Tribunal administratif N° 46866 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46866 2e chambre Inscrit le 5 janvier 2022 Audience publique du 25 janvier 2024 Recours formé par Monsieur … dit …, …, contre une décision du ministre de l’Environnement en matière de plan d’aménagement général
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46866 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2022 par Maître Albert Rodesch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de Monsieur … dit …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de l’arrêté du ministre de l’Environnement du 3 janvier 2000 ayant porté approbation du plan d’aménagement général de la commune de Lorentzweiler tel qu’adopté définitivement par le conseil communal en date du 15 juillet 1998 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 20 janvier 2022, portant signification de ce recours à l’administration communale de Lorentzweiler, ayant sa maison communale à L-7373 Lorentzweiler, 87, route de Luxembourg, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions ;
Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2022 par Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de Lorentzweiler, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2022 ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2022 par Maître Steve Helminger, au nom de l’administration communale de Lorentzweiler, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2022 par Maître Albert Rodesch, au nom de Monsieur … dit …, préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2022 par Maître Steve Helminger, au nom de l’administration communale de Lorentzweiler, préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2022 ;
Vu les pièces versées en cause ainsi que l’acte critiqué ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Rachel Jazbinsek, en remplacement de Maître Albert Rodesch, Maître Steve Helminger et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2023.
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Lors de sa séance publique du 15 juillet 1998, le conseil communal de Lorentzweiler, ci-
après désigné par le « conseil communal », adopta définitivement le nouveau plan d’aménagement général, ci-après désigné par « le PAG », prévoyant un classement des parcelles cadastrales numéros … et …, dont Monsieur … dit … est le propriétaire, en zone d’habitation de faible densité.
Par décision du 10 août 1999, le ministre de l’Intérieur approuva le PAG tel qu’adopté définitivement par le conseil communal.
Par arrêté du 3 janvier 2000, référencé sous le numéro 49.638, le ministre de l’Environnement décida que :
« […] Vu l’article 2 de la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles;
Vu la délibération du 15 juillet 1998 du conseil communal de Lorentzweiler portant adoption définitive du plan d’aménagement général;
Vu l’avis de l’administration des Eaux et Forêts du 20 août 1999;
Considérant que l’ancienne aire de stockage communale sise à …, au lieu-dit "im Beutelbusch" est sise en pleine zone forestière et à une distance importante de l’agglomération;
que par ailleurs il n’y a pas lieu de créer des îlots d’habitation en zone verte sans lien fonctionnel avec les agglomérations et les zones prévues aux fins d’habitation;
que les constructions existantes en zone verte peuvent être transformées et agrandies au titre de l’article 7 de la loi précitée en vertu d’une autorisation du Ministre de l’Environnement;
qu’il convient dès lors de maintenir ces aires en zone verte au sens de l’article 2 de la loi du 11 août 1982;
A r r ê t e :
Art. 1er.- Le projet d’aménagement communal de Lorentzweiler tel qu’il y été adopté définitivement par le conseil communal en date du 15 juillet 1998 est approuvé sous réserve que la zone de bâtiments et d’aménagements publics sise à …, au lieu-dit "im Beutelbusch" ainsi que les îlots d’habitation dans les alentours de … et délimités en pointillés sur les extraits de plans joints en annexe restent classés zone verte au sens de l’article 2 de la loi du 11 août 1982.
Art. 2.- Dans l’optique d’un développement durable qui vise à concilier le développement urbanistique et la protection de l’environnement naturel, l’autorité communale est appelée à favoriser et à encourager des conceptions urbanistiques moins consommatrices d’espaces naturels, et ceci en particulier lors de planification de l’aménagement des zones de réserves.
Art. 3.- Le présent arrêté est transmis à Monsieur le Ministre de l’Intérieur pour être soumis aux autorités communales. Une copie sera adressée à toutes fins utiles à l’administration des Eaux et Forêts.
[…] Copies pour information: - Administration des Eaux et Forêts […] - Commune de Lorentzweiler ».
Lors de sa séance publique du 11 février 2020, le conseil communal émit un vote favorable, en vertu de l’article 10 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, sur le nouveau projet d’aménagement général et chargea le collège des bourgmestre et échevins de procéder aux consultations prévues aux articles 11 et 12 de la prédite loi.
Par courrier du 24 mars 2020, Monsieur … soumit au collège des bourgmestre et échevins de Lorentzweiler des objections à l’encontre du projet d’aménagement général de ladite commune.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 août 2021, Monsieur … sollicita auprès du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable (i) une copie de la décision du ministre de l’Environnement du 3 janvier 2000, suite à l’adoption définitive du PAG par délibération du conseil communal du 15 juillet 1998, (ii) une copie de la décision du ministre de l’Environnement suite à l’adoption provisoire du PAG, dont les dates furent inconnues, et (iii) les pièces relatives aux modalités de publication et de notification de ces mêmes décisions.
Par courrier du 6 octobre 2021, le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable communiqua à Monsieur … la décision du ministre de l’Environnement du 3 janvier 2000 prise suite à l’adoption définitive du PAG par délibération du conseil communal du 15 juillet 1998, tout en l’informant, entre autres, ne pas trouver une copie de la décision dudit ministre relative au vote provisoire du PAG, et en indiquant qu’il serait probable que ce vote provisoire n’ait jamais été soumis pour approbation audit ministre.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 2 décembre 2021, Monsieur … sollicita à nouveau des informations quant à la publication de la décision ministérielle du 3 janvier 2000, telle que prévue par l’article 82 de la loi communale du 13 décembre 1988, telle que modifiée, tout en contestant le classement de sa propriété en zone verte y opéré, au regard du principe de l’égalité devant la loi tel quel consacré à l’article 10bis de la Constitution.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté, précité, du ministre de l’Environnement du 3 janvier 2000.
Il y a lieu de retenir que les décisions sur les projets d’aménagement, lesquelles ont pour effet de régler par des dispositions générales et permanentes l’aménagement des terrains qu’elles concernent et le régime des constructions à y ériger, ont un caractère réglementaire.
Conformément à l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », seul un recours en annulation est susceptible d’être introduit contre un acte administratif à caractère réglementaire.
Il convient de prime abord de déterminer la nature du recours susceptible d’être introduit à l’encontre de la décision du ministre de l’Environnement déférée au tribunal, dans la mesure où la loi modifiée du 11 août 1982 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 11 août 1982 », sur base de laquelle la décision litigieuse a été prise, a été abrogée par la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 19 janvier 2004 », laquelle a ensuite été abrogée par la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, ci-après désignée par « la loi du 18 juillet 2018 », publiée au Mémorial A le 5 septembre 2018 et entrée en vigueur le quatrième jour après sa publication à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire, en vigueur au moment du dépôt du recours sous analyse dans sa version résultant des modifications législatives y apportées entretemps. En effet, la loi du 11 août 1982 prévoyait un recours au fond contre les décisions prises en vertu de cette loi, alors que la loi du 18 juillet 2018 prévoit en son article 68 un recours en annulation contre les décisions prises en vertu de cette loi.
Le tribunal constate encore que par l’article 70 de la loi du 19 janvier 2004, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 11 août 1982, de même que par l’article 83 de la loi du 18 juillet 2018, la loi du 19 janvier 2004 est purement et simplement abrogée dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires autres que celles visant les roulottes et les mesures compensatoires, non pertinentes en l’espèce.
En ce qui concerne les voies de recours à exercer contre une décision prise sur le fondement de la loi du 11 août 1982, seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires1. Il s’ensuit que la recevabilité d’un recours contre une décision prise sur le fondement de la loi du 11 août 1982 devra en principe être analysée conformément aux dispositions de cette même loi, qui en son article 38 disposait que « Contre les décisions prises par le Ministre en vertu de la présente loi un recours est ouvert devant le Conseil d’Etat, Comité du Contentieux, qui statuera comme juge du fond. ».
Les décisions d’approbation ou de non-approbation du ministre de l’Environnement rendues en matière d’établissement ou de modification de plans d’aménagement généraux ou particuliers constituent quant à elles des actes de tutelle administrative réputés rétroagir au jour de la décision communale concernée. Ces décisions participent ainsi au caractère réglementaire de la procédure de modification de ces plans et sont comme tels susceptibles de recours sur base de l’article 7 (1) de la loi du 7 novembre 19962.
Cependant, la démarche du législateur devant être présupposée comme visant un résultat cohérent, les dispositions de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 et celles de l’article 38 de la loi du 11 août 1982 sont à lire de façon complémentaire, de sorte que l’article 38, en désignant les décisions prises par le ministre de l’Environnement en application de la loi du 11 août 1982, concerne, suivant les termes mêmes employés, les seules décisions administratives individuelles 1 Trib. adm., 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 360 et les autres références y citées ; Cour adm., 13 décembre 2018, n° 41218C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.
2 Cour adm., 24 janvier 2006, n° 20233C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes réglementaires, n° 58 et les autres références y citées.
à l’exception des actes administratifs à caractère réglementaire. Il s’ensuit qu’en application de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996, seul un recours en annulation peut être introduit à l’encontre d’un arrêté du ministre de l’Environnement par lequel il approuve ou refuse d’approuver une délibération d’un conseil communal modifiant la délimitation de la zone verte3.
Il s’ensuit qu’en l’espèce, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision du 3 juin 2000 par laquelle le ministre de l’Environnement a approuvé sous réserve le projet d’aménagement communal de Lorentzweiler tel qu’adopté par le conseil communal le 15 juillet 1998.
Dans leurs mémoires en réponse respectifs, tant la partie étatique que la partie communale se sont rapportées à prudence de justice quant à la recevabilité du recours.
S’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation4, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions5. Dès lors et dans la mesure où les parties étatique et communale sont restées en défaut d’expliquer en quoi le recours serait irrecevable, leurs contestations afférentes encourent le rejet.
A titre superfétatoire, le tribunal constate, en ce qui concerne le délai de recours contre les actes administratifs à caractère réglementaire, que celui-ci est réglementé par l’article 16 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, article aux termes duquel : « Le délai d’introduction [du recours] est de trois mois à partir de la publication de l’acte attaqué ou, à défaut de publication, de la notification ou du jour où le requérant en a eu connaissance ».
En l’espèce, il n’est pas contesté de part et d’autre que l’arrêté ministériel litigieux du 3 janvier 2000 n’a pas fait l’objet d’une publication par voie d’affichage à la commune de Lorentzweiler, ci-après désignée par « la commune », ni que la notification individuelle dudit arrêté à Monsieur … n’a été effectuée qu’en date du 6 octobre 2021. Il s’ensuit qu’à défaut de publication de l’arrêté litigieux du 3 janvier 2000, le délai pour agir à l’encontre de cet arrêté a expiré le 6 janvier 2022, soit trois mois à compter du 6 octobre 2021, date de la notification dudit arrêté à Monsieur ….
Dans la mesure où la requête introductive d’instance a été déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 janvier 2022, le recours introduit à l’encontre de l’arrêté du ministre de l’Environnement du 3 janvier 2000 est recevable pour avoir été introduit endéans le délai légal.
A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, le tribunal conclut que le recours en annulation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes de la loi.
A l’appui de son recours et après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de l’arrêté ministériel litigieux, le demandeur soutient qu’il serait à la fois le propriétaire et l’exploitant de la ferme s’étendant sur les parcelles inscrites au cadastre de la commune de Lorentzweiler, section 3 Trib.adm. 17 janvier 2008, n° 22263 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes réglementaires, n° 59 et les autres références y citées.
4 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 883 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 23 janvier 2013, n° 30455 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 883 et les autres références y citées.
… de Bofferdange et de Helmdange, sous les numéros … et …. Il explique que le « PAG actuellement en vigueur » aurait été adopté par délibération du conseil communal du 15 juillet 1998 et que dans la partie graphique de celui-ci, la majorité de sa propriété aurait été classée en zone de faible densité et donc dans une zone constructible. Au cours des vingt années ayant suivi, ce même classement aurait toujours été renseigné dans le cadre de diverses démarches administratives qu’il aurait entreprises en relation avec le développement de l’exploitation agricole se trouvant sur sa propriété. Une mise à jour du PAG effectuée en janvier 2011 confirmerait d’ailleurs le classement de ses parcelles en zone constructible. Ce serait dès lors à sa plus grande surprise qu’il aurait dû constater à la suite de la mise en procédure de la refonte du PAG en date du 11 février 2020 que l’intégralité de sa propriété aurait été reclassée en zone verte dès l’année 2000. Or, ni lui-même, ni le service technique de la commune n’auraient jamais eu connaissance de la décision du ministre de l’Environnement du 3 janvier 2000 sur base de laquelle il aurait été procédé à un tel classement, ce qui lui aurait été rapporté lors d’un rendez-vous informel à ladite commune.
Il ajoute, dans le cadre de son mémoire en réplique, qu’il se serait trouvé dans « l’ignorance la plus totale » quant au classement réel de sa propriété et qu’il semblerait qu’il en irait de même pour la commune puisque celle-ci aurait indiqué, lors de la mise à jour du PAG en 2011, que ses parcelles étaient classées en zone constructible. Il n’existerait, d’ailleurs, à ce jour, aucune version coordonnée officielle et signée du PAG représentant correctement le classement de sa propriété.
Enfin, il indique qu’entretemps, le service des sites et monuments aurait dressé un rapport d’une trentaine de pages, se prononçant en faveur du classement de sa ferme au niveau national.
En droit, le demandeur fait valoir que d’une manière générale, les décisions des autorités devraient non seulement être guidées par des considérations urbanistiques, mais qu’elles devraient également respecter les principes de l’Etat de droit, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, la décision litigieuse ayant été prise en violation du principe de l’égalité devant la loi tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution, tel que rédigé à l’époque du recours. En effet, le ministre de l’Environnement serait revenu sur le classement de sa propriété en la « reléguant » en zone verte, tandis qu’il aurait, par la même occasion, approuvé le classement en zone constructible d’autres constructions, et plus particulièrement de deux maisons d’habitation se trouvant « à environ 300 mètres à l’est ». Or, ces deux maisons constitueraient deux îlots isolés, accessibles qu’à travers un chemin de campagne non asphalté qui ne disposerait ni de trottoirs, ni d’éclairage, l’une des maisons n’ayant même pas disposé, « à ce moment même », d’un accès direct au domaine public.
En outre, leur construction remonterait à une époque récente, contrairement à ce qui serait le cas de sa propriété laquelle figurerait parmi les plus anciennes de la commune et longerait une voie publique pleinement développée, disposant de trottoirs, d’éclairage et de toutes les connexions aux réseaux. Il s’ensuivrait que la décision litigieuse ferait preuve d’une incohérence manifeste et violerait ainsi le principe de l’égalité de traitement.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur donne à considérer que les parties seraient largement en accord en ce qui concerne les faits à la base de la présente affaire, mais que les avis divergeraient au niveau de la justification de la différence de classement entre sa propriété et celle des deux maisons d’habitation voisines.
Il précise, en premier lieu, que les situations seraient comparables au regard du principe de l’égalité devant la loi. En effet, s’il concède que stricto sensu la situation de son exploitation agricole ne serait pas forcément comparable avec celle des maisons d’habitation avoisinantes, il avance cependant ne pas concevoir dans quelle mesure sa maison d’habitation devrait connaître un sort « radicalement » opposé à celui des maisons d’habitation d’autres citoyens.
Il estime, à cet égard, que la motivation avancée par la partie étatique selon laquelle le classement en zone constructible des maisons d’habitations avoisinantes aurait pu se justifier à l’époque par la situation de celles-ci, ne serait étayée par aucun élément ressortant de la décision litigieuse, ni encore par les avis ayant précédé cette dernière, alors que les considérations à la base de la décision en question ne laisseraient deviner d’aucune manière pour quelles raisons il y aurait lieu de faire une distinction « entre différentes maisons d’habitation sises en zone verte ». Il se réfère dans ce contexte à l’avis du 4 octobre 1996 de la commission d’aménagement – dans laquelle le ministre de l’Environnement aurait également été représenté – et dans lequel aucune distinction entre différentes maisons d’habitation ne serait faite. Il en irait de même pour l’avis de l’administration de la Nature et des Forêts du 20 août 1999.
Le demandeur reproche, en outre, à la partie étatique d’avoir avancé une motivation qui serait factuellement erronée, alors (i) que sa maison se situerait au moins à distance égale par rapport à la localité d’… que les maisons voisines par rapport à la localité d’…, (ii) que sa maison se trouverait entourée de végétation, contrairement à « la maison d’habitation voisine », (iii) qu’en approchant la localité d’… par la voie d’accès venant de …, sa maison d’habitation serait totalement occultée par les bâtisses de sa ferme, de sorte que l’impact de sa maison d’habitation en termes de mitage du paysage serait insignifiant, et (iv) qu’en ce qui concerne la différence d’altitude, tout en ne contestant pas son existence, elle serait cependant insignifiante et ne saurait justifier une atteinte disproportionnée au principe de l’égalité de traitement, ce critère n’étant, selon lui, pas pertinent per se, mais uniquement en association avec l’exposition paysagère, laquelle serait pour le moins faible en ce qui concerne sa propre maison d’habitation et, en tout état de cause, pas plus élevée que celle de la maison avoisinante au nord, laquelle serait exposée aux vues lointaines.
Enfin, il avance que la motivation de la partie étatique serait juridiquement inexacte en ce qu’il ne saurait être toléré que la maison d’un exploitant agricole soit traitée de manière défavorable par rapport aux maisons d’autres citoyens. En effet, l’attachement d’une maison à une ferme ne changerait rien au fait que la fonction principale et essentielle d’une telle maison serait celle de servir de logement comme ce serait le cas pour d’autres maisons. Il pointe, dans ce contexte, également les conséquences patrimoniales importantes résultant de cette inégalité. Si les affirmations de la partie étatique selon lesquelles il serait autorisé à transformer et rénover sa maison d’habitation étaient exactes, tel serait également le cas pour les maisons d’habitation voisines, lesquelles bénéficieraient pourtant d’un classement bien plus favorable.
En ce qui concerne le renvoi de la partie étatique à la jurisprudence des juridictions administratives, le demandeur estime que l’arrêt de la Cour administrative du 20 mai 2014, inscrit sous le numéro 33676C du rôle, serait sans pertinence en l’espèce, alors qu’y auraient été en cause deux décisions administratives prises à des moments différents dans le temps, contrairement au cas d’espèce. Il se serait, en effet, agi d’une question de cohérence dans le temps entre une pluralité de décisions administratives, alors qu’il ne serait pas question, en l’espèce, de comparer deux décisions administratives prises à des moments plus ou moins différents dans le temps, mais de mesurer la légalité d’une seule décision administrative qui aurait tranché à un moment identique la situation de deux administrés différents.
La partie communale explique ne pas être opposée à ce que la seule partie du terrain sur lequel se trouvent les immeubles d’habitation de la ferme soit classée en zone constructible, conformément au classement qui avait été retenu par décision du conseil communal lors de l’adoption de l’ancien PAG. Pour le surplus, elle précise ne pas avoir l’intention de prendre position par rapport à la validité du moyen tenant à une violation de l’article 10bis de la Constitution puisque ce moyen viserait une décision prise par le ministre de l’Environnement.
La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève tout d’abord que l’exercice du pouvoir réglementaire doit toujours se faire dans l’intérêt général. Ainsi, s’il est vrai que le pouvoir exécutif a le droit de prendre des actes administratifs à caractère réglementaire de manière discrétionnaire, il n’en demeure pas moins qu’ils doivent toujours être pris dans l’intérêt général lequel doit pouvoir être vérifié à la lumière des motifs sur lesquels s’est basé ledit acte à caractère réglementaire, motifs que l’autorité administrative compétente doit faire connaître afin que le juge administratif soit mis en mesure de vérifier leur conformité notamment par rapport à l’intérêt général. A priori, les actes administratifs à caractère réglementaire sont censés être pris dans l’intérêt général, et il appartient partant à une partie intéressée qui s’estime lésée par un tel acte de démontrer que le but poursuivi par le pouvoir réglementaire est contraire à l’intérêt général. En effet, ce n’est qu’une fois établie une violation de l’intérêt général qu’un acte administratif à caractère réglementaire peut encourir l’annulation totale voire partielle6.
Le tribunal constate qu’au vu de la formulation de sa requête introductive d’instance, le demandeur n’a invoqué qu’un seul et unique moyen à l’appui de son recours, consistant à reprocher à la décision du ministre de l’Environnement du 3 janvier 2000 d’avoir été prise en violation du principe de l’égalité devant la loi tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce.
Il convient à cet égard de préciser que, dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal statue par rapport à la décision administrative lui déférée sur base des moyens invoqués par la partie demanderesse. L’examen auquel le tribunal doit se livrer ne peut ainsi s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer la motivation spécifique avancée à la base de l’acte déféré, son rôle ne consistant pas à procéder indépendamment de la motivation à la base de la décision querellée, à un réexamen général et global de la situation de la partie demanderesse7.
Ensuite, il y a lieu de relever que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel que consacré par l’article 10bis de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient, par conséquent, aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent 6 Trib. adm., 6 juin 2016, n° 36404 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes réglementaires (recours contre les), n° 32 et l’autre référence y citée.
7 En ce sens : trib. adm., 6 décembre 2006, n° 21591 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 34 et les autres références y citées.
de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but8.
Pour ce qui est de l’intervention du ministre de l’Environnement, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2 in fine de la loi du 11 août 1982, sur base de laquelle la décision litigieuse a été prise : « Toute modification de la délimitation d’une zone verte découlant du vote provisoire, selon l’article 9 de la loi du 12 juin 1937 concernant l’aménagement des villes et autres agglomérations importantes, est soumise à l’approbation du Ministre. Cette approbation est également requise pour toute création d’une zone verte en vertu de l’adoption d’un premier projet d’aménagement. Le projet d’aménagement définitivement adopté est, pour autant qu’il a été modifié, également soumis à l’approbation du Ministre. ». L’article 1er de la même loi énonce ses objectifs comme suit : « La présente loi a pour objectifs la sauvegarde du caractère, de la diversité et de l’intégrité de l’environnement naturel, la protection et la restauration des paysages et des espaces naturels, la protection de la flore et de la faune et de leurs biotopes, le maintien et l’amélioration des équilibres biologiques, la protection des ressources naturelles contre toutes les dégradations et l’amélioration des structures de l’environnement naturel. ». C’est dans le cadre du champ de compétence se dégageant des dispositions légales précitées que le ministre de l’Environnement a dès lors été appelé à apprécier le projet d’aménagement général tel qu’adopté par le conseil communal par délibération du 15 juillet 1998.
En l’espèce, la décision ministérielle du 3 janvier 2000 de maintenir les parcelles litigieuses en zone verte a été motivée, suivant son libellé, par la considération qu’il n’y aurait pas lieu de créer des îlots d’habitations en zone verte sans lien fonctionnel avec les agglomérations et les zones prévues aux fins d’habitation, et que les constructions d’ores et déjà existantes en zone verte pourraient être transformées et agrandies au titre de l’article 7 de la loi du 11 août 1982 en vertu d’une autorisation du ministre de l’Environnement.
Le tribunal constate que Monsieur … reste en défaut de soumettre des éléments de nature à faire admettre que les parcelles accueillant son exploitation agricole se trouvaient, au moment de la prise de la décision en date du 3 janvier 2000, dans une situation comparable à celle des parcelles situées plus ou moins à 300 mètres à l’est des siennes, comprenant deux maisons d’habitation et ayant été classées en zone constructible. En effet, tel que soutenu par la partie étatique, et non utilement énervé par la partie demanderesse, les parcelles de Monsieur … se trouvent isolées à un endroit situé en hauteur et accueillent une exploitation agricole, sans lien fonctionnel avec l’agglomération la plus proche, respectivement avec les zones destinées à l’habitation, contrairement aux deux parcelles situées à l’est des siennes, ayant accueilli, au moment de la prise de la décision litigieuse, des maisons destinées uniquement à l’habitation, situées à une altitude plus basse, et, surtout, quasiment accolées à la localité la plus proche, à savoir celle d’…. S’il est certes vrai, tel que soutenu par le demandeur, que la parcelle située plus au nord de l’ensemble formé par les deux parcelles avoisinantes aux siennes semble se trouver à une distance plus au moins égale par rapport à la localité d’… que ses propres parcelles par rapport à la localité …, il ressort cependant des photos versées en cause par le demandeur lui-même qu’il en va autrement de l’ensemble formé par les deux parcelles avoisinantes qui se trouvent à une distance plus rapprochée de la localité d’….
En outre, le demandeur admet lui-même dans le cadre de son mémoire en réplique que « la situation de l’exploitation agricole strictement parlant n’est pas forcément comparable avec celle des maisons d’habitation avoisinantes ».
8 Trib. adm., 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 9 et les autres références y citées.
C’est à cet égard en vain qu’il affirme néanmoins que l’attachement d’une maison à une ferme ne changerait rien au fait que la fonction principale et essentielle d’une telle maison serait celle de servir de logement tout comme ce serait le cas pour d’autres maisons de sorte qu’il ne serait pas compréhensible pour quelle raison « sa maison d’habitation devrait connaître un sort radicalement opposé aux maisons d’habitation d’autres citoyens ». En effet, une maison destinée à loger les exploitants d’une ferme agricole ne saurait être considérée comme ayant pour finalité principale l’habitation, alors qu’il ne s’agit que d’un accessoire à l’exploitation agricole.
Au vu de ces considérations, il n’apparaît pas dans quelle mesure la décision litigieuse du 3 janvier 2000 aurait été prise en violation du principe constitutionnel de l’égalité de traitement.
Il s’ensuit que le seul et unique moyen du demandeur avancé à l’appui de son recours est à rejeter.
Aucun autre moyen n’ayant été avancé à l’encontre de la décision déférée, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 25 janvier 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 10