Tribunal administratif N° 46701 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46701 2e chambre Inscrit le 17 novembre 2021 Audience publique du 22 janvier 2024 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du ministre des Classes moyennes en matière d’aides en faveur des entreprises en difficulté financière temporaire
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46701 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 novembre 2021 par Maître Céline Lelièvre, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … SA, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre des Classes Moyennes du 27 septembre 2021 refusant de lui accorder l’aide prévue par la loi modifiée du 3 avril 2020 relative à la mise en place d’un régime d’aide en faveur des entreprises en difficulté financière temporaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 février 2022 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Céline Lelièvre déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2022, au nom de la société anonyme … SA, préqualifée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nadine Cambonie, en remplacement de Maître Céline Lelièvre, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2023.
Il est constant en cause que sur base d’un formulaire généré le 3 juillet 2020, la société anonyme … SA, ci-après désignée par la « société … », introduisit auprès du ministère de l’Economie une demande d’aide étatique pour une aide de type « Eco-Covid 19-avance remboursable-6 mois », prévue par la loi modifiée du 3 avril 2020 relative à la mise en place d’un régime d’aides en faveur des entreprises en difficulté financière temporaire, ci-après désignée par « la loi du 3 avril 2020 ».
1Par décision du 27 septembre 2021, le ministre des Classes moyennes, désigné ci-après par « le ministre », rejeta la demande en obtention d’une aide étatique de la société … en les termes suivants :
« […] En référence à votre demande d’aide sous rubrique, suite à l’analyse de celle-ci par mes services et vu la loi, je constate que :
L’entreprise requérante constitue une entreprise en difficulté avant le 1er janvier 2020 telle que définie par l’article 1 (2) 5° de la loi, sachant que les pertes accumulées sont supérieures à la moitié du capital social souscrit.
En conséquence, je vous informe que je ne peux pas donner une suite favorable à votre demande. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2021, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 27 septembre 2021.
Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision déférée.
Il est, en revanche, compétent pour connaître du recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la même décision, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, et après avoir exposé les faits tels que présentés ci-dessus, la société demanderesse explique que la loi du 3 avril 2020 aurait mis en place un régime d’aide étatique en faveur des entreprises en difficulté financière temporaire, sous forme d’une avance remboursable.
Elle souligne que selon la formulation initiale de la loi, les entreprises « qui étaient en difficulté avant le 1er janvier 2020 conformément au paragraphe 18, article 2 du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité [ci-après désignée par « le règlement 651/2014 »] » auraient été exclues dudit régime d’aides. Elle ajoute que, conformément à l’article 2 du règlement 651/2014, précité, elle serait elle-même à considérer comme une entreprise en difficulté au sens dudit règlement, alors que pour l’année 2019 elle aurait affiché un bénéfice de … euros et des pertes reportées d’un montant de … euros pour un capital souscrit de …,- euros, tout en précisant, toutefois, que les actionnaires lui auraient injecté, en 2019, un montant de …,- euros, de sorte que ses capitaux propres se seraient élevés à … euros au 31 décembre 2019.
Il serait, dès lors, d’un côté, exact de relever que sur base d’une analyse stricte des deux postes du bilan mentionnés dans le règlement 651/2014, les pertes cumulées auraient représenté plus de la moitié de son capital souscrit, mais, d’un autre côté, il serait totalement inexact de soutenir qu’elle serait à considérer comme étant « en difficulté », alors que, pour l’année 2019, elle aurait présenté un résultat net positif, après impôt, d’un montant de … euros.
2La société demanderesse en conclut que, même si sa situation comptable avait été correctement examinée, l’autorité ministérielle aurait omis, dans l’appréciation de sa demande d’aide étatique, de tenir compte des exceptions instaurées par la loi modifiée du 24 juillet 2020 visant à mettre en place un fonds de relance et de solidarité et un régime d’aides en faveur de certaines entreprises et portant modification de la loi du 3 avril 2020, ci-après désignée par « la loi du 24 juillet 2020 » et plus particulièrement de l’article 14 de cette loi, alors que lesdites exceptions viseraient justement son cas d’espèce.
Afin de sous-tendre son moyen, la société … procède à l’analyse de l’article 14 de la loi du 24 juillet 2020 susmentionnée en expliquant que si l’alinéa 1er de l’article 1er paragraphe 2 de la loi du 24 juillet 2020, tout comme la loi du 3 avril 2020, exclut du bénéfice des aides étatiques, les entreprises qui étaient en difficulté au 31 décembre 2019 au sens de l’article 2, paragraphe 18 du règlement 651/2014, l’alinéa 2 de cet article complèterait le dispositif existant dans la loi du 3 avril 2020 et aurait sorti ses effets de manière rétroactive au 1er janvier 2020, de sorte que l’autorité ministérielle aurait été tenue de prendre en compte les exceptions y figurant au moment de l’examen de sa demande en obtention d’une aide étatique. Etant donné que, selon la société demanderesse, elle entrerait dans le cadre des exceptions prévues au point 5 du paragraphe 2 de l’article 1er de la loi du 3 avril 2020, tel qu’issu de l’article 14 de la loi du 24 juillet 2020, elle aurait eu droit à une aide étatique.
Finalement, la société … soutient qu’en raison de la situation exceptionnelle dans laquelle se serait trouvé le Luxembourg en 2020, la loi du 3 avril 2020 mentionnerait explicitement, en son article 5, que l’aide devrait être accordée avant le 1er octobre 2020, afin que les décisions soient rendues rapidement et, en tout état de cause, avant cette date, pour que les entreprises ayant sollicité une telle aide puissent introduire un recours avant de se retrouver « dans une situation trop difficile ».
Etant donné que sa demande aurait été formulée le 29 juillet 2020 et que la décision aurait été rendue le 27 septembre 2021, soit quatorze mois plus tard, la société demanderesse conclut à un délai excessif « au regard de l’objet de la loi, de son objectif et de son article 5 », prémentionné. En raison, premièrement, de ce retard, lui ayant causé un dommage certain alors qu’elle aurait dû trouver des solutions alternatives pour maintenir son activité, et ensuite, du refus lui opposé, la société … estime que l’autorité ministérielle aurait non seulement abusé de son pouvoir, mais également violé la loi, de sorte que la décision encourrait la réformation, sinon l’annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement précise, en premier lieu, que le formulaire de demande réceptionné par le ministre ne serait pas le même que celui versé par la société …. Il explique que si le formulaire versé par cette dernière avait bien été généré le 29 juillet 2020 il n’aurait toutefois jamais été transmis au ministre. Le seul formulaire réceptionné par le ministre pour l’aide en question aurait été un formulaire généré le 3 juillet 2020, dans lequel les informations, concernant notamment la taille de l’entreprise, varieraient par rapport au formulaire versé par la société demanderesse.
Ainsi, la demande reçue par le ministre, indiquerait, sous le point « 4. Détails de l’entreprise » que le nombre d’emplois en équivalent temps plein équivaudrait à « 2.877 » et sous le point « 5. Taille de l’entreprise » qu’il s’agirait d’une « moyenne entreprise ».
Après s’être référé à l’article 2, point 3 de la loi du 24 juillet 2020, le délégué du gouvernement conclut qu’en fonction des informations fournies par la société …, celle-ci ne 3serait ni une micro entreprise, ni une petite entreprise, ni une moyenne entreprise, mais, eu égard au nombre de salariés, une grande entreprise.
Le délégué du gouvernement relève ensuite que la société … serait bien à considérer comme une entreprise en difficulté conformément à la définition prévue à l’article 2 du règlement n°651/2014, alors que le ministre aurait correctement apprécié les pertes cumulées représentant plus de la moitié du capital souscrit de la société demanderesse.
Il en conclut que les exceptions instaurées par la loi du 24 juillet 2020 ne s’appliqueraient pas à la société …, alors que lesdites exceptions seraient uniquement prévues pour les micros ou petites entreprises, critères qui ne seraient pas applicables à cette dernière, en raison des données indiquées dans le formulaire relatif à la demande d’aide étatique.
Finalement, le délégué du gouvernement soutient que la société … ne disposerait plus d’une autorisation d’établissement valable depuis le 1er janvier 2021, de sorte qu’elle ne saurait plus légalement exercer son activité depuis ladite date.
Dans son mémoire en réplique, la société … explique avoir déposé, suite à la demande initiale déposée le 3 juillet 2020, une deuxième demande en octroi d’une aide étatique le 29 juillet 2020, en affirmant que le contenu de celle-ci n’aurait pas évolué significativement par rapport à la première. Elle déclare, par conséquent, ne pas s’opposer à ce que la demande déposée le 3 juillet 2020 soit la seule à être prise en compte « dans le cadre du présent recours ». Il y a, dès lors, lieu de lui en donner acte.
Concernant le chiffre renseigné dans le formulaire relatif à la demande d’aide et ayant trait à la question intitulée « Emplois en équivalent temps plein », la société demanderesse explique qu’il serait évident que le nombre « 2.788 » y indiqué représenterait le nombre d’intérimaires qu’elle aurait placés au cours de l’année 2019 et non le nombre de salariés qu’elle aurait occupé en équivalent temps plein sur douze mois, au sens du code du travail. Elle estime dans ce contexte qu’il appartiendrait à l’autorité imposant des formulaires à remplir pour solliciter une aide sans offrir la possibilité d’y fournir des explications complémentaires, d’apprécier la cohérence des réponses apportées. La société demanderesse précise que si elle avait effectivement employée 2.788 salariés en équivalent temps plein, comptabilisés conformément à l’article L.411-2 du Code du Travail, elle aurait occupé, selon la liste établie par l’Institut national de la statistique et des études économiques du grand-Duché de Luxembourg (STATEC), la onzième place au rang de la liste des principaux employeurs luxembourgeois, entre la société anonyme … SA et le …. Le ministre ne saurait, selon elle, ignorer la représentation des plus gros employeurs du pays, de sorte que si les « entreprises d’Intérim » devaient être comptabilisées sur base du nombre d’intérimaires qu’elles feraient travailler sur une année, indépendamment de la durée de leur relation avec lesdites « sociétés d’Intérim », il conviendrait de corriger les études faites par le STATEC, la demanderesse soulignant qu’elle-même ne figurerait pas sur la liste établie par cet institut.
Tout en admettant, dès lors, avoir certes commis une erreur en déclarant comme salariés en équivalent temps plein les intérimaires qu’elle avait placés au cours de l’année 2019, indépendamment de la durée de leur relation contractuelle, elle insiste toutefois sur le fait qu’en réalité, pour son propre fonctionnement, elle n’emploierait que quatre salariés permanents, un gérant et, au moment de la demande de l’aide étatique, un stagiaire. Au sens de l’article L.411-2 du Code du Travail, seul quatre contrats de mission auraient eu une durée de plus de dix mois au cours de l’année ayant précédé la demande, de sorte que le nombre de personnes 4qu’elle aurait occupé serait de 10, y inclus son gérant, ledit stagiaire et quatre intérimaires ayant effectués une mission d’une longue durée. Elle relève encore que le formulaire du 3 juillet 2020 ferait état d’un chiffre d’affaires de … euros pour les comptes clôturés au 31 décembre 2019, chiffre non contesté par l’autorité étatique. La société demanderesse en conclut qu’en occupant moins de 50 personnes et en présentant un chiffre d’affaires annuel inférieur à … d’euros, elle constituerait une petite entreprise au sens de l’article 2 de l’annexe I du règlement 651/2014.
Elle ajoute qu’il ne serait fait état, dans la décision ministérielle du 27 septembre 2021, ni de sa taille, ni d’un quelconque motif de refus en lien avec le fait qu’elle serait une grande entreprise, ni de la question de la délivrance de son autorisation d’établissement, alors que le seul motif de refus de l’octroi de l’aide en question aurait été sa situation financière au 31 décembre 2019. Elle souligne que l’autorité étatique, afin de tenter de légitimer sa décision du 27 septembre 2021, aurait fait état, pour la première fois dans son mémoire en réponse, de deux nouveaux motifs de refus, l’un basé sur sa taille et l’autre sur la question de la possession d’une autorisation d’établissement.
Dès lors, étant donné sa qualité de petite entreprise, la société demanderesse estime qu’elle entrerait dans le cadre des exceptions prévues par la loi du 24 juillet 2020.
Concernant l’autorisation d’établissement, elle souligne que, lors du dépôt de sa demande d’aide étatique en juillet 2020, elle disposait de toutes les autorisations nécessaires à son activité. Elle soutient encore que les difficultés de trésorerie, engendrées par la pandémie de la Covid-19, auraient conduit, dans son chef, à un retard de paiement de sa TVA et que l’autorité étatique retiendrait toujours la délivrance de son autorisation d’établissement, sans aucun motif valable.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement réitère (i) que, d’après les informations fournies par la société …, cette dernière ne serait ni une petite entreprise, ni une entreprise moyenne, mais une grande entreprise eu égard au nombre de salariés employés et (ii) qu’elle serait à considérer comme étant en difficulté au sens du règlement 651/2014. Il soutient qu’il aurait appartenu à la société demanderesse de remplir correctement son formulaire relatif à sa demande d’aide étatique et non pas au ministre d’apprécier cette demande sur base d’informations qui n’auraient pas été à sa disposition lors de sa prise de décision, de sorte que sur base des données lui fournies, le ministre aurait correctement analysé ladite demande et sa décision serait à confirmer.
Concernant l’autorisation d’établissement de la société demanderesse, il soutient que le dirigeant de cette dernière aurait dû, conformément à l’article 4 de la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, contacter l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA et lui faire parvenir soit une attestation certifiant que tous les arriérés de la société … avaient été payés soit la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement de ces arriérés, alors qu’en date du 31 décembre 2021, elle aurait affiché une dette à hauteur de … euros auprès de ladite administration.
5A titre liminaire, le tribunal précise qu’il est en l’espèce saisi d’un recours en annulation, de sorte à devoir apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait ayant prévalu au jour où elle a été prise.1 Le tribunal relève encore qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, il n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Dans sa version en vigueur lors de l’adoption de la décision déférée, en l’occurrence le 27 septembre 2021, la loi du 3 avril 2020 prévoyait, en son article 1er, ce qui suit :
« (1) L’État, représenté par le ministre […] peut accorder une aide en faveur des entreprises en difficulté financière temporaire.
(2) Sont exclus du champ d’application de la présente loi les secteurs et aides suivants :
[…] 5° les aides en faveur des entreprises qui, au 31 décembre 2019 étaient en difficulté au sens de l’article 2, paragraphe 18, du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité sont exclues de l’aide prévue à l’article 3.
Par dérogation à l’alinéa 1er, point 5°, l’aide prévue à l’article 3 peut être octroyée à des micros ou petites entreprises qui étaient déjà en difficulté au 31 décembre 2019, dès lors que celles-ci ne font pas l’objet d’une procédure collective d’insolvabilité en vertu du droit national qui leur est applicable et n’ont pas bénéficié d’une aide au sauvetage sous forme de prêt non encore remboursée, d’une aide au sauvetage sous forme d’une garantie à laquelle il n’a pas encore été mis fin ou d’une aide à la restructuration dans le cadre d’un plan de restructuration qui est encore en cours. Ces conditions sont appréciées au moment de l’octroi de l’aide. ».
La loi du 3 avril 2020 prévoyait encore, dans sa version en vigueur lors de l’adoption de la décision déférée, en son article 3 qu’une : « (1) Une aide en faveur des entreprises peut être octroyée pour autant que les conditions énoncées ci-après soient remplies :
1° un événement imprévisible dont l’impact dommageable sur un certain type d’activité économique au cours d’une période déterminée a été constaté par règlement grand-ducal ;
2° l’entreprise rencontre des difficultés financières temporaires ;
3° l’entreprise exerçait son activité économique déjà avant l’événement imprévisible ;
4° il existe un lien de causalité direct entre l’événement imprévisible visé au point 1° et les difficultés financières temporaires de l’entreprise. » […].
Au vu de ce qui précède, en principe les entreprises qui, au 31 décembre 2019, étaient en difficulté au sens de l’article 2, paragraphe 18 du règlement 651/2014 sont exclues de l’aide prévue à l’article 3 de la loi du 3 avril 2020. Cependant, la loi prévoit une dérogation en faveur des micros ou petites entreprises qui, bien qu’ayant été en difficulté au 31 décembre 2019, peuvent se voir accordées l’aide prévue à l’article 3 de la loi du 3 avril 2020 précité, à condition 1 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 21 et les autres références y citées.
6qu’au moment de l’octroi de ladite aide, elles ne fassent pas l’objet d’une procédure collective d’insolvabilité en vertu du droit national qui leur est applicable et qu’elles n’aient pas bénéficié d’une aide au sauvetage sous forme de prêt non encore remboursé, d’une aide au sauvetage sous forme d’une garantie à laquelle il n’a pas encore été mis fin ou d’une aide à la restructuration dans le cadre d’un plan de restructuration qui serait encore en cours.
Il ressort de la décision ministérielle du 27 septembre 2021, que le ministre a refusé d’octroyer l’aide sollicitée à la société …, au motif que celle-ci aurait constitué une entreprise en difficulté avant le 1er janvier 2020, telle que définie par l’article 1er, paragraphe 2, point 5° de la loi du 3 avril 2020.
Le tribunal constate qu’en l’espèce, la société demanderesse est d’accord avec le fait que le formulaire de demande à prendre en considération est celui du 3 juillet 2020 pour être le seul à avoir été soumis au ministre. Il est ensuite constant en cause que la société … est à considérer comme ayant été en difficulté au sens de l’article 2, paragraphe 18 du règlement 651/2014 en date du 31 décembre 2019, de sorte que cette question n’est pas litigieuse en l’espèce. Toutefois, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si la société … constituait, au moment de la prise de la décision litigieuse, une micro ou une petite entreprise et remplissait la condition prévue à l’article 1er, paragraphe 2, point 5° de la loi du 3 avril 2020, pour se voir octroyer l’aide prévue à l’article 3 de la même loi.
Conformément à la possibilité lui accordée suivant la jurisprudence des juridictions administratives, l’Etat a complété la motivation à la base du refus ministériel en cours de procédure contentieuse en précisant qu’il ressort du dossier administratif que la partie demanderesse a, dans le formulaire du 3 juillet 2020 relatif à sa demande d’aide étatique, renseigné, d’une part, qu’elle employait « 2.877 » personnes en équivalent temps plein et, d’autre part, qu’elle constituait une « moyenne entreprise », informations sur base desquelles l’autorité ministérielle avait considéré qu’elle ne rentrerait pas dans l’exception prévue à l’article 1er, paragraphe 2, point 5° de la loi du 3 avril 2020, précitée.
Il ressort, à cet égard, des explications de la société demanderesse que lors du remplissage du formulaire relatif à sa demande d’aide étatique, elle aurait commis une erreur matérielle, alors qu’au lieu de renseigner le nombre de salariés employés par elle en équivalent temps plein, elle aurait renseigné le nombre d’intérimaires placés au cours de l’année 2019.
La tribunal relève, en premier lieu, que selon les informations fournies par la société … dans le formulaire du 3 juillet 2020, notamment sous la rubrique « Plan de redressement », celle-ci constitue une entreprise de travail intérimaire, alors qu’il se dégage encore dudit formulaire qu’elle y a indiqué sous la rubrique « Identité de l’entreprise » être une société « spécialisée dans le recrutement et la formation », et s’être vue attribuer le code de la nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne (NACE) relatif aux « Activités des agences de travail temporaire ».
Force est, ensuite, au tribunal de constater qu’en tenant compte du nombre de salariés employés par la société … en équivalent temps plein, tel qu’indiqué dans le formulaire du 3 juillet 2020 sous la rubrique « Données comptables du dernier exercice clôturé », à savoir à « 2.877 » emplois, cette dernière ferait effectivement, tel qu’elle l’a, par ailleurs, elle-même relevé dans ses écrits, indubitablement partie des plus grands employeurs luxembourgeois et constituerait, dès lors, une grande entreprise. L’article 2 du règlement 651/2014 prévoit, en effet, qu’une grande entreprise équivaut à « toute entreprise ne remplissant pas les critères 7énoncés à l’annexe I [dudit règlement] » alors qu’en vertu de ladite annexe I « La catégorie des micro, petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes […] ».
Il ressort ensuite du formulaire du 3 juillet 2020 que si, d’un côté, la société … y a indiqué sous la rubrique « Taille de l’entreprise » être une moyenne entreprise, de l’autre côté, elle y a renseigné sous la rubrique « Données comptables du dernier exercice clôturé » que son chiffre d’affaires, relatif à l’année 2019, s’élevait à … euros, ce qui s’apparente, toutefois, en application de l’article 2, point 8° de la loi du 3 avril 20202 et de l’article 2, paragraphe 2 de l’annexe I du règlement 651/2014 selon lequel « Dans la catégorie des PME, une petite entreprise est définie comme une entreprise qui occupe moins de 50 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel ou le total du bilan annuel n’excède pas 10 millions EUR […] », au chiffre d’affaires d’une petite entreprise.
Au vu des considérations qui précèdent, et tel que l’admet la société demanderesse elle-même, il doit être admis que celle-ci s’est tout simplement trompée lors du remplissage du formulaire du 3 juillet 2020 relatif à sa demande d’aide étatique, en indiquant par erreur le nombre d’intérimaires placés par elle au cours de l’année 2019, indépendamment de la durée de leur relation contractuelle, au lieu du nombre d’employés occupés réellement en son sein en équivalent temps plein durant la même année et en décrivant l’entreprise comme étant de taille moyenne.
Or, une telle erreur matérielle relative, non seulement au nombre d’employés indiqué par la société demanderesse dans le formulaire lié à sa demande d’aide, mais également à la qualification erronée de « moyenne entreprise » en relation avec ce nombre, ainsi qu’au chiffre d’affaires y attribué, n’a, en raison de son caractère flagrant, que difficilement pu échapper à l’attention de l’autorité ministérielle lors de l’analyse du formulaire du 3 juillet 2020. Ce constat s’impose d’autant plus en raison de l’activité poursuivie par la société demanderesse, laquelle constitue une entreprise de travail intérimaire « spécialisée dans le recrutement et la formation », de sorte à avoir dû rendre l’erreur matérielle contenue dans le formulaire relatif à sa demande d’aide encore plus frappante. Il tombe, en effet, sous le sens que le nombre démesuré de salariés indiqué par la société demanderesse dans le formulaire du 3 juillet 2020 comme ayant été employés par elle durant l’année 2019 ne pouvait pas être conforme à la réalité économique de celle-ci et qu’il ne pouvait s’expliquer que par l’inclusion, par erreur, du nombre d’intérimaires engagés par la société demanderesse durant la même période. Force est, dès lors, au tribunal de conclure que l’erreur matérielle, mise en lumière par la demanderesse dans son recours introductif d’instance et telle que constatée ci-dessus, était à ce point flagrante, qu’elle aurait dû sauter aux yeux d’une administration qui est amenée à traiter régulièrement des demandes d’aides de ce type.
Il y a lieu de relever, dans ce contexte, que « parmi les objectifs de la procédure administrative non-contentieuse figurent à l’alinéa 3 de l’article 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non-contentieuse, ci-après « la loi du 1er décembre 1978 », « la collaboration procédurale de l’administration » ».3 2 « « petite entreprise » : toute entreprise répondant aux critères énoncés à l’annexe I du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité ».
3 Cour adm., 26 octobre 2023, n° 48979C, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
8C’est ainsi que, dans une optique bien comprise de service public et eu égard au principe de collaboration procédurale de l’administration, il aurait appartenu à l’administration, se voyant adresser une demande d’aide étatique comportant une incohérence manifeste telle que celle dénotée dans le formulaire du 3 juillet 2020, de signaler à l’administré ladite erreur se traduisant par (i) l’illogisme relatif au nombre excessif d’employés indiqué, surtout dans le contexte de son activité et de sa spécialisation « dans le recrutement et la formation », (ii) la qualification erronée de « moyenne entreprise », étant donné sa contradiction avec ledit nombre d’employés renseigné et (iii) l’incohérence des informations fournies ci-avant par rapport au montant du chiffre d’affaires indiqué, équivalent à celui d’une petite entreprise.
Dans un objectif d’équilibre dans la collaboration entre administration et administré, une telle erreur matérielle ne justifiait partant pas une décision de refus pure et simple de l’aide étatique sollicitée, mais une demande émanant de l’autorité ministérielle de rectifier, sinon de revoir le nombre d’employés indiqué et en conséquence, de rechercher, sinon revoir, en fonction de ce nombre, les données renseignées dans le formulaire en l’espèce, étant donné que, tel que relevé par la société demanderesse, ledit formulaire ne lui permettait pas d’étayer et d’expliquer plus amplement les données y indiquées.
Cette analyse se justifie également par l’application du principe constitutionnel de proportionnalité, tel que dégagé par la Cour administrative dans son arrêt du 26 octobre 20234, étant donné que les conséquences découlant de la décision ministérielle négative, à savoir le refus de l’octroi de l’aide étatique sollicitée, se trouvent en disproportion manifeste par rapport à l’erreur matérielle commise par la société … telle que dénotée ci-avant.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’en prenant la décision ministérielle litigieuse du 27 septembre 2021, l’autorité ministérielle a dépassé sa marge d’appréciation. En conséquence, et sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur l’autre moyen invoqué et il y a lieu d’annuler la décision litigeuse et de renvoyer l’affaire devant le ministre en prosécution de cause.
La société demanderesse sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 euros, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Cette demande est cependant à rejeter, étant donné que la société demanderesse n’a pas établi en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié, partant annule la décision ministérielle attaquée et renvoie le dossier en prosécution de cause devant l’autorité compétente ;
4 Cour adm., 26 octobre 2023, n° 48979C, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
9rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 5.000 euros, telle que formulée par la demanderesse ;
condamne l’Etat aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 10