N° 10113 du rôle Inscrit le 1er juillet 1997 Audience publique du 25 mars 1998
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Recours formé par Monsieur … REUTER, contre l’administration des Contributions directes, en matière d’imposition des non-résidents
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10113 et déposée le 1er juillet 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître François BILTGEN, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … REUTER, demeurant à …, par laquelle est introduit un recours en réformation sinon en annulation du bulletin de fixation des avances trimestrielles de l’impôt sur le revenu, adressé au demandeur le 5 septembre 1996, par le préposé du bureau d’imposition de la ville de …, ayant fixé à …- francs luxembourgeois par trimestre, à partir du 10 mars 1997, les sommes dues à titre d’avances sur l’impôt sur le revenu et, pour autant que de besoin, contre le silence du directeur de l’administration des Contributions directes suite à une réclamation du demandeur du 9 septembre 1996;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 1998;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur le 21 janvier 1998;
Vu les pièces versées en cause et notamment le bulletin critiqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François BILTGEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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Suivant recours contentieux déposé au greffe du tribunal en date du 1er juillet 1997, Monsieur … REUTER critique le bulletin de fixation des avances trimestrielles de l’impôt sur le revenu lui adressé le 5 septembre 1996 et, pour autant que de besoin, le silence du directeur de l’administration des Contributions directes suite à une réclamation de sa part du 9 septembre 1996.
A l’appui de son recours, le demandeur soutient que l’administration des Contributions directes, ci-après « l’administration », continuerait à tort de l’imposer comme résident pleinement imposable, alors qu’il aurait déménagé en Allemagne à … et qu’il y aurait fixé, depuis le 1er mars 1996, son domicile et sa résidence habituelle.
1 Il estime que la preuve de l’effectivité de sa domiciliation en Allemagne ressort des documents produits, à savoir: 1) une copie du virement de son loyer en Allemagne; 2) un certificat de la caisse de maladie allemande; 3) une copie de la « Aufenthaltserlaubnis » pour lui et son épouse; 4) une copie de l’attribution de son numéro fiscal par le « Finanzamt … ».
Il expose passer la plupart de son temps en Allemagne et il estime qu’on ne saurait lui reprocher qu’il « continue à rendre régulièrement visite à ses filles qui demeurent à … et notamment à l’une d’elles qui a repris son ancien Hotel-Restaurant », étant entendu que cela ne saurait équivaloir à une « élection de domicile » au Luxembourg.
Il conclut en premier lieu à l’annulation du bulletin critiqué, au motif que celui-ci manquerait de motivation suffisante pour le mettre en mesure de comprendre la décision et ainsi d’assurer la défense de ses intérêts.
Ensuite, il invoque la violation de l’article 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après dénommée « LIR » et des paragraphes 13 et 14 de la loi d’adaptation fiscale, ainsi qu’une erreur d’appréciation des faits.
Enfin, il soutient que l’administration a commis un excès et un détournement de pouvoirs en refusant de prendre en compte un changement de sa situation de fait.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en annulation introduit en ordre subsidiaire, étant donné que, d’une part, un recours en annulation ne saurait être introduit per saltum et, d’autre part, qu’un recours en réformation est ouvert en la matière.
Quant au recours en réformation, il rétorque que la fixation des avances serait une décision provisoire qui ne prête pas à des recherches approfondies et que la charge de la preuve incomberait au contribuable qui allègue un changement des faits. En l’espèce, cette preuve ne serait pas rapportée, de sorte que le recours manquerait de fondement.
Le demandeur réplique qu’il aurait suffi à sa charge de la preuve en rassemblant des documents laissant présumer que son domicile est établi en Allemagne. Dès lors que l’administration omettrait de combattre utilement cette présomption, son recours serait fondé.
Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
En droit fiscal luxembourgeois, il importe de distinguer entre contribuables résidents et contribuables non résidents, dès lors que les premiers sont, en principe, soumis à une obligation fiscale illimitée en raison de leurs revenus tant de source luxembourgeoise qu’étrangère, tandis que les seconds ne sont imposables que sur les catégories de revenus indigènes déterminées par l’article 156 LIR, c’est-à-dire qu’ils sont soumis à une obligation fiscale limitée.
Conformément à l’article 2 (1) LIR, « les personnes physiques sont considérées comme contribuables résidents ou comme contribuables non résidents, suivant qu’elles ont ou qu’elles n’ont pas leur domicile fiscal ou leur séjour habituel au Grand-Duché.» Les notions de domicile fiscal (« Wohnsitz ») et de séjour habituel (« gewöhnlicher Aufenthalt ») sont définies respectivement par les paragraphes 13 et 14 de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, ci-après dénommée « StAnpG », comme suit:
2 - « Einen Wohnsitz im Sinn der Steuergesetze hat jemand dort, wo er eine Wohnung innehat unter Umständen, die darauf schliessen lassen, dass er die Wohnung beibehalten und benutzen wird » (§ 13 StAnpG);
- « Den gewöhnlichen Aufenthalt im Sinn der Steuergesetze hat jemand dort, wo er sich unter Umständen aufhält, die erkennen lassen, dass er an diesem Ort oder in diesem Land nicht nur vorübergehend verweilt.(…) » (§ 14 StAnpG).
La notion de domicile fiscal est dès lors tributaire de quatre critères: 1° la possession, 2° d’une habitation, 3° la conservation et 4° l’usage de cette habitation. Posséder une habitation veut dire avoir le pouvoir de disposer en droit et en fait d’une habitation, que ce soit de façon directe en qualité de propriétaire, d’usufruitier ou de locataire ou encore de façon dérivée ou indirecte (Hubert DOSTERT, L’impôt sur le revenu (I), in Etudes fiscales N° 50/51, avril 1976, 2.02 et 2.03, p.21 et 22).
Le terme d’habitation présuppose généralement des locaux normalement aménagés et meublés de manière à pouvoir être considérés comme habitation eu égard à la situation de la personne en cause. Mais, la possession d’une habitation ne suffit pas en elle-même pour constituer un domicile fiscal. Il faut de plus que le contribuable conserve et fasse usage de cette habitation (op. cit., 2.04 et 2.05, p.22).
Il reste à préciser que la deuxième notion, à savoir celle de séjour habituel, attache des effets de droit à des faits matériels qui dénotent, dans le chef du contribuable, qu’il séjourne à un endroit ou dans un pays, dans des circonstances qui font apparaître qu’il y reste non seulement à titre passager.
Si l’obligation fiscale illimitée naît du fait que le contribuable dispose au Luxembourg d’une habitation constitutive d’un domicile fiscal ou qu’il y a son séjour habituel, il est dans la logique des choses que cette obligation fiscale illimitée cesse par un départ définitif du pays avec abandon du domicile et du séjour habituel et que le contribuable ne restera imposable, le cas échéant, qu’en raison de ses seuls revenus de source luxembourgeoise.
En l’espèce, il ressort des déclarations de Monsieur REUTER, ensemble les éléments de preuve par lui produits, qu’il a abandonné son domicile luxembourgeois le 1er mars 1996, date à laquelle il a déménagé en Allemagne, qu’il a fixé sa résidence habituelle à … (Allemagne) … et qu’il n’a ni habitation ni séjour habituel au Luxembourg.
S’il est vrai que les pièces produites par le demandeur ne constituent pas des éléments de preuve complètement probants aux yeux du tribunal, il n’en reste pas moins que ses déclarations, ensemble les éléments de preuve par lui apportés, forment un faisceau d’indices qui introduit une probabilité que de simples dénégations de l’administration ne suffisent pas à détruire, mais qui appellent de la part de l’administration une riposte compte tenu des moyens et informations à sa disposition. Comme l’administration reste cependant en défaut d’invoquer et, a fortiori, de prouver le moindre indice tendant à renverser cette apparence, notamment une indication que, suite à son déménagement en Allemagne, le demandeur a conservé et fait usage d’une habitation ou a séjourné habituellement au Luxembourg, les déclarations du contribuable doivent être considérées comme établies.
3 Il suit des développements qui précèdent que le demandeur se trouve placé en dehors des prévisions des paragraphes 13 et 14 StAnpG et que, par voie de conséquence, la réclamation formée par lui contre le bulletin de fixation des avances trimestrielles de l’impôt sur le revenu lui adressé le 5 septembre 1996 est fondée et il y a lieu à réformer le bulletin entrepris en ce qu’il se base sur la considération erronée que le demandeur a la qualité de contribuable résident au Luxembourg.
Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare justifié, dit que c’est à tort que l’administration a fixé, dans le bulletin du 5 septembre 1996, les avances de l’impôt sur le revenu de Monsieur REUTER en considérant ce dernier comme contribuable résident, dit que la fixation des avances trimestrielles de l’impôt sur le revenu est à réformer en ce sens, renvoie le dossier au directeur de l’administration des Contributions directes à l’effet de faire redresser le bulletin entrepris dans le sens du dispositif du présent jugement, met les frais à charge de l’Etat.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Schroeder, juge et lu à l’audience publique du 25 mars 1998, par le vice-président, en présence du greffier.
Legille Schockweiler greffier vice-président 4