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10/01/2024 | LUXEMBOURG | N°49226

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 janvier 2024, 49226


Tribunal administratif N° 49226 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49226 3e chambre Inscrit le 27 juillet 2023 Audience publique du 10 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49226 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2023 par Maître Lukman

ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 49226 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49226 3e chambre Inscrit le 27 juillet 2023 Audience publique du 10 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49226 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2023 par Maître Lukman ANDIC, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 juin 2023 refusant de faire droit à sa demandes en obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 octobre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en sa plaidoirie à l’audience publique du 14 novembre 2023, Maître Lukman ANDIC s’étant excusé.

Le 7 avril 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données AE.VIS, que Monsieur … s’était vu délivrer un passeport d’une validité du 21 mars 2020 au 20 septembre 2020 par les autorités espagnoles.

En date des 16 décembre 2021 et 20 janvier 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 juin 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée le 30 juin 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 7 avril 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite du 7 avril 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 avril 2021 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 16 décembre 2021 et 20 janvier 2022 (ci-après dénommé « rapport d'entretien ») sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être de nationalité turque, d'ethnie Kurde, de confession musulmane et avoir vécu à …, dans la province de Sirnak en Turquie.

Concernant les raisons pour lesquelles vous auriez décidé d'introduire une demande de protection internationale auprès des autorités luxembourgeoises, vous avancez que vous auriez dû quitter votre pays d'origine pour trois motifs, à savoir premièrement votre refus d'effectuer le service militaire, deuxièmement afin de pouvoir poursuivre vos études en médecine et troisièmement en raison de votre appartenance à l'ethnie Kurde, respectivement en raison de vos opinions politiques.

Concernant votre premier motif, à savoir votre refus d'effectuer votre service militaire, vous déclarez être un « déserteur militaire » (p.7/17 de votre rapport d'entretien).

Quant à votre deuxième motif, à savoir votre souhait de poursuivre vos études universitaires, vous déclarez sur votre fiche de motifs que : « Je veux devenir médecin et pas militaire. Je n'arrive pas à obtenir un visa pour l'université ».

Pour ce qui est de votre troisième motif, à savoir votre appartenance à l'ethnie Kurde, respectivement en raison de vos opinions politiques, vous faites état d'un premier incident qui aurait eu lieu en 2010 lors de votre première année d'université à Mersin en Turquie. Vous avancez que vous auriez été agressé physiquement par « des étudiants turcs » (p.10/17 de votre rapport d'entretien).

Suite à cet incident, vous seriez retourné à … où un deuxième incident serait survenu.

Vous déclarez que vous auriez été placé en garde à vue suite à votre participation à un rassemblement lié au Parti démocratique des peuples (…).

Vous auriez par la suite quitté la Turquie en 2011 pour entamer des études en médecine à Sumy en Ukraine.

Vous évoquez une deuxième garde à vue qui aurait eu lieu lors de votre retour en Turquie en 2019 sans néanmoins être à même de donner une quelconque précision quant à la date.

Vous auriez quitté la Turquie en août 2020.

A l'appui de votre demande, vous présentez une carte d'identité turque valable jusqu'au 1er juillet 2027 qui a été soumise pour authentification à l'Unité de Police à l'Aéroport le 8 avril 2021. En date du 10 septembre 2021, votre carte d'identité a été déclarée comme étant authentique. Par le biais de votre avocat, vous avez également remis les documents suivants :

- Une copie d'un document de la République de Turquie, Ministère de la Défense Nationale, Présidence de la Délégation au service militaire, munie d'une traduction;

- une copie d'une lettre de recommandation de la « … » en langue anglaise ;

- une copie d'un certificat médical du 17 janvier 2022 délivré par le docteur …, médecin généraliste.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, votre demande de protection internationale est en premier lieu motivée par votre refus d'effectuer le service militaire.

Il convient tout d'abord de noter qu'un Etat a le droit d'organiser sa défense nationale et peut par conséquent légitimement exiger que ses nationaux accomplissent le service militaire. Le simple fait de ne pas vouloir effectuer son service militaire n'est en principe pas de nature à justifier l'octroi du statut de réfugié.

Il est en effet de principe « qu'une personne ne saurait être considérée comme réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n'a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l'ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Il convient encore de rappeler que la crainte de poursuites et d'un châtiment pour désertion ou insoumission ne peut servir de base à l'octroi du statut de réfugié que s'il est démontré que le demandeur se verrait infliger, pour l'infraction militaire commise, une peine d'une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques v. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, précité, §§ 167 et ss). En outre, des personnes peuvent invoquer des raisons de conscience pour justifier leur opposition au service militaire d'une force telle que la peine prévue pour l'insoumission ou la désertion puisse être assimilée à une persécution du fait de ces raisons de conscience ».

Or, Monsieur, force est de constater que vous n'établissez pas que votre refus d'effectuer le service militaire serait motivé par un conflit personnel grave et insurmontable entre l'obligation de servir dans l'armée et votre conscience ou vos convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre.

Il y a lieu de souligner dans ce contexte que vous échouez d'expliquer en quoi consisteraient précisément vos convictions profondes qui motiveraient votre refus d'effectuer votre service militaire.

Vous déclarez en effet: «Je suis contre la guerre et je refuse de me battre. Je fais de (sic) études de médecine donc je ne veux pas tuer des gens. Je ne comprends pas cette mentalité.

Il n'y a pas d'égalité. Si vous êtes obligé de vous cacher, il n'y a pas de liberté. C'est comme cela que je le perçois. J'ai des amis qui ont été ou service militaire et qui sont revenus dévastés.

Si j'y vais, ils vont m'envoyer en Syrie ou en Iraq. Ils partent là-bas et tuent des gens. C'est insensé de partir sous les ordres de quelqu'un pour aller tuer des gens. Je ne comprends pas pour quelles raisons ils tuent des gens. Je suis contre la guerre. Je suis persuadé qu'on peut tout résoudre en parlant. Je n'ai jamais porté d'armes et je ne le ferais jamais » (p.7/17 de votre rapport d'entretien).

Vous répétez à plusieurs reprises vouloir devenir médecin et vouloir aider les gens :

« Je veux être médecin et aider des victimes, c'est cela mon but. Je veux aider les gens » (p.9/17 de votre rapport d'entretien) et que vous vous opposez à la « guerre » : « Que ce soit pour un Kurdistan ou pour la Turquie, je n'irais pas au service militaire. J'y suis complètement opposé.

Le service militaire ou la guerre, le concept est le même partout et j'y suis opposé » (p.9/17 de votre rapport d'entretien). Vous répétez également à de maintes reprises que vous ne voulez pas « tuer des gens »: Je ne veux rien avoir avec l'armée, ni avec le service militaire. Je ne veux même pas être médecin pour l'armée. Cela va à l'encontre de mes principes. Nous avons été élevés avec le respect de la vie dans notre famille. Il est inconcevable pour moi de tuer quelqu'un même sur ordre. La vie est sacrée. Ce n'est pas mon rôle d’enlever la vie à quoi que ce soit » (p.15/17 de votre rapport d'entretien).

Or, le simple fait de ne pas vouloir effectuer votre service militaire, ou encore le fait que vous ne voulez pas porter d'armes, ne saurait pas justifier votre refus d'effectuer le service militaire, et a fortiori, l'octroi du statut de réfugié dans votre chef.

A toutes fins utiles, il reste à ajouter que le service militaire n'implique pas nécessairement le devoir de participer à un conflit armé. Dans ce sens, il y a lieu de soulever:

« During the previous reporting period, conscripts were in principle not deployed in combat operations. According to a source, this information is still current ».

Questionné sur les possibles conséquences de votre refus, vous déclarez : « J'ai refusé de me présenter pour mon service militaire. Si je retourne, ils vont m'emmener faire mon service militaire. Je me ferais tabasser. Je ne veux pas aller au combat. Il y avait un délai qui est venu à terme et je ne me suis pas présenté » (p.7/17 de votre rapport d'entretien) et vous continuez par déclarer « Je serais placé en garde à vue et je pourrais être mis en prison. Ils peuvent me frapper. Je pourrais être condamné à payer une amende. Tout est possible. On pourrait m'envoyer à un endroit où je me prendrais une balle perdue. Je refuse d'y aller, je n'irais pas me battre, je suis pour le dialogue. Je ne me battrais pas » (p.8/17 de votre rapport d'entretien).

Monsieur, il convient de soulever que les sanctions en vigueur en cas d'insoumission se résument majoritairement à des amendes administratives. Par ailleurs, « un insoumis ne peut être emmené de force au service militaire ». En ce qui concerne votre crainte d'être placé en garde à vue, en cas d'arrestation, un insoumis « peut être conduit au bureau militaire d'où il sera libéré à l'issue de la procédure. De la même manière, lors du premier contrôle et en l'absence de procédure judiciaire, ne peut en principe pas être placé en garde à vue pour insoumission ».

Force est donc de constater qu'il n'est pas établi que vous risqueriez une sanction disproportionnée, voire discriminatoire du fait de votre refus d'effectuer le service militaire.

Il s'ensuit que votre refus d'effectuer le service militaire ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié dans votre chef.

Monsieur, votre demande de protection internationale est deuxièmement motivée par votre souhait de reprendre vos études universitaires.

En effet, vous déclarez lors de votre entretien avec l'agent de la Police Judiciaire en date du 7 avril 2021 que vous seriez arrivé au Luxembourg en début de septembre 2020 et que vous auriez travaillé quelques mois sur le territoire luxembourgeois avant d'introduire votre demande de protection internationale. Quant aux motifs liés à votre demande de protection internationale, vous déclarez « Ich habe zuerst gearbeitet um Geld meiner Famille zu schicken, ich bin aber nach Luxemburg gekommen um Asyl zu beantragen. Mein eigentliches Ziel ist es in Luxemburg zu studieren ».

La même motivation ressort clairement de votre fiche de motifs du 7 avril 2021: « J'ai un problème lié au service militaire. Je veux devenir médecin et pas militaire. Je n'arrive pas à obtenir un visa pour l'université ».

Questionné lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes sur le but de votre visite au Luxembourg, vous confirmez une nouvelle fois votre souhait de continuer vos études et de trouver un travail : « Mon objectif principal est de finir mes études de médecine et de pouvoir travailler par la suite et d'être utile » (p.6/17 de votre rapport d'entretien). Convié à indiquer clairement les raisons pour lesquelles vous avez quitté votre pays, vous reconfirmez votre déclaration quant à votre souhait de poursuivre vos études « Les études et le service militaire sont les raisons principales » (p.14/17 de votre rapport d'entretien).

Or, Monsieur, le fait de vouloir suivre des études au Luxembourg ne saurait évidemment pas justifier l'octroi du statut de réfugié dans votre chef alors que des considérations de convenance personnelle ne tombent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève.

Votre demande de protection internationale est également motivée par un troisième motif, à savoir des incidents liés à vos opinions politiques, respectivement liés à votre appartenance à l'ethnie Kurde.

Force est tout d'abord de constater que le seul fait d'être d'ethnie Kurde, sinon d'être un opposant politique ne saurait suffire pour se voir octroyer le statut de réfugié. Il s'ensuit que le demandeur doit établir qu'il est personnellement à risque d'être persécuté en cas de retour dans son pays d'origine en raison de son ethnie ou de ses opinions politiques. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

Il convient en effet de constater qu'il ne ressort nullement de vos déclarations que vous seriez politiquement actif, respectivement que vous seriez membre d'un parti politique d'opposition. Vous vous bornez en effet d'expliquer que vous seriez « gauche du spectre politique » (p.7/17 de votre rapport d'entretien) et que « Mon opinion a toujours été en lien avec l'équité et la liberté d'expression. Je veux que les gens puissent s'exprimer sans craintes » (p.10/17 de votre rapport d'entretien).

Vous formulez par ailleurs des déclarations vagues et contradictoires quant à votre appartenance à un parti politique. Ainsi, vous expliquez lors de votre entretien faire partie du parti politique HDP, en déclarant : « Je fais partie du groupe politique HDP. Quand je suis rentré à …, il y avait des rassemblements. J'y participait. Suite à une de ces réunions, la police est venue me chercher. Je me suis retrouvé dons un poste de police en prison » (p11/17 de votre rapport d'entretien). Convié à donner des explications quant à votre adhésion au parti HDP, vous concédez ne pas être un membre : « Je ne suis pas membre actif. J'adhère juste à leurs idées » (p.11/17 de votre rapport d'entretien).

Il échet donc de constater que vous n'établissez pas être un opposant politique actif en Turquie, ce qui permet de relativiser la gravité de votre situation dans votre pays d'origine. Ce constat ne saurait être infirmé par les trois incidents que vous invoquez.

En ce qui concerne les deux incidents de 2010, voire 2011, il convient tout d'abord de noter que vous restez en défaut de faire état de déclarations concises et précises concernant les circonstances ayant entourées ces évènements. Pour ne citer qu'un seul exemple, vous expliquez d'une part que : « Nous étions quelques étudiants avec les même opinions politiques.

Nous nous voyions durant les pauses. D'autres étudiants turcs qui avaient une position politique différente sont venus nous agresser. C'est là que mes dents ont étés cassés et que mon père m'a demandé de rentrer » (p.10/17 de votre rapport d'entretien). Plus tard pendant votre entretien, Vous donnez une autre version des faits en déclarant que vous auriez été sur le chemin de l'université : « C'était en Mars 2010. C'est arrivé quand j'étais en chemin pour aller en cour (sic). Ils étaient déjà en train de se battre avec les autres. Je n'ai rien fait, je n'ai frappé personne. Il y a une entrée. Mes amis étaient déjà présents. Je suis allé les rejoindre. Je n'avais pas remarqué que les autres turcs étaient déjà là sinon je n'y serais pas allé » (p.10/17 de votre rapport d'entretien).

Vous déclarez ainsi dans une première version que les agresseurs seraient venus vers vous lorsque vous vous seriez trouvé en groupe avec « quelques étudiants » tandis que lors du même entretien vous donnez deux autres versions différentes dans une même réponse. Ainsi vous déclarez que lorsque vous vous seriez rendu à l'université, vous auriez aperçu qu'« ils étaient déjà en train de se battre avec les autres » tandis que dans le cadre de la même réponse vous déclarez que vous n'auriez pas vu les agresseurs avant l'attaque. Force est de constater que vous n'êtes pas clair dans vos déclarations lesquelles sont très floues, de sorte qu'il est impossible de savoir ce qui ce serait réellement passé.

Monsieur, étant donné que vous auriez décidé de quitter l'université et de retourner à … suite à cet incident, il serait raisonnable d'attendre de votre part que vous seriez en mesure de donner un récit précis et cohérent d'un incident qui aurait tout de même eu un tournant aussi marquant dans votre vie de jeune adulte.

Le même constat s'impose quant à vos déclarations relatives à l'incident de 2010 ou 2011 alors que vous ne vous souvenez même pas de l'année exacte de survenance de votre prétendu placement en garde-à-vue.

Mis à part le fait que vos déclarations hasardeuses, contradictoires et peu précises des incidents de 2010 et 2011 permettent de remettre en cause la véracité de vos déclarations sur ces points, force est de constater que lesdits incidents datent d'il y a plus de dix ans et sont de ce fait trop éloignés dans le temps pour justifier l'octroi d'une protection internationale en 2023. Ceci est d'autant plus vrai que vous auriez résidé pendant plusieurs années en Ukraine sans entreprendre la moindre démarche en vue de l'obtention d'une quelconque protection.

Vous auriez même décidé de retourner en Turquie en 2019, ce qui prouve que vous auriez vous-

même estimé que la situation dans votre pays d'origine ne serait pas d'une telle gravité à en exclure un retour, voire que vous seriez persécuté dans votre pays d'origine.

Les incidents de 2010, voire 2011 ne sauraient dès lors pas justifier l'octroi du statut de réfugié dans votre chef.

Monsieur, le caractère incohérent et imprécis de votre récit se suit dans votre description du dernier incident dont vous auriez été victime suite à votre retour en Turquie en 2019.

Vous relatez en effet avoir été placé en garde-à-vue et avoir été frappé alors qu' « ils » vous auraient demandé « où mon frère se trouvait ou s'il était à l'étranger » (p.13/17 de votre rapport d'entretien) et « ils m'ont vivement déconseillé de manifester à nouveau. Ils ne voulaient pas que j'exprime mon opinion. Je ne suis pas le seul. Ils prennent régulièrement différentes personnes pour leur mettre la pression et les dissuader » (p.13/17 de votre rapport d'entretien) sans néanmoins fournir un quelconque détail quant aux circonstances de votre garde-à-vue ou quant au lieu et à la date.

Mis à part le fait qu'à nouveau vous restez en défaut de détailler l'année de survenance de cet incident, il ne ressort pas de vos déclarations pourquoi « ils » vous auraient mis en garde-à-vue. Vous déclarez d'une part que la raison aurait été votre « frère » et d'autre part afin de vous décourager de participer à des manifestations.

Se pose d'ailleurs la question de savoir pour quelles raisons vous auriez été arrêté étant donné que vous auriez vécu à l'étranger pendant huit ans sans avoir été politiquement engagé durant votre séjour en Ukraine.

Enfin, vous n'êtes pas à même de préciser le lieu où vous auriez demeuré lors de votre retour en juin 2019 jusqu'à votre départ en août 2020. Vous restez à nouveau très vague en expliquant simplement que : « J'ai dû quitter … pour travailler. Là où je me rendais, il y avait principalement des turcs. Pour éviter des conflits et des bagarres, j'ai décidé de partir » (p.13/17 de votre rapport d'entretien).

Vos déclarations vagues et peu précises permettent une fois de plus de remettre en doute la réalité de vos dires et il semble évident que vous avez inventé cet incident de toutes pièces afin d'augmenter vos chances de vous voir octroyer une protection internationale.

A toutes fins utiles, il convient de signaler que si votre frère était effectivement recherché par les autorités turques, il serait parfaitement légitime pour les autorités turques de vous poser des questions quant à sa demeure. Si vous aviez été « frappé » par les autorités lors de cet interrogatoire, ce qui n'est d'ailleurs nullement prouvé, un tel comportement serait évidemment extrêmement condamnable. Or, force est à nouveau de constater que vous n'auriez, ni porté plainte, ni cherché à trouver de l'aide auprès d'une quelconque instance.

Convié à expliquer si vous aviez porté plainte, vous avancez « Non. Porter plainte signifie avoir des pressions à nouveaux. Je me mettrais dans leur collimateur et m'exposerai à des nouvelles gardes à vue » (p.14/17 de votre rapport d'entretien). Vous continuez par déclarer que vous n'auriez pas demandé de protection auprès d'une autre autorité dans votre pays: « La pression de l’Etat est omniprésente. Les structures civiles ne peuvent pas m'aider. Je suis impuissant. Le gouvernement a sa main dans tous les secteurs » (p.14/17 de votre rapport d'entretien). Or, vos déclarations à ce sujet se résument à de simples allégations et ne justifient en tout état de cause pas votre inaction dans ce contexte.

En effet, vous auriez pu vous adresser au procureur d'Etat afin de déposer une plainte : « In principle, prosecutors can and must investigate all allegations of torture and ill-

treatment ex officio, regardless of an individual complaint, and the Public Prosecutor must follow up all complaints received. Complaints may be brought by victims themselves, by their family or lawyer, by civil society organisations, or by a monitoring mechanism such as the Ombudsman institution ».

Vous auriez par ailleurs pu contacter l'institution turque des droits de l'homme et de l'égalité (National Human Rights and Equality Institution, NHREI) qui est « compétente en matière de « protection des droits de l'Homme, de prévention des violations des droits de l'Homme, de lutte contre la torture et les mauvais traitements, de réception et de traitement des plaintes, d'éducation et de recherche sur les droits de l'Homme » » ou encore le Médiateur national de Turquie : « The purpose of the Turkish Ombudsman Institution is to establish an independent and efficient complaint mechanism regarding the delivery of public services and investigate, research and make recommendations about the conformity of all kinds of actions, acts, attitudes and behaviours of the administration with law and fairness under the respect for human rights. Natural and legal persons including foreign nationals may lodge complaints to the Ombudsman institution ».

Que vous n'avez actuellement aucun problème avec les autorités turques ressort d'ailleurs de vos propres déclarations alors que vous expliquez vous-même : « Non. Mon carier (sic) judicaire est vierge et je reste loin de toute source de conflit » (p.14/17 de votre rapport d'entretien).

Ce constat est d'autant plus vrai que vous déclarez avoir quitté votre pays d'origine de manière légale. Or, il serait raisonnable d'attendre qu'une personne se trouvant dans la ligne de mire des forces de l'ordre soit empêchée de quitter le pays, surtout si elle empreinte des moyens de transport soumis à une surveillance étatique.

A cela s'ajoute que votre comportement ne correspond manifestement pas à celui d'une personne persécutée qui est à la recherche d'une protection internationale, alors qu'une personne persécutée aurait plutôt tendance à introduire une demande de protection internationale dans le premier pays sûr et ceci le plus vite possible.

Or, il y a lieu de rappeler que suite aux incidents de 2010 et 2011, vous avez demeuré en Ukraine pendant huit ans sans que vous auriez à aucun moment entrepris des démarches en vue de l'introduction d'une demande de protection internationale.

Même après le dernier incident en 2019 ou en 2020, plusieurs mois se sont écoulés entre votre entrée sur le territoire luxembourgeois en 2020 et l'introduction de votre demande de protection internationale en 2021, ce qui confirme que vous ne craignez aucune persécution dans votre pays d'origine.

Ainsi, vous déclarez avoir voulu prendre votre temps avant l'introduction d'une demande de protection internationale : « C'est la première fois que j'étais dans un pays étranger, c'est la première fois que je fais une demande d'asile. De plus, comme j'avais un visa, je voulais prendre mon temps. Je suis l'actualité et je vois ce qui se passe avec les demandeurs d'asile, comme en Biélorussie pour l'instant » (p.6/17 de votre rapport d'entretien). Or, vous vous contredisez étant donné que vous déclarez vous-même avoir séjourné pendant plusieurs années en Ukraine dans le cadre de vos études.

A cela s'ajoute que vous avez délibérément menti lors de votre entretien avec l'agent de la Police judiciaire en date du 7 avril 2021. En effet, vous avez dans un premier temps déclaré avoir rejoint le Luxembourg à l'arrière d'un camion. Vous seriez arrivé au Luxembourg après un trajet de deux jours. Vous n'auriez par ailleurs jamais été en possession d'un visa malgré vos démarches dans ce sens. Aucun pays ne vous aurait accordé de visa.

Or, il ressort de votre dossier administratif, que vous aviez bel et bien été en possession d'un visa de courte durée délivré par le Consulat Général d'Espagne à Istanbul en date du 11 mars 2020 et dont la validité s'étendait du 21 mars 2020 au 20 septembre 2020.

Confronté à vos déclarations peu crédibles, vous avez finalement admis avoir menti.

Vous avez par la suite donné une autre version des faits. Il y a néanmoins lieu de soulever que votre second récit est également semé de contradictions et d'incohérences.

Ainsi, vous déclarez que vous seriez entré légalement sur le territoire de l'Union européenne. Lors de votre entretien avec l'agent de la Police Judiciaire, vous déclarez avoir quitté la Turquie fin août 2020 en avion en direction de la Slovénie. Après un séjour d'une journée en Slovénie, vous auriez pris le bus en direction d'Italie. De Milan, vous auriez pris le bus en direction de l'Allemagne pour enfin prendre le train en direction du Luxembourg. Vous déclarez avoir été en possession d'un visa délivré par les autorités espagnoles et que les démarches pour l'obtention de celui-ci auraient été entamées par une entreprise pour laquelle vous auriez travaillé en Turquie. En effet, vous prétendez : « Ich habe für eine Firma in der Türkei gearbeitet, welche das Visum beantragt hat. Ich weiss den Namen der Firma für welche ich gearbeitet habe nicht mehr ». Lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, vous donnez une version complétement différente en affirmant que vous auriez obtenu votre visa par « l'intermédiaire de diffèrent contacts qui ont préparé les documents et qui ont fait la demande auprès du consulat » (p.5/17 de votre rapport d'entretien).

Confronté à votre première version des faits, vous la contredisez en affirmant que « C'est mon contact qui a tout organisé. Pas mon employeur » (p.5/17 de votre rapport d'entretien).

Les incohérences se suivent en ce qui concerne les déclarations quant à votre passeport. Lors de votre entretien avec l'agent de la Police judiciaire, vous déclarez que votre passeport vous aurait été retiré par le passeur tandis qu'en parallèle vous avancez une deuxième version selon laquelle vous auriez perdu votre passeport.

En guise de conclusion, il y a lieu de soulever qu'il ressort de l'ensemble des éléments de votre dossier ainsi que de vos propres déclarations que l'introduction d'une demande de protection internationale n'était pas une priorité à vos yeux ce qui confirme que vous ne craignez aucune persécution dans votre pays d'origine.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré pas la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Turquie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 27 juin 2023 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 27 juin 2023, telle que déférée.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la décision déférée.

Arguments des parties A l’appui de son recours et quant au refus de l’octroi du statut de réfugié à son égard, le demandeur prend position en premier lieu par rapport à son refus d’effectuer le service militaire en Turquie, qui serait motivé par un conflit personnel grave et insurmontable entre son obligation de servir dans l’armée turque et sa conscience, respectivement ses convictions sincères et profondes.

A cet égard, tout en se référant à son rapport d’entretien sur les motifs de sa demande de protection internationale, il fait valoir que d’une part, il serait, en sa qualité de kurde et pacifiste, à qualifier d’objecteur de conscience et que, d’autre part, un traitement discriminatoire de la part des autorités turques serait réservé aux personnes d’ethnie kurde, telles que lui-même, dans le cadre de l’exercice du service militaire, traitement confirmé par son frère qui aurait effectué ledit service militaire et qui l’en aurait dissuadé.

Le demandeur conteste encore l’affirmation du ministre selon laquelle il ne risquerait, suite à son refus de service militaire, qu’une amende administrative de la part des autorités turques, alors que l’article 63 « de la loi sur les conscrits absents, les conscrits réfractaires, les personnes non enregistrées [pour le service militaire] et les déserteurs » prévoirait, en temps de paix, des peines d’emprisonnement de 3 à 36 mois. A cet égard, le demandeur cite encore un extrait d’un rapport du ministère des affaires étrangères néerlandais, publié sur le site internet du « European Country of Origin Information Network » en mars 2021 et intitulé « General Country of Origin Information Report Turkey », duquel il ressortirait que les peines édictées à l’encontre des personnes ayant refusé d’effectuer leur service militaire, seraient disproportionnées si leur évasion ou désertion est liée à des motifs politiques, tel que l’activisme kurde, et que les personnes d’ethnie kurde, en général, pourraient être punies de manière discriminatoire et disproportionnée. Il considère que ce risque le concernerait personnellement en sa qualité de kurde et personne engagée dans « un parti de gauche » associé par les autorités turques au parti des travailleurs du Kurdistan, désigné ci-après par « le PKK », de sorte qu’il serait considéré comme objecteur de conscience et « traître de la nation » par les autorités turques en raison de son refus d’effectuer le service militaire.

Concernant plus particulièrement la notion d’ « objecteur de conscience », il fait valoir que ce statut ne serait pas reconnu par les autorités turques dans le cadre de l’obligation d’effectuer le service militaire, fait pour lequel la Turquie aurait été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, désignée ci-après « la CourEDH », à de multiples reprises, par exemple pour une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CEDH », dans un arrêt Ülke c. Turquie du 24 janvier 2006, pour une violation de l’article 9 de la CEDH dans un arrêt Erçep c. Turquie, du 22 novembre 2011 et pour une violation de l’article 10 de la CEDH dans un arrêt Savda c. Turquie, du 15 novembre 2016, arrêts dans lesquels la CourEDH aurait plus particulièrement constaté que le traitement réservé aux objecteurs de conscience en Turquie serait à qualifier de « mort civile » entraînant (i) des restrictions légales, tels l’interdiction pour un employeur de les embaucher légalement, la perte du droit de vote, du droit de conduire ou encore de se marier et (ii) des poursuites répétées et des peines d’emprisonnement, le demandeur se référant encore à cet égard à deux jugements du tribunal administratif du 17 septembre 2014, inscrits sous les numéros 34226 et 34256 du rôle.

Tout en admettant qu’il ne ferait actuellement pas l’objet de poursuites pénales en Turquie, le demandeur conclut qu’en cas de retour en Turquie, il risquerait, à l’exemple des concernés dans les arrêts de la CourEDH précités, de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants contraires aux articles 3, 5 et 9 de la CEDH.

En ce qui concerne ensuite sa crainte de faire objet de persécutions en Turquie en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à l’ethnie kurde, le demandeur se réfère à son rapport d’entretien sur les motifs à la base de sa demande pour réfuter le reproche du ministre selon lequel il n’aurait pas établi être un opposant politique en Turquie. Ainsi, il aurait clairement indiqué de faire partie « du groupe politique HDP ». Dans son recours, le demandeur précise qu’il serait « proche idéologiquement [du] mouvement politique HDP », tout en soutenant que les opposants politiques en Turquie, notamment les kurdes, auraient peur d’affirmer leur affiliation à un parti politique, raison pour laquelle il aurait, à ce jour, des difficultés de s’exprimer librement.

Il explique encore qu’il aurait d’une part, indiqué avoir fait l’objet d’une arrestation, de menaces et violences physiques de la part de la police turque suite à sa participation à un rassemblement politique en juin 2019 et, d’autre part, avoir fait l’objet d’attaques de la part d’autres étudiants à l’université en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à l’ethnie kurde, attaques contre lesquelles l’Etat turc ne serait ni disposé, ni capable de le protéger. Concernant plus particulièrement l’absence de protection de la part de l’Etat turc et le reproche du ministre qu’il aurait pu porter plainte auprès des autorités turques, le demandeur se réfère à « une affaire du 11 mai 2010 » dans laquelle un étudiant kurde aurait été tué par balles par un policier, tout en précisant que le mauvais traitement par les policiers turcs à l’encontre des personnes d’ethnie kurde surviendrait « partout » et en particulier, selon le coordonnateur du « Réseau d’études kurdes », lors de manifestations et rassemblements kurdes. Ledit coordonnateur aurait, en mai 2012, relevé également que les personnes d’ethnie kurde ne signaleraient souvent pas les mauvais traitements subis, en raison d’une absence de lois suffisamment protectrices à leur égard, ainsi que par peur de représailles répétitives à leur égard, l’arrestation d’une personne d’ethnie kurde étant souvent possible sur de « simples accusations » telle par exemple celle d’être un partisan du PKK.

Tout en se référant au considérant 27 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte), désignée ci-

après par « la directive 2011/95/UE », le demandeur estime que, par définition, il y aurait une présomption d’absence de protection de la part des autorités d’un Etat si l’Etat est, comme en l’espèce, l’acteur des persécutions ou atteintes en question.

Le demandeur se prévaut ensuite encore de l’article 2, point f) de « la loi du 5 mai 2006 », pour faire valoir que si la crainte d’une persécution éventuelle suffirait au sens dudit article, il tomberait dans le champ d’application de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’il y aurait dans son chef, en raison des actes de violences subis par lui avant son départ de la Turquie, une présomption que lesdits actes se reproduiraient en cas de retour dans son pays d’origine.

Sur base du constat que l’ensemble des actes ainsi subis par lui auraient été basés sur ses opinions politiques et son appartenance à l’ethnie kurde au sens de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes correspondraient aux actes prévus à l’article 42, paragraphe (1), point a) de la même loi et qu’ils revêtiraient un degré de gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (2), le demandeur conclut à l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur, tout en se référant aux articles 2, point g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, explique se baser sur les mêmes motifs que dans le cadre de sa demande du statut de réfugié, en ce que sa vie serait en danger en cas de retour en Turquie, où il risquerait d’être arrêté et emprisonné en raison de son appartenance à l’ethnie kurde, ses convictions politiques et son refus d’effectuer le service militaire obligatoire, pour conclure qu’il serait en droit de se prévaloir dudit statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le refus d’octroi du statut de réfugié à l’égard du demandeur, tout en citant la jurisprudence nationale en matière d’objection de conscience, il estime que le concerné n’aurait pas établi que son refus d’effectuer le service militaire serait motivé par un conflit personnel grave et insurmontable entre son obligation de servir dans l’armée et sa conscience ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, en ce qu’il resterait en défaut d’expliquer en quoi consisteraient ses convictions, le simple fait de ne pas vouloir porter des armes n’étant pas susceptible de justifier son refus d’effectuer les service militaire, ni l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

Tout en se référant encore à un arrêt de la Cour administrative du 11 mai 2021, inscrit sous le numéro 45758C du rôle, le délégué du gouvernement conclut au rejet des développements du demandeur relatifs à une prétendue violation des articles 3, 5 et 9 de la CEDH par l’Etat turc du fait de ne pas prendre en compte le statut d’objecteur de conscience.

Il relève, par ailleurs, que le service militaire n’impliquerait pas nécessairement le devoir de participer à un conflit armé, le délégué du gouvernement citant dans ce contexte un rapport du « Ministerie van Buitenlandse Zaken », publié en mars 2022 et intitulé « General Country of Origin Information Report Turkey ».

Le délégué du gouvernement estime, ensuite, en se référant à un rapport de la « Division de l’information, de la documentation et des recherches (OFPRA) », du 12 avril 2022 et intitulé « Le service militaire – Affectation des conscrits, conditions de report, exactions impliquant des conscrits et sanctions en cas d’insoumission » que les sanctions en vigueur en cas d’insoumission se résumeraient majoritairement à des amendes administratives, qu’un insoumis ne saurait être emmené de force au service militaire et ne saurait, en principe, être placé en garde à vue en l’absence de procédure judiciaire, de sorte qu’il ne serait pas établi que le demandeur risquerait une sanction disproportionnée ou discriminatoire du fait de son refus d’effectuer le service militaire. Dans ce contexte, le délégué du gouvernement estime encore que la crainte du demandeur de faire l’objet de telles sanctions en raison de son ethnie kurde serait purement hypothétique, dans la mesure où les rapports versés par le demandeur seraient sans lien avec sa situation personnelle, celui-ci restant en défaut de prouver qu’il aurait personnellement fait l’objet d’une poursuite pénale de la part des autorités turques.

Le délégué du gouvernement fait encore valoir que le réel motif à la base de la demande de protection internationale du demandeur serait une volonté de ce dernier de poursuivre ses études au Luxembourg.

En ce qui concerne la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions en raison de ses opinions politiques, respectivement de son ethnie kurde, le délégué du gouvernement relève que celui-ci resterait en défaut d’établir qu’il aurait personnellement fait l’objet de telles persécutions en Turquie, ni même d’avoir été politiquement actif en Turquie, les déclarations du demandeur à ce sujet étant, selon lui, vagues et contradictoires.

Concernant plus particulièrement les deux incidents en 2010 et 2011 lors desquels le demandeur aurait été attaqué par des étudiants à l’université, le délégué du gouvernement reprend, en substance, les développements à cet égard contenus dans la décision déférée en relevant, d’une part, les incohérences dans le récit du demandeur et, d’autre part, le constat du ministre que ces événements ne seraient non seulement trop éloignés dans le temps pour pouvoir fonder l’octroi d’une protection internationale à l’heure actuelle, mais ne revêtiraient pas non plus le degré de gravité suffisant à cet égard, le demandeur étant, selon le délégué du gouvernement, également resté en défaut d’établir l’absence de protection de la part des autorités turques contre les agissements relatés.

En ce qui concerne l’incident en 2019 lors duquel le demandeur aurait été mis en garde à vue et frappé par la police turque, le délégué du gouvernement reprend en substance les développements du ministre contenus dans la décision déférée à cet égard, en reprenant les mêmes incohérences dans le récit du demandeur et en relevant les possibilités du demandeur de porter plainte en Turquie contre de tels agissements. Il précise encore que les développements du demandeur quant à la crainte des personnes kurdes de remonter de tels incidents aux autorités turques par peur de représailles seraient à rejeter dans la mesure où il omettrait d’indiquer une source fiable permettant de vérifier cette information.

Le délégué du gouvernement relève ensuite encore le comportement général du demandeur en ce qu’il aurait omis d’introduire une demande de protection internationale en Ukraine, qu’il aurait attendu quelques mois après son entrée sur le territoire luxembourgeois pour ce faire, de même qu’il aurait admis avoir menti sur le fait d’être entré légalement sur le territoire luxembourgeois moyennant un visa espagnol, comportement auquel le demandeur ne prendrait pas position dans son recours.

En ce qui concerne le refus d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire dans le chef du demandeur, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre ce volet de la décision déférée, en se basant, en substance, sur ses développements concernant le refus d’octroi du statut de réfugié, les craintes avancées dans ce contexte par le demandeur étant, selon le délégué du gouvernement, vagues et hypothétiques.

Analyse du tribunal Quant au recours dirigé contre le refus d’une protection internationale, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

a) Quant au statut de réfugié La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est tout d’abord de constater que la demande de protection internationale du demandeur repose sur sa crainte de faire l’objet de persécutions de la part des autorités turques (i) en raison de son ethnie kurde et, par extension, de ses convictions politiques et (ii) de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire en sa qualité d’« objecteur de conscience ».

Force est ensuite de constater que le ministre a uniquement remis en question la crédibilité de certains faits relatés par le demandeur, sans pour autant conclure à l’absence de crédibilité de la globalité du récit du demandeur.

En ce qui concerne d’abord, la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions en raisons de ses convictions politiques, crainte qui repose, d’une part, sur des attaques de la part d’étudiants que le demandeur aurait subies à l’université en 2010 et 2011 et, d’autre part, sur son arrestation de la part de la police turque suite à sa participation à une manifestation du HDP en 2019, le tribunal constate que c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder le statut de réfugié sur base desdits événements.

En effet, à l’instar de la partie étatique, le tribunal constate, indépendamment de la question de la crédibilité, mise en doute par la partie étatique, des faits ayant eu lieu en 2010 et 2011 à l’Université et qu’outre le constat que ces faits sont, à défaut d’un quelconque événement subséquent en ce sens, trop éloignés dans le temps pour fonder, en 2023, l’octroi d’une protection internationale dans le chef du demandeur, c’est encore à bon droit que le ministre a estimé que ces faits ne revêtent pas un degré de gravité suffisant au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que l’analyse des développements du demandeur quant à l’absence du dépôt d’une plainte de sa part devient surabondante.

En ce qui concerne l’arrestation alléguée du demandeur en 2019, il échet de relever que le ministre a, avant toute analyse des conditions d’octroi du statut de réfugié, mis en doute la crédibilité du récit du demandeur par rapport audit événement, doute que le tribunal partage au vu du rapport d’entretien sur les motifs à la base de la demande de protection internationale du demandeur et de ses développements dans le cadre du présent recours.

En effet, le demandeur omet, dans sa requête introductive d’instance, de prendre position par rapport audit reproche, tandis que les incohérences relevées par le ministre, à savoir (i) l’absence d’indication du demandeur du lieu de séjour et de son arrestation, (ii) l’indication incohérente des motifs de son arrestation – le demandeur ayant, d’une part, indiqué d’avoir été arrêté en raison de sa participation à une manifestation du HDP et, d’autre part, en raison de la recherche par la police de son frère, et (iii) l’invraisemblance d’une arrestation sur base de ses activités politiques, alors qu’il a séjourné à l’étranger pendant huit ans avant cette prétendue arrestation, sont de nature à ébranler la crédibilité du récit du demandeur relatif audit événement.

Le tribunal rejoint, par ailleurs, la partie étatique dans son constat que le demandeur reste, en général, en défaut d’établir la réalité d’un activisme politique dans son chef sur base duquel les autorités turques risqueraient de le persécuter. En effet, le demandeur a, contrairement à ses développements dans sa requête introductive d’instance, clairement indiqué lors de son entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale ne pas être membre actif du HDP ou d’être politiquement actif dans ce sens et a affirmé que ses opinions politiques seraient seulement proches dudit parti1, sans pour autant faire état d’un militantisme ouvert de sa part susceptible de le mettre dans le collimateur des autorités turques, ni d’un quelconque incident lors duquel les autorités turques l’auraient persécuté en raison de ses convictions politiques, sa prétendue arrestation en 2019 n’étant, tel que relevé ci-avant, pas établie et le casier judiciaire du demandeur étant, de sa propre affirmation, vierge.

Ce constat est encore renforcé, tel que relevé par la partie étatique, par le fait que le demandeur a pu légalement quitter son pays d’origine, sans que les autorités turques ne l’en auraient empêché, constat par rapport auquel le demandeur n’a, par ailleurs, pas pris position.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé l’octroi du statut de réfugié au demandeur sur base d’une prétendue persécution dans son chef de la part des autorités turques en raison de ses opinions politiques, et ce, sans que ce constat ne soit renversé par les développements du demandeur par rapport au traitement auquel devraient faire face les personnes d’ethnie kurde et prétendument assimilées de ce fait à des opposants politiques en Turquie, alors que le demandeur reste, tel que relevé ci-avant, en défaut d’établir qu’il aurait personnellement été la cible des autorités turques sur base de telles considérations.

En ce qui concerne, ensuite, la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions de la part des autorités turques en raison de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire, il y a tout d’abord lieu de relever qu’il est constant en cause que la réalité de l’obligation pour le demandeur d’effectuer ledit service ainsi que son refus d’y obtempérer ont été établis par celui-ci moyennant une convocation écrite du 14 décembre 2021 du Ministère de la Défense nationale turc lui imposant d’effectuer ledit service militaire de « soldat pour 6 mois » en février 2022, ainsi qu’un document du même ministère constatant que le demandeur s’est soustrait à cette obligation.

Il échet ensuite de relever que personne ne saurait être considérée comme réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat.2 1 Page 11 du rapport d’entretien « […] Je ne suis pas membre actif. J’adhère juste à leurs idées. […] ».

2 UNHCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, décembre 2011, §§ 167 et ss.

Il convient encore de rappeler que la crainte de poursuites et d’un châtiment pour désertion ou insoumission ne peut servir de base à l’octroi du statut de réfugié que s’il est démontré que le demandeur se verrait infliger, pour l’infraction militaire commise, une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.3 En outre, pour justifier leur opposition au service militaire, des personnes peuvent invoquer des raisons de conscience d’une force telle que la peine prévue pour l’insoumission ou la désertion puisse être assimilée à une persécution du fait de ces raisons de conscience4, étant toutefois relevé que, pour pouvoir fonder l’octroi du statut de réfugié, ces raisons de conscience doivent au sens de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à leur tour, relever de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social ou des opinions politiques de la personne ainsi persécutée.

En l’espèce, il ressort du rapport d’entretien sur les motifs à la base de la demande de protection internationale du demandeur, ainsi que de sa requête introductive d’instance, que celui-ci tend à établir que (i) les peines prévues par la législation turque pour son refus d’effectuer le service militaire seraient à assimiler à une persécution du fait de ses raisons de conscience, caractérisées par ses convictions personnelles de pacifiste, renforcées par ses études en médecine, qu’il aurait en sa qualité d’objecteur de conscience et qui seraient opposées à l’acte de prendre les armes, de tuer ou de blesser une autre personne ou de participer à une action liée à l’armée, (ii) qu’il risquerait de faire l’objet d’une sanction discriminatoire et disproportionnée en raison de son refus d’effectuer le service militaire du fait de son ethnie et de ses opinions politiques, et (iii) qu’il risquerait d’être obligé, en cas de retour en Turquie, d’effectuer son service militaire sous des conditions discriminatoires en raison non seulement de son refus d’effectuer son service militaire, mais encore en raison de son ethnie kurde et de son motif de refus d’objecteur de conscience à la base de son refus initial d’effectuer ledit service.

Or, d’une part, tel que relevé ci-avant, le demandeur reste en défaut d’établir que les autorités turques le percevraient comme opposant politique, et, d’autre part, ses convictions personnelles l’empêchant d’effectuer son service militaire sont sans aucun lien avec les critères prévus à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui octroyer le statut de réfugié sur base de sa qualité d’objecteur de conscience.

Faute pour le demandeur d’avoir établi d’être considéré par les autorités turques comme un objecteur de conscience en raison de ses opinions politiques, il n’a pas non plus établi un risque pour lui de se voir infliger, pour l’infraction militaire commise, des sanctions disproportionnées en raison de ses opinions politiques.

Le demandeur reste pareillement en défaut d’établir qu’il risquerait de se voir infliger des sanctions disproportionnées en raison de son ethnie kurde. Si le demandeur cite certes, un rapport du « Ministerie van Buitenlandse Zaken » de mars 2021 duquel il ressort que « suivant une source confidentielle » les personnes d’ethnie kurde ayant refusé d’effectuer leur service militaire sont susceptibles de se voir infliger des sanctions disproportionnées, il est précisé dans ledit rapport que tel serait le cas uniquement si la personne concernée est suspectée d’être en 3 Ibid..

4 Voir, p. ex. : Cour adm., 2 juillet 2019, n° 42998C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

lien avec le PKK, ce qui n’est pas le cas du demandeur.

Finalement, le demandeur reste également en défaut d’établir, qu’il serait, en cas de retour en Turquie, forcé d’effectuer son service militaire sous des conditions discriminatoires en raison de son ethnie, voire, par extension en raison de ses opinions politiques supposées par les autorités turques ou d’autres soldats sur base de son ethnie kurde. En effet, tel que relevé par la partie étatique, le demandeur reste en défaut d’établir que les autorités turques emmèneraient de force les insoumis au service militaire, alors qu’au contraire, tel que relevé par le demandeur même, la loi turque prévoit des sanctions sous forme d’amendes ou de peines d’emprisonnement dans cette hypothèse.

Il s’ensuit dès lors que c’est à bon droit que le ministre a refusé l’octroi du statut de réfugié au demandeur sur base du motif d’un refus d’effectuer son service militaire en Turquie.

Le recours est partant à rejeter en ce qui concerne ce premier volet.

b) Quant au statut conféré par la protection subsidiaire En ce qui concerne le volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi, énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles atteintes graves se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Dans la mesure où il ne prétend pas risquer la peine de mort ou de se retrouver dans une situation d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé, tels que prévu aux points a) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et qu’il invoque risquer de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des atteintes graves sous forme de traitements inhumains et dégradants, le tribunal se limitera à examiner si les difficultés dont il fait état peuvent être qualifiées de risque de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants au sens du point b) dudit article.

Au vu des considérations dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que le demandeur n’a pas établi d’être dans le collimateur des autorités turques en raison de son ethnie ou de ses opinions politiques, le tribunal ne saurait, en ce qui concerne lesdits motifs à la base de sa demande de protection internationale, se départir de ses conclusions dans le cadre de l’analyse visant à déterminer si les faits invoqués pouvaient éventuellement être qualifiés d’atteintes graves, en l’occurrence de traitements inhumains et dégradants, étant relevé que le demandeur ne rentre dès lors pas non plus dans les prévisions de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne la crainte du demandeur de faire l’objet d’atteintes graves de la part des autorités turques en raison de son refus, en sa qualité d’objecteur de conscience, d’effectuer son service militaire, il échet de rappeler que suivant la jurisprudence de la CourEDH, l’objection de conscience dans le cadre d’un refus d’effectuer un service militaire obligatoire, est « […] fondée sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion lorsqu’il est incompatible avec l’obligation d’employer la force « au prix de vies humaines » […] comportant notamment une objection ferme, permanente et sincère à une quelconque participation à la guerre ou au port des armes. […] »5, laquelle est protégée par l’article 9 de la CEDH si elle est « […] motivée par un conflit grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et la conscience d’une personne ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, constitue une conviction atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance pour entraîner l’application des garanties de l’article 9 […]6, la CourEDH rappelant d’ailleurs que cette question doit être tranchée en fonction des circonstances propres de chaque affaire7, sans pour autant qu’il ne saurait être exigé de la personne concernée de s’identifier à une religion concrète ou être membre d’une organisation pacifiste pour être reconnue comme un objecteur de conscience8.

5 CourEDH, Enver Aydemir c. Turquie, requête n°26012/11, 7 juin 2016, §81.

6 CourEDH, Bayatyan c. Arménie, requête n°23459/03, 7 juillet 2011, §110.

7 Ibidem.

8 CourEDH, Papavasilakis c. Grèce, requête n°66899/14, 15 septembre 2016.

Dans ce contexte, la CourEDH a jugé contraire à l’article 9 de la CEDH, qui prévoit que « (1) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. (2) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » une législation nationale « […] qui ne prévoit aucun service de remplacement […] et aucune procédure accessible et effective au travers de laquelle le requérant aurait pu faire établir s’il pouvait ou non bénéficier du droit à l’objection de conscience ne peut passer pour avoir ménagé un juste équilibre entre l’intérêt de la société dans son ensemble et celui des objecteurs de conscience. […] »9.

En l’espèce, le tribunal constate que, contrairement aux développements de la partie étatique, le demandeur a établi dans son chef des convictions sincères et profondes, atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance incompatible avec l’obligation d’employer la force « au prix de vies humaines » comportant notamment une objection ferme, permanente et sincère à une quelconque participation à la guerre ou au port des armes, ainsi qu’à toute activité militaire, même de nature médicale.

En effet, lors de son entretien sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale, le demandeur a réitéré à plusieurs reprises être fondamentalement opposé à un quelconque acte d’atteinte physique à tout être humain ainsi qu’à l’activité militaire en générale, en ce qu’il a déclaré « […] Je suis contre la guerre et je refuse de me battre. Je fais des études de médecine donc je ne peux pas tuer des gens. […] Je suis contre la guerre. Je suis persuadé qu’on peut tout résoudre en parlant. Je n’ai jamais porté des armes et je ne le ferais jamais. […]10 », « […] Je refuse d’y aller, je n’irais pas me battre, je suis pour le dialogue. Je ne me battrais pas. […] Quand vous allez au service militaire, on vous donne des ordres. On vous demande d’aller dans d’autres pays vous battre et tuer des gens. Je ne comprends pas cette mentalité. Ce n’est pas justifié et je ne veux pas le faire. […] De toutes façons, je suis opposé au service militaire. Que ce soit 10 jours ou 10 ans, je ne veux pas le faire. […] »11, « […] Que ce soit pour un Kurdistan ou pour la Turquie, je n’irais pas au service militaire.

J’y suis complètement opposé. Le service militaire ou la guerre, le concept est le même partout et j’y suis opposé. […] Je veux être médecin et aider des victimes, c’est cela mon but. Je veux aider les gens. […] »12, « […] Je refuse de prendre les armes, mêmes si pour un Etat. Je suis complètement opposé à l’idée de tuer. Le principe du service militaire s’oppose à ma philosophie de vie. Je suis persuadé qu’on peut vivre dans un monde sans armes où l’on utilise la communication. Toute vie est sacrée que ce soit humain ou une plante. […] Je cherche à rester éloigné de tout ce qui est en lien avec l’armée. Recevoir des ordres de tuer n’est pas acceptable. Je veux vivre comme un humain normal sans avoir des liens avec l’armée. […] Je ne veux pas aller à l’armée. Peu importe le pays, je suis opposé à l’idée de la guerre et du service militaire. Je n’ai pas commencé des études en médecine pour tuer les gens. Vous faites un serment pour aider les gens sans distinction. Je ne veux rien avoir avec le service militaire.

9 CourEDH, Savda c. Turquie, requête n°42730/05, 12 juin 2012, §100.

10 P. 7 du rapport d’entretien.

11 P. 8 du rapport d’entretien.

12 P. 9 du rapport d’entretien.

Je ne deviendrais même pas médecin au sein de l’armée. Je ne veux pas cela dans ma vie.

[…] »13.

Le récit du demandeur relatif à ses convictions pacifistes est encore cohérent en ce qu’il a également affirmé être opposé à tout acte violent en général, en ce qu’il a déclaré sur question de l’agent en charge de l’entretien s’il confirme qu’il ne se serait pas défendu lors des attaques de la part d’autres étudiants à l’université « […] Oui. Je ne me suis jamais battu. Je n’aime pas les conflits. Je me suis enfui. […] »14 et en ce qu’il a déclaré « […] Je ne suis pas violent et je ne jette pas de pierres lors des manifestations […]. Je n’ai jamais été violent mais je voulais quand même exprimer mon opinion. […] Malgré tout cela, je ne veux pas utiliser la violence. Je suis contre la violence. […] »15 et « […] Je ne veux rien avoir avec l’armée, ni avec le service militaire. Je ne veux même pas être médecin pour l’armée. Cela va à l’encontre de mes principes. Nous avons étés élevés avec le respect de la vie dans notre famille. Il est inconcevable pour moi de tuer quelqu’un même sur ordre. La vie est sacrée. Ce n’est pas mon rôle d’’enlever la vie à quoi que ce soit. […] »16, la sincérité de cette conviction étant renforcée par le fait qu’il est constant en cause que le demandeur a suivi des études en médecine, pratique qui s’oppose, en principe, à l’acte de blesser ou tuer une autre personne.

Il est, par ailleurs, constant en cause, pour ne pas être contesté par la partie étatique, que la législation turque ne prévoit pas de service de remplacement civil ou autre auquel le demandeur aurait pu prétendre au lieu d’un service militaire, la Turquie ayant, par ailleurs, tel que relevé à bon droit par le demandeur, été condamnée à plusieurs reprises pour violation des articles 3 et 9 de la CEDH dans le cadre de l’absence dans sa législation nationale de la reconnaissance du statut d’objecteur de conscience et d’un service de remplacement, ainsi que dans le cadre des sanctions prévues par sa législation en cas d’insoumission.

Ce constat n’est pas énervé par les développements de la partie étatique qu’il ne serait pas établi que le demandeur serait amené, lors de son service militaire, de porter des armes et de se battre, alors que la CourEDH a récemment, dans un arrêt du 7 juin 2022, Teliatnikov c.

Lituanie, requête n°51914/19 précisé que le service de remplacement que les Etats doivent offrir en alternative aux objecteurs de conscience devrait consister en des solutions de remplacement extérieures aux structures de commandement militaire Dans la mesure où la convocation versée par le demandeur mentionne, par ailleurs, la fonction de « soldat » pendant six mois, et qu’il ressort du rapport précité de la « Division de l’information, de la documentation et des recherches (OFPRA) », que les personnes effectuant leur service militaire n’ont pas le choix des fonctions et devoirs à remplir, ainsi que de leur endroit de stationnement à l’armée, le simple fait pour le demandeur de devoir effectuer un service militaire est, à la lumière de la jurisprudence de la CEDH, susceptible d’être incompatible avec l’article 9 de la CEDH.

C’est dès lors à bon droit que le demandeur a invoqué son statut d’objecteur de conscience incompatible avec l’exercice du service militaire obligatoire en Turquie, ce dernier ayant, par ailleurs, établi à suffisance de droit, que ledit statut n’est pas pris en considération par les autorités turques dans le cadre de son obligation d’effectuer son service militaire.

13 P.14 du rapport d’entretien.

14 P. 11 du rapport d’entretien.

15 P. 12 du rapport d’entretien.

16 P. 15 du rapport d’entretien Il échet ensuite de constater que l’absence de prise en compte du statut d’objecteur de conscience, en ce qu’elle est, à la lumière de la jurisprudence y afférente de la CourEDH susceptible de constituer une violation de l’article 9 de la CEDH par la Turquie, n’est pas ipso facto constitutive d’une violation de l’article 3 de la CEDH interdisant les traitements inhumains et dégradants.

Dans la mesure, par contre, où l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un simple risque de traitements inhumains et dégradants pour pouvoir prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire, celui-ci devant certes être réel, il échet de vérifier l’existence d’un tel risque dans le chef du demandeur.

Il s’ensuit d’ores et déjà que les développements de la partie étatique quant à l’absence de poursuites par les autorités turques à l’encontre du demandeur à l’heure actuelle sont à rejeter, alors que ce constat ne permet pas d’établir que celui-ci ne risquerait pas de faire l’objet de sanctions de la part des autorités turques pour l’insoumission commise.

A cet égard, le tribunal constate qu’il se dégage du rapport précité du « Immigration and Refugee Board of Canada » que suivant différentes sources, les objecteurs de conscience sont punis par des multiples amendes et menaces d’emprisonnement jusqu’à ce qu’ils se présentent pour effectuer leur service militaire obligatoire, les amendes devenant de plus en plus élevées au fil du temps. S’il ressort, certes, tel que relevé par la partie étatique, dudit rapport que selon le « Australian Government Department of Foreign Affaires and Trade » celui-ci « croit comprendre que les autorités [turques] n’y [peines d’emprisonnements] ont pas recours dans la pratique », cette affirmation incertaine est en contradiction avec d’autres sources citées par le même rapport, selon lesquels les objecteurs de conscience « s’exposent à des mandats d’arrestation permanents, à un cycle perpétuel de poursuites et d’emprisonnements, et à une « mort civile » qui les exclut de la vie sociale, culturelle et économique » et seraient « mis en détention chaque fois qu’ils se voient obligés de présenter leurs pièces d’identité à la police ou la gendarmerie. ». Etant donné que la Turquie a d’ores et déjà fait l’objet de condamnations par la CourEDH pour violation de l’article 3 de la CEDH pour le fait d’avoir sanctionné des objecteurs de conscience par des poursuites pénales interminables à leur égard17 et que les différents rapports versés en cause sont unanimes à relater que la législation turque à cet égard n’a pas été modifiée, le tribunal constate que le demandeur a établi à suffisance de droit de courir un risque réel de faire l’objet de telles poursuites, jugées contraires à l’article 3 de la CEDH par la CourEDH et constituant dès lors un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.

Ce constat n’est pas énervé par les développements de la partie étatique par rapport au comportement général du demandeur avant le dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg, alors que, d’une part, son retour en Turquie suite à ses études universitaires en Ukraine a été antérieur à l’émission de sa convocation de se présenter au service militaire obligatoire et que, d’autre part, le seul fait que, suite à sa fuite de la Turquie après la réception de ladite convocation, le demandeur a attendu quelques mois avant d’introduire sa demande de protection internationale au Luxembourg et a avoué avoir menti sur le fait d’être entré légalement sur le territoire luxembourgeois, n’est pas de nature à invalider le constat fait ci-

avant selon lequel il court un risque réel de faire l’objet des prédites persécutions.

17 CourEDH, Ülke c. Turquie, requête n°39437/98, 24 janvier 2006 ; Savda c. Turquie, requête n° 42730/05, 12 juin 2012.

Il s’ensuit que le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire et que la décision déférée encourt la réformation en ce sens.

2) Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du ministre du 27 juin 2023.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur est fondé à se prévaloir du statut conféré par la protection subsidiaire et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer en ce sens, il y a lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée dans le cadre du recours en réformation.

Partant, le recours en réformation afférent est à accueillir pour être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision ministérielle du 27 juin 2023 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Monsieur … ;

au fond, le rejette en ce qu’il est dirigé contre le volet de la décision ministérielle portant refus d’octroi du statut de réfugié à son égard ;

par réformation de la décision ministérielle du 27 juin 2023, accorde à Monsieur … le statut conféré par la protection subsidiaire et renvoie en conséquence le dossier devant le ministre compétent pour exécution ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à titre principal contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule l’ordre de quitter le territoire endéans 30 jours émis à l’encontre de Monsieur … ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 janvier 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 26


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49226
Date de la décision : 10/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-10;49226 ?

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