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31/01/2024 | LUXEMBOURG | N°45430a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 janvier 2024, 45430a


Tribunal administratif N° 45430a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:45430a 5e chambre Inscrit le 24 décembre 2020 Audience publique du 31 janvier 2024 Recours formé par Monsieur X et consort, … (B), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 45430 du rôle et déposée le 24 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître C

hristophe Vandevyver, avocat exerçant sous son titre d’origine, inscrit à la liste IV ...

Tribunal administratif N° 45430a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:45430a 5e chambre Inscrit le 24 décembre 2020 Audience publique du 31 janvier 2024 Recours formé par Monsieur X et consort, … (B), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 45430 du rôle et déposée le 24 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Christophe Vandevyver, avocat exerçant sous son titre d’origine, inscrit à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur X et de son épouse, Madame Y, demeurant ensemble à B-… (Belgique), …, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 septembre 2020 portant rejet de leur demande de remise gracieuse ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 avril 2021 par Maître Christophe Vandevyver pour compte de ses mandants ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2021 ;

Vu le jugement du tribunal administratif du 10 janvier 2023, inscrit sous le numéro 45430 du rôle déclarant le recours en réformation irrecevable ;

Vu l’arrêt de la Cour administrative du 29 juin 2023, inscrit sous le numéro 48547C du rôle, ayant dit par réformation du jugement du tribunal administratif du 10 janvier 2023 que c’était à tort que le recours en réformation avait été déclaré irrecevable et ayant renvoyé l’affaire devant le tribunal administratif en prosécution de cause en vue de statuer sur le mérite au fond du recours initial de Monsieur X et de son épouse, Madame Y ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christophe Vandevyver et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 novembre 2023.

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Par courrier daté au 28 mars 2019, réceptionné par la direction de l’administration des Contributions directes le 8 avril 2019, Monsieur X et son épouse Madame Y introduisirentauprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une demande de remise gracieuse visant les impôts sur le revenu des années 2011 et 2012 mis à leur charge par les bulletins d’impôts émis à leur égard les 16 août 2012, respectivement 21 août 2013.

Par une décision du 28 septembre 2020, inscrite sous le numéro GR 063.19 du rôle, le directeur rejeta la demande de remise gracieuse de Monsieur X et de Madame Y sur base des motifs et considérations suivants :

« (…) Vu la demande présentée le 8 avril 2019 (V.Réf. : …), ainsi que les courriers de relance du 26 mars 2020 et du 1er septembre 2020, par Maître Julie HUYNEN, demeurant professionnellement à B-…, en sa qualité de conseil et au nom des conjoints X et Y, demeurant à B-…, ayant pour objet une demande de remise gracieuse de l’impôt sur le revenu des années 2011 et 2012 ;

Vu le paragraphe 131 de la loi générale des impôts (AO), tel qu’il a été modifié par la loi du 7 novembre 1996 ;

Considérant que la demande tend à obtenir la révision de l’imposition des années 2011 et 2012 afin d’obtenir le redressement de la double imposition subie par les requérants par l’Etat belge et l’Etat luxembourgeois pour les années en cause ;

Considérant qu’en vertu du paragraphe 131 AO, sur demande justifiée endéans les délais du paragraphe 153 AO, le directeur de l’administration des contributions directes accordera une remise d’impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception de l’impôt dont la légalité n’est pas contestée, entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable ;

Considérant que les autorités fiscales luxembourgeoises et les autorités fiscales belges ont abouti, dans le cadre de la procédure amiable, à la conclusion d’un accord qui prévoyait l’élimination de la double imposition subie ;

Considérant que l’exécution de l’accord était subordonnée à l’acceptation par le sieur X et au désistement par ce dernier de l’instance engagée en Belgique ;

Considérant que les autorités fiscales belges ont informé les autorités fiscales luxembourgeoises que le requérant ne souhaitait pas se désister de la procédure engagée en Belgique ;

Considérant donc que l’accord conclu entre les autorités fiscales luxembourgeoises et les autorités fiscales belges n’a pas pu être exécuté et ainsi la procédure amiable a été clôturée ;

Considérant que la demande gracieuse ne doit ni servir à contourner la forclusion attachée au délai contentieux ou le réexamen d’office, ni à multiplier les voies de recours ;

Considérant donc qu’une rigueur objective n’a pas pu être constatée en l’espèce ;

Considérant qu’une rigueur subjective ne saurait dans le présent cas être admise, au vu de la motivation présentée ;

2 Considérant donc en ce qui concerne une rigueur objective et subjective, force est de constater que les motifs invoqués par les requérants ne permettent pas de retenir une iniquité ;(…) ».

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 décembre 2020, inscrite sous le numéro 45430 du rôle, Monsieur X et son épouse Madame Y ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision, précitée, du directeur du 28 septembre 2020.

Par un jugement du 10 janvier 2023, le tribunal administratif déclara le prédit recours en réformation irrecevable pour avoir été signé par un avocat inscrit à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, non assisté par un avocat de la liste I ou V, seuls habilités à signer des requêtes introductives d’instances en matière fiscale.

Par arrêt du 29 juin 2023, inscrit sous le numéro 48547C du rôle, statuant sur appel introduit par Monsieur X et son épouse, Madame Y, dit, par réformation du prédit jugement du 10 janvier 2023, que le recours en réformation avait à tort été déclaré irrecevable et renvoya l’affaire devant le tribunal administratif en prosécution de cause en vue de statuer sur le mérite au fond du recours initial.

Il ressort du jugement précité du 10 janvier 2023, ainsi que de l’arrêt précité du 29 juin 2023 que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous examen et que le recours n’est pas irrecevable du fait d’avoir été signé par un avocat inscrit à la liste IV.

Le tribunal n’est dès lors saisi plus que de la question de la recevabilité du recours des autres chefs de recevabilité ainsi que, le cas échéant, du fond du recours.

Force est, d’abord, de constater qu’à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité soulevé par la partie étatique, et, dans la mesure où le recours en réformation a, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Moyens et arguments des parties A l’appui de leur recours et en fait les parties expliquent qu’au cours des années 2011 et 2012, Monsieur X aurait été domicilié en Belgique et aurait exercé une activité professionnelle sur le territoire du Grand-Duché du Luxembourg à raison de 201 jours de travail en 2011 et 214 jours de travail en 2012. Il aurait payé ses impôts au Luxembourg pour les revenus qu'il aurait perçus au cours de ces deux années.

Suite à une « rectification de sa situation fiscale en Belgique », ces mêmes revenus y auraient également été imposés. La Belgique aurait en effet estimé que sa présence au Luxembourg au cours des 201 respectivement 214 jours de travail n’aurait pas été justifiée et aurait refusé de lui accordé une exonération d’imposition afférente en Belgique. Confronté à une double imposition, Monsieur X aurait contesté la rectification en question en Belgique, d'abord par voie de réclamation, et ensuite en justice. Il aurait parallèlement introduit une demande de procédure amiable entre la Belgique et le Luxembourg en date du 16 mars 2015.

En date du 12 janvier 2016, l'administration fiscale belge l’aurait informé que la procédure amiable aurait abouti à un accord entre les autorités belges Belgique et les autorités luxembourgeoises selon lequel la Belgique serait compétente pour imposer les revenus de Monsieur X concernant les années 2011 et 2012. Ledit accord aurait toutefois été subordonné à la condition que Monsieur X se désiste de toute procédure administrative ou judiciaire en cours relative aux impôts litigieux.

Les demandeurs expliquent que Monsieur X aurait estimé que les juridictions belges, saisies de son recours contentieux, arriveraient à une autre solution que la procédure amiable et ne retiendraient pas la compétence exclusive de la Belgique pour imposer ses revenus. Il n’aurait dès lors pas pu accepter de se désister de ladite procédure contentieuse en cours et il aurait en conséquence communiqué sa volonté de maintenir ladite procédure à l'administration fiscale belge.

Suite à sa réponse du 18 janvier 2016, l'administration fiscale belge aurait conclu qu’il n'acceptait pas l'accord établi entre les autorités fiscales belge et luxembourgeoise et la procédure amiable aurait été clôturée définitivement « avec accord, mais sans implémentation du résultat obtenu », alors même que Monsieur X aurait suggéré de laisser cette procédure ouverte jusqu'à ce que la justice belge se soit prononcée.

Par la suite le tribunal de première instance de Louvain aurait par jugement du 17 mars 2017, suivi les arguments avancés par Monsieur X. Ledit jugement aurait ainsi admis que ce dernier justifiait à suffisance sa présence au Luxembourg à concurrence de 127 jours par année et aurait accordé en conséquence une exonération de l’imposition en Belgique correspondant à 127 jours sur 201 jours pour l’année 2011 et 127 jours sur 214 jours pour l’année 2012.

Aux yeux des demandeurs ce jugement aurait donc toujours reconnu un pouvoir d'imposition à la Belgique, mais il aurait eu le mérite de fixer l’imposition à un montant nettement inférieur à ceux initialement retenus et surtout par rapport à ceux retenus dans le cadre de la procédure amiable. Néanmoins, il subsisterait une double imposition dans leur chef dans la mesure où l’imposition belge porterait en partie sur les mêmes revenus que ceux pour lesquels les cotisations luxembourgeoises auraient été établies. Concrètement, la double imposition porterait sur 74 jours sur 201 concernant l’année 2011 et 87 jours sur 214 concernant l’année 2012. L'administration fiscale belge aurait toutefois refusé d'ouvrir une nouvelle procédure amiable en raison du fait que la première procédure amiable aurait été clôturée sans implémentation de l'accord.

Les demandeurs concluent dès lors à l’existence d’une iniquité dans leur chef et sollicitent que leur soit accordée une remise gracieuse de l’impôt pour l’année 2011 à hauteur de 74 jours de travail et pour l’année 2012 à hauteur de 87 jours de travail.

A l’appui de leur recours et en droit, les demandeurs se réfèrent à un jugement du tribunal administratif du 5 août 2020, inscrit sous le numéro 42987 du rôle, dont ils déduisent qu’une imposition devrait être compatible avec la position que l’administration aurait adopté au risque de créer une iniquité objective.

En l'espèce, il ressortirait de l'accord amiable élaboré entre les autorités fiscales belges et luxembourgeoises en 2016, que l'administration des contributions directes luxembourgeoise aurait été disposée à retenir que les revenus de Monsieur X n'étaient imposables au Luxembourg qu'à concurrence de 12 jours respectivement 17 jours pour les années 2011respectivement 2012 et, par conséquent, à lui accorder une exonération à concurrence de 189 jours sur 201 jours respectivement 197 jours sur 214 jours.

Les demandeurs se disent étonnés de voir que dans le cadre de la procédure de remise gracieuse, l'administration des Contributions directes refuserait désormais une exonération bien inférieure, laquelle ne s’élèverait plus qu’à 74 jours sur 201 jours, respectivement 87 jours sur 201 jours.

Enfin, les demandeurs n'estiment « pas normal » que leur imposition en Belgique pour les années 2011 et 2012 serait désormais définitivement établie et qu’ils ne pourraient plus obtenir réparation de la double imposition dont ils seraient victimes et que la convention préventive de double imposition conclure entre la Belgique et le Luxembourg viserait précisément à écarter. Il s'agirait manifestement d'une iniquité objective, puisque rien n'expliquerait que l'administration fiscale luxembourgeoise puisse avoir consenti à la suppression de la double imposition au moment de la procédure amiable alors qu'une telle suppression de la double imposition serait aujourd'hui impossible.

Enfin, les demandeurs concluent encore à l’existence d’une iniquité subjective dans le chef de leur imposition au motif que la charge fiscale qui pèserait sur eux en Belgique ainsi qu’au Luxembourg serait excessive et contraire aux objectifs de la convention contre la double imposition conclue entre la Belgique et le Luxembourg. Les demandeurs affirment que ce constat serait « d’autant plus grand » que les diverses procédures qu’ils auraient dû entamer tant en Belgique qu’au Luxembourg auraient pris énormément de temps et que leur situation actuelle ne serait toujours pas réglée alors même qu’elle aurait pu l’être rapidement s’ils n’avaient pas été victimes d’une imposition erronée en Belgique.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il argumente de prime abord que le moyen des demandeurs tiré du fait qu’une double imposition équivaudrait à une iniquité tant objective que subjective au motif que le désistement leur imposé dans le cadre de la procédure amiable serait « contraire aux fondements d'un état de droit et limite[rait] les droits d'un justiciable », serait simplement suggéré et ne saurait partant être retenu.

Le délégué du gouvernement fait encore valoir qu'une critique résultant d'une double imposition équivaudrait clairement à une contestation de la légalité de l'impôt, laquelle serait étrangère en matière de remise gracieuse.

Cette contestation de la légalité de l'impôt aurait été soulevée à juste titre devant les juridictions belges qui lui auraient donné raison.

Selon le délégué du gouvernement, les demandeurs ne critiqueraient donc pas l'Etat luxembourgeois de les avoir imposés mais l’administration fiscale belge de les avoir imposés une deuxième fois. Aucun reproche ne pourrait dès lors être fait à l'Etat luxembourgeois et aucune iniquité ne serait donnée. D’ailleurs, dans un courrier électronique du 18 janvier 2016 le mandataire des demandeurs aurait écrit ce qui suit : « mon client estime que ses rémunérations sont effectivement imposables au Luxembourg ». Contrairement aux termes clairs dudit courrier électronique, les demandeurs feraient désormais valoir dans le cadre du recours sous examen concernant les revenus de Monsieur X « qu'une exonération de ses revenus bruts de source luxembourgeoise aurait dû être appliqué à concurrence de 74 jours 5 /201 jours pour l'année 2011 et 87 jours/214 jours pour l'année 2012 ». Le délégué du gouvernement en conclut que les demandeurs solliciteraient indirectement du tribunal administratif dans le cadre d'une demande de remise gracieuse qu’il modifie la clef de répartition retenue par une juridiction belge dans le cadre d'un jugement sur accord.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal retient quant aux faits qu’il est constant en cause, pour ne pas être contesté par la partie étatique, que les revenus de Monsieur X concernant les années 2011 et 2012 ont été doublement imposés, à savoir, tant par la Belgique que par le Luxembourg, de sorte que les demandeurs ont introduit un recours contentieux contre ladite imposition devant les juridictions belges. Parallèlement les demandeurs ont introduit par courrier du 16 mars 2015 une demande de procédure amiable devant les autorités fiscales belges en application de l’article 25 de la Convention entre le Luxembourg et la Belgique en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Luxembourg, le 17 septembre 1970, telle qu’approuvée par une loi du 14 août 1971, désignée ci-après par « la Convention de non double imposition belgo-

luxembourgeoise », afin de faire cesser la double imposition à laquelle ils étaient soumis. Aux termes dudit article 25, intitulé « Procédure amiable » : « §1er.Lorsqu’un résident d’un Etat contractant estime que les mesures prises par un Etat contractant ou par chacun des deux Etats entraînent ou entraîneront pour lui une double imposition non conforme à la présente Convention, il peut, sans préjudice des recours prévus par la législation nationale de ces Etats, adresser à l’autorité compétente de l’Etat contractant dont il est un résident une demande écrite et motivée de révision de cette imposition. Pour être recevable, cette demande doit être présentée dans un délai de deux ans à compter de la notification ou de la perception à la source de la seconde imposition.

§ 2. L’autorité compétente visée au § 1er s’efforce, si la réclamation lui paraît fondée et si elle n’est pas elle-même en mesure d’apporter une solution satisfaisante, de régler la question par voie d’accord amiable avec l’autorité compétente de l’autre Etat contractant, en vue d’éviter une double imposition non conforme à la Convention. L’accord est appliqué quels que soient les délais prévus par le droit interne des Etats contractants. (…) ».

Il est encore constant en cause et il ressort d’ailleurs des documents soumis au tribunal, que par courrier du 12 janvier 2016 un agent du service public Fédéral Finances belge de l’administration général de la fiscalité informa le litismanadatire de l’époque des demandeurs qu’un accord à l’amiable avait pu être trouvé entre les autorités belges et les autorités luxembourgeoises en vertu duquel les revenus de Monsieur X pour les années 2011 et 2012 seraient imposés partiellement par la Belgique et partiellement par le Luxembourg en application de la clé de répartition suivante : « (…) - Année de revenus 2011 : 12 jours au Luxembourg, 7 jours en France et 182 jours en Belgique (nombre total des jours prestés en 2011 : 201) - Année de revenus 2012 : 17 jours au Luxembourg, 10 jours en France et 187 jours en Belgique (nombre total de jours prestés en 2012 : 214) ».

Ledit courrier du 16 mars 2015 informait ensuite les demandeurs que « Vu que l’imposition belge pour les années de revenus concernés est unanimement considérée comme étant correcte par les deux Etats, les autorités fiscales luxembourgeoises souhaiteraient procéder à l’exonération (quasi totale) des impôts prélevés erronément. Pour ce faire, vous 6 devez renoncer à toute possibilité de recours administratif et judiciaire contre l’imposition belge, afin que celle-ci puisse revêtir un caractère définitif ».

Il est encore constant en cause pour ne pas être contesté que les demandeurs, espérant pouvoir aboutir à une autre répartition des compétences d’imposition entre la Belgique et le Luxembourg que celle envisagée dans les prédits courriers des 16 mars 2015 et 12 janvier 2016, ont décidé de poursuivre la procédure contentieuse engagée en Belgique tout en suggérant aux autorités belges de maintenir entretemps la procédure amiable en suspens.

Il n’est pas contesté non plus en cause que par la suite, la procédure judiciaire engagée en Belgique en vue d’éliminer la double imposition des revenus des demandeurs, a certes abouti à une réduction de leur imposition tout en confirmant néanmoins la compétence des autorités belges les revenus de Monsieur X, même si ce n’est qu’au titre d’un nombre de jours moindre que celui envisagé dans le cadre de la procédure amiable par les autorités luxembourgeoise et belge. Les revenus de Monsieur X à concurrence 74 jours sur 201 jours prestés pour l’année 2011 et 87 jours sur 214 prestés pour l’année 2012 ont donc continué à être doublement imposés, tant par la Belgique que par le Luxembourg, constat qui n’est d’ailleurs pas non plus contesté en ses montants par la partie étatique.

C’est dans ce contexte que les demandeurs font état d’une rigueur objective incompatible avec l’équité dans leur chef dans la mesure où une partie des revenus de Monsieur X subissent une double imposition.

A cet égard, il convient de rappeler qu’en vertu du § 131 la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO »: « Sur demande dûment justifiée du contribuable endéans les délais du §153 AO, le directeur de l’administration des contributions directes ou de son délégué accordera une remise d’impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable. Sa décision est susceptible d’un recours au tribunal administratif, qui statuera au fond ».

Une remise d’impôt au sens du § 131 AO se conçoit, ainsi, dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement en la personne du contribuable. Une demande de remise d’impôt s’analyse dès lors exclusivement en une pétition du contribuable d’être libéré, sur base de considérations tirées de l’équité, de l’obligation de régler une certaine dette fiscale et ne comporte par nature aucune contestation de la légalité de la fixation de cette même dette. La fonction de la remise en équité ne saurait être d’abolir les délais pour exercer un droit1.

En d’autres termes, une remise d’impôt n’est justifiée que dans les hypothèses où la situation personnelle du contribuable est telle que le paiement de l’impôt compromettrait son existence économique et le priverait des moyens de subsistance indispensables ou si objectivement l’application de la législation fiscale conduit à un résultat contraire à l’intention du législateur2.

1 Cour adm. 22 mars 2012, n° 29599C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 809 et les autres références y citées.

2 Cour adm. 13 février 2019, n° 43115C, disponible sur www.jurad.etat.lu.S’agissant en l’espèce de la première condition d’une remise gracieuse au sens du § 131 AO, à savoir du défaut de contestation de la légalité de l’impôt, le tribunal constate que contrairement aux développements du délégué du gouvernement, les demandeurs ne contestent pas la légalité proprement dite de l’impôt. En effet, ils ne contestent ni la compétence des autorités luxembourgeoises pour imposer les revenus de Monsieur X ni le montant auquel l’imposition est fixé. En revanche, ils limitent leur demande à être dispensés du paiement des impôts en raison d’une rigueur objective incompatible avec l’équité en raison de la double imposition à laquelle est soumis, de façon non contestée, une partie des revenus de Monsieur X.

S’agissant ensuite de la seconde condition, à savoir de la question de l’existence dans le chef des demandeurs d’une rigueur objective incompatible avec l’équité, il échet d’abord de constater que le tribunal vient de retenir qu’il est constant en cause qu’une partie des revenus de Monsieur X pour les années 2011 et 2012 litigieuses en l’espèce est imposée tant par la Belgique que par le Luxembourg, de sorte à être effectivement soumise à une double imposition.

D’ailleurs, la partie étatique elle-même a certes contesté que les conditions d’une remise gracieuse soient remplies dans le chef des demandeurs sans pour autant contester l’existence d’une double imposition dans leur chef ni le quantum de ladite double imposition à raison de 74 jours sur 201 jours prestés pour l’année 2011 et de 87 jours sur 214 jours prestés pour l’année 2012.

Or, l’intention du législateur en approuvant les conventions de non double imposition conclues entre l’Etat luxembourgeois et de nombreux autres Etats, dont notamment, la Convention de non double imposition belgo-luxembourgeoise, a précisément été d’éviter autant que possible des situations de double imposition dans le chef des contribuables. Force est ensuite de constater qu’il ressort du courrier précité de l’administration fiscale belge du 12 janvier 2016 que dans le cadre de l’accord amiable élaboré entre les autorités belges et les autorités luxembourgeoises, ces dernières avaient consenti à imposer au Luxembourg uniquement les revenus de Monsieur X correspondant à 12 jours de travail pour l’année 2011 respectivement à 17 jours de travail en 2012.

Force est dès lors de conclure que la circonstance qu’une partie des revenus de Monsieur X des années 2011 et 2012 soit imposée tant par la Belgique que par le Luxembourg contrevient tant à l’intention du législateur qu’à l’attitude que l’administration fiscale luxembourgeoise avait antérieurement affichée. Il ne ressort pas des explications de l’administration dans quelle mesure sa décision de renoncer à imposer 189 jours prestés en 2011 et 197 jours prestés en 2012 serait conforme à la Convention de non-double imposition belo-luxembourgeoise et, en conséquence, à l’intention du législateur, mais que tel ne pourrait pas être le cas de 79 jours en 2011 et de 87 jours en 2012. Le tribunal est partant amené à retenir l’existence d’une rigueur objective incompatible avec l’équité au sens du paragraphe 131 AO dans le chef des demandeurs en ce qui concerne l’imposition au Luxembourg des revenus de Monsieur X à raison de 74 jours sur 201 jours prestés pour l’année 2011 et 87 jours sur 214 jours prestés pour l’année 2012, de sorte que la décision directoriale déférée a rejeté la demande de remise gracieuse à tort et qu’elle est partant à réformer.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 septembre 2020 ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision directoriale du 28 septembre 2020, inscrit sous le numéro GR 063.19, dit que la demande de remise gracieuse introduite devant le directeur de l’administration des Contributions directes est fondée en son principe pour ce qui est de l’impôt fixé par le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2011 ainsi que le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2012, émis à l’égard de Monsieur X et de Madame Y les 16 août 2012, respectivement 21 août 2013 en ce qui concerne la partie des revenus de Monsieur X correspondant à 74 jours sur 201 jours prestés pour l’année 2011 et 87 jours sur 214 jours prestés pour l’année 2012 et décharge Monsieur X ainsi que Madame Y du paiement des impôts sur le revenu correspondant ;

renvoie le dossier pour exécution devant le directeur de l’administration des Contributions directes ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 31 janvier 2024 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 45430a
Date de la décision : 31/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-31;45430a ?

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