Tribunal administratif N° 48499 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48499 2e chambre Inscrit le 7 février 2023 Audience publique du 1er février 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 48499 du rôle et déposée le 7 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Catherine Warin, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 janvier 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 avril 2023 ;
Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée le 16 juin 2023 au greffe du tribunal administratif, par laquelle Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclare reprendre le mandat pour le compte de Monsieur …, en remplacement de Maître Catherine Warin ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 octobre 2023.
Le 25 septembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait précédemment déposé une demande de protection internationale au Danemark en date du 23 novembre 2015.
Toujours le 25 septembre 2018, il passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III ».
Par décision du 6 novembre 2018, expédiée à l’intéressé par lettre recommandée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers le Danemark, sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, les autorités danoises ayant accepté sa reprise en charge en date du 8 octobre 2018.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2018, inscrite sous le numéro 41980 du rôle, Monsieur … introduisit un recours contre la décision ministérielle du 6 novembre 2018, dont il fut débouté par jugement du tribunal administratif du 17 janvier 2019.
Par requête séparée du même jour, inscrite sous le numéro 41981 du rôle, Monsieur … sollicita encore une mesure provisoire consistant en l’instauration d’une mesure de sauvegarde par rapport à ladite décision du ministre du 6 novembre 2018 de le transférer vers le Danemark, demande dont il fut débouté par une ordonnance du président du tribunal administratif du 26 novembre 2018.
Le 26 novembre 2018, Monsieur … disparut du lieu où il était assigné à résidence au Luxembourg.
Le 22 juillet 2020, Monsieur … déposa une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg.
En date des 17 août et 14 septembre 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 10 janvier 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 12 janvier 2023, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 25 septembre 2018 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).
Monsieur, le jour de l’introduction de votre demande, vous avez été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, alors qu’il résultait des recherches effectuées dans la base de données EURODAC que vous avez déjà précédemment introduit une demande de protection internationale au Danemark en date du 23 novembre 2015. Une décision d’incompétence sur base des dispositions du Règlement Dublin III a été prise à votre 2 égard en date du 6 novembre 2018, vous informant que vous serez transféré vers le Danemark, Etat membre responsable du traitement de votre demande de protection internationale. En date du 26 novembre 2018, vous avez cependant quitté sans autorisation le lieu où vous étiez assigné à résider et vous vous êtes caché selon vos propres dires durant plus de dix-huit mois auprès d’un ami iranien à … au Luxembourg. Vous avouez vous être sciemment caché dans le but de faire échouer la procédure découlant du Règlement Dublin III qui avait pour finalité de vous transférer au Danemark afin que votre demande de protection internationale soit traitée au Luxembourg.
Après 19 mois, en date du 22 juillet 2020, vous vous êtes de nouveau présenté au Ministère et il a été retenu que le Luxembourg est entretemps devenu compétent pour traiter votre demande alors que les délais prévus par le Règlement Dublin III pour procéder au transfert sont à ce jour dépassés.
Je suis dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.
1. Quant à vos déclarations En mains les rapports du Service de Police Judiciaire des 25 septembre 2018 et 22 juillet 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 17 août et 14 septembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale, ainsi que la décision d’incompétence sur base des dispositions du Règlement Dublin III prise à votre égard en date du 6 novembre 2018, le jugement du Tribunal administratif du 17 janvier 2019 (N° 41980 du rôle) et une copie du dossier administratif reçu de la part des autorités danoises concernant la demande de protection internationale introduite au Danemark avec sa traduction en langue française.
En date du 6 novembre 2018, une décision d’incompétence sur base des dispositions du Règlement Dublin III a été prise dans votre chef mentionnant que le Luxembourg se déclare incompétent pour connaître de votre demande de protection internationale et que vous serez transféré vers le Danemark, Etat membre responsable pour le traitement de votre demande de protection internationale. Cette décision a été confirmée par un jugement du Tribunal administratif en date du 17 janvier 2019 (N° 41980 du rôle).
Or, vous avez décidé de ne pas respecter cette décision ministérielle confirmée par les juridictions et vous vous êtes soustrait aux autorités de sorte qu’il n’a pas été possible de vous transférer dans le délai de 18 mois imparti et prévu par les textes.
Une fois ce délai écoulé vous vous êtes à nouveau présenté aux autorités.
Vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara, de confession musulmane chiite et vous indiquez avoir vécu à … dans le district de … situé dans la province de … avant de quitter l’Afghanistan en septembre 2014 avec votre mère et votre fratrie, ainsi qu’avec la deuxième épouse de votre père et vos demi-frères afin de vous installer en Iran. Votre famille aurait après votre départ été renvoyée en Afghanistan, et vous précisez ne plus être en contact avec un membre de votre famille. Quant à votre père, vous indiquez qu’il aurait été tué par les Américains en été 2014. Vous indiquez encore que votre sœur … serait également décédée, mais que vous ne connaîtriez pas les circonstances ni les raisons de sa mort.
3 Concernant vos craintes en cas de retour en Afghanistan, vous alléguez avoir peur d’être tué par les Taliban, qui vous auraient menacé par courrier étant donné qu’ils vous soupçonneraient de les avoir dénoncés auprès de l’Etat et de l’armée américaine. En outre, vous leur devriez une forte somme d’argent.
Vous expliquez que depuis l’âge de … ans, vous auriez travaillé pour et avec votre oncle maternel qui aurait fait du trafic d’armes. Vous auriez fait du commerce aussi bien avec les locaux qu’avec les Taliban, qui auraient été installés non loin de votre maison. Un jour en 2014, votre oncle aurait apporté un grand chargement d’armes destiné aux Taliban afin de les stocker temporairement chez vous à la maison. Vous les auriez cachées dans votre cave pendant deux semaines, en attendant que les Taliban viennent les récupérer. Après ces deux semaines, vous auriez accompagné la mère de votre oncle chez un médecin à …, où vous auriez passé la nuit. Vous racontez que cette nuit-là, alors qu’ils attendaient les Taliban, votre oncle et votre père auraient entendu des bruits d’hélicoptère. Votre oncle se serait immédiatement enfui de la maison, et votre père aurait voulu monter sur le toit de la maison pour voir ce qui se passait. Trois hélicoptères américains seraient arrivés et quand les Américains auraient vu votre père, ils lui auraient tiré une balle dans la tête. Ils auraient ensuite fait une perquisition de votre maison, et auraient confisqué toutes les armes avant de repartir. Vous précisez que votre mère vous aurait raconté tout cela, puisque vous n’auriez pas été à la maison. Le lendemain, vous auriez appris que les Américains auraient également tué deux autres villageois, dont un élève, et qu’ils auraient attaqué les Taliban. Plusieurs Taliban auraient perdu la vie lors de cette attaque. Vous ajoutez que depuis ce jour-là, vous seriez sans nouvelles de votre oncle maternel.
Vous continuez vos dires en évoquant qu’après 40 jours de deuil, les Taliban auraient contacté les barbes blanches du quartier pour vous avertir que vous devriez leur rembourser l’argent des armes confisquées par les Américains. Ils vous auraient également soupçonné d’être un espion de l’Etat et de les avoir dénoncés aux Américains. Sachant que vous ne pourriez jamais réunir autant d’argent, vous auriez proposé aux Taliban de leur céder vos terres, ce qu’ils auraient toutefois refusé. Ils vous auraient accordé un délai pour les payer, en vous menaçant de mort. Comme vous n’auriez pas vu d’autres solutions, vous auriez décidé de fuir et de quitter l’Afghanistan.
A l’appui de votre nouvelle demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :
- votre carte de demandeur de protection internationale au Danemark ;
- une copie de la carte d’identité (Tazkira) de votre père ;
- une clé USB contenant une vidéo censée montrer les corps de votre père, de votre voisin et de l’élève. Cependant, la qualité de la vidéo est si mauvaise qu’il est difficile, voire impossible, d’en distinguer le contenu.
2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement, Monsieur, il y a lieu de noter que vous vous êtes caché pendant 19 mois auprès d’un ami au Luxembourg, afin de faire échouer votre transfert vers le Danemark, pays responsable du traitement de votre demande de protection internationale.
En effet, en date du 8 octobre 2018, les autorités danoises ont accepté la demande de reprise en charge leur adressée sur base de l’article 18 (1) (d) du Règlement Dublin III, qui 4 concerne les demandeurs dont la demande de protection internationale a été analysée et rejetée. Il en ressort dès lors, Monsieur, que vous avez déjà été débouté d’une demande de protection internationale au Danemark et que vous avez choisi de vous rendre au Luxembourg afin de faire échec à la décision de retour prise dans votre chef par les autorités danoises. Les autorités danoises ont estimé que les motifs que vous y avez invoqué à la base de votre demande ne sont pas suffisants pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale et que vous êtes dans l’obligation de quitter le Danemark en direction de votre pays d’origine.
Le Tribunal administratif luxembourgeois s’est prononcé sur le recours introduit par votre mandataire et a confirmé la décision d’incompétence prise à votre égard le 17 janvier 2019. Vous avez sciemment décidé de ne pas respecter cette décision de justice et vous vous êtes caché pendant plus de 18 mois, le temps nécessaire pour faire passer la compétence de l’Etat danois à l’Etat luxembourgeois, le Règlement Dublin III prévoyant un délai maximum de 18 mois pour l’exécution d’une décision d’incompétence. Force est donc de constater que suite au refus d’octroi d’une protection internationale émis par les autorités danoises vous avez sciemment déjoué les mécanismes en place ce qui démontre clairement que vous tentez par tous les moyens de vous maintenir sur le territoire de l’Union européenne et ce en dépit de toutes les règles de procédure en place. Un tel comportement est absolument inacceptable et démontre que vous n’hésitez pas à mettre en œuvre tous les stratagèmes possibles pour ne pas vous plier aux règles établies en Europe et que vous avez ainsi décidé de ne pas respecter la décision émanant des autorités danoises qui ont rejeté votre demande. Ce comportement montre en outre que vous cherchez par tous les moyens à rester en Europe, ce qui nuit à votre crédibilité.
A la lecture du dossier qui nous a été transmis par les autorités danoises on constate que ces dernières n’ont accordé aucun crédit à une grande partie de votre récit et ont rejeté votre demande de protection internationale alors que les motifs qui n’ont pas été remis en question ont été considérés comme pas suffisants pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale et les autres motifs ont été écartés pour défaut de crédibilité.
Il convient de noter que cette même conclusion s’impose au Luxembourg alors que votre récit est resté dans les grandes lignes le même et qu’il ressort de la lecture du rapport d’entretien visant à déterminer vos motifs de fuite et les raisons vous empêchant de rentrer dans votre pays d’origine que vous ne faites pas état d’un seul fait crédible qui justifierait l’octroi d’une protection internationale.
Votre récit est en effet truffé de déclarations manifestement invraisemblables pour ne pas dire rocambolesques.
Il s’agit dans un premier temps de constater que, à l’exception d’une clé USB contenant une vidéo censée montrer les corps de votre père, de votre voisin et d’un l’élève qui est d’une qualité si mauvaise qu’il est difficile, voire impossible, d’en distinguer le contenu, vous n’avez versé aucune pièce à l’appui de vos dires et que vous ne semblez à aucun moment lors de votre séjour en Europe avoir eu le réflexe ou l’envie de vous procurer une quelconque preuve qui permettrait d’appuyer vos dires, et de prouver la mort de votre père ou l’existence des menaces de la part des Taliban respectivement de vous faire envoyer ces documents alors que cela fait maintenant quatre années que vous êtes au Luxembourg. Or, notons qu’il peut être attendu d’un demandeur de protection internationale réellement persécuté respectivement à risque de subir des atteintes graves, qu’il mette au moins tout en œuvre pour prouver ses dires auprès 5 des autorités desquelles il demande une protection, ce qui n’a manifestement pas été votre cas de sorte que l’ensemble de vos déclarations reste au stade de pures allégations.
Quant à votre récit, il convient tout d’abord de souligner que vous avez indiqué, tant dans votre fiche de motifs que lors de votre entretien avec l’agent du Service de Police Judiciaire le 25 septembre 2018, que vous auriez été contraint de quitter l’Afghanistan, car votre père aurait fait du trafic d’armes. Vous avez également indiqué que votre père aurait été tué par l’ancien gouvernement afghan. Il convient toutefois de noter que, lors de votre entretien personnel avec l’agent du Ministère en date des 17 août et 14 septembre 2021, vous avez changé de récit et affirmé que c’était votre oncle, et non votre père, qui aurait fait du trafic d’armes et que votre père aurait été tué par des soldats américains. Étant donné que votre motif principal est directement lié à ce prétendu trafic d’armes, on devrait au moins pouvoir s’attendre à ce que vous puissiez déterminer clairement quelle personne de votre famille était impliquée dans le trafic d’armes. Le fait que vous modifiez vos déclarations sur un détail aussi essentiel à votre récit ne fait que confirmer le manque de crédibilité. En effet, il ne s’agit pas en l’occurrence d’un détail du récit mais bien de l’élément clé et il est tout bonnement impossible que vous vous soyez trompé en confondant votre père et votre oncle.
En ce qui concerne la prétendue intervention par les Américains le jour où les Taliban auraient dû récupérer les armes chez vous, il y a lieu de noter que vous déclarez clairement que même si les habitants du quartier avaient certes de temps en temps vu des Taliban venir chez vous, vous auriez toujours minutieusement caché vos activités de trafic d’armes aux villageois, « au cas où il y avait des espions pour ne pas qu’ils disent à l’État qu’il y avait des armes dans cette maison. A chaque fois qu’on amenait les armes, c’était toujours caché » (p.10/15 de votre rapport d’entretien), et qu’ainsi, personne n’aurait pu être au courant que vous auriez des armes à la maison. Cela est confirmé par vos déclarations lors de votre entretien personnel au Danemark, où vous avez souligné que personne n’aurait pu savoir qu’il y aurait eu un stock d’armes dans votre maison.
Dans ce contexte, et à l’instar de ce qui a été retenu au Danemark concernant cet élément, il y lieu de souligner qu’il est tout impossible que l’armée américaine envoie trois hélicoptères pour une simple perquisition de votre domicile, et qu’ils tuent votre père, une personne non-armée, dans le seul but de fouiller la propriété à la recherche d’armes dont, selon vos propres dires, ils ne pouvaient pas connaître l’existence. Il est encore moins crédible que, s’agissant d’une perquisition ciblant votre domicile, les Américains auraient également exécuté votre voisin ainsi qu’un étudiant du village. On peut donc en conclure que si ces événements avaient réellement eu lieu, il s’agirait plutôt d’une attaque américaine sur le village, étant donné que plusieurs Taliban auraient vécu à proximité, que d’une perquisition ciblée de votre maison.
Quand bien même une telle perquisition devait avoir eu lieu, elle est nécessairement accompagnée d’hommes au sol, or vous ne faites mention d’aucun homme au sol qui aurait pu sécuriser les lieux, ce qui est totalement improbable. Il y a plutôt lieux de conclure que vous tentez par tout moyen de construire une histoire qui vous permettrait d’obtenir une protection internationale.
Finalement, en ce qui concerne votre prétendu conflit avec les Taliban, il y a lieu de noter que, selon vos propres dires, votre oncle maternel, et non pas vous-même, aurait été en charge du commerce d’armes. En effet, vous précisez que votre oncle serait un marchand d’armes, et que vous auriez commencé à l’aider à l’âge de … ans. Cependant, votre oncle 6 aurait toujours été chargé de se procurer les armes et de leur apport à votre domicile. Vous prétendez ne pas savoir d’où il aurait obtenu les armes et d’ignorer combien d’armes vous auriez vendues par mois. Selon vos dires, votre oncle aurait été la personne de contact des Taliban et que vous ne les auriez connus que parce qu’ils auraient habité non loin de votre maison. Ainsi, il y a lieu de constater que votre oncle aurait dû être la cible des revendications de la vengeance des Taliban et pas vous.
Même si les Taliban se seraient tournés contre vous, et auraient choisi de vous menacer, en raison de la disparition de votre oncle, il convient toutefois de noter que vos propos sur ce point sont essentiellement vagues et que vous n’êtes manifestement pas à même de donner des réponses précises aux questions posées par l’agent du Ministère. En effet, ce dernier a dû vous demander à plusieurs reprises d’élaborer vos réponses. Vous avez néanmoins continué à donner des réponses sans détails, en vous contentant de soit éviter de répondre, soit dire simplement que vous ne vous souveniez pas ou que vous ne saviez pas. Ainsi, vous indiquez ne pas savoir combien d’argent les Taliban vous auraient demandé afin de les dédommager de la perte d’armes, et vous n’êtes pas non plus à-même de dire quel délai ils vous auraient accordé pour réunir cette somme. Ce sont pourtant les principaux éléments sur lesquels auraient reposé les menaces des Taliban. Vous restez également vague sur le travail que vous auriez fait. Cette absence de connaissance flagrante sur des éléments essentiels de votre récit altère la sincérité de vos propos. Vous n’êtes, en effet, pas capable de donner ne serait-ce que des informations de base concernant les menaces directes que vous auriez reçues à plusieurs reprises. Il peut être attendu à ce que vous connaîtriez quand même le montant approximatif de la somme requise et le délai accordé. Il paraît évident que vous n’avez jamais reçu une quelconque menace et que votre récit est inventé de toutes pièces, de sorte qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos déclarations. Ce constat est renforcé par le fait qu’il ressort de la décision des autorités danoises que vous avez déclaré au Danemark que les Taliban auraient demandé de l’argent à votre oncle paternel, qui aurait vécu avec vous dans la maison, et qu’il aurait été soupçonné par les Taliban d’avoir secrètement informé les Américains sur les armes. En fait, il est beaucoup plus crédible qu’après que votre demande de protection internationale ait été rejetée par les autorités danoises sur la base des mêmes éléments, vous ayez décidé de réviser votre histoire et de prétendre que vous aviez reçu personnellement les menaces des Taliban afin d’augmenter vos chances de bénéficier d’une protection internationale au Luxembourg.
Au vu du manque de crédibilité de vos déclarations, aucune protection internationale ne vous est accordée.
Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 février 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 10 janvier 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétentpour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 10 janvier 2023, prise dans son double volet, telle que déférée, ledit recours, étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, le demandeur indique être né et avoir grandi dans la province de …. Il aurait quitté sa province natale après le décès de son père survenu lors de l’été 2014.
Il explique avoir été impliqué, dès son enfance, dans les activités de trafic d’armes de son oncle, qui les aurait stockées dans la maison familiale et les aurait revendues aux talibans. Ce trafic aurait mené l’armée américaine à attaquer leur maison, attaque lors de laquelle son père aurait été tué. Le demandeur indique, ensuite, que quelques semaines après cette attaque, il aurait été informé par « les barbes blanches », à savoir les chefs de son village, que les talibans auraient voulu obtenir un paiement en dédommagement des armes qui auraient été confisquées par les Américains. D’après les chefs de son village, il aurait lui-même aussi été soupçonné par les talibans d’être un espion et d’avoir dénoncé l’emplacement des armes aux Américains et/ou à l’Etat afghan, ce qui les aurait amenés à proférer des menaces de mort à son encontre pour les avoir trahis. N’ayant pas les ressources pour payer la somme exigée et craignant pour sa vie, il se serait alors enfui de son pays d’origine pour se rendre au Danemark, où il aurait introduit une demande de protection internationale le 23 novembre 2015. Cette demande aurait été rejetée par les autorités danoises et face à la perspective d’être renvoyé en Afghanistan, il aurait fui le Danemark pour demander une protection internationale au Luxembourg, ce qu’il aurait fait le 25 septembre 2018. Comme le Luxembourg se serait déclaré incompétent pour traiter cette demande et qu’il aurait craint d’être transféré au Danemark, où il aurait risqué d’être renvoyé en Afghanistan, il aurait décidé de se cacher pendant une période de dix-neuf mois avant de redéposer une demande de protection internationale au Luxembourg. Il affirme essayer d’obtenir une protection internationale depuis huit années.
En droit, le demandeur conclut, tout d’abord, à une violation de l’article 41 (2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », qui consacrerait le droit à une bonne administration, et notamment le droit de voir ses affaires traitées impartialement et équitablement. Il fait valoir, dans ce contexte, que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) aurait décidé dans un arrêt R.N.N.S., K.A. contre Minister van Buitenlandse Zaken du 24 novembre 2020, C-225/19 et C-226/19, que l’article 41 de la Charte refléterait un principe général du droit de l’Union européenne, qui aurait vocation à s’appliquer aux Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre ce droit.
A cet égard, et après s’être emparé du principe d’égalité devant la loi, en renvoyant aux articles 10bis et 111 de la Constitution, ainsi qu’aux obligations des fonctionnaires dans l’exercice de leur mission prévues à l’article 110 (2) de la Constitution, tels que rédigés à l’époque du recours, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir pris la décision litigieuse de manière impartiale, ce qui ressortirait du passage de la décision litigieuse dans lequel le ministre aurait insisté sur le fait qu’il aurait déposé une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg après avoir mis en échec son transfert vers le Danemark. Il poursuit en soutenant que le fait de lui reprocher un comportement inacceptable constituerait un « jugement moral » et dénoterait un grave manque d’impartialité. Ainsi, le fait que le ministre consacre une partie de la décision à lui faire des reproches quant à la mise en échec volontaire de son transfert révèlerait le préjugé qui aurait orienté l’analyse de son dossier,notamment en ce qui concerne la crédibilité de son récit. A ce propos, le demandeur critique la référence du ministre à la décision des autorités danoises lui ayant refusé l’octroi d’une protection internationale en 2017, dans la mesure où les autorités danoises auraient estimé possible une réinstallation à Kaboul au moment même où la Cour administrative luxembourgeoise aurait, dans un arrêt du 28 novembre 2017, inscrit sous le numéro 39977C du rôle, reconnu l’existence pour un ressortissant afghan d’un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir des menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle dû au conflit armé en Afghanistan.
Monsieur … reproche encore au ministre, dans ce contexte, d’avoir fait référence à la décision danoise de manière vague et sans citer une page ou une référence précise dudit document qui ferait pourtant 45 pages.
Ensuite, en ce qui concerne la production de documents à l’appui de ses dires, le demandeur s’empare de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, tout en indiquant qu’il aurait expliqué à l’agent en charge de ses auditions les difficultés pour se faire parvenir des documents en provenance d’Afghanistan. Il aurait, en outre, indiqué que certains de ses documents auraient été oubliés au Danemark, que d’autres auraient été conservés par les autorités danoises et qu’il n’aurait plus de contacts avec sa famille pour leur en réclamer.
Par la suite, il soutient que son récit serait cohérent, en affirmant ne pas en avoir changé en ce qui concerne le fait que son oncle aurait vendu des armes. Quand bien même une incohérence existerait entre le rôle de son oncle et celui de son père dans la vente d’armes, Monsieur … donne à considérer que l’entretien relatif à la demande de protection internationale viserait justement à permettre au demandeur de donner et, si besoin, de préciser et de rectifier toutes les informations pertinentes pour l’examen de sa demande, et renvoie à cet égard à l’article 15 (1) de la loi du 18 décembre 2015. Concernant l’attaque sur son village, il explique que le mot « étudiant » qui a été utilisé serait un synonyme de « taliban », de sorte que ce n’aurait, vraisemblablement, pas été un étudiant au sens luxembourgeois qui aurait été tué, mais un taliban, et que la perquisition effectuée à son domicile ne devrait pas être assimilée à une perquisition telle qu’elle serait menée au Luxembourg, alors qu’il y aurait lieu d’éviter d’être trop rigide concernant la terminologie, sous peine de perdre de vue les facteurs linguistiques et culturels avec lesquels serait appréhendé le concept de perquisition. Il souligne qu’il aurait décrit les faits avec constance, à savoir « une attaque sur son village et spécifiquement sur sa maison, des hélicoptères, un moment terrifiant et chaotique que les personnes présentes n’ont sans doute pas complètement compris sur le moment, mais qui a en tout cas débouché sur l’exécution de son père ». Le demandeur poursuit en affirmant qu’il aurait été impliqué dans le trafic d’armes, malgré lui et en dépit de son jeune âge, et qu’en conséquence, les talibans l’associeraient à ce trafic. Il indique encore que ses propos n’auraient pas été évasifs malgré le reproche du ministre en ce sens, alors qu’il aurait clairement répondu à l’agent en charge de ses auditions qu’il ne savait pas ou plus les réponses. A ce propos, il précise ne plus savoir le montant exact réclamé par les talibans en remboursement des armes, mais que ces derniers auraient refusé des terrains, des animaux et une maison, ce qui démontrerait l’ampleur de leurs exigences.
En outre, le demandeur conclut à la réformation de la décision litigieuse pour détournement de pouvoir, dans la mesure où son auteur l’aurait prise en poursuivant une finalité étrangère à la question de savoir s’il remplissait les critères d’octroi d’une protection internationale. Monsieur … soutient, à cet égard, que ladite décision aurait été rédigée de façon à suggérer qu’il devrait être sanctionné pour s’être caché le temps nécessaire afin d’échapper à son transfert vers le Danemark, tout en soulignant qu’une telle sanction n’existerait pas, hormiscelle prévue à l’article 29 (2) du règlement Dublin III qui consisterait, dans l’hypothèse où l’intéressé fuit avant l’exécution de son transfert, en un allongement des délais relatifs à la transmission de la responsabilité de l’examen d’une demande de protection internationale d’un pays à un autre.
Au fond, après avoir rappelé les termes de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … soutient, en s’appuyant sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 23 août 2016, J.K. et autres c. Suède, n° 59166/12, qu’il devrait bénéficier du doute et qu’il n’aurait ainsi pas besoin d’apporter la preuve de ses dires.
Il fait ensuite valoir qu’il aurait été persécuté par les talibans en raison de ses opinions politiques. Ceux-ci l’auraient, en effet, menacé de mort parce qu’il aurait, selon eux, fourni des informations aux Américains et/ou à l’Etat afghan sur l’emplacement des armes qui leur auraient été destinées.
Concernant son appartenance ethnique et religieuse, s’il concède que celle-ci ne serait pas suffisante pour lui permettre d’obtenir le statut de réfugié, il reproche néanmoins au ministre de ne pas avoir étudié de façon appropriée les implications de cette appartenance sur sa demande de protection internationale, en faisant valoir l’oppression et la stigmatisation constante auxquelles les Hazaras auraient fait face. Le demandeur renvoie, à cet égard, à un article du journal La Croix du 17 août 2018, intitulé « En Afghanistan, la minorité chiite hazara touchée au cœur », dans lequel il serait indiqué que les talibans et l’Etat islamique auraient été créés par le courant islamique wahhabite selon lequel les chiites ne seraient pas des musulmans et que les Hazaras, au vu de la majorité sunnite composant l’Afghanistan, souffriraient de la guerre interminable qui opposerait les forces gouvernementales à ces groupes extrémistes sunnites. Il en conclut qu’aux motivations politiques des actes de persécutions qui auraient été subis par lui de la part des talibans s’ajouteraient des motivations ethniques et religieuses.
Quant à la gravité des faits relatés, le demandeur soutient avoir évoqué dans son récit des menaces de mort proférées par les talibans à son encontre, menaces qui seraient susceptibles d’être mises à exécution s’il retournait en Afghanistan, de sorte que les actes invoqués seraient suffisamment graves pour lui permettre d’obtenir le statut de réfugié.
Ensuite, Monsieur … affirme que les actes relatés et craints émaneraient d’acteurs étatiques et souligne que l’actualité confirmerait le fait que les personnes appartenant à l’ethnie hazara comme lui seraient de plus en plus exposées aux persécutions sous le régime taliban, en renvoyant à cet égard à un article d’Amnesty International du 15 septembre 2022, intitulé « Afghanistan. Les talibans torturent et exécutent des Hazaras dans le cadre d’une attaque ciblée – Nouvelle enquête » et au « Country Guidance : Afghanistan 2023 » de l’European Union Agency for Asylum (EUAA), publié le 24 janvier 2023. Il ajoute qu’il serait en outre perçu par les talibans comme faisant partie de la catégorie des « individuals perceived as Westernized », ce qui serait inévitablement son cas après près d’une décennie passée à l’étranger et principalement en Europe.
A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur se réfère à l’arrêt CF.
et DN. contre Bundesrepublik Deutschland de la CJUE du 10 juin 2021, C-901/19, pour soutenir qu’il serait à risque de subir les atteintes graves visées à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et que ce risque découlerait non seulement de la situation générale en Afghanistan mais aussi de ses caractéristiques personnelles, à savoir son appartenance àl’ethnie hazara et l’identification avec une famille qui serait soupçonnée d’avoir « trahi » les talibans en faveur des Américains et/ou de l’ancien Etat afghan. Il en conclut que les critères pour l’octroi de la protection subsidiaire seraient remplis, de sorte qu’il devrait bénéficier de ce statut.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise, en insistant sur le comportement du demandeur qui aurait consisté à faire déjouer l’application du règlement Dublin III et sur le manque de crédibilité de ses déclarations, de sorte à conclure au rejet du recours. Il complète également la motivation de la décision ministérielle en soulignant qu’il serait de jurisprudence constante que le point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 ne serait plus d’application pour ce qui est de l’Afghanistan, alors que la question ayant trait à l’existence d’un conflit armé caractérisé par des violences aveugles ne se poserait plus depuis la prise de pouvoir des talibans.
Quant à la légalité externe de la décision déférée, en ce qui concerne le moyen du demandeur tendant à l’annulation de la décision litigieuse pour violation de l’article 41 (1) de la Charte, il échet de préciser que ledit article dispose que « […] Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l’Union. […] ».
Il échet de relever que, contrairement à ce que le demandeur soutient, cet article n’est pas invocable directement devant les juridictions nationales, la CJUE ayant effectivement retenu à cet égard qu’il résultait clairement du libellé de l’article 41 de la Charte que celui-ci s’adresse non pas aux Etats membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union européenne1, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour être non fondé.
En ce qui concerne la violation alléguée du droit à une bonne administration, du principe d’égalité devant la loi, ainsi que des articles 10bis, 111 et 110 (2) de la Constitution, tel que rédigés au moment de l’introduction du recours, outre le fait que le demandeur n’explique pas les raisons précises pour lesquelles il estime que ces articles auraient été violés, il semble, en invoquant également un détournement de pouvoir par le ministre, et de l’entendement du tribunal, reprocher en substance au ministre une violation de l’article 10 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « […] Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement […] ».
Or, si le ministre a effectivement insisté, dans la décision litigieuse, sur les circonstances du dépôt de la deuxième demande de protection internationale de Monsieur … en lui reprochant de s’être soustrait à l’exécution de la décision de transfert vers le Danemark prise dans le cadre du règlement Dublin III, ayant ainsi fait échec à l’application dudit règlement, force est néanmoins de constater que le ministre a pris en compte l’ensemble des déclarations de Monsieur … pour procéder, par la suite, à l’analyse de sa demande de protection internationale.
1 CJUE, 17 juillet 2014, YS c. Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel et Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel c. M, S, affaires jointes C‑372/12 et C‑141/12, point 67.Partant, il échet de constater que ni le fait que le ministre ait critiqué l’attitude de Monsieur … ayant consisté à se soustraire à son transfert vers le Danemark, ce qui a eu pour conséquence l’examen de sa demande de protection internationale au Luxembourg, ni le fait que l’instruction de celle-ci, respectivement l’appréciation que le ministre a faite de ses déclarations n’ait pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne permettent, en tout état de cause, au demandeur de soutenir valablement que la décision litigieuse n’aurait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement. Il s’ensuit que les moyens tirés d’une violation du droit à une bonne administration, du principe d’égalité devant la loi, de l’article 10 (3) de la loi du 18 décembre 2015, des articles 10bis, 111 et 110 (2) de la Constitution sont rejetés, de sorte qu’il ne saurait pas non plus être conclu à un détournement de pouvoir qui aurait été commis par le ministre en prenant la décision litigieuse.
Quant à la légalité interne de la décision entreprise, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f), de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Par ailleurs, le tribunal est amené à préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.
Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur … ne serait pas crédible dans sa globalité.
En ce qui concerne, tout d’abord, les craintes invoquées par Monsieur …, pour la première fois dans le cadre de sa requête introductive d’instance, de subir des persécutions de la part des talibans en tant qu’Hazara chiite, - appartenance ethnique et religieuse qui n’a pas été remise en cause par le ministre -, si ces motifs relèvent de la Convention de Genève pour être en lien avec la religion et l’appartenance ethnique du demandeur, force est néanmoins au tribunal de constater que ce dernier n’a jamais fait mention d’une quelconque persécution ou d’un moindre incident dont il aurait été personnellement victime de la part des talibans en raison de cette appartenance, que ce soit (i) lors de son audition par un agent de police le 25 septembre 20182, (ii) lors de la rédaction des motifs le 20 novembre 20183 et le 17 août 20214 à la base de ses deux demandes de protection internationale, et (iii) lors de ses auditions en date des 17 août et 14 septembre 2021 devant un agent du ministère. Au contraire, il a déclaré à propos des talibans que « Ils ne me disaient rien, j'étais en contact avec eux, ils venaient chez nous il n'y avait pas de problèmes, je les connaissais. »5.
Le tribunal relève encore que les publications sur lesquelles s’appuie le demandeur dans son recours pour faire valoir que les Hazaras seraient persécutés par les talibans, à savoir l’article publié sur le site internet de La Croix le 16 août 2018, intitulé « En Afghanistan, la minorité chiite Hazara touchée au cœur », l’article publié sur le site internet d’Amnesty International le 15 septembre 2022, intitulé « Afghanistan. Les talibans torturent et exécutent des Hazaras dans le cadre d’une attaque ciblée – Nouvelle enquête », et le rapport « Country Guidance : Afghanistan 2023 » de l’EUAA, - sans même les discuter ni les mettre en relation avec sa situation personnelle -, ne sont, en tout état de cause, pas suffisants pour permettre de retenir qu’il courrait un risque réel et sérieux, uniquement en raison de son appartenance ethnique et religieuse, de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine de la part des talibans.
Dans ce contexte, dans un arrêt récent du 5 décembre 2023, la Cour administrative a décidé que « […] Concernant ensuite les craintes de persécutions ou d’atteintes graves de la 2 « Ich musste den Afghanistan verlassen, da mein Vater seitens der afghanischen Regierung ermordet wurde, er wurde des Waffenhandels beschuldugt. », page 2 du rapport de police du 25 septembre 2018.
3 « Parce que mon père vendait des armes, l’état et les Talibans étaient à la recherche de ma famille. Et nous étions obliger de nous enfouir. Entre parenthèses : (Je n’ai pas fait beaucoup d’études) », traduction des motifs rédigés par le demandeur lors du dépôt de sa demande de protection internationale en date du 20 novembre 2018.
4 « Problème avec l’Etat et les talibans. Mon père a été assassiné. » traduction des motifs rédigés le 17 août 2021 par le demandeur à la base de sa deuxième demande de protection internationale.
5 Page 10 du rapport d’entretien des 17 août et 14 septembre 2021.part des Talibans en raison de sa confession musulmane chiite et son appartenance à l’ethnie hazara, les premiers juges se sont à juste titre appuyés sur la jurisprudence de la Cour administrative par rapport à la situation générale des membres de cette communauté en Afghanistan, ayant retenu que s’il se dégage certes des sources à sa disposition que les membres de l’ethnie hazara font l’objet de la persistance d’actes de violence et de harcèlements de la part des Talibans, il ne ressort néanmoins pas des éléments d’informations lui soumis que les Hazaras feraient l’objet de persécutions généralisées et systématiques du seul fait de leur origine ethnique ou de leur confession musulmane chiite. Tel que déjà retenu par la Cour dans ses arrêts des 19 mai 2022 (n° 46363C du rôle) et 30 juin 2022 (n° 46108C du rôle), les attaques menées contre les Hazaras sont pour la plupart l’œuvre de l’organisation terroriste EIK et visent surtout les lieux de culte chiites respectivement des civils hazara en raison de leur profil de fonctionnaires, de journalistes ou encore de personnel d’organisations non gouvernementales, attaques qui sont pour le surplus très ponctuelles, non quotidiennes et perpétrées dans les grandes villes du pays.
La Cour a encore retenu dans des arrêts du 21 février 2023 (n° 48083C du rôle) et 9 mars 2023 (n° 48007C du rôle) qu’un rapport « EUAA Country Guidance : Afghanistan » d’avril 2022 recommande de vérifier si la personne concernée hazara présente d’autres éléments qui permettraient de conclure qu’elle correspond à un profil plus à risque que d’autres.
Il s’ensuit que le seul fait d’être hazara et de confession chiite n’est pas suffisant en soi pour justifier une crainte de persécution dans le chef de l’appelant.
Cette conclusion n’est pas invalidée par les sources d’informations additionnelles invoquées par l’appelant en instance d’appel. En effet, s’il est certes vrai que certaines publications évoquent un sérieux risque de génocide des Hazaras chiites en Afghanistan, il n’en demeure pas moins que la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir que la situation actuelle puisse être qualifiée de telle. […] » 6.
Cette conclusion s’impose, en l’espèce, au tribunal, en ce qui concerne les craintes de persécutions du demandeur à l’égard des talibans, dans la mesure où il reste en défaut de fournir des éléments personnels qui permettraient de retenir qu’il aurait un profil plus à risque de subir des persécutions que les autres Hazaras. Partant, le seul fait qu’il soit un Hazara chiite n’entraîne pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef.
En ce qui concerne le risque de persécutions pour avoir passé plusieurs années en Europe, la Cour administrative a été amenée à retenir que « […] Concernant la prétendue « occidentalisation » de l’appelant, la Cour partage encore l’appréciation des premiers juges selon laquelle celui-ci reste en défaut d’expliquer les raisons concrètes qui pourraient conduire les talibans à le persécuter du seul fait d’avoir vécu quelques années en Europe, les craintes afférentes ne traduisant dès lors qu’un vague sentiment d’insécurité. En outre, le séjour de l’appelant au Luxembourg et sa prétendue « occidentalisation » conséquente, faute de preuve d’une adoption visible d’un mode de vie occidental impliquant un risque personnel de persécution en cas de retour en Afghanistan, n’apparaissent pas plus de nature à justifier la reconnaissance d’une protection internationale »7. Elle a été encore amenée, dans le prédit arrêt du 5 décembre 2023, à confirmer cette solution en précisant qu’« […] il ne ressort pas 6 Cour adm., 5 décembre 2023, n° 48946C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
7 Cour adm., 5 octobre 2023, n° 49005C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.des éléments soumis à l’appréciation de la Cour que des personnes « occidentalisées », majeures et de sexe masculin, qui retournent en Afghanistan risqueraient des persécutions de ce fait, même si elles peuvent être regardées avec suspicion ou faire l’objet de stigmatisation ou de rejet. », de sorte que ces faits ne sont pas non plus susceptibles d’être considérés comme pouvant constituer des persécutions.
Monsieur … restant en défaut de fournir des explications circonstanciées quant à un risque personnel de subir des persécutions en raison de sa prétendue « occidentalisation », le tribunal est amené à faire siennes les conclusions précitées de la Cour administrative. Ainsi, la seule circonstance d’avoir vécu à l’étranger pendant plusieurs années n’entraîne pas l’octroi du statut de réfugié au demandeur.
Ensuite, en ce qui concerne la crédibilité du récit fourni par Monsieur … à la base de sa demande de protection internationale, le tribunal est amené à partager les doutes de la partie étatique.
En effet, force est de constater que les déclarations du demandeur sont imprécises, voire contradictoires, sur des éléments essentiels de son récit.
Concernant, tout d’abord, la personne qui vendait les armes aux talibans, il échet de relever que, dans le cadre de l’examen de sa demande de protection internationale par les autorités danoises, le demandeur a indiqué que seul son oncle maternel aurait vendu des armes aux talibans. Ensuite, il a affirmé, lors de son entretien avec un policier luxembourgeois en date du 25 septembre 2018 que « Ich musste den Afghanistan verlassen, da mein Vater seitens der afghanischen Regierung ermordet wurde, er wurde des Waffenhandels beschuldugt. », ce qu’il a confirmé, lors du dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg en date du 20 novembre 2018, en écrivant qu’il aurait dû fuir son pays d’origine « Parce que mon père vendait des armes, l’état et les Talibans étaient à la recherche de ma famille. Et nous étions obliger de nous enfouir. […] ». Enfin, il a déclaré lors de son entretien devant les autorités luxembourgeoises sur les motifs à la base de sa deuxième demande de protection internationale qu’il aurait, depuis l’âge de 10 ans, aidé son oncle maternel à vendre des armes. Or, étant donné que les évènements qui l’ont conduit à fuir l’Afghanistan, notamment l’attaque des autorités américaines sur son domicile à l’origine du décès de son père, sont étroitement liés à cette vente d’armes, il est légitime d’attendre du demandeur qu’il puisse fournir des informations concordantes et précises à ce propos, d’autant plus qu’il aurait supposément participé à cette activité de 2003 à 2014, soit pendant près de 11 ans.
A cela s’ajoute que le récit de Monsieur … concernant les circonstances et le montant de l’argent sollicité par les talibans en contrepartie des armes confisquées par les Américains reste vague, alors qu’ils se seraient pourtant adressés directement à lui8. En effet, il a affirmé ne connaître ni le montant réclamé ni le délai lui accordé pour la réunion de cette somme, ni la date ou le lieu de remise desdits montants aux talibans, éléments qui sont cependant essentiels, alors qu’ils sont notamment à l’origine de sa décision de fuir de son pays d’origine.
Dans ce contexte, le tribunal est amené à relever que la pièce versée par le demandeur en date du 25 juillet 2023 consistant en une prétendue lettre qui aurait été rédigée par l’« Emirat Islamique d’Afghanistan » en date du 24 mars 2017 et selon laquelle il serait personnellement 8 « A quel moment a eu lieu ce contact direct entre vous et les talibans et au cours duquel ils vous ont menacé ? Quand ils ont demandé de l’argent, comme je n’avais pas les moyens de leur donner, ils m’ont menacé. », page 10 du rapport d’entretien des 17 août et 14 septembre 2021.redevable de la somme de 2,5 millions d’afghanis aux talibans ajoute au manque de crédibilité du récit de Monsieur ….
En effet, outre la question de son authenticité et outre le fait qu’il verse ce document trois ans après le dépôt de sa deuxième demande de protection internationale, il ressort de cette lettre qu’elle aurait été rédigée en 2017. De ce fait, et au-delà de l’absence d’explication du demandeur à propos des circonstances de l’obtention de cette lettre, il échet de retenir qu’il devait, au moment du dépôt de sa deuxième demande de protection internationale, à savoir en 2020, nécessairement avoir connaissance de son contenu, de sorte à pouvoir répondre à la question lui posée lors de ses auditions concernant le montant réclamé par les talibans, ou qu’il pouvait, à tout le moins, mentionner l’existence de ladite lettre dans laquelle ce montant était indiqué, ce qu’il est resté toutefois en défaut de faire.
Eu égard à ces constatations, auxquelles s’ajoute le fait que les explications fournies par Monsieur … dans sa requête introductive d’instance manquent de convaincre de la sincérité de ses déclarations, celles-ci étant en effet sommaires face aux points fondamentaux de crédibilité mis en avant par le ministre et relevés ci-dessus, le tribunal est amené à retenir que les conditions visées à l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir que le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que son récit doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité.
Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que le récit du demandeur en relation avec son prétendu vécu en Afghanistan, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant, au contraire, comme tentant d’ajouter des éléments pour augmenter la probabilité d’obtenir une protection internationale.
Ainsi, à défaut de faits avérés permettant de vérifier le bien-fondé des motifs invoqués à la base de la demande de protection internationale soumise à l’analyse du tribunal, le recours dirigé contre le refus du statut de réfugié et contre le refus de la protection subsidiaire basée sur les points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 encourt, dès lors, le rejet pour être non fondé.
Concernant, enfin, l’hypothèse de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 relative aux violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, force est de relever que Monsieur … est resté en défaut d’établir à suffisance de droit que la situation en Afghanistan, et notamment dans sa région d’origine, serait telle que par sa seule présence, il y serait soumis au risque avéré de faire l’objet de menaces graves contre sa vie ou sa personne, la simple invocation de la situation générale en Afghanistan n’étant pas suffisante à cet égard.
Au vu de l’ensemble de ces considérations et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas démontré qu’il remplirait les conditions pour se voir octroyer l’un des statuts conférés par la protection internationale.
Par conséquent, le tribunal retient que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire A l’appui de son recours contre l’ordre de quitter le territoire, le demandeur expose que cet ordre devrait encourir la réformation en conséquence de la réformation de la décision lui refusant l’octroi d’une protection internationale, tout en ajoutant qu’il serait contraire à l’article 18 de la Charte relatif au droit d’asile et à l’article 19 de la Charte concernant le non-
refoulement.
Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet du recours.
Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.
En ce qui concerne la violation des dispositions invoquées par le demandeur, il échet de constater en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par celui-ci en cas de retour dans son pays d’origine, que le tribunal a conclu ci-avant qu’aucune protection internationale ne pouvait être accordée au demandeur, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Afghanistan soit dans ces circonstances incompatibles avec le principe de non-refoulement, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.
Il s’ensuit que le volet du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 10 janvier 2023 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 10 janvier 2023 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 1er février 2024 par le vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 19