Tribunal administratif N° 47060 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47060 5e chambre Inscrit le 22 février 2022 Audience publique du 12 janvier 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de nationalité
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47060 du rôle et déposée le 22 février 2022 au greffe du tribunal administratif, par Maître Kalthoum Boughalmi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision du ministre de la Justice du 18 novembre 2021, refusant de la dispenser de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise, de même que du cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg » et de l’examen sur base de l’article 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2022 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Kalthoum Boughalmi déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2022 pour compte de Madame …, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Sidibe Rokhaya en remplacement de Maître Kalthoum Boughalmi, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 octobre 2023.
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Par courrier recommandé du 29 juin 2021, Madame … s’adressa par l’intermédiaire de son mandataire au ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », afin de solliciter une dispense de produire les certificats d’évaluation de la langue luxembourgeoise, du cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg » et/ou de l’examen relatif à ce cours dans le cadre d’une demande de naturalisation au motif qu’elle était « dans l’incapacité de suive les cours pour des raisons médicales mentionnées suivant certificat du Docteur … du 28 janvier 2021 » et que « suivant certificat médical du Docteur … du 11 juin dernier » elle souffrait « de nombreuses pathologies telles que l’hypoacousie, acouphènes, céphalées chroniques, otite chronique, lombalgie chronique et polyarthrose ».
Par courrier du 6 août 2021, le ministre informa de litismandataire de Madame … qu’elle était invitée à participer à une expertise médicale à réaliser par le Docteur …, médecin spécialiste en oto-rhino-laryngologie, conformément à l’article 15, paragraphe 5 et à l’article 16, paragraphe 5 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, désignée ci-après par « la loi du 8 mars 2017 ». La mission de l’expert était de vérifier si Madame … était apte ou non « à apprendre la langue luxembourgeoise ; à participer à l’examen d’évaluation de cette langue ; à participer au cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg ».
En date du 22 septembre 2021, le Docteur … transmit son rapport d’expertise au ministre. Il arriva à la conclusion que « Du point de vue ORL, elle [i.e. Madame …] est apte à suivre des cours pour apprendre une nouvelle langue et à passer un examen oral. ».
Par décision du 18 novembre 2021, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé avec accusé de réception envoyé le 19 novembre 2021, le ministre refusa de faire droit à cette demande de dispense, ladite décision étant libellée comme suit :
« (…) Par la présente, je me permets de vous informer des résultats de votre demande en dispense de participation à l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise et au dispositif « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », organisés dans le cadre de la procédure d'acquisition de la nationalité luxembourgeoise.
Aux termes de l'article 15, paragraphe 5 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, « le ministre peut dispenser le demandeur de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise lorsque son état de santé physique ou psychique le met dans l'impossibilité d'apprendre cette langue ».
Conformément à l'article 16, paragraphe 5 de la loi précitée, « le ministre peut dispenser le demandeur du cours et de l'examen lorsque son état de santé physique ou psychique le met dans l'impossibilité d'acquérir des connaissances dans les matières » enseignées dans le cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », à savoir les droits fondamentaux des citoyens, les institutions étatiques et communales du Grand-Duché de Luxembourg ainsi que l'histoire du Grand-Duché de Luxembourg et l'intégration européenne.
Par un certificat médical établi le 11 juin 2021, le Dr …, médecin spécialiste en oto-
rhino-laryngologie, atteste que votre mandante présenterait une insuffisance physiologique permanente sur le plan ORL de 19 %.
Par un certificat médical établi le 5 août 2021, le Dr …, médecin spécialiste médecine interne, atteste que votre mandante serait atteinte d'une maladie grave nécessitant un traitement en continu et qu'elle serait incapable de travailler ou de participer à des cours de formation.
En date du 22 septembre 2021, le Dr …, médecin spécialiste en oto-rhino-laryngologie et expert judiciaire, certifie que votre mandante ne présente pas une hypoacousie grave ou avancée et que le problème modéré peut en principe être compensé par des appareils auditifs.
Le Dr … tire la conclusion suivante : « Du point de vue ORL, elle est apte à suivre des cours pour apprendre une nouvelle langue et à passer un examen oral. » 2 Vu que ce médecin ne certifie aucune impossibilité d'apprendre la langue luxembourgeoise et d'acquérir des connaissances dans les matières enseignées dans le cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », je ne suis pas en mesure d'vous accorder à votre mandante la dispense sollicitée.
Une demande d'acquisition de la nationalité luxembourgeoise ne pourra être actée par l'officier de l'état civil que sur production du certificat de réussite de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise et du certificat « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg ».
Toutefois, votre mandante a la possibilité d'adresser une demande motivée au directeur de l'Institut national des langues afin de bénéficier d'un « aménagement raisonnable » de l'examen d'évaluation de la langue luxembourgeoise sur base de l'article 15, paragraphe 4 de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, qui prévoit les mesures suivantes :
• l'aménagement de la salle de classe et/ou de la place du candidat ;
• une salle séparée pour les épreuves ;
• une présentation adaptée des questionnaires ;
• une majoration du temps lors des épreuves ;
• des pauses supplémentaires lors des épreuves ;
• la délocalisation des épreuves hors de l'école, à domicile ou dans une institution ;
• le recours à des aides technologiques et humaines, permettant de compenser des déficiences particulières.
La présente décision est susceptible d'un recours devant le tribunal administratif à introduire, par requête signée d'un avocat à la cour, dans les trois mois à compter de la notification.
L'officier de l'état civil de la Ville de Luxembourg sera informé de ma décision. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 février 2022 Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation de la décision précitée du ministre du 18 novembre 2021.
I.
Quant à la recevabilité du recours Aucun recours au fond n’étant prévu contre les décisions du ministre refusant de faire droit, dans le cadre d’une demande de naturalisation, à une demande de dispense de participation à l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise sur base de l’article 15, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017, respectivement à une demande de dispense du cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg » et de l’examen sur base de l’article 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation et seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle entreprise. Le recours principal en annulation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi est à déclarer recevable.
II.
Quant au fond 3 Argumentation des parties A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique être est née le …, à … en Irak, et n’avoir jamais été scolarisée, de sorte à n’avoir jamais appris à lire et à écrire, ni dans sa langue maternelle, à savoir l'arabe, ni dans aucune autre langue. Elle ajoute avoir obtenu le statut de réfugié au Grand-Duché de Luxembourg en juillet 2017.
En droit, la demanderesse reproche à titre principal à la décision ministérielle déférée du 18 novembre 2021 d’indiquer une motivation succincte voire insuffisante à sa base et de contrevenir ainsi à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Elle argumente que la décision déférée mentionnerait le certificat médical du docteur … du 5 août 2021, sans en tirer de conséquences et que le Docteur … ne mentionnerait dans son expertise médicale « qu'un avis ORL, sans apporter plus de précision sur les autres incapacités » qu’elle présenterait.
Subsidiairement, la demanderesse reproche une erreur d’appréciation au ministre en argumentant que ce dernier ne se serait fondé que sur un avis « dirigé du point de vue auditif (ORL), en faisant fi des pathologies avancées par le docteur …, médecin spécialiste en médecine interne, oncologie et hématologie », lequel aurait précisé qu’elle n’était pas en mesure de suivre des cours, ni de participer à des examens.
La demanderesse fait valoir que le ministre disposerait en la matière d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire lequel ne devrait pas l'empêcher de respecter le principe général de proportionnalité. Or, en ne considérant que l'avis de l'expert judiciaire sans prendre en compte les conclusions du docteur …, pourtant médecin spécialiste en médecine interne, oncologie et hématologie, le ministre aurait fait un usage excessif du pouvoir d'appréciation.
La demanderesse reproche encore au ministre de ne pas avoir tenu compte sa situation concrète.
Dans le cadre de son mémoire en réplique, la demanderesse affirme qu’en raison son âge, qui serait de 65 ans, il lui serait impossible d'avoir la concentration et la mémoire nécessaires pour acquérir les connaissances en langue luxembourgeoise requises pour l'obtention de la nationalité luxembourgeoise par voie de naturalisation. Ainsi, au-delà de ses problèmes de santé, son âge avancé rendrait pénible, voire impossible, l'apprentissage de la langue luxembourgeoise. Enfin, il serait indéniable que sa santé physique et psychique la mettrait dans l'impossibilité d'apprendre la langue luxembourgeoise.
La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours pour ne pas être fondé en contestant le défaut de motivation suffisante de la décision déférée et en argumentant en substance (i) que l’avis du docteur … ne serait pas à prendre en compte faute d’émaner d’un médecin spécialiste au sens de l’article 15, paragraphe 5 et de l’article 16, paragraphe 5 de la loi du 8 mars 2017, (ii) que l’avis du docteur … serait sommaire et ne fournirait pas de précisions sur la maladie de la demanderesse et, enfin (iii) qu’il conviendrait de se fier au rapport d’expertise dressé par le docteur …. Elle ajoute dans le cadre de son mémoire en duplique que la demanderesse n’aurait fait valoir son âge avancé de 65 ans pour la première fois qu’au niveau de son mémoire en réplique, tout en insistant sur le fait que l’âge ne constituerait pas un motif légal de dispense de participation à l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise et du cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg » contrairement à l’incapacité médicale, laquelle serait le seul motif justifiant une telle dispense.
Appréciation du tribunal Avant tout autre progrès en cause, il y a lieu de souligner qu’en l’espèce, le tribunal est saisi de l’examen de la légalité de la seule décision ministérielle de refus de dispenser la demanderesse, dans le cadre de sa procédure de naturalisation, de la participation à l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise parlée, telle que prévu à l’article 15 de la loi du 8 mars 2017 et au dispositif « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », tel que prévu à l’article 16 de la même loi et non pas d’une éventuelle décision de refus de naturalisation, de sorte qu’il lui appartient uniquement de vérifier si la demanderesse remplit les conditions légales afin de prétendre à une telle dispense.
S’agissant de prime abord du moyen tiré d’un défaut de motivation suffisante à la base de la décision déférée, il convient de préciser qu’aux termes de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux. La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle : - refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ; (…) » En l’espèce, l’analyse de la décision déférée révèle, d’une part, que le ministre a indiqué la cause juridique servant de fondement à sa décision en se référant tant à l’article 15, paragraphe 5 qu’à l’article 16, paragraphe 5 de la loi du 8 mars 2017 et en renvoyant même aux aménagements prévus par l’article 15, paragraphe 4 de la même loi, et, d’autre part, que le ministre a indiqué les circonstances de fait à la base de sa décision, notamment, en prenant position par rapport aux certificats médicaux lui soumis par la demanderesse, en renvoyant au rapport de l’expert judiciaire et en concluant en ce qui concerne la situation concrète de la demanderesse qu’aucune impossibilité d’apprendre la langue luxembourgeoise ou encore de participer à des cours n’avait été certifiée dans son chef.
Il s’ensuit qu’outre toute considération quant au bien-fondé de l’argumentation avancée par le ministre, il s’est conformé aux dispositions de l’article 6 du règlement grand-ducal précité du 8 juin 1979, en indiquant tant les circonstances de fait que la cause juridique à la base de sa décision, de sorte que le moyen afférent de la demanderesse laisse d’être fondé et encourt le rejet.
S’agissant ensuite du moyen de la demanderesse tiré d’une erreur d’appréciation du ministre au motif qu’il aurait refusé à tort de lui accorder une dispense de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise, respectivement des cours, sinon de l’examen relatif au cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », il convient de prime abord de préciser qu’en application de l’article 10 de la loi du 8 mars 2017, « [l]a nationalité luxembourgeoise peut être attribuée aux personnes non-luxembourgeoises par naturalisation, (…) », sous condition toutefois de remplir les conditions cumulatives prévues à l’article 14 paragraphe (1) de la même loi, à savoir notamment celle visée au point 2° dudit article d’avoir une connaissance de la langue luxembourgeoise qui devra être documentée par le certificat de réussite de l’examen d’évaluation de cette même langue, tel qu’il est réglementé par l’article 15 de ladite loi, et celle, visée au point 3°, d’avoir participé au cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », sinon d’avoir réussi à l’examen sanctionnant ce cours qui est réglementé par l’article 16 de la même loi.
En l’espèce et conformément à la possibilité lui ouverte à travers l’article 15, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017, respectivement 16, paragraphe (5) de la même loi, la demanderesse, dont il n’est pas contesté en cause qu’elle remplit la condition prévue au point 1° de l’article 14, paragraphe (1), précité, a demandé au ministre à pouvoir être dispensée de remplir les conditions prévues aux points 2° et 3° de l’article 14, paragraphe (1), précité, de la loi du 8 mars 2017, demande que le ministre a rejetée au motif que la demanderesse n’établirait pas que son état de santé physique ou psychique lui rendrait impossible l’apprentissage de la langue luxembourgeoise, respectivement d’acquérir des connaissances dans les matières enseignées.
En ce qui concerne plus particulièrement l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise, il y a lieu de relever que l’article 15 de la loi du 8 mars 2017 dispose comme suit : « (1) L’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise comprend :
1° l’épreuve d’expression orale portant sur le niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues ;
2° l’épreuve de compréhension de l’oral portant sur le niveau B1 du Cadre européen commun de référence pour les langues.
(2) Le candidat doit participer à l’épreuve d’expression orale et à l’épreuve de compréhension de l’oral. (…) (4) Sur demande motivée du candidat, le directeur de l’Institut national des langues décide ou, en cas de besoin, adapte ou suspend, les aménagements raisonnables suivants :
1° l’aménagement de la salle de classe et/ou de la place du candidat ;
2° une salle séparée pour les épreuves ;
3° une présentation adaptée des questionnaires ;
4° une majoration du temps lors des épreuves ;
5° des pauses supplémentaires lors des épreuves ;
6° la délocalisation des épreuves hors de l’école, à domicile ou dans une institution ;
7° le recours à des aides technologiques et humaines, permettant de compenser des déficiences particulières.
Le directeur peut solliciter l’avis de la Commission des aménagements raisonnables, créée par la loi modifiée du 15 juillet 2011 visant l’accès aux qualifications scolaires et professionnelles des élèves à besoins éducatifs particuliers.
(5) Sur demande motivée, le ministre peut dispenser le demandeur de l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise lorsque son état de santé physique ou psychique le met dans l’impossibilité d’apprendre cette langue.
Un certificat émanant d’un médecin spécialiste doit être joint à la demande.
Le demandeur peut être entendu par le délégué du ministre.
En cas de doute, le ministre peut ordonner une expertise médicale. ».
Concernant ensuite le cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », l’article 16 de la loi du 8 mars 2017, dispose que : « (1) Le cours « Vivre ensemble au Grand-
Duché de Luxembourg » comprend trois modules d’une durée totale de vingt-quatre heures :
1° la durée du module sur les droits fondamentaux des citoyens est de six heures ;
2° la durée du module sur les institutions étatiques et communales du Grand-Duché de Luxembourg est de douze heures ;
3° la durée du module sur l’histoire du Grand-Duché de Luxembourg et l’intégration européenne est de six heures.
(2) L’examen porte sur les matières suivantes :
1° les droits fondamentaux des citoyens ;
2° les institutions étatiques et communales du Grand-Duché de Luxembourg ; et 3° l’histoire du Grand-Duché de Luxembourg et l’intégration européenne.
(…) (4) Sur demande motivée du candidat à l’examen, le directeur du Service de la formation des adultes décide ou, en cas de besoin, adapte ou suspend, les aménagements raisonnables visés à l’article 15, paragraphe 4.
Le directeur peut solliciter l’avis de la Commission des aménagements raisonnables.
(5) Sur demande motivée, le ministre peut dispenser le demandeur du cours et de l’examen lorsque son état de santé physique ou psychique le met dans l’impossibilité d’acquérir des connaissances dans les matières visées aux paragraphes 1er et 2.
Un certificat émanant d’un médecin spécialiste doit être joint à la demande.
Le demandeur peut être entendu par le délégué du ministre.
En cas de doute, le ministre peut ordonner une expertise médicale. ».
Force est dès lors de constater que, tant en ce qui concerne la participation à l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise u sens de l’article 15 de la loi du 8 mars 2017 qu’en ce qui concerne le dispositif « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg » au sens de l’article 16 de la même loi, il n’existe qu’un seul cas de figure dans lequel le ministre peut décider d’accorder une dispense, à savoir lorsque l’état de santé physique ou psychique du demandeur de dispense lui rend impossible l’apprentissage de la langue luxembourgeoise, respectivement l’acquisition des connaissances dans les matières prévues à l’article 16, paragraphes (1) et (2) de la loi du 8 mars 2017.
Concernant la notion d’état de santé physique ou psychique mettant le demandeur dans l’impossibilité d’apprendre la langue luxembourgeoises respectivement d’accomplir les examens ou de participer aux cours de « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », il se dégage des travaux préparatoires1 de la loi du 8 mars 2017 et plus particulièrement du 1 Projet de loi du 8 mars 2017, doc. Parl. N° 6977, 27 septembre 2016, Commentaires des articles, ad articles 15 et 16, pages 36 et 37.commentaire des articles 15 et 16 de la loi du 8 mars 2017, précitée, que le seul cas visé est celui d’une réelle impossibilité d’apprendre la langue luxembourgeoise, respectivement d’acquérir des connaissances dans les différentes matières enseignées. Il se dégage encore du commentaire desdits articles qu’il a été dans l’intention du législateur d’ériger la dispense prévue aux articles 15, paragraphe (5) et 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017 en une mesure exceptionnelle dont le dispositif devra être appliqué de manière restrictive. En utilisant plus particulièrement le terme d’« impossibilité », le législateur a entendu écarter les simples difficultés d’apprentissage d’une langue, respectivement d’acquisition de connaissances dans les matières requises par la loi, telles que celles qu’une personne peut notamment rencontrer, en dehors de toute considération d’ordre médical, en raison de son seul âge avancé, tout en érigeant l’impossibilité matérielle tirée de problèmes de santé physique ou psychique en condition exclusive pour pouvoir bénéficier d’une dispense.
L’intention du législateur d’interpréter la notion d’« impossibilité » de manière restrictive se dégage d’ailleurs également du fait qu’aussi bien l’article 15 que l’article 16 de la loi du 8 mars 2017 prévoient justement, en leurs paragraphes (4), la possibilité pour les personnes ne pouvant pas se prévaloir d’une impossibilité de nature médicale d’apprendre la langue luxembourgeoise ou d’acquérir des connaissances dans les matières enseignées, mais rencontrant uniquement des difficultés rendant l’apprentissage d’une langue, respectivement l’acquisition de connaissances supplémentaires, plus laborieuse, de demander des aménagements raisonnables non seulement pour ce qui est des conditions de participation à l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise, mais également pour ce qui est de l’examen prévu dans le cadre du dispositif « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg ».
Il convient encore de préciser que selon les articles 15, paragraphe (5) et 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017, la compétence du ministre n’est pas liée en matière de dispense des cours et des examens concernés, mais qu’il dispose d’un pouvoir discrétionnaire en la matière en ce qu’il « peut » dispenser le demandeur desdits cours ou examens. Il ressort, en effet, des travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 8 mars 2017 que « les certificats médicaux auront seulement une valeur consultative. Le pouvoir décisionnel appartiendra au Ministre de la Justice, qui disposera d’un pouvoir d’appréciation »2. A ces fins, le ministre détient encore un pouvoir discrétionnaire en ce qu’il dispose de la faculté et non point d’une obligation d’ordonner une expertise médicale avant de prendre sa décision.
Si, dès lors, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire, cela n’implique toutefois pas que son appréciation échappe au contrôle du juge administratif. En effet, saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est amené à est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie.
Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments 2 Idem.de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité3.
En l’espèce, il s’agit dès lors en l’espèce de déterminer si le ministre a valablement pu refuser la dispense prévue à l’article 15, paragraphe (5), respectivement 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017 à la demanderesse au motif qu’elle n’aurait pas fait valoir un état de santé physique ou psychique la mettant dans l’impossibilité d’apprendre la langue luxembourgeoises respectivement d’accomplir les examens ou de participer aux cours de « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », tout en procédant à une interprétation restrictive de la notion d’« impossibilité » conformément aux considérations qui précèdent.
Afin d’établir qu’elle serait dans l’impossibilité de suivre des cours, sinon de participer à des examens, la demanderesse a remis trois certificats médicaux au ministre, à savoir, un premier du 28 janvier 2021 dressé par le Docteur …, médecin généraliste, un second du 11 juin 2021 dressé par le Docteur …, médecin spécialiste en oto-rhino-laryngologie et chirurgie cervico-faciale, ainsi qu’un troisième du 5 août 2021 dressé par le Docteur …, médecin spécialiste en médecine interne et oncologie-hématologie. Dans le cadre du recours sous examen la demanderesse se limite à reprocher au ministre de ne pas avoir pris en considération le certificat médical dressé par le Docteur …, tout en ajoutant dans le cadre de son mémoire en réplique qu’une dispense aux examens et cours lui aurait encore dû être accordée en raison de son âge avancé lequel l’empêcherait de se concentrer et d’avoir la mémoire nécessaire pour acquérir les connaissances en langue luxembourgeoise. L’analyse du tribunal portera donc sur lesdits deux moyens soulevés par la demanderesse, alors qu’il ne se trouve saisi que dans la limite des moyens avancés par elle.
Concernant, tout d’abord, concrètement le certificat médical du Docteur … du 5 août 2021 soumis au ministre par la demanderesse, il atteste de manière succincte que la demanderesse serait « atteinte d’une maladie grave nécessitant un traitement en continue » et qu’elle serait « incapable de travailler ou de participer à des cours de formation ». Force est dès lors de constater que ledit certificat est formulé de manière extrêmement abstraite et générale dans la mesure où il se limite à indiquer que la demanderesse serait atteinte d’une maladie grave l’empêchant de travailler ou de participer à des cours, sans fournir la moindre précision que ce soit sur le type de la maladie, le type du traitement à suivre, le niveau de gravité de la maladie ou encore sur les raisons et dans quelle mesure la maladie l’empêcherait de travailler ou de suivre des cours.
Dans la mesure où il est dans l’intention du législateur, telle que le tribunal vient de le préciser, de soumettre en principe l’acquisition de la nationalité à la réussite à des examens respectivement à la participation à des cours et d’ériger la dispense auxdits examens respectivement auxdits cours en mesure exceptionnelle dont le dispositif devra être appliqué de manière restrictive, le tribunal reteint au vu du caractère essentiellement vague du certificat médical du Docteur … soumis au ministre par la demanderesse – et ne revêtant, d’ailleurs, qu’une valeur consultative - et en l’absence de tout autre élément en ce sens soumis par la demanderesse au ministre, qu’il ne peut pas être reproché audit ministre d’avoir considéré les informations fournies par ledit certificat comme insuffisantes pour faire état d’une impossibilité absolue d’apprendre la langue luxembourgeoise respectivement d’acquérir des connaissances 3 Cour adm. 9 novembre 2010, n° 26886C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n°39 et les autres références y citées.dans les matières enseignées et partant d’avoir refusé d’accorder une dispense des cours ou examens au sens des articles 15, paragraphe (5) et 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017.
Pour les mêmes motifs et compte tenu du caractère succinct des résultats de l’expertise médicale de la demanderesse, le ministre n’est pas à critiquer pour ne pas avoir ordonné une seconde expertise médicale afin d’obtenir le cas échéant des indications supplémentaires complémentaires, voire nouvelles, en faveur de la thèse de la demanderesse, pareille expertise ne constituant qu’une simple faculté et non pas un droit pour un demandeur en naturalisation.
Concernant ensuite l’argument de la demanderesse tiré de son âge avancé, à savoir 65 ans, lequel l’empêcherait d’accomplir des examens sinon d’assister à des cours, il convient de rappeler que les article 15, paragraphe (5) et 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017 imposent une « impossibilité » d’apprendre la langue luxembourgeoise respectivement d’acquérir des connaissances dans les matières requises et que cette impossibilité est à interpréter de manière restrictive.
A cet égard, le délégué du gouvernement se réfère à juste titre à un arrêt de la Cour administrative du 26 novembre 2019, inscrit sous le numéro 43328C du rôle, dans le cadre duquel la Cour a retenu que : « S’il est certes exact que l’apprentissage de la langue luxembourgeoise, de même que l’acquisition de connaissances dans les matières enseignées par le cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg », sont susceptibles de devenir de plus en plus difficiles avec l’âge, notamment dans le contexte d’une diminution de la capacité de mémorisation, pareille diminution, somme toute normale, ne constitue pas une difficulté d’apprentissage équivalent à une impossibilité de pouvoir satisfaire aux conditions requises par la loi du 8 mars 2017. Dans ce contexte, il convient par ailleurs de rappeler, à l’instar des premiers juges, que des personnes confrontées à des difficultés rendant l’apprentissage d’une langue, respectivement l’acquisition de connaissances supplémentaires, plus laborieuse, peuvent demander des aménagements raisonnables non seulement pour ce qui est des conditions de participation à l’examen d’évaluation de la langue luxembourgeoise, mais également pour ce qui est de l’examen prévu dans le cadre du cours « Vivre ensemble au Grand-Duché de Luxembourg » ».
En l’espèce, la demanderesse se limitant à se référer à son âge de 65 ans et aux difficultés de concentration et de mémorisation corrélatives, de même qu’à son analphabétisation respectivement son illettrisme allégués, sans fournir aucun élément concret corroborant ces affirmations, ne fait dès lors pas état d’une difficulté d’apprentissage équivalent à une impossibilité de pouvoir satisfaire aux conditions requises par la loi du 8 mars 2017.
Eu égard aux considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que le ministre, par la décision déférée du 18 novembre 2021 n’a pas commis une erreur d’appréciation ni une violation de la loi en refusant d’accorder à Madame … les dispenses prévues par les articles 15, paragraphe (5) et 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017.
Enfin, dans le seul souci d’être complet, il convient d’ajouter que le ministre n’est pas à critiquer pour avoir écarté le certificat médical établi par le Docteur … le 28 janvier 2021, au motif que ce dernier était un médecin généraliste alors qu’en effet les articles 15, paragraphe 5, respectivement 16, paragraphe 5 de la loi du 8 mai 2017 exigent qu’un certificat émanant d’un médecin spécialiste soit joint à la demande de dispense.
De même, la décision ministérielle déférée n’est pas non plus à critiquer pour avoir refusé d’accorder la dispense prévue aux articles 15 et 16 de la loi du 8 mars 2017 sur base du certificat médical établi par le Docteur … le 6 novembre 2021. En effet, si ce dernier certificat médical arrive à la conclusion que la demanderesse souffre d’une insuffisance physiologique permanente sur le plan ORL de 19%, il reste toutefois muet tant sur le niveau de gravité de ladite insuffisance, que sur l’effet de ladite insuffisance sur la capacité de la demanderesse d’apprendre une nouvelle langue, voire de suivre des cours ou de passer un examen. Il s’y ajoute que suite à l’expertise médicale ordonnée par le ministre, le docteur …, médecin spécialiste en oto-rhino-laryngologie, arrive dans le cadre de son rapport médical du 22 septembre 2021 amplement plus motivé et plus précis que le certificat du Docteur …, à la conclusion que le « problème modéré » de la demanderesse pouvait « en principe être compensé par des appareils auditifs », de sorte que « du point de vue ORL » elle était « apte à suivre des cours pour apprendre une nouvelle langue et à passer un examen oral ». D’un point de vue oto-rhino-laryngologique, la demanderesse n’a dès pas non plus fait état, à cet égard, d’une impossibilité d’apprendre la langue luxembourgeoise, voire d’acquérir les connaissances requises au sens des articles 15, paragraphe (5) et 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen soulevé par la demanderesse, il y a lieu de conclure que le ministre a valablement pu refuser d’accorder à la demanderesse les dispenses prévues aux articles 15, paragraphe (5) et 16, paragraphe (5) de la loi du 8 mars 2017 et que le recours est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 janvier 2024 par :
Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge en présence du greffier Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 11