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22/01/2024 | LUXEMBOURG | N°49935

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2024, 49935


Tribunal administratif N° 49935 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49935 2e chambre Inscrit le 15 janvier 2024 Audience publique du 22 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49935 du rôle et déposée le 15 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou

rg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de national...

Tribunal administratif N° 49935 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49935 2e chambre Inscrit le 15 janvier 2024 Audience publique du 22 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49935 du rôle et déposée le 15 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, alias …, né le …, de nationalité française, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 3 janvier 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 6 janvier 2024 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Naïma El Handouz et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 janvier 2024.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 6 octobre 2023, émanant de l’unité de la police de l’aéroport, Groupe …, que Monsieur …, alias …, désigné ci-après par « Monsieur … » fit, en date du même jour, l’objet d’un contrôle par des agents de police alors qu’il s’apprêtait à embarquer dans un vol en direction de Dublin en Irlande, lors duquel il présenta une carte d’identité française, au nom de …, déclarée volée, sous un autre nom. Il s’avéra par la suite que la carte d’identité était un faux et qu’il s’agissait en la personne du concerné faisant l’objet dudit contrôle de Monsieur …. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée à la même date dans la base de données AE.VIS, que Monsieur … s’était vu délivrer un visa Schengen valable du 1er au 30 avril 2020 par les autorités espagnoles.

Une recherche dans le système d’information Schengen (SIS) du même jour révéla, par ailleurs, que Monsieur … faisait l’objet d’un signalement par la France aux fins de non-

admission.

Par arrêté du 6 octobre 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile constata le séjour irrégulier de Monsieur … au Luxembourg, lui 1 ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal n° … du 6 octobre 2023 établi par la Police grand-ducale ;

Vu ma décision de retour du 6 octobre 2023, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans ;

Considérant que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 3 novembre 2023, notifié à l’intéressé en date du 6 novembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile décida de prolonger la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de sa notification. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 28 novembre 2023, inscrit sous le numéro 49730 du rôle.

Par arrêté du 4 décembre 2023, notifié à l’intéressé en date du 6 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », prorogea une deuxième fois la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de sa notification, contre lequel aucun recours contentieux ne fut introduit.

Par arrêté du 3 janvier 2024, notifié à l’intéressé en date du 5 janvier 2024, le ministre prorogea une troisième fois la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter du 6 janvier 2024. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

2 Vu mes arrêtés des 6 octobre, 3 novembre et 4 décembre 2023, notifiés le 6 octobre, le 6 novembre et le 6 décembre 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 6 octobre 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 3 janvier 2024.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, après avoir rappelé les rétroactes relevés ci-avant, Monsieur …, en citant les termes de l’article 120 (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, fait valoir que le placement en rétention devrait être considéré comme un « ultime moyen », alors que ce placement porterait atteinte à la liberté de mouvement, et qu’il ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre qui ne serait pas discrétionnaire, mais devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, laquelle équivaudrait à une détention, devrait rester exceptionnelle.

Il reproche, dès lors, au ministre, lequel aurait motivé sa décision de manière stéréotypée, non individualisée et sans documenter les diligences déjà entreprises en vue d’organiser son éloignement, de ne pas avoir envisagé des mesures moins coercitives, et ce alors même qu’il aurait eu ses pièces d’identité sur lui, dont notamment son passeport, contrairement à ce qui serait inscrit dans la décision de placement du 6 octobre 2023 énonçant « que l’intéressé est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable ».

Le demandeur ajoute que le ministre aurait, en effet, pu envisager d’autres solutions plus adaptées et moins dommageables en termes de privation de liberté qu’un placement au Centre de rétention, tel que le placement dans la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (SHUK) ou « tout autre foyer pour les demandeurs de protection internationale » ou dans un « centre ouvert ».

3 Enfin, il reproche au ministre de ne pas avoir agi avec toute la diligence requise pour écourter au maximum son placement en rétention, respectivement de ne pas avoir renseigné quelles démarches auraient été entreprises en ce sens.

A cet égard, il insiste sur le fait que dans l’arrêté ordonnant son placement en rétention initial, le ministre aurait reconnu lui-même que « l’éloignement de l’intéressé [serait engagé] dans les plus brefs délais », ce qui impliquerait qu’aucune diligence en vue d’organiser son éloignement n’aurait encore été entreprise au moment de son placement en rétention, et ce alors même que le ministre serait légalement tenu « d’engager des démarches, de faire état, et de documenter les démarches qu’il estime requises » pour écourter au maximum la privation de liberté.

Dans ce contexte, il ajoute que le simple fait pour le ministre d’indiquer, sans autre précision, que toutes les diligences seraient engagées en vue de son identification, serait insuffisant pour justifier une mesure de placement, alors que cela sous-entendrait que le ministre n’aurait engagé des diligences qu’après son placement en rétention. Le demandeur souligne également que le ministre se serait limité à affirmer dans la décision déférée que les « démarches n’ont pas encore abouti », sans renseigner quelles démarches auraient été entreprises afin de permettre son éloignement, ce qui impliquerait qu’aucune diligence permettant d’écourter son maintien en rétention n’aurait été entreprise par le ministre.

Il reproche dans ce contexte au ministre de se contenter d’adresser des courriers de rappels aux autorités consulaires algériennes, sans pour autant agir avec plus de diligence afin d’écourter son placement en rétention, le demandeur se référant à cet égard encore à un jugement du tribunal administratif du 5 octobre 2022, inscrit sous le numéro 47991 du rôle. Il conclut qu’eu égard au manque de diligence du ministre, il ne serait nullement possible d’envisager un éloignement rapide dans son chef.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision. Le ministre n’avait, dès lors, pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des 4 articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où c’est justement afin de préparer l’exécution de la mesure d’éloignement qu’un étranger peut, sous réserve qu’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement, être placé en rétention, l’argumentation non autrement sous-tendue par une quelconque base légale ou référence jurisprudentielle visant, de l’entendement du tribunal, à critiquer le fait qu’aucune démarche en vue de l’exécution de son éloignement n’aurait été prise préalablement à son placement en rétention est, dès lors, d’ores et déjà à rejeter pour ne pas se dégager des dispositions légales applicables en la matière.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

5 Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, et tel que cela avait déjà été retenu par le tribunal administratif dans son jugement du 28 novembre 2023, prémentionné, il est constant que le demandeur est en situation irrégulière au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour, ainsi qu’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, ont été prises à son encontre le 6 octobre 2023, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose, ni de documents d’identité – contrairement à ce qu’il prétend de manière péremptoire et non autrement sous-tendue dans le cadre du recours sous analyse –, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est, toutefois, resté en défaut de faire. Au contraire, force est de constater que le demandeur a affirmé, lors de son audition par la police grand-ducale en date du 6 octobre 2023, qu’il souhaiterait se rendre en Belgique auprès de son épouse, affirmations qui sont de nature à renforcer le risque de fuite tel que retenu ci-avant, lequel se définit comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

En ce qui concerne ensuite le reproche suivant lequel ce serait à tort que le ministre n’a pas appliqué au demandeur des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, il y a lieu de relever que l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

6 a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, tel que relevé ci-dessus, le demandeur n’a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef. Il est, par ailleurs, constant qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, ni d’une quelconque autre attache, et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

7 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes prévues audit article, et plus particulièrement à celle visée au point b) de celui-ci, telle que préconisée par le demandeur, s’impose, étant encore précisé que la SHUK, respectivement « tout autre foyer pour les demandeurs de protection internationale » ou un « centre ouvert » ne sauraient être considérés comme domiciles stables ni comme fournissant à eux seuls une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence à la SHUK, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5 (1) f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Etant donné (i) que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans le 6 octobre 2023, et (ii) qu’une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à une prétendue disproportion de la mesure de prorogation de son placement en rétention basés sur une absence d’un risque de fuite dans son chef ainsi qu’une violation de l’article 5 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, le tribunal a relevé dans son jugement, précité, du 28 novembre 2023 qu’il ressortait du dossier administratif qu’en date du 6 octobre 2023, les autorités luxembourgeoises avaient contacté leurs homologues français afin de demander une copie d’un document d’identité du concerné et que ceux-ci avaient informé les autorités luxembourgeoises, en date du 9 octobre 2023, que leur demande a été transmise aux autorités compétentes. Le tribunal avait encore constaté qu’il ressortait d’une demande d’un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », adressée à la police grand-ducale en date du 10 octobre 2023, que le prélèvement des empreintes digitales de l’intéressé avait été sollicité, mais que ledit 2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

8 prélèvement n’avait pu avoir lieu, tel que cela ressortait de six notes aux dossiers datées aux 12, 16, 18, 20, 23 et 25 octobre 2023, qu’en date du 26 octobre 2023, alors que la police technique n’était pas passée plus tôt au Centre de rétention.

Le tribunal avait également soulevé qu’il ressortait du dossier administratif que suite à la communication des empreintes digitales du concerné au ministère en date du 26 octobre 2023, une recherche avait été effectuée dans la base de données EURODAC le même jour, sans résultat. Le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile avait adressé une demande d’identification en vue de la délivrance d’un laissez-passer au Consulat de la République algérienne démocratique et populaire en y joignant quatre photos d’identité, ainsi qu’un jeu d’empreintes digitales du concerné, suivi d’un courrier de rappel en date du 17 novembre 2023.

Le tribunal en a conclu qu’au moment où il était amené à statuer, non seulement le dispositif de l’éloignement était en cours, mais qu’il était encore poursuivi avec la diligence légalement requise.

En ce qui concerne les démarches entreprises depuis lors, il convient de noter qu’il se dégage du dossier administratif que suite au rappel adressé en date du 17 novembre 2023 aux autorités consulaires algériennes, ces dernières ont répondu, par courriel du 23 novembre 2023, que le dossier de Monsieur … était en cours d’examen par les autorités compétentes à Alger.

Ensuite, en date des 7 et 21 décembre 2023 et 4 janvier 2024, l’agent ministériel en charge du dossier s’est renseigné auprès des autorités consulaires algériennes sur l’état d’avancement du dossier, demande à laquelle ces dernières ont répondu en date du 5 janvier 2024 qu’il était toujours en cours de traitement.

Compte tenu des démarches déployées concrètement par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire de la collaboration des autorités algériennes, le tribunal retient que la procédure d’éloignement du demandeur est toujours en cours, mais qu’elle n’a pas encore abouti, et que les démarches ainsi entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées comme suffisantes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est toujours exécutée avec toute la diligence requise et que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter. De même, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement requis, de sorte que l’argumentation afférente du demandeur est également à rejeter pour ne pas être fondée.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par la solution dégagée par le président du tribunal administratif dans son jugement du 5 octobre 2022, inscrit sous le numéro 47991 du rôle, invoqué par le demandeur, alors que, d’une part, le litige portait sur la question de la régularité d’un arrêté ordonnant la quatrième prorogation du placement en rétention de la personne concernée, et, d’autre part, que ce sont tant un défaut total de réponse des autorités étrangères compétentes aux sept demandes leurs adressées par les autorités luxembourgeoises en vue de l’identification de cette personne et de la délivrance d’un laissez-passer en sa faveur, que l’absence d’accusé de réception de ces demandes, qui ont amené le président du tribunal administratif à conclure qu’il n’existait plus de perspectives raisonnables d’éloignement de l’intéressé.

Or, en l’espèce, force est de constater que suite à son placement au Centre de rétention, le demandeur s’est, à ce stade, vu notifier trois prorogations de son placement, tandis que les autorités consulaires algériennes ont répondu une première fois le 23 novembre 2023 à la 9 demande leur adressée par les autorités luxembourgeoises en indiquant que le dossier de l’intéressé était en cours d’examen par les autorités compétentes à Alger, et une deuxième fois en date du 5 janvier 2024 que le dossier était toujours en cours de traitement.

C’est, dès lors, à tort que le demandeur, d’une part, reproche un manque de diligences aux autorités luxembourgeoises, lesquelles sont, tel que relevé ci-avant, actuellement tributaires de la collaboration des autorités algériennes auxquelles elles se sont adressées, et, d’autre part, estime que son éloignement ne saurait aboutir.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49935
Date de la décision : 22/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-22;49935 ?

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