Tribunal administratif N° 47168 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47168 5e chambre Inscrit le 10 mars 2022 Audience publique du 24 janvier 2024 Recours formé par la société anonyme A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47168 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2022 par Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 9 décembre 2021, référencée sous le numéro C 28581, ayant rejeté sa réclamation introduite le 22 octobre 2020 contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2016, 2017 et 2018, tous émis le 7 octobre 2020, et réformé les impositions in pejus ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 juillet 2022 par Maître Patrick Kinsch, au nom de la société anonyme A, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Patrick Kinsch et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 novembre 2023.
En date des 13 juin 2018, 19 décembre 2018 et 21 aout 2019, le bureau d’imposition Sociétés Nord, section des sociétés, de l’administration des Contributions directes émit à l’égard de la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal respectivement des années 2016 à 2018, en vertu du § 100a de la loi générale d’impôt du 22 mai 1931, telle que modifiée, dite « Abgabenordnung », en abrégé « AO ».
Par courrier du 26 août 2020, le bureau d’imposition Sociétés Diekirch, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa la société A, sur le fondement du § 205, alinéa (3) AO, qu’il envisageait de dévier des déclarations fiscales telles que déposées par ladite société pour 1 les exercices 2016 à 2018, tout en l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite jusqu’au 16 septembre 2020. Ledit courrier est formulé comme suit :
« […] Conformément aux dispositions du paragraphe 205 (3) de la loi générale des impôts, je vous communique ci-après les modifications essentielles que le bureau d’imposition Sociétés Diekirch se propose de faire à vos déclarations fiscales pour les exercices 2016, 2017 et 2018. Vos objections éventuelles sont à fournir pour le 16 septembre 2020 au plus tard.
2016 Le montant des gratifications payées dépasse le montant d’une gratification admissible (maximum: 5 x salaire brut) Salaire brut Grat. payée Grat. admise Surplus X … … … … Y … … … … Total: … Les surplus de …€ payés aux associés sont à considérer comme distributions cachées de bénéfice (sans retenue à la source) conformément à l’article 164(3) L.I.R..
2017 Le montant des gratifications payées dépasse le montant d’une gratification admissible (maximum: 5 x salaire brut) Salaire brut Grat. payée Grat. admise Surplus X … … … … Y … … … … Total: … Les surplus de … € payés aux associés sont à considérer comme distributions cachées de bénéfice (sans retenue à la source) conformément à l’article 164(3) L.I.R..
2018 Le montant des gratifications payées dépasse le montant d’une gratification admissible (maximum : 5 x salaire brut) Salaire brut Grat. payée Grat. admise Surplus X … … … … Y … … … … Total: … Les surplus de …€ payés aux associés sont à considérer comme distributions cachées de bénéfice (sans retenue à la source) conformément à l’article 164(3) L.I.R.. […] ».
Le 14 septembre 2020, la société A prit position quant au courrier précité du bureau d’imposition.
En date du 7 octobre 2020, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société A, - pour l’année d’imposition 2016, (i) un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités indiquant que « [l]’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants [:] Distributions cachées de bénéfice : Gratifications non-admises : … EUR [,] Imposition suivant notre lettre du 26 août 2020. Bien reçu votre courrier du 14 septembre 2020. », et (ii) un bulletin de l’impôt commercial communal ;
- pour l’année d’imposition 2017, (i) un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités indiquant que « [l]’imposition diffère de la déclaration sur les points 2 suivants [:] Distributions cachées de bénéfice : Gratifications non-admises :
…EUR [,] Imposition suivant notre lettre du 26 août 2020. Bien reçu votre courrier de 14 septembre 2020. », et (ii) un bulletin de l’impôt commercial communal ; et - pour l’année d’imposition 2018, (i) un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités indiquant que « [l]’imposition diffère de la déclaration sur les points suivants [:] Distributions cachées de bénéfice : Gratifications non-admises :
…EUR [,] Imposition suivant notre lettre du 26 août 2020. Bien reçu votre courrier du 14 septembre 2020. », et (ii) un bulletin de l’impôt commercial communal.
Par un courrier du 22 octobre 2020, la société A introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », contre les bulletins, précités, des années 2016 à 2018.
Par décision du 9 décembre 2021, répertoriée sous le numéro de rôle C 28581, le directeur procéda à une réformation in pejus des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal des années 2016 à 2018. Cette décision, comportant en annexe le détail des impositions redressées de la société A, est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 22 octobre 2020 par les sieurs X et Y, au nom de la société anonyme A, avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2016, 2017 et 2018, tous émis le 7 octobre 2020 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que si l’introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n’est incompatible, en l’espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d’examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu’il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu’il n’y a pas lieu de la refuser en la forme ;
Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elles sont partant recevables ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition d’avoir requalifié en tant que distributions cachées de bénéfices des gratifications payées à ses administrateurs/actionnaires ;
Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d’impôt étant d’ordre public ;
qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-
fondé ;
3 Considérant qu’en vertu de ses statuts de constitution, la réclamante a pour objet, entre autres, « l’exploitation d’un bureau d’architecture » ;
Considérant qu’il ressort du dossier fiscal que le bureau d’imposition a établi les impositions des années litigieuses originairement sur pied du § 100a AO en dates du 13 juin 2018, 19 décembre 2018 et 21 août 2019 ; qu’aux termes du § 100a AO, le bureau d’imposition peut, sous réserve d’un contrôle ultérieur, fixer l’impôt en tenant compte de la seule déclaration d’impôt ; qu’en l’occurrence, le bureau d’imposition a procédé à un tel contrôle ultérieur et a émis des bulletins définitifs, objets de la requête introductive, en date du 7 octobre 2020 ;
Considérant d’abord qu’en exécution du § 205, alinéa 3 AO, le bureau d’imposition a informé la réclamante à travers un courrier daté au 26 août 2020 qu’une partie des gratifications versées aux administrateurs/actionnaires serait requalifiée en tant que distribution cachée de bénéfices ;
Considérant qu’aux termes du § 205, alinéa 3 AO, des divergences notables par rapport à la déclaration du contribuable doivent, pour autant qu’elles soient en sa défaveur, lui être communiquées pour observation préalablement à l’émission du bulletin ; que le but du § 205, alinéa 3 AO, en tant que principe de bonne administration, consiste à vérifier les conclusions auxquelles tend une instruction en défaveur du contribuable et partant à éviter d’éventuels malentendus ;
Considérant que suite au prédit courrier, la réclamante s’est montrée insatisfaite quant aux divergences en sa défaveur à travers une lettre datée au 16 septembre 2020, tandis qu’elle n’a pas apporté des éléments nouveaux et révélateurs au bureau d’imposition ; que partant le bureau d’imposition a procédé à l’imposition des années litigieuses en se référant aux redressements communiqués dans son courrier du 26 août 2020; qu’il découle de ce qui précède, qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique, les divergences entre déclaration et imposition tirant leur origine de l’interprétation des dispositions légales quant au traitement des gratifications en question et n’étant de toute façon pas susceptibles de s’effacer par la présentation de son interprétation de la loi par le contribuable (cf. § 205, alinéa 3 AO) ;
Considérant qu’il ressort du dossier fiscal de la réclamante que les sieurs X et Y se partagent toutes les actions de la réclamante à parts égales ; que les sieurs X et Y ont également perçu un salaire en raison de leur fonction d’administrateurs et que les salaires et gratifications payés au cours des années litigieuses aux sieurs X et Y se présentent comme suit :
Année Associé Salaires Gratifications 2016 X … euros … euros Y … euros … euros 2017 X … euros … euros 4 Y … euros … euros 2018 X … euros … euros Y … euros … euros Considérant que c’est le quantum des gratifications qui a amené le bureau d’imposition à retenir que l’origine des paiements est davantage à rechercher en la qualité d’actionnaires des bénéficiaires qu’en leur qualité de salariés ; qu’il a partant requalifié en tant que distributions cachées de bénéfices les montants suivants :
Année 2016 Gratifications Montant admis Distribution cachée de bénéfices … euros … euros … euros Année 2017 Gratifications Montant admis Distribution cachée de bénéfices … euros … euros … euros Année 2018 Gratifications Montant admis Distribution cachée de bénéfices … euros … euros … euros Considérant qu’aux termes de l’article 45 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise ; qu’il y a lieu d’analyser si les montants réintégrés aux revenus imposables par le bureau d’imposition constituent des dépenses d’exploitation en vertu de l’article 45 L.I.R. ;
Considérant qu’il s’impose de noter que les sieurs X et Y sont les seuls actionnaires de la réclamante ; qu’il est sans équivoque que ces derniers sont les dirigeants et les bénéficiaires économiques de la réclamante ; qu’en raison de leur statut, ils peuvent librement décider de toutes les opérations quotidiennes de la réclamante dont notamment la décision de se verser des dividendes, des salaires, des gratifications et autres primes ;
5 Considérant qu’aux termes de l’article 164, alinéa 3 L.I.R., il y a distribution cachée de bénéfices si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ;
Considérant que les administrateurs/actionnaires sont au cours des années 2016 et 2017 les seuls employés de la réclamante qui ont bénéficié d’une gratification, alors que suivant ses propres dires la réclamante « occupe entre 10 et 11 personnes durant les exercices 2016 à 2018 » ; qu’au cours de l’année 2018, les livres de la réclamante font apparaître des gratifications de … euros, alors que ses administrateurs n’en ont perçu qu’un montant de … euros ; qu’il peut donc être présumé que le montant restant de (… - … i.e.) … euros fut distribué aux employés non-associés ;
Considérant que les livres de la réclamante font apparaître qu’elle a déboursé pour tous ses employés un salaire de base annuel de … euros pour l’année 2016, de … euros pour l’année 2017 et de … euros pour l’année 2018 ; que suivant ses comptes annuels des années litigieuses, le nombre de personnes occupées en moyenne est de 11, ce qui fait ressortir un salaire moyen par employé non-associé de ((… - … - … ) / 9 i.e.) … euros pour l’année 2016, un salaire moyen par employé non-associé de ((… - … - … ) / 9 i.e.) … euros pour l’année 2017 et un salaire moyen par employé non-associé de ((… - … - … ) / 9 i.e.) … euros pour l’année 2018 ; qu’au cours de l’année 2018 des gratifications pour un montant total de … euros furent distribuées aux 9 employés non-associés, ce qui correspond à une gratification annuelle moyenne de … euros par employé non-associé ;
Considérant que les rémunérations annuelles moyennes des employés non-associés et celles des administrateurs (toutes gratifications incluses) sont reprises, à titre illustratif dans le tableau ci-dessous :
Année Associé Non-associé Pourcentage 2016 … euros … euros 287,21 … euros … euros 363,14 2017 … euros … euros 330,10 … euros … euros 354,27 2018 … euros … euros 317,01 … euros … euros 298,04 Considérant que le tribunal administratif a retenu qu’ « au regard des sommes payées à titre de gratification tant à Monsieur […] qu’à Madame […], qui représentent un multiple de leurs propres salaires annuels bruts de base respectifs, hors gratification, comparées aussi à l’écart frappant par rapport aux montants des gratifications payées aux autres salariés, même celles payées aux quelques salariés ayant touché durant les années litigieuses des gratifications plus conséquentes, le bureau d’imposition a valablement pu retenir des indices concrets d’une distribution cachée de bénéfices dans la mesure où de tels paiements n’auraient 6 pas été accordés par un dirigeant même moyennement diligent et consciencieux, visant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, à un salarié non associé. » (Tribunal administratif du 6 février 2017, n° 37141 du rôle) ;
Considérant que la disposition de l’article 164, alinéa 3 L.I.R. est l’application du principe suivant lequel il y a lieu, pour les besoins du fisc, de restituer aux actes leur véritable caractère et doit partant s’interpréter en fonction de cette finalité ;
Considérant qu’aux termes de l’article 164, alinéa 1er L.I.R., pour déterminer le revenu imposable, il est indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droits ; que les dividendes ou autres distributions de bénéfices ne constituent dès lors pas des dépenses d’exploitation déductibles du revenu imposable ;
Considérant que suivant les dires de la réclamante, la gratification en cause est « une prime facultative dont le montant se décide d’exercice en exercice à base du chiffre d’affaires respectivement du bénéfice de l’exercice » ;
Considérant qu’une entreprise commerciale qui revêt la forme juridique d’une société de capitaux et qui entend redistribuer une partie des bénéfices réalisés en contrepartie des compétences professionnelles des administrateurs/actionnaires, n’est pas libre d’opérer ces « participations au bénéfice » par l’intermédiaire de frais de personnel excessifs et dépassant la contrepartie réelle ;
Considérant que les relations entre une société et ses associés doivent se nouer comme entre tiers ; que les administrateurs/actionnaires doivent donc également être rémunérés dans le respect des conditions du marché ; qu’en l’espèce, il est manifeste que le paiement des « gratifications » trouve son origine dans la relation particulière entre la réclamante et ses associés ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 121-4, alinéa 2 du Code de travail « le contrat de travail doit comporter les mentions ci-après :
(…) 7. le salaire de base et, le cas échéant, les compléments de salaire, les accessoires de salaires, les gratifications ou participations convenues ainsi que la périodicité de versement du salaire auquel le salarié a droit ;
(…) » ;
qu’il en découle que les gratifications doivent obligatoirement figurer dans le contrat de travail conclu entre l’employeur et le salarié ;
Considérant que la réclamante confirme dans sa requête que la « gratification est non contractuelle » ;
Considérant qu’à défaut de stipulation contractuelle des émoluments accessoires aux salaires en numéraire, les « gratifications » versées aux sieurs X et Y ne sont pas à qualifier en tant que telles ; que les versements en question s’analysent incontestablement en des dividendes déguisés, en d’autres termes, en des distributions cachées de bénéfices ;
7 Considérant que le « versement d’un dividende occulte sous la forme d’une gratification à des associés personnes physiques est à considérer comme une distribution cachée de bénéfice auxdits associés qui ont renoncé, pour des raisons fiscales, au versement ouvert d’un dividende. » (Tribunal administratif du 19 octobre 2009, n° 25396 du rôle) ;
Considérant que le directeur des contributions n’est pas lié par les moyens invoqués par le réclamant (§ 243, alinéa 2 AO), mais a le devoir de procéder d’office à un réexamen intégral de la cause (§ 243, alinéa 1er AO), tant en faveur qu’en défaveur du réclamant ;
Considérant qu’il résulte des développements qui précèdent que ni le sieur X ni le sieur Y n’avaient droit au versement de gratifications ; que partant les montants de … euros (2016), … euros euros (2017) et … euros (2018) sont à requalifier en tant que distributions cachées de bénéfices étant donné que lesdits administrateurs se sont payé une partie des fonds résultant des bénéfices réalisés au titre des années litigieuses, alors que la voie normale aurait été l’allocation de dividendes ;
Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d’ailleurs pas autrement contestées ;
Considérant que le redressement des impositions pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial communal des années 2016, 2017 et 2018 fait l’objet des annexes 1, 2 et 3 qui constituent des parties intégrantes de la présente décision ;
PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, réformant in pejus, fixe l’impôt sur le revenu des collectivités dû pour l’année 2016, y compris la contribution au fonds pour l’emploi, à … euros, établit la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2016 à … euros, fixe l’impôt commercial communal de l’année 2016 à … euros, fixe l’impôt sur le revenu des collectivités dû pour l’année 2017, y compris la contribution au fonds pour l’emploi, à … euros, établit la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2017 à … euros, fixe l’impôt commercial communal de l’année 2017 à … euros, fixe l’impôt sur le revenu des collectivités dû pour l’année 2018, y compris la contribution au fonds pour l’emploi, à … euros, établit la base d’assiette de l’impôt commercial communal de l’année 2018 à … euros, fixe l’impôt commercial communal de l’année 2018 à … euros, renvoie au bureau d’imposition pour exécution, notamment pour imputation des bonification d’impôt et avance des années d’imposition antérieures. […] ».
8 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2022, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du directeur, précitée, du 9 décembre 2021.
Conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’impôt.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale, précitée du 9 décembre 2021, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la société demanderesse, après avoir rappelé les faits et rétroactes exposés ci-dessus, conclut, tout d’abord, à l’annulation de la décision directoriale déférée dans le cadre du recours en réformation pour violation du § 205, alinéa (3) AO.
Dans ce contexte, elle fait valoir que si les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2016, 2017 et 2018 avaient été pris dans le respect du §205, alinéa (3) AO, le directeur se serait toutefois écarté dans un sens défavorable de ses déclarations de l’impôt et de ce qui aurait été retenu par le bureau d’imposition en exerçant son pouvoir de réformation in pejus, sans aucun avertissement préalable.
Elle relève ensuite que le bureau d’imposition aurait retenu des distributions cachées de bénéfices pour le montant des gratifications payées à Monsieur X et à Monsieur Y dépassant 5 fois leur salaire brut, tandis que le directeur aurait considéré l’intégralité des gratifications reçues par ceux-ci comme des distributions cachées de bénéfices.
Or, selon la société demanderesse, la reformatio in peius présupposerait nécessairement que le contribuable soit averti de l’intention du directeur et qu’il ait l’occasion de prendre position par rapport à celle-ci.
La société demanderesse prend ensuite position quant au bien-fondé de la décision directoriale en ce qui concerne la requalification de l’intégralité des gratifications, telles qu’attribuées à Monsieur X et à Monsieur Y, en tant que distributions cachées de bénéfices.
Pour le surplus, elle critique la motivation adoptée par le bureau d’imposition.
Le délégué du gouvernement fait valoir que le bureau d’imposition aurait adressé un courrier sur base du § 205, alinéa (3) AO à la société demanderesse en date du 26 août 2020 dans le but de l’informer des redressements à envisager en ce qui concerne la requalification d’une partie des gratifications en tant que distributions cachées de bénéfices au sens de l’article 164, alinéa (3) de la loi modifiée de l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR ». La demanderesse aurait ensuite eu l’opportunité d’y prendre position par courrier du 14 septembre 2020.
De surcroît, il y aurait lieu de constater qu’à l’exception des développements relatifs au droit du travail ainsi que ceux qui porteraient sur une comparaison théorique de la rémunération des associés et celle d’un fonctionnaire, développements qui n’auraient aucune pertinence pour 9 la résolution de la présente espèce, le contenu et le libellé du recours seraient identiques à celui de la réclamation introduite le 22 octobre 2020.
Ainsi, le délégué du gouvernement estime qu’en n’invoquant aucun argument pertinent ou nouveau par rapport à ceux évoqués préalablement à la décision directoriale litigieuse, la société demanderesse ne pourrait se prévaloir d’une quelconque violation du principe du contradictoire en raison du redressement in pejus effectué par le directeur.
Il soutient finalement que la société demanderesse devrait démontrer l’existence d’un préjudice tiré de la prétendue violation de ses droits procéduraux, ce qu’elle resterait en défaut de faire.
Quant au fond, le délégué du gouvernement conclut à la confirmation de la décision directoriale litigieuse du 9 décembre 2021 et au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse, tout en réitérant son argumentation déjà développée dans sa requête introductive d’instance, relève que, contrairement à l’argumentation du délégué du gouvernement, les développements par lesquels elle aurait critiqué la reformatio in pejus dans la requête introductive d’instance ne pourraient pas être rejetés comme étant des « développements qui n’ont aucune pertinence pour la résolution de la présente espèce ». D’une part, il n’appartiendrait pas à une administration qui violerait le droit du contribuable à une procédure contradictoire d’apprécier par elle-même quel serait le degré de pertinence des arguments du contribuable. Il serait libre de juger des arguments qu’il entend faire valoir, une fois que l’intention de l’administration est portée à sa connaissance. D’autre part, le tribunal administratif apprécierait, de manière plus objective que l’administration, si les arguments ainsi formulés dans le recours devaient être pertinents. Il aurait ainsi appartenu à l’administration de lui permettre de les développer devant elle, avant de procéder à une reformatio in pejus d’office.
Il y a lieu de constater qu’au vu de son moyen développé au titre du § 205, alinéa (3) AO, la société demanderesse reproche au directeur d’avoir réformé in pejus son imposition au titre des années 2016 à 2018 sans l’avoir mise en mesure de prendre préalablement position par rapport aux redressements envisagés.
En ce qui concerne l’application non contestée du § 205, alinéa (3) AO dans le cadre de la procédure de réclamation devant le directeur, il convient tout d’abord de se référer au § 243 AO, disposant que « (1) Soweit die Rechtsmittelbehörden zur Nachprüfung tatsächlicher Verhältnisse berufen sind, haben sie den Sachverhalt von Amts wegen zu ermitteln. (2) Sie sind an die Anträge dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, nicht gebunden. (3) Sie können die Entscheidung auch zum Nachteil dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, ändern », ainsi qu’au § 244 AO disposant que « Die Rechtsmittelbehörden haben die Befugnisse, die den Steuerkontrollstellen im Besteuerungsverfahren gegeben sind. Soweit die Ausübung dieser Befugnisse an die Genehmigung des Steuerdirektors gebunden ist, bedarf es dieser nur, wenn Steuerkontrollstellen als Rechtsmittelbehörden tätig werden ».
Le § 243 AO consacre dans ses trois alinéas les différents volets du principe de l’examen d’office d’une réclamation par le directeur, la raison d’être de ce principe étant ancrée dans le caractère d’ordre public de la loi fiscale mettant le contribuable dans une situation statutaire et établissant à sa charge une créance de droit public, de manière qu’on ne peut réclamer de lui ni plus, ni moins d’impôt que celui légalement dû. Le § 243 AO est considéré 10 comme faisant de la voie de recours de la réclamation la continuation de la procédure d’imposition et comme le prolongement du principe inscrit au § 204, alinéa (1) AO, en vertu duquel le bureau d’imposition doit également instruire en faveur du contribuable1.
Dès lors, le directeur, saisi d’une réclamation contre un bulletin d’impôt ou un bulletin d’établissement en vertu du § 228 AO, se voit attribuer par le § 243, alinéa (1) AO la mission d’instruire d’office le cas d’imposition lui soumis et la situation factuelle à sa base tandis que le § 244 AO lui confère, dans le cadre de l’instruction de la réclamation, les mêmes pouvoirs que ceux dont disposent les bureaux d’imposition pour la fixation de la cote d’impôt ou des bases d’imposition. Il s’ensuit que, saisi d’une réclamation, le directeur fait acte d’administrateur et dispose du pouvoir d’imposition, de manière qu’il y a « changement des organes appelés à administrer, mais non pas changement de la nature de leurs fonctions respectives »2, et qu’il a l’obligation d’établir l’impôt en lieu et place du bureau d’imposition3.
Ainsi, d’un côté, le directeur dispose de la plénitude des pouvoirs alloués au bureau d’imposition et ne se trouve pas lié par les conclusions des parties, le § 243 alinéa (3) AO lui conférant à cet égard le pouvoir de modifier l’imposition même en défaveur du contribuable.
D’un autre côté, le directeur, qui doit instruire à charge et à décharge du contribuable, dispose encore des mêmes droits et obligations que le bureau d’imposition en ce qui concerne l’appréciation des preuves et les moyens d’investigation pour s’assurer d’une détermination juste des bases d’imposition imputables au contribuable et il est tenu de prendre en compte tous les faits et circonstances susceptibles de modifier la cote d’impôt, de sorte qu’il doit tenir compte de toutes les demandes et de tous les moyens nouveaux produits en cours d’instance4.
Le renvoi, par le § 244 AO, à la procédure d’imposition (« Besteuerungsverfahren ») doit s’entendre des §§ 160 à 227 AO qui constituent la deuxième section de la deuxième partie de l’AO relative à l’imposition5.
Le principe général consacrant le droit du contribuable d’être informé et entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers les informations par lui soumises à l’autorité compétente (« Recht auf Gehör »), découlant du § 204, alinéa (1) AO, articule un droit élémentaire au profit du contribuable face à l’administration fiscale.
Le § 205, alinéa (3) AO disposant que : « wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äußerung mitzuteilen », constitue une application particulière de ce principe général.
Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet 1 Jean Olinger, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes Fiscales nos 81-85, n° 184 ; Alain Steichen, Manuel de droit fiscal, tome 1, 2000, p. 767 ; Hübschmann, Hepp, Spitaler, RAO-Kommentar, ad § 243, Anm. 2: « … stellt sich das Rechtsmittelverfahren als fortgesetztes Steuerermittlungsverfahren dar ».
2 Alain Steichen, Manuel de droit fiscal, tome 1, 2006, p. 851.
3 Cour adm. 20 décembre 2022, n° 47189C, disponible sous www.jurad.etat.lu.
4 Cour adm. 7 mai 2020, n° 43338C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1121.
5 Hübschmann, Hepp, Spitaler, RAO-Kommentar, § 244, Anm. 1 ; Kühn, Abgabenordnung, 9. Ausg., ad § 246, Anm. 1.
11 desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une modification substantielle (« wesentliche Abweichung ») en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration, et d’ouverture à ce dernier d’un droit de prendre utilement position par rapport à ces mêmes éléments6.
En raison du renvoi opéré par le § 244 AO et de la nature fondamentale du droit prévu par le § 205, alinéa (3) AO, ce dernier constitue une disposition de principe de la procédure d’imposition qui est d’application correspondante dans le cadre de la procédure de réclamation, alors même que son libellé est axé sur la procédure d’imposition7.
Il s’ensuit que le directeur est tenu de respecter le § 205, alinéa (3) AO dans le cadre de son examen d’une réclamation.
Il y a lieu d’examiner si le directeur était tenu de par l’effet de cette disposition de communiquer en l’espèce à la société demanderesse son intention de refuser la qualification des sommes allouées à Monsieur X et à Monsieur Y à titre de « gratifications » en tant qu’émoluments accessoires à leur salaire en numéraire et de requalifier partant l’intégralité des montants ainsi versés en distributions cachées de bénéfices, tandis que le bureau d’imposition avait admis les gratifications litigieuses en leur principe, et de lui accorder en conséquence la faculté de prendre position y relativement.
Il convient de rappeler à cet égard que le § 205, alinéa (3) AO trouve ses limites en ce qu’il s’applique uniquement aux modifications substantielles en défaveur du contribuable, cette notion devant être interprétée de façon objective et appliquée in concreto en ce sens qu’elle englobe toutes les hypothèses où l’autorité compétente envisage de retenir un élément de droit ou de fait de nature à influer sur la décision d’imposition et qui s’écarte de la situation telle que déclarée par le contribuable, pourvu que cet élément soit de nature à affecter le principe d’imposabilité ou la cote d’impôt tels qu’envisagés par le § 232, alinéa (1) AO.
En outre, la modification substantielle en défaveur du contribuable doit provenir d’une divergence au sujet des informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition et ensuite au directeur et ne doit pas s’analyser, en substance, purement en une question d’application et d’interprétation de la loi, qui relève de la compétence du bureau d’imposition et, à un deuxième stade, du directeur8.
Finalement, la question du respect du § 205, alinéa (3) AO ne saurait se poser en principe au niveau du directeur en ce qui concerne les éléments de l’imposition ayant fait l’objet de la réclamation, étant donné que par rapport à ces éléments, le contribuable a nécessairement pu faire valoir ses explications à travers la réclamation. Une information préalable, avant la prise de la décision du directeur sur réclamation, de l’intention de ne pas tenir compte de cette argumentation, n’est donc pas requise pour préserver les droits de la défense du contribuable9.
Le directeur est dès lors obligé, dans le cadre de son propre examen de la réclamation, d’accorder au contribuable le droit d’être entendu lorsqu’il entend modifier l’imposition retenue par le bureau d’imposition dans un sens défavorable sur base d’éléments qui diffèrent 6 Cour adm. 29 juillet 2010, n° 25536C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1035.
7 Kühn, Abgabenordnung, 9. Ausg., ad § 246, Anm. 1 et 4.
8 Cour adm. 14 juillet 2015, n° 35428C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 898.
9 Cour adm. 20 décembre 2022, n° 47189C, disponible sous www.jurad.etat.lu.
12 de ceux, premièrement, que le contribuable a soumis à travers sa déclaration de l’impôt ou en exécution de son obligation de collaboration et qui ont été acceptés par le bureau d’imposition dans le cadre de l’imposition, deuxièmement, qui ont été retenus par le bureau d’imposition à la base de redressements par rapport à la déclaration du contribuable et, troisièmement, ceux complémentaires que le contribuable a soumis au directeur à l’appui de sa réclamation10.
En l’espèce, les redressements opérés par le directeur ont eu pour conséquence que le bénéfice commercial déclaré par la société demanderesse à hauteur de … euros, … euros et … euros au titre des années 2016, 2017 et 2018 respectivement ayant engendré un impôt sur le revenu des collectivités correspondant, y compris la contribution au fonds pour l’emploi, de … euros, … euros et … euros a été augmenté à … euros, … euros et … euros au titres des mêmes années, ce qui a engendré un impôt sur le revenu des collectivités, y compris la contribution au fonds pour l’emploi, de … euros, … euros et … euros pour lesdites années d’imposition.
L’impôt commercial communal dû au titre des années 2016 à 2018 initialement fixé à … euros, … euros, … euros a été augmenté à respectivement … euros, … euros et … euros. De tels redressements sont à qualifier de « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration d’impôt au sens du § 205, alinéa (3) AO.
Le tribunal relève ensuite que si la qualification des sommes payées par la société demanderesse à Messieurs X et Y à titre de « gratifications » en tant qu’émoluments accessoires à leur salaire en numéraire n’était pas contestée par le bureau d’imposition, celui-
ci ayant accepté pour chacune des années fiscales 2016, 2017 et 2018 litigieuses, certaines sommes à ce titre, à savoir pour Monsieur X les montants respectifs de … euros, … euros et … euros et, pour Monsieur Y, les montants de … euros, … euros et … euros, et requalifié le montant des gratifications dépassant 5 fois leur salaire brut en tant que distributions cachées de bénéfices, le directeur, contrairement au bureau d’imposition, a toutefois rejeté le principe même d’une « gratification » qui aurait pu être allouée à Messieurs X et Y pour des raisons professionnelles au motif que suivant l’article L. 121-4, alinéa 2 du Code du travail11, les gratifications devraient obligatoirement figurer dans le contrat de travail conclu entre l’employeur et le salarié. Or, il ressortirait des explications de la société demanderesse contenues dans la réclamation du 22 octobre 2020 que « la gratification est non contractuelle ».
Il se dégage ainsi des éléments en cause que le bureau d’imposition a requalifié en distributions cachées de bénéfices le montant des gratifications jugées excessives en leur quantum, tandis que le directeur a remis en question le principe même de la qualification des gratifications payées au bénéfice de Messieurs X et Y comme accessoire à leur salaire pour ensuite requalifier l’intégralité de ces sommes en distributions cachées de bénéfices au sens de l’article 164 LIR.
Dans ces conditions, le tribunal estime que le respect par l’Etat de son obligation d’information préalable aurait en l’espèce été essentiel dans la mesure où, plus particulièrement au regard des contestations soulevées par la société demanderesse, une consultation préalable entre elle et le directeur lui aurait en effet permis de verser des pièces supplémentaires, notamment le contrat de travail reprenant entre autres a priori expressément les modalités de 10 Idem.
11 Article L. 121-4, alinéa 2 du Code du travail : « […] le contrat de travail doit comporter les mentions ci-après :
[…] 7. le salaire de base et, le cas échéant, les compléments de salaire, les accessoires de salaires, les gratifications ou participations convenues ainsi que la périodicité de versement du salaire auquel le salarié a droit ; […] ».
13 paiement de la « [r]émunération et gratification »12 - encore que la société demanderesse ait indiqué dans sa réclamation que la gratification serait « non contractuelle » - , respectivement de fournir des explications y relatives, afin d’instaurer un débat préalable en vue d’asseoir correctement l’obligation fiscale de la société demanderesse. Dès lors, le tribunal ne partage pas le raisonnement du délégué du gouvernement suivant lequel la société demanderesse n’invoquerait aucun argument pertinent ou nouveau par rapport à ceux évoqués préalablement à la décision directoriale au motif que ses développements relatifs au droit du travail ne seraient pas pertinents. En effet, c’est justement en considération de l’article L. 121-4 du Code du travail et en raison de l’absence « de stipulation contractuelle des émoluments accessoires aux salaires en numéraire » alloués à Messieurs X et Y que le directeur les a requalifiés en tant que distributions cachées des bénéfices, de sorte que ce nouvel élément aurait dû faire l’objet d’un débat préalable contradictoire.
Il s’ensuit que le refus du directeur d’accepter les sommes litigieuses en tant que gratifications qui auraient pu être allouées à Messieurs X et Y pour des raisons professionnelles et leur requalification en distributions cachées de bénéfices, au motif que celles-ci n’auraient pas été stipulées dans le contrat de travail conclu entre la société demanderesse et Monsieur X, ni dans celui conclu avec Monsieur Y, ne peut pas être considérée comme le simple résultat d’une analyse différente, de la part du directeur, d’une question de pure application et interprétation de la loi, mais qu’elle constitue un redressement qui implique la prise en compte d’éléments de fait qui ne lui avaient pas été soumis par la société demanderesse mais qui auraient été nécessaires afin de tirer toutes les conséquences de ladite requalification au regard de la détermination correcte de l’impôt dû par cette dernière.
Etant donné qu’il n’est pas contesté que la société demanderesse n’a pas été préalablement informée par le directeur de son intention de ne pas accepter, en son principe, la qualification en tant qu’émoluments accessoires aux salaires des gratifications allouées à Messieurs X et Y, telle que retenue par la société demanderesse et par le bureau d’imposition, et de requalifier par conséquent l’intégralité des sommes ainsi payées en tant que distributions cachées de bénéfices, il échet de constater que c’est à bon droit que la société demanderesse critique le fait de ne pas avoir été mise en mesure de prendre utilement position par rapport à ce redressement substantiel, le tout contrairement aux exigences du § 205, alinéa (3) AO et au principe fondamental du « Recht auf Gehör » le sous-tendant.
Dans la mesure où le § 205, alinéa (3) AO consacre une formalité destinée à protéger les intérêts des contribuables, elle doit être considérée comme substantielle et le non-respect de cette disposition doit entraîner dans le cadre du recours en réformation l’annulation de la décision directoriale du 9 décembre 2021.
Le recours est partant justifié et la décision directoriale du 9 décembre 2021 est à annuler, dans le cadre du recours en réformation, pour violation des formes substantielles destinées à protéger les intérêts des particuliers et plus particulièrement pour violation par le directeur de son obligation d’information préalable de la société demanderesse, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner plus en avant les autres moyens présentés.
12 Article 5 du contrat de travail conclu entre la société A et Monsieur X, le 29 mai 2015, article 5 du contrat de travail conclu entre la société A et Monsieur Y, le 12 avril 2015 et article 5 du deuxième avenant au contrat de travail conclu entre la société A et Monsieur Y, le 1er septembre 2017.
14 Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 9 décembre 2021, inscrite sous le numéro C 28581 du rôle ;
au fond, le déclare justifié ;
partant annule, dans le cadre du recours en réformation la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 9 décembre 2021 pour violation des formes substantielles destinées à protéger les intérêts des particuliers et renvoie le dossier au directeur de l’administration des Contributions directes en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 janvier 2024 par :
Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.
s. Lejila Adrovic s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 15