativement les cas dans lesquels un étranger pourrait être refoulé par la police sur simple constatation d’un procès-verbal et que l’hypothèse dans laquelle il se serait trouvé, à savoir son éloignement décidé par les autorités luxembourgeoises sur base de la Convention de Dublin en vue de le remettre aux autorités espagnoles, ne serait pas prévue par ce texte légal et que partant une procédure simplifiée telle que prévue par l’article 12 en question, décidée par le ministre, n’aurait pas pu avoir lieu et il aurait appartenu au ministre de lui remettre une décision administrative et de le prévenir à l’avance de la date de son départ.
Quant à la prétendue violation de l’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996, le délégué du gouvernement expose que l’article 10 en question se référerait uniquement aux articles 8 et 9 de la loi et non pas à l’article 7 sur base duquel la décision litigieuse a été prise.
Il conclut par ailleurs au rejet du moyen tiré du défaut de motivation de la décision querellée, au motif que celle-ci se réfère explicitement à l’article 6 de la Convention de Dublin, et qu’elle serait partant suffisamment motivée. Pour le surplus, il fait valoir qu’il serait de jurisprudence constante que l’absence ou l’insuffisance de motivation, à la supposer établie, ne saurait entraîner l’annulation de la décision alors qu’il serait admis que l’administration puisse fournir les motivations a posteriori sur demande de l’intéressé et le cas échéant au cours d’une procédure contentieuse.
Concernant le reproche du demandeur tiré de la violation des droits de la défense, il rétorque que ni les articles 16 et 32 de la Convention de Genève, ni les articles 5.4 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme n’auraient été violés, étant donné que le demandeur aurait eu la possibilité d’intenter un recours contre la décision d’incompétence du ministre de la Justice. Il fait en outre valoir qu’étant donné que l’hypothèse de l’article 7 de la loi précitée du 3 avril 1996 ne serait pas visée par les articles 10 et 13 de la même loi, un 3 recours dirigé contre une décision d’incompétence n’aurait pas d’effet suspensif sur l’exécution de la mesure prise.
Enfin, en ce qui concerne une prétendue violation de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, il estime que la décision d’incompétence du Luxembourg et de remise aux autorités espagnoles ne constituerait pas une décision d’éloignement d’un étranger au sens de ladite disposition légale, mais qu’il s’agirait simplement d’un transfert de responsabilité pour l’examen d’une demande d’asile par un Etat autre que celui dans lequel le demandeur d’asile a sollicité le statut de réfugié politique. D’une manière générale, le délégué est d’avis que les procédures prévues par la loi précitée du 3 avril 1996 constitueraient des exceptions légales par rapport aux règles générales relatives aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers telles que fixées par la loi précitée du 28 mars 1972.
Il ressort des éléments du dossier, que le ministre de la Justice s’est basé sur l’article 7 de la loi précitée du 3 avril 1996, ainsi que sur l’article 6 de la Convention de Dublin, pour se déclarer incompétent.
Ni l’article 7 précité, ni aucune autre disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en la matière, seul un recours de droit commun en annulation a pu être formé devant le tribunal administratif.
En effet, en vertu de l’article 2 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation est ouvert contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements.
Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Quant au moyen invoqué par le demandeur en vertu duquel le ministre aurait dû procéder à son audition conformément à l’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996, le tribunal constate que la décision attaquée a été prise sur base de l’article 7 de la loi du 3 avril 1996, qui dispose que « si, en vertu d’engagements internationaux auxquels le Luxembourg est partie, un autre pays est responsable de l’examen de la demande, le ministre de la Justice surseoit à statuer sur la demande jusqu’à décision du pays responsable sur la prise en charge », ainsi que sur base de l’article 6 de la Convention de Dublin, dont l’alinéa 1er a la teneur suivante: « lorsque le demandeur d’asile a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, en provenance d’un Etat non-membre des Communautés européennes, la frontière d’un Etat membre par lequel il peut être prouvé qu’il est entré, ce dernier Etat est responsable de l’examen de la demande d’asile ».
Le demandeur estime que nonobstant le fait que l’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 entend limiter son champ d’application aux articles 8 et 9 de la même loi, il s’appliquerait également à l’article 7 de cette loi, au motif que l’article 8 ne serait qu’un complément à l’article 7, en ce qu’il contiendrait les conséquences juridiques découlant des conditions d’application fixées par l’article 7 et que les objets des deux articles seraient identiques, à savoir la prise en charge des demandeurs d’asile par un pays tiers.
4 Or, les articles 7 et 8 en question poursuivent des objectifs différents dans la mesure où l’article 8, auquel une référence expresse est faite par l’article 10 de la loi, vise l’hypothèse dans laquelle le demandeur d’asile a déjà obtenu une protection ou a eu la possibilité réelle de solliciter une protection dans un pays tiers d’accueil avant de formuler sa demande au Luxembourg. Le pays tiers d’accueil est donc à considérer comme étant un pays qui soit a déjà marqué son accord quant à une protection à offrir au demandeur d’asile, soit, en vertu de sa législation nationale, a de fortes chances d’aviser favorablement une demande éventuelle formulée par le demandeur en vue d’obtenir sa protection. Cette protection ne vise pas des situations dans lesquelles une personne séjourne de facto dans un pays, et ceci de manière plus ou moins clandestine, mais des situations où le demandeur d’asile au Grand-Duché bénéficie plus que d’une simple tolérance de séjour, mais d’un droit d’entrer et de séjourner dans le pays tiers, sans toutefois bénéficier nécessairement d’un titre de séjour (cf. doc. parl. 3806-6, avis complémentaire du Conseil d’Etat du 11 octobre 1995, page 2). L’article 8 vise donc, à côté de l’article 7, un autre des trois cas prévus par la loi, dans lesquels les demandes ne sont pas analysées quant au fond. En effet, il ressort clairement des travaux parlementaires et notamment du rapport de la commission juridique de la Chambre des Députés (cf. doc. parl.
3806-11, rapport du 31 janvier 1996, pages 8, point 3 et 10, point 3.4) que le législateur a voulu distinguer trois cas de figure différents, dans lesquels les demandes sont écartées à un premier stade de la procédure, à savoir les demandes pour lesquelles le Luxembourg est incompétent, les demandes irrecevables pour cause de pays tiers d’accueil et les demandes manifestement infondées, en faisant ressortir tout aussi clairement que les règles procédurales visées à l’article 10 ne visent que les deux dernières hypothèses. La commission juridique affirma même que pour les cas visés par l’article 7, la consultation de la commission consultative n’est pas requise, en indiquant également qu’à son avis, dans une telle hypothèse, il n’y aurait pas lieu de prendre une décision (ibid. page 10, point 3.4.).
Dans son avis du 29 mai 1995, la commission consultative pour les réfugiés a clairement pris position en estimant que la décision de transférer la responsabilité de l’examen de la demande d’asile à un autre Etat, en vertu d’engagements internationaux, ce dernier ayant marqué son accord en vue de la reprise du demandeur d’asile, ne constituerait pas une décision d’irrecevabilité et, par conséquent, cette hypothèse ne saurait être visée par l’article 8 de la loi précitée du 3 avril 1996, qui a exclusivement pour objet de déterminer à partir de quel moment les demandes d’asile sont à considérer comme étant irrecevables, alors que l’article 7 de la loi a pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles le Luxembourg doit se déclarer incompétent pour le traitement d’une demande d’asile. Dans son avis précité, la commission consultative a par ailleurs ajouté qu’ «en cas de communication d’une décision de prise en charge, la demande d’asile n’a plus à faire l’objet d’une autre décision et le transfert du demandeur se fait (conformément aux engagements internationaux). Si, par contre, l’Etat refuse la prise en charge, l’examen de la demande est repris » (cf. doc. parl. 3806-4, pages 2 et 3).
A la suite notamment des remarques formulées par la commission consultative, la question de la responsabilité internationale du traitement des demandes d’asile a été réglée dans un nouveau projet d’article 7 et, contrairement au projet de l’article 14 initialement proposé par le gouvernement, le législateur a décidé de ne pas considérer ces demandes comme étant irrecevables à partir du moment où il existe un pays tiers qui, conformément aux engagements internationaux, a marqué son accord avec la reprise d’un demandeur d’asile.
5 Il ressort par ailleurs du commentaire des amendements adoptés par la commission juridique de la Chambre des Députés, que celle-ci s’est entièrement ralliée à la suggestion faite par la commission consultative, en retenant notamment qu’ « en cas de communication d’une décision de prise en charge, la demande d’asile devient sans objet » (cf. doc. parl. 3806-5, page 2, ad. 3 et 3806-11, rapport de la commission juridique du 31 janvier 1996, page 8, ad.
3.1.).
Le législateur a donc voulu appliquer des règles procédurales différentes aux demandes visées par l’article 8, par opposition à celles visées par l’article 7 de la loi, en spécifiant que le demandeur doit être entendu dans les seuls cas visés par les articles 8 et 9 de la loi (cf. doc.
parl. 3806-11, page 10, point 3.4.). Ce raisonnement est conforté par le fait qu’au cours de l’élaboration de la loi, les sanctions attachées aux deux types de décision ont été différenciées dans la mesure où dans le projet de loi initial, seule l’irrecevabilité de la demande avait été prévue comme sanction pour les deux cas de figure prévus par les articles 7 et 8 actuels, et que, dans le texte finalement retenu par le législateur, l’irrecevabilité est seulement maintenue au titre de l’article 8, alors que l’article 7 ne prévoit plus qu’un sursis à statuer, en permettant au Grand-Duché de revenir sur l’affaire, au cas où la reprise n’est pas accordée par un Etat membre de la Convention de Dublin, en lui permettant alors d’analyser le fond du dossier (ibid.
page 14, ad. article 7 (ancien projet d’article 14) et 3806-5 dépêche du président de la Chambre des Députés au premier ministre du 18 juillet 1995, page 2, ad. 3).
L’article 7 se limite à déterminer les suites que le ministre de la Justice devra réserver à une demande d’asile au sujet de laquelle ce dernier peut estimer qu’un autre Etat devra procéder à son analyse quant au fond. Cet article doit être lu ensemble avec les engagements internationaux auxquels il est fait référence, et plus particulièrement ensemble avec la Convention d’application de l’Accord de Schengen, ci-après dénommée la « Convention de Schengen », et la Convention de Dublin, qui sont toutes les deux en vigueur.
C’est donc à tort que le demandeur fait valoir que l’article 8 ne serait qu’un complément à l’article 7 de la loi précitée du 3 avril 1996, alors que les deux articles poursuivent des objectifs différents. Partant, ce moyen est à abjuger, étant donné que le ministre de la Justice n’a pas dû procéder à une audition du demandeur et recueillir l’avis de la commission consultative pour les réfugiés, tels que prévus à l’article 10 de la loi.
Le moyen d’annulation invoqué par le demandeur consistant à soutenir que la décision ministérielle attaquée serait entachée d’illégalité pour insuffisance de motivation est également à abjuger comme étant non fondé, étant donné que la décision du 6 janvier 1998 indique de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision d’incompétence, et ces motifs ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur d’asile.
Les deux moyens invoqués par le demandeur tenant à la prétendue violation, par le ministre de la Justice, de l’article 16 et plus particulièrement des articles 16.1. et 32 de la Convention de Genève et des articles 5.4. et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, ont tous les deux pour objet d’établir que le demandeur n’a pas eu la possibilité de contester judiciairement la décision attaquée et d’éviter ainsi légalement son « refoulement » vers l’Espagne.
6 Le paragraphe 1er de l’article 16 de la Convention de Genève dispose que « tout réfugié aura, sur le territoire des Etats Contractants, libre et facile accès devant les tribunaux ». L’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme a la teneur suivante: « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
Le demandeur fait exposer que contrairement à ces articles, il n’aurait disposé d’aucune possibilité d’exercer un recours effectif contre la mesure prise par le ministre de la Justice à son encontre. Le tribunal est toutefois amené à constater que, d’un côté, le fait qu’il se trouve saisi d’un litige introduit par le demandeur à l’encontre de la décision d’incompétence du ministre de la Justice prouve que le demandeur a pu exercer le recours adéquat tel que prévu par la loi et que, d’un autre côté, même si la décision d’incompétence du Luxembourg et de prise en charge par les autorités espagnoles avait été exécutée, tel que prévu initialement, en date du 12 janvier 1998, il aurait pu exercer un recours contre la décision en question à partir de l’Espagne, étant donné que sa présence au Luxembourg n’est aucunément requise pour pouvoir exercer un recours effectif tel que prévu par les dispositions précitées résultant des conventions internationales. Les droits de la défense du demandeur n’ont donc pas été violés et le moyen afférent est à abjuger.
L’article 32 de la Convention de Genève, également invoqué par le demandeur à l’appui du moyen précité, ne saurait trouver application en l’espèce, étant donné qu’il vise exclusivement l’hypothèse de l’expulsion d’un réfugié vers un Etat tiers et que la décision d’incompétence prise par le Luxembourg ne saurait être qualifiée de décision d’expulsion au sens de l’article 32 précité. En effet, par mesure d’expulsion, il y a lieu d’entendre une mesure de police administrative ayant pour objet d’enjoindre à un étranger de quitter le territoire.
Alors que cette mesure a simplement pour but de reconduire un étranger à l’une des frontières nationales, la décision d’incompétence du Luxembourg prise conformément aux engagements internationaux légalement pris par le Luxembourg, constitue la première des décisions par lesquelles le Luxembourg transmet, en accord avec l’autorité destinataire, un dossier à cette autre autorité, en vue de son traitement, dont le corollaire nécessaire et indispensable constitue la remise de l’intéressé par les autorités nationales aux autorités étrangères compétentes. Il ne s’agit donc pas d’une simple mise hors de la frontière nationale, mais d’une décision d’incompétence et de remise à une autorité étrangère suivant une procédure légalement prévue.
Le moyen ayant trait à une violation de l’article 5.4. de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale », doit être rejeté, étant donné que le tribunal n’est pas saisi d’un recours dirigé contre une mesure d’arrestation ou de détention, mais d’un recours ayant pour objet de contester la régularité et le bien-fondé d’une décision d’incompétence des autorités luxembourgeoises en vue du traitement de la demande d’asile présentée par Monsieur KABONGO.
Quant au moyen invoqué par le demandeur en ce que le ministre de la Justice aurait violé l’article 10 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, qui dispose en son alinéa 2 qu’ « en cas de désignation d’un mandataire, l’autorité adresse ses communications à celui-
ci…. », il échet de constater que cette règle d’ordre procédural ne constitue pas une formalité 7 prévue à peine de nullité de la procédure. S’il est vrai qu’en l’espèce l’administration avait connaissance, notamment à la suite d’une lettre envoyée en date du 11 décembre 1997 par le mandataire du demandeur au ministère de la Justice, que Monsieur KABONGO avait chargé un avocat de la défense de ses intérêts, il ressort du dossier et notamment des explications fournies par le litismandataire lors des plaidoiries, que ce dernier a eu connaissance de la décision prise par le ministre de la Justice le jour où celle-ci a été portée à la connaissance de son mandant et que partant il a été en mesure d’assister utilement ce dernier et de le conseiller en vue de la défense de ses intérêts. Il est d’ailleurs établi en l’espèce que le litismandataire a pu éviter, ensemble avec son mandant, que ce dernier soit remis aux autorités espagnoles tel que cela était initialement prévu par l’administration luxembourgeoise. Une violation des droits de la défense n’a donc pas eu lieu en l’espèce et partant ce moyen est à déclarer non fondé.
Le moyen tiré de la violation de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 est également à abjuger, étant donné que la décision d’incompétence du Luxembourg en vertu notamment de l’article 6 de la Convention de Dublin et de l’article 7 de la loi précitée du 3 avril 1996, ne constitue pas une mesure d’éloignement telle que visée par l’article 12 précité et que, par ailleurs, la base légale de la décision attaquée, à savoir la Convention de Dublin et la loi précitée du 3 avril 1996, est suffisante et n’oblige pas le ministre de se référer également à l’article 12 précité pour fonder sa décision. L’article 12 en question vise partant une hypothèse différente de celle prévue à l’article 7 de la loi précitée du 3 avril 1996, qui fait exception aux règles générales relatives aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers au Luxembourg.
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a fait application de l’article 6 de la Convention de Dublin et de l’article 7 de la loi précitée du 3 avril 1996, pour déclarer l’incompétence du Grand-Duché de Luxembourg pour analyser la demande d’asile présentée par Monsieur KABONGO.
Le recours est partant à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs;
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 18 mars 1998, par le vice-président, en présence du greffier.
8 Legille Schockweiler greffier vice-président 9