Tribunal administratif Numéro 49907 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49907 3e chambre Inscrit le 9 janvier 2024 Audience publique du 16 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49907 du rôle et déposée le 9 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric SAYS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention de Luxembourg, sis à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 27 décembre 2023 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 janvier 2024.
Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat Gare/Hollerich (C2R), dit « Fremdennotiz », du 10 septembre 2020, référencé sous le numéro …, qu’en date du même jour, Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre dans le quartier de la gare de Luxembourg et qu’à cette occasion, il présenta un titre de séjour italien, ainsi qu’un passeport italien, lequel s’avéra être un faux intégral (« Totalfälschung ») après analyse par l’Unité de la Police de l’Aéroport – Service Expertise Documents.
Par arrêté ministériel du même jour, notifié à l’intéressé également le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans à son encontre.
Il ressort ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat Luxembourg – Groupe Gare, dit « Fremdennotiz », du 21 mars 2021, référencé sous le numéro …, qu’à cette date, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité et qu’à cette occasion, lors 1d’une recherche dans la base de données SIS, il s’avéra que Monsieur … était signalé par les autorités danoises pour interdiction d’entrée sur le territoire.
Suivant un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg (« CPL ») du 15 mai 2021, Monsieur … fut placé en détention préventive le même jour pour des faits d’infraction à la loi sur les stupéfiants et il ressort d’un relevé journalier du 30 juin 2021 qu’à cette date, il fut libéré du CPL.
Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, Commissariat C3R Luxembourg – Groupe Gare, dit « Fremdennotiz », du 15 mai 2023, portant le numéro de référence …, qu’à cette date, Monsieur … fit de nouveau l’objet d’un contrôle policier lors duquel il présenta un passeport nigérian valable du 26 octobre 2021 au 25 octobre 2026.
Il ressort ensuite d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff (« CPU ») du 16 mai 2023 que Monsieur … fut placé en détention préventive le même jour pour des faits d’infraction à la loi sur les stupéfiants.
Suivant acte d’écrou du 17 août 2023, Monsieur … fut condamné par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, du 19 mai 2022 à une peine d’emprisonnement de 12 mois, dont 6 mois avec sursis, pour des infractions à la loi sur les stupéfiants et suivant un relevé journalier du CPU du 18 août 2023, il y fut transféré en date du même jour.
Par courrier du 4 septembre 2023, les autorités compétentes italiennes refusèrent la demande de réadmission de Monsieur … leur adressée par les autorités luxembourgeoises en date du 24 mai 2023.
Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section stupéfiants, du 23 octobre 2023, portant le numéro de référence … que, suivant recherche par le système automatique par empreintes digitales « AFIS », Monsieur … était connu par les autorités danoises, norvégiennes et suisses, entre autres pour des faits d’infraction aux lois sur les stupéfiants.
Le 6 décembre 2023, le ministre chargea la police grand-ducale, Unité de garde et d’appui opérationnel (UGAO), d’organiser le départ du demandeur.
Par arrêté du 27 décembre 2023, notifié à l’intéressé le 29 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », rapporta l’arrêté ministériel, précité, du 10 septembre 2020 et prit une nouvelle décision de retour à l’encontre de ce dernier, décision qui fut encore assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans.
Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 29 décembre 2023, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, auquel il fut transféré du CPL en date du 29 décembre 2023.
Ledit arrêté est fondé sur les motifs et les considérations suivants :
2« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Vu les rapports no … du 10 septembre 2020, no … du 21 mars 2021, no … du 15 mai 2023 et no … du 23 octobre 2023 établis par la Police grand-ducale ;
Vu ma décision de retour du 27 décembre 2023 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans ;
Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 27 décembre 2023 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du « Ministre de l’Immigration et de l’Asile » pour prendre l’arrêté litigieux.
En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, tout en affirmant qu’il ne constituerait pas une menace pour l’ordre public.
Dans ce contexte, il souligne qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée.
Enfin, le demandeur fait valoir qu’il aurait des attaches avec l’Italie et que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier « une prorogation du placement en rétention ».
Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.
3Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du « Ministre de l’Immigration et de l’Asile », étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement1 tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures, ministre qui a, en l’espèce, pris l’arrêté litigieux.
Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de 1 Publié au Mémorial A, n° 778 du 28 novembre 2023.
4placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, il convient de constater qu’en l’espèce, il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 27 décembre 2023, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.
Etant donné qu’à cette date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.
Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de l’existence d’un risque de fuite dans son chef, une simple contestation de sa part, basée sur une prétendue absence de danger pour l’ordre public, n’étant pas suffisante à cet égard.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait des liens avec l’Italie, ni par les pièces versées en cause à ce sujet, à savoir une carte d’identité italienne, un titre de séjour italien et un reçu intitulé « Accettazione ASSICURATA » délivré par « Posteitaliane ». En effet, outre le fait que la carte d’identité italienne dont le demandeur se prévaut dans ce contexte ne lui permet pas de voyager (« non valida per l’espatrio ») et que son titre de séjour italien a expiré le 3 décembre 2021, une éventuelle volonté du demandeur de retourner en Italie est de nature à conforter l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, alors que la notion de risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.
Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.
Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.
En ce qui concerne ensuite les diligences entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur, le tribunal constate qu’en date du 29 décembre 2023, soit le jour du placement du demandeur au Centre de rétention, les autorités luxembourgeoises ont informé 5les autorités nigérianes que l’éloignement du demandeur vers le Nigéria serait en cours d’organisation et que par courrier électronique du 3 janvier 2024, ces dernières ont informé les autorités luxembourgeoises de leurs disponibilités pour un entretien avec le demandeur par visioconférence, entretien qui a eu lieu le 9 janvier 2024.
Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir que les démarches entreprises par le ministre doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et que les contestations du demandeur y relatives sont à rejeter.
Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait des liens avec l’Italie, alors qu’à admettre qu’il ait ainsi entendu reprocher au ministre de ne pas organiser son éloignement vers l’Italie, force est de constater qu’il ressort du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises ont demandé la réadmission de Monsieur … aux autorités italiennes, demande qui a cependant été refusée par ces dernières en date du 4 septembre 2023.
Le moyen ayant trait à une prétendue absence de diligences du ministre en vue d’organiser l’éloignement rapide du demandeur est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 janvier 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original 6Luxembourg, le 16 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 7