Tribunal administratif N° 46404 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46404 5e chambre Inscrit le 30 août 2021 Audience publique extraordinaire du 19 février 2024 Recours introduit par la société anonyme A, …, contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal, de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers, d’établissement séparé de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune, en matière d’impôts
_________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46404 du rôle et déposée le 30 août 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Christophe Vandevyer, avocat inscrit au Barreau de Verviers (Belgique) et exerçant sous sa dénomination professionnelle d’origine, inscrit à la liste IV du tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée auprès du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers des années 2015 à 2018, ainsi que des bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, 2017, 2018 et 2019, tous émis en date du 3 septembre 2020 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2021 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2022 par Maître Christophe Vandevyer, pour compte de la société anonyme A, préqualifiée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Christophe Vandevyer et Monsieur le délégué du gouvernement Tom Kerschenmeyer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 novembre 2023.
Vu l’avis du tribunal administratif du 20 novembre 2023 prononçant la rupture du délibéré afin de permettre aux parties de prendre oralement position en ce qui concerne la recevabilité du recours pour autant qu’il est dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en sa plaidoirie à l’audience publique du 29 novembre 2023, Maître Christophe Vandevyer s’étant excusé.
___________________________________________________________________________
1Par courrier du 11 juin 2020, le préposé du bureau d’imposition Sociétés - … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », informa la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », qu’il envisageait de s’écarter des déclarations fiscales pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018 sur le fondement du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », tout en l’invitant à formuler ses objections pour le 3 juillet 2020 au plus tard, ledit courrier étant libellé comme suit :
« […] ajoutes au résultat de l’exercice 2015 2016 2017 2018 dcb location bâtiment à … … € … € … € … € oui location entrepôt à … … € … € non marques et franchises B … € … € … € … € oui Sponsoring (… ) … € oui abandon de créance (… ) … € oui correction de valeur (… ) … € oui taxation du prix de vente … … € oui taxation du prix de vente … … € oui TOTAL … € … € … € … € Explications:
location bâtiment …:
Monsieur X est le propriétaire de l’appartement, mais il est aussi associé dans A.
… +…/mois pour un appartement à … est trop élevé, en plus suivant les explications de M. … la société A se partage l’immeuble avec B. A savoir chaque société a une pièce séparée.
La pièce principale et la salle de bain sont en commun pour les 2 sociétés (idem pour la cave).
acceptation d’un loyer de …/mois donc …€/an reprise de …€ - …€ = …€/an (ajoute au résultat comme dcb) location entrepôt à …:
ajoute au résultat de l’exercice puis exonération suivant la convention contre les doubles impositions.
marques et franchises (redevances B ) bureau d’imposition Soc6 La justification de la détermination de la redevance fait défaut.
Le chida de A provient principalement de C, ….
reprise à 100%: …€ (dcb) 2sponsoring:
voiture de rallye (… en Suisse) La justification concernant les recettes/clients en fonction du sponsoring fait défaut.
reprise à 100%: …€ (dcb) abandon de créance:
D, l’explication concernant cet abandon fait défaut.
reprise à 100%: …€ (dcb) correction de valeur ( E en …) [:] La traduction officielle des contrats fait toujours défaut!! Les commentaires du comptable grec démontrent qu’il a des sérieux doutes sur la comptabilité.
cf. son mail du 18/05/2020 "je ne tiens pas à remettre les livres comptables à un état pareil" reprise à 100%: …€ (dcb) évaluation du prix de vente de la …:
prix d’acquisition: …€ (HTVA) (18/12/2012, leasing) = durée 28 mois prix de vente:
…€ (HTVA) 28/04/2015 l’acquéreur est le fils de Monsieur X (Y) augmentation du prix de vente de …€ (donc: … + … = …€) ajoute: …€ (dcb) évaluation du prix de vente de la …:
prix d’acquisition: …€ (HTVA) (01/08/2011) = durée 42 mois prix de vente:
…(HTVA) (16/02/2015) l’acquéreur est le fils de Monsieur X (Y) augmentation du prix de vente de ….€ (donc: … + …= …€) ajoute: …€ (dcb) L’art. 56 LIR (principe de la pleine concurrence) est applicable.
Dans votre comptabilité se trouve des opérations nébuleuses qui sont restées sans explication.
Il est sous-entendu que les montants en question seront liquidés par voie de distribution cachée de bénéfice (dcb) au sens de l’Art 164(3) LIR. Ils seront donc ajoutés, hors bilan, au résultat de l’exercice et soumis à une retenue d’impôt sur les revenus de capitaux de 15%.
[…] ».
La société A prit position y relativement par un courrier daté du 30 juin 2020 introduit auprès du bureau d’imposition le 2 juillet 2020.
En date du 3 septembre 2020, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société A pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018, un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités, un bulletin pour l’impôt commercial communal et un bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers, lesdits bulletins comportant une mention des éléments divergeant des déclarations fiscales des années concernées, ainsi que des bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, 2017, 2018 et 2019.
3 Par courrier de son litismandataire du 27 novembre 2020, réceptionné le 1er décembre 2020, la société A fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », contre les bulletins d’impôt, précités.
A défaut de réponse du directeur, la société A a fait introduire, par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2021, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers des années 2015 à 2018, ainsi que des bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, 2017, 2018 et 2019, tous émis en date du 3 septembre 2020.
I.
Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre la décision qui a fait l’objet d’une réclamation dans l’hypothèse où aucune décision définitive du directeur n’est intervenue dans un délai de six mois à partir de la réclamation.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre des bulletins d’impôt précités, du 3 septembre 2020, et il n’y a par conséquent pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement fait valoir que le recours sous analyse, en ce qu’il est dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2016 et les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2015 et 2016, serait irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse.
A cet égard, il donne plus particulièrement à considérer que les bases d’imposition de l’année 2016 en matière d’impôt sur le revenu des collectivités et des années 2015 et 2016 en matière d’impôt commercial communal auraient été évaluées à zéro euro, de sorte que l’impôt sur le revenu, ainsi que l’impôt commercial communal s’élèveraient à zéro euro pour ces années fiscales et que tout recours serait ainsi exclu sur base du § 232 AO.
La société demanderesse n’a pas pris position sur la question de la recevabilité du recours contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2016 et les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2015 et 2016.
Aux termes du § 210, alinéa (1) AO « Nach Abschluss seiner Ermittlungen setzt das Finanzamt durch Steuerbescheid die Steuer fest ».
D’après le § 213, alinéa (1) AO, « Die Feststellung der Besteuerungsgrundlagen bildet regelmäßig einen unselbstständigen (mit Rechtsmitteln nicht selbständig anfechtbaren) Teil des Steuerbescheids » et au voeu du § 232, alinéa (1) AO, un contribuable ne peut réclamer contre un bulletin que pour autant que la cote d’impôt ou l’affirmation de l’imposabilité y contenue lui causent grief.
4Il découle de ces dispositions combinées que l’élément décisionnel d’un bulletin d’impôt stricto sensu consiste dans la fixation d’une cote d’impôt à charge du contribuable et que les bases d’imposition constatées dans ce bulletin sous-tendent certes la fixation de la cote d’impôt pour en constituer en quelque sorte la motivation, mais ne constituent en elles-mêmes pas un élément décisionnel propre. C’est dans cette logique que le seul élément décisionnel de la cote d’impôt est susceptible d’acquérir force de chose décidée et que le § 232, alinéa (1) AO n’admet un recours que contre un bulletin d’impôt mettant à la charge du contribuable visé une obligation positive de payer une certaine cote d’impôt, entraînant qu’un bulletin ne fixant pas de cote d’impôt positive ne saurait partant en principe ouvrir le droit à réclamation, faute de charge fiscale imposée au contribuable lui causant grief1.
En l’espèce, étant donné qu’il ressort du dossier soumis à l’appréciation du tribunal que les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2016 et de l’impôt commercial communal des années 2015 et 2016 fixent une cote d’impôt de zéro, ils ne sont pas de nature à faire grief à la société demanderesse. Il s’ensuit que le recours est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2016 et les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2015 et 2016.
Par avis du 20 novembre 2023, le tribunal administratif a invité les parties à prendre oralement position sur la recevabilité du recours dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015.
A l’audience des plaidoiries du 29 novembre 2023, le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du recours dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015, tandis que le litismandataire de la société A s’est excusé par courrier électronique du même jour de ne pas pouvoir être présent à l’audience des plaidoiries, tout en se rapportant à prudence du tribunal.
Il échet au tribunal de constater que le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015 renseigne un bénéfice commercial négatif et un impôt sur le revenu des collectivités qui se chiffre à respectivement « 0,00 » euros conformément à l’article 174, paragraphe (1) de la loi modifiée concernant l’impôt sur le revenu du 4 décembre 1967, ci-après désignée par « LIR », et à « 5.000,00 » euros pour l’année 2015 conformément à l’article 174, paragraphe (6) LIR, de sorte que le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015 n’a pas retenu dans le chef de la société demanderesse un bénéfice commercial imposable et qu’il n’a donc pas fixé à son égard un impôt sur le revenu des collectivités sur base du taux proportionnel au revenu instauré par l’article 174, paragraphe (1) LIR, mais exclusivement le montant de l’impôt minimal de 5.000 euros à charge des organismes à caractère collectif ayant leur siège social ou leur administration centrale au Luxembourg fixé sur base du total de leur bilan conformément à l’article 174, paragraphe (6), point 2. LIR, tel qu’introduit par la loi du 21 décembre 2012 portant modification de la LIR.
S’agissant de prime abord du premier volet du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités litigieux portant sur le revenu imposable négatif retenu conformément à l’article 174, paragraphe (1) LIR, et ayant donné lieu à la cote d’impôt égale à zéro, il y a lieu de rappeler, tel que retenu ci-avant, qu’il découle des §§ 210, alinéa (1), 213, alinéa (1) et 232, alinéa (1) AO, précités, qu’un bulletin ne fixant pas de cote d’impôt positive ne saurait en principe ouvrir le droit à réclamation, faute de charge fiscale imposée au contribuable lui causant grief.
1 Cour adm., 3 juillet 2012, n° 29875C du rôle, disponible sur le site www.justice.etat.lu.
5En effet, il est de jurisprudence que par rapport aux bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, fixant à la fois une cote d’impôt sur le revenu des collectivités égale à zéro, sur base de l’article 174, paragraphe (1) LIR, en raison du revenu négatif ou nul réalisé par le contribuable, et une cote d’impôt minimale conformément à l’article 174, paragraphe (6) LIR, le § 232 AO n’admet pas que le contribuable exerce à son encontre une voie de recours en ce qui concerne le volet du revenu imposable négatif ou nul retenu et ayant donné lieu à la cote d’impôt égale à zéro, qui doit partant contester le montant de la perte ou du revenu nul retenus dans le cadre d’une réclamation contre le bulletin opérant le report de la perte reconnue par imputation sur le bénéfice imposable de cet exercice et fixant pour la première fois une cote d’impôt supérieure à zéro2.
Par voie de conséquence, la loi dénie à la société demanderesse un intérêt pour agir contre le volet du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités, émis à son égard le 3 septembre 2020, qui fixe pour l’année 2015 une cote d’impôt égale à zéro sur base de l’article 174, paragraphe (1) LIR.
Il s’ensuit que le recours est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre le volet du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015 ayant trait au revenu imposable négatif retenu conformément à l’article 174, paragraphe (1) LIR et ayant donné lieu à la cote d’impôt zéro.
Par contre, le contribuable peut valablement introduire un recours contre un tel bulletin afin de contester la fixation correcte de l’impôt minimal3 déterminé conformément à l’article 174, paragraphe (6) LIR, de sorte que le recours dirigé contre le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015 est recevable pour autant qu’il vise le volet dudit bulletin concernant la fixation de l’impôt minimum à 5.000 euros, recours qui est encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Pour le surplus, le recours en réformation, en ce qu’il a été introduit dans les formes et délais de la loi, est à déclarer recevable pour autant qu’il a été dirigé contre (i) les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2017 et 2018, (ii) les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2017 et 2018, (iii) les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers des années 2015 à 2018, (iv) les bulletins d’établissement séparé de la valeur unitaire au 1er janvier 2016, 2017, 2018 et 2019 et (v) les bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, 2017, 2018 et 2019.
II.
Quant au fond Le litige des parties tourne autour de la question de l’admissibilité de dépenses d’exploitation, l’administration n’ayant pas accepté la déductibilité de certains frais déclarés par la société demanderesse en tant que dépenses d’exploitation et ayant retenu l’existence de distributions cachées de bénéfice pour le surplus.
De son côté, la société demanderesse conclut à la réformation des bulletins d’impôt déférés en se prévalant d’une violation :
- du principe du contradictoire et du § 205, alinéa (3) AO ;
2 Cour adm. 29 août 2018, n° 40097C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1165 et les autres références y citées; Cour adm. 18 juin 2020, n° 43372C, disponible sur le site www.justice.etat.lu.
3 Ibid.
6- de l’article 45, paragraphe (1) LIR, quant à la déductibilité (i) des redevances payées à la société anonyme B, ci-après désignée par « la société B », (ii) des frais de sponsoring et (iii) des remises de dettes qu’elle aurait accordées à la société en commandite simple D, ci-après désignée par « la société D », et à la société anonyme F, ci-après désignée par « la société F » ; et - de l’article 164, paragraphe (3) LIR quant à la requalification en distributions cachées de bénéfices (i) des remises de dettes, précitées, et (ii) d’un montant de … euros que la société demanderesse a, selon ses propres explications, erronément comptabilisé en tant que correction de valeur sur la participation détenue dans la société de droit grecque E, ci-après désignée par « la société E».
A titre liminaire, il y a lieu de préciser que la société demanderesse ne soulève aucune contestation par rapport à l’impôt minimum de 5.000 euros retenu dans le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015, de sorte qu’à défaut de moyens spécifiques dirigés contre ce volet du bulletin précité, le recours dirigé contre celui-ci est à rejeter dans son volet relatif à la fixation de l’impôt minimum sur le fondement de l’article 174, paragraphe (6) LIR.
Ensuite, il y a lieu de constater que la société demanderesse ne conteste pas l’ensemble des redressements opérés par rapport à (i) la « location bâtiment à … », (ii) la « location entrepôt à … », (iii) la « taxation du prix de vente … » et (iv) la « taxation du prix de vente … », et qu’elle a, lors de son courrier précité, du 30 juin 2020, marqué « 1. [son] [a]ccord avec les ajouts au résultat de l’exercice et l’application « D.C.B » [:] - Location bâtiment à … : 2015 à 2018 : … € - Taxation du prix de vente … : … € - Taxation du prix de vente … : … € [.] » et « 2. [son] [a]ccord avec les ajouts au résultat de l’exercice avec le principe de l’exonération [:] Location entrepôt à … : 2016 : … € [.] », points qui ne sont partant pas litigieux et ne seront donc pas examinés par le tribunal. Les autres redressements, à savoir (i) le refus de la déductibilité des redevances payées à la société B au titre des années 2015 à 2018, (ii) le refus de la déductibilité des frais de sponsoring, (iii) le refus de la déductibilité des remises de dettes en faveur des société D et F, ainsi que leur requalification en distribution cachée de bénéfice et, (iv) la requalification de la « correction de valeur » opérée sur la participation détenue dans la société E en distribution cachée de bénéfice, font, quant à eux, l’objet d’un examen par le tribunal de céans. Le tribunal relève encore, à cet égard, que la société demanderesse a affirmé dans sa requête introductive d’instance qu’elle a erronément comptabilisé un montant de … euros en tant que correction de valeur, de sorte que le refus de la déductibilité d’un montant de … euros en tant que dépense d’exploitation n’est plus litigieux et ne sera pas examiné par le tribunal.
Il y a encore lieu de constater que la société demanderesse ne soulève aucune contestation relative aux bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers des années 2016 et 2018, de sorte qu’à défaut de moyens spécifiques dirigés contre lesdits bulletins d’impôt, le recours dirigé contre ceux-ci est également, d’ores et déjà, à rejeter.
Il en va de même concernant les bulletins d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, 2017, 2018 et 2019 par rapport auxquels la société demanderesse n’a pas non plus formulé une quelconque contestation, de sorte que le recours dirigé contre ceux-ci est également à rejeter.
1) Quant à la violation alléguée du principe du contradictoire 7A l’appui de son recours, la société demanderesse conclut tout d’abord au non-respect des dispositions du § 205, alinéa (3) AO, alors que la motivation contenue dans le courrier du bureau d’imposition du 11 juin 2020 serait sommaire, dans la mesure où, d’une part, les dispositions légales pertinentes, de même que la qualification juridique des faits feraient défaut, à l’exception de certaines rectifications qui seraient justifiées par une distribution cachée de bénéfice, et, d’autre part, les motifs factuels justifiant les rectifications envisagées seraient « peu développés », voire incompréhensibles. Il s’ensuivrait que les motifs exacts des rectifications envisagées n’auraient pas été portés clairement à sa connaissance.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement donne à considérer qu’en date du 11 juin 2020, le bureau d’imposition aurait envoyé un courrier à la société demanderesse, par lequel il lui aurait communiqué, d’une part, les redressements qu’il envisageait d’effectuer, et, d’autre part, s’il avait l’intention ou non de requalifier lesdits redressements en distribution cachée de bénéfices en vertu de l’article 164, paragraphe (3) LIR.
En date du 2 juillet 2020, la société demanderesse a transmis ses observations au bureau d’imposition par un courrier dans lequel apparaîtrait une argumentation circonstanciée, qui ne ferait pas ressortir qu’elle n’aurait pas compris les motifs contenus dans le courrier précité du 11 juin 2020.
Il faudrait en conclure que la société demanderesse aurait disposé de toutes les informations nécessaires pour exercer son droit d’être entendue et que ce serait à tort qu’elle invoquerait la violation du § 205, alinéa (3) AO.
Dans sa réplique, elle fait encore valoir que la circonstance qu’elle aurait formulé son désaccord quant aux rectifications envisagées en date du 30 juin 2020, ne pourrait permettre de conclure qu’elle aurait été à même d’utilement et efficacement faire valoir ses observations.
Ainsi, elle aurait expressément indiqué dans son courrier du 30 juin 2020 que le manque de communication révèlerait une atteinte à ses droits de la défense.
Elle avance qu’elle n’aurait connu la motivation exacte à la base de certaines modifications opérées par le bureau d’imposition qu’à travers le mémoire en réponse de l’Etat.
Ainsi, elle serait, dans le cadre du mémoire en réplique, pour la première et dernière fois en mesure de faire valoir ses observations en connaissance de cause, la société demanderesse insistant sur le fait que d’autres rectifications, plus particulièrement en matière de qualification de distribution cachée de bénéfice, n’auraient à ce jour toujours pas été motivées.
Analyse du tribunal Le § 205 AO, alinéa (3) AO dispose comme suit: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».
Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.
La notion de « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable doit être interprétée de façon objective en ce sens qu’elle englobe toutes les hypothèses dans lesquelles 8le bureau d’imposition envisage de retenir un élément de droit ou de fait de nature à influer sur la décision d’imposition et qui s’écarte de la situation telle que déclarée par le contribuable, pourvu que cet élément soit de nature à affecter le principe d’imposabilité ou la cote d’impôt tels qu’envisagés par le § 232, alinéa (1) AO4.
Le droit du contribuable d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, doit être considéré, comme un droit élémentaire face à l’administration, destiné à protéger les droits de la défense du contribuable. Dans l’hypothèse où la violation de ce droit est invoquée et prouvée devant le tribunal dans le cadre d’un recours ayant pour objet une cote d’impôt ou le principe d’imposabilité, elle entraîne l’annulation des bulletins d’impôt émis au terme de la procédure ainsi viciée5.
Néanmoins, le droit d’information et de prise de position du contribuable ne doit pas aboutir à un formalisme excessif et l’envergure des indications à fournir au contribuable doit être définie d’après les spécificités de chaque cas d’imposition6.
En l’espèce, s’il n’est pas contesté que l’imposition finalement retenue pour les années litigieuses s’écarte de la déclaration d’impôt de la partie demanderesse, de sorte à ce que le § 205, alinéa (3) AO s’applique, force est cependant de retenir que ce moyen encourt le rejet pour manquer en fait.
Force est, tout d’abord, au tribunal de constater que le moyen, tel que formulé par la société demanderesse, a trait à la motivation du courrier du bureau d’imposition du 11 juin 2020, celle-ci la jugeant comme étant « sommaire ».
En effet, il ressort du dossier fiscal qu’avant l’émission des bulletins d’impôt déférés, le bureau d’imposition s’est adressé à la société demanderesse par un courrier du 11 juin 2020, cité in extenso ci-avant, en précisant les redressements qu’il entendait effectuer par rapport aux déclarations de l’impôt visant les années 2015 à 2018. L’analyse dudit courrier du 11 juin 2020 cité ci-avant révèle aussi clairement que le bureau d’imposition a valablement énuméré les points de l’imposition concernés par le redressement envisagé, ainsi que les raisons l’amenant à agir, par rapport auxquelles la partie demanderesse a, par ailleurs, pu utilement prendre position par un courrier du 2 juillet 2020, celui-ci reprenant en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa requête introductive d’instance et de son mémoire en réplique.
En conséquence, aucune violation des § 205, alinéa (3) AO et du principe du contradictoire ne saurait être constatée par le tribunal, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter pour être non fondé.
2) Quant à la question de la déductibilité des redevances, des frais de sponsoring et des remises de dettes Arguments des parties 4 Trib. adm., 7 janvier 1998, n° 10112 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 914 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 7 janvier 1998, n° 10112 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 893 (1er volet) et les autres références y citées.
6 Cour adm., 29 juillet 2010, n° 25536C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 909 (1er volet), et les autres références y citées.
9La société demanderesse conteste le fait de s’être vu opposer, premièrement, le refus de la déductibilité des redevances payées à la société B au titre des années 2015 à 2018, deuxièmement, le refus de la déductibilité des frais de sponsoring au titre de l’année 2016, et troisièmement, le refus de la déductibilité des abandons de créances accordés en faveur des sociétés D et F au titre de l’année 2015, ainsi que leur requalification en distributions cachées de bénéfices. Elle conteste finalement la requalification de la correction de valeur opérée sur la participation détenue dans la société E en distribution cachée de bénéfices, tout en précisant à cet égard qu’elle aurait erronément comptabilisé une correction de valeur sur la participation dans la société E au lieu d’une moins-value de cession.
A cet égard, elle s’appuie, en premier lieu, sur l’article 45 LIR pour soutenir qu’il suffirait pour un contribuable d’établir le lien entre des dépenses et les besoins de son exploitation, pour que celles-ci soient fiscalement déductibles.
En ce qui concerne la distribution cachée de bénéfices alléguée, la société demanderesse soutient sur base de l’article 164, paragraphe (3) LIR et de l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », que la charge de la preuve reposerait en premier lieu sur le bureau d’imposition, lequel devrait faire état d’un faisceau de circonstances rendant une telle distribution probable. Il y aurait alors renversement de la charge de la preuve et le contribuable devrait, dans ce cas, prouver qu’il n’y aurait pas diminution de bénéfice ou que celle-ci serait économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées, la société demanderesse insistant sur le fait qu’une « diminution de bénéfice » correspondrait soit à une diminution de l’actif (« Vermögensminderung »), soit à un défaut d’accroissement de l’actif (« verhinderte Vermögensmehrung »).
En se basant ensuite sur la doctrine en la matière, la société demanderesse soutient que deux conditions devraient être remplies pour qu’il puisse y avoir requalification en distribution cachée de bénéfice, à savoir qu’il faudrait, en premier lieu, qu’un avantage soit accordé, c’est-
à-dire que les conditions ne soient pas conformes à celles qui seraient convenues avec des tiers, et qu’en second lieu, ces conditions divergentes soient accordées en raison de la qualité d’associé de la société.
Elle passe, ensuite, en revue les différents redressements opérés par le bureau d’imposition lesquels ne seraient pas justifiés à son avis.
Quant à la redevance d’un montant annuel de … euros HTVA payée à la société B pour l’exploitation de la marque enregistrée « A » au cours des années 2015 à 2018, la société demanderesse donne à considérer (i) qu’un contrat serait à l’origine de ces redevances, (ii) que les redevances feraient l’objet d’une facturation par le concédant, (iii) que dans la mesure où les redevances auraient été inscrites dans le compte de résultat depuis 2012 sans que ce poste n’aurait fait l’objet d’une remarque de la part du bureau d’imposition, de sorte qu’en application des principes de « bonne gouvernance », et qu’aucun changement n’aurait été effectué dans le modus operandi, il n’y aurait pas lieu de remettre en cause leur déductibilité à partir de l’année 2015, (iv) que le bénéficiaire serait une société luxembourgeoise pleinement imposable, de sorte qu’en rejetant les charges, il y aurait une double imposition économique, et (v) que la circonstance qu’une grande partie de son chiffre d’affaires proviendrait principalement d’une société belge serait sans incidence sur son droit à déduire les redevances payées pour l’exploitation de sa propre marque.
10Elle donne finalement à considérer que ces redevances auraient été supportées dans le but d’acquérir des revenus, soit l’exploitation de la marque « A », de sorte qu’elles seraient en lien direct avec l’activité de l’entreprise et que leur déductibilité devrait être admise.
Quant aux frais de sponsoring, la société demanderesse expose qu’elle aurait accepté de sponsoriser une voiture de rallye participant à des compétitions internationales, européennes et belges afin d’accroître sa visibilité sur le marché international. A cet égard, elle explique avoir conclu un contrat de sponsoring avec une tierce partie dans le cadre duquel elle aurait payé … euros après réception des factures correspondantes.
Elle soutient que bien qu’il lui serait impossible de déterminer quelles seraient les recettes directement liées à la promotion du véhicule en question, il serait toutefois certain que cette promotion aurait eu pour effet d’accroître sa notoriété ainsi que son image. Les frais de sponsoring constitueraient par conséquent des dépenses professionnelles, en ce qu’ils auraient été supportés en vue de permettre la réalisation d’un chiffre d’affaires, de sorte que leur déductibilité devrait être admise.
A cela s’ajouterait que conformément à la jurisprudence des juridictions administratives, il n’appartiendrait pas à l’administration fiscale de juger de l’opportunité d’une dépense ou d’imposer à un contribuable son propre « modus operandi ».
Quant au refus du bureau d’imposition d’admettre la déductibilité de l’abandon de créance pour l’année 2015, la société demanderesse explique qu’elle aurait acquis des actions dans la société D, à l’égard duquel elle serait devenue créancière pour un montant total de … euros, ainsi qu’à l’égard de l’associé commandité de cette dernière, la société F, à concurrence de … euros.
La société demanderesse explique, ensuite, qu’elle aurait cédé sa participation dans la société D à la société anonyme de droit belge G, ci-après désignée par « la société G », alors qu’elle se serait rapidement révélée être très onéreuse et l’espoir de récolter des fonds à court terme serait devenu très mince. Afin de limiter ses pertes dans cet investissement, elle aurait accepté l’offre qui lui aurait été faite par la société G pour un montant de … euros, prix qui correspondrait à sa valeur comptable. Suite à la convention de cession d’actions qui prévoirait que la cession serait réalisée « pour solde de tout compte et de toute créance » entre elle-même et « la société D ou son Associé Commandité F », elle aurait réalisé un abandon de créance à concurrence de respectivement … euros et … euros, soit un total de … euros.
A ce titre, la société demanderesse critique encore le bureau d’imposition pour avoir requalifié ledit montant en distribution cachée de bénéfices. Elle soutient qu’elle aurait accordé les remises de dettes à la société D ainsi qu’à l’associé commandité de celle-ci, la société F, uniquement dans le cadre de la cession de la société D à la société G, qui serait un tiers étranger, sans un quelconque lien d’interdépendance avec elle-même, et ne serait par conséquent pas à qualifier d’« associé, sociétaire ou intéressé » au sens de l’article 164 LIR.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement fait tout d’abord valoir que les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016, 2017, 2018 et 2019 auraient été émis sur base et conformément aux déclarations fiscales remises par la société demanderesse, laquelle resterait en défaut d’avancer la raison pour laquelle elle se sentirait lésée par ceux-ci.
11En ce qui concerne les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et les bulletins de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2017 et 2018 et plus particulièrement le refus du bureau d’imposition d’accepter la déduction des redevances que la société demanderesse aurait déboursées à la société B, le représentant étatique soutient qu’elle resterait en défaut de justifier le montant desdites redevances qui correspondrait à 25 pourcent de son chiffre d’affaires, alors qu’en moyenne, le montant des redevances payées entre tiers varierait entre 2 et 6 pourcent du chiffre d’affaires.
Quant à l’argumentation de la société demanderesse, selon laquelle lesdites redevances seraient documentées par un contrat et des factures et n’auraient, par ailleurs, pas été contestées par le passé, le représentant étatique rétorque, d’une part, que celle-ci resterait en défaut de justifier que le contrat et les factures répondraient aux règles usuelles du marché, et, d’autre part, qu’une non contestation dans le passé n’exclurait pas un éventuel contrôle dans le futur.
Son affirmation suivant laquelle les redevances constitueraient une double imposition économique étant donné qu’elles auraient été comptabilisées en tant que produit dans le chef de la société B ne seraient pas non plus concluantes alors que l’imposition de cette dernière aurait été établie en vertu du § 100a AO et serait toujours susceptible d’un contrôle ultérieur, du moins à partir de l’année 2016.
Dans une deuxième phase, le délégué du gouvernement estime qu’il y aurait lieu d’analyser certains ajouts effectués au cours des années 2015 et 2016. A ce sujet, il fait remarquer que bien que les recours contre les impositions pour le revenu des collectivités et les établissements de la base d’assiette de l’impôt commercial des années 2015 et 2016 sont irrecevables, il n’en resterait pas moins que les redressements effectués auraient une influence sur le montant du report de certaines pertes d’années antérieures et auraient ainsi également une influence sur le bénéfice commercial et d’exploitation des années 2017 et 2018.
En résumant les augmentations du bénéfice commercial retenues par le bureau d’imposition dans le chef de la société demanderesse au titre des années 2015 et 2016 et les requalifications en distributions cachées de bénéfices correspondantes, le délégué du gouvernement fait valoir que la société demanderesse aurait marqué son « [a]ccord avec les ajouts au résultat et l’application « D.C.B. » - Location bâtiment à … : 2015 à 2018 : … € [et] Location entrepôt à … : 2016 : … € ». Elle aurait également marqué son accord avec « les ajouts au résultat et l’application « D.C.B. » - Taxation du prix de vente … : … € [et] - Taxation du prix de vente … : … € », de sorte que ces redressements ne seraient pas litigieux.
Quant aux redevances payées par la société demanderesse à la société B Invest au titre des années 2015 et 2016, le délégué du gouvernement renvoie à son argumentation précédente en relation avec les redevances payées au cours des années 2017 et 2018.
S’agissant des frais de sponsoring à hauteur de … euros que la société demanderesse a déduit en tant que dépense d’exploitation au titre de l’année 2016, le délégué du gouvernement reproche à la société demanderesse de ne pas avoir établi un lien concret entre son activité de sponsoring et ses clients, respectivement ses recettes. En s’appuyant sur un arrêt de la Cour administrative du 11 mars 2021, inscrit sous le numéro 44078C du rôle, il fait valoir que la société demanderesse resterait ainsi en défaut de prouver que son engagement envers le sponsorisé lui procurerait effectivement une contrepartie.
En ce qui concerne finalement les remises de dettes envers les sociétés D et F que la société demanderesse a déduit en tant que dépenses d’exploitation au titre de l’année 2015, le 12représentant étatique conteste que la société demanderesse et les sociétés D, F et G seraient à considérer comme des tiers agissant suivant les principes de pleine concurrence. A cela s’ajouterait que le bilan de la société D ne ferait apparaître aucun produit pour l’année 2015, ce qui constituerait, à son avis, également un indice pour le maintien d’une non-déduction. Il avance que ce serait dès lors à bon droit que le bureau d’imposition aurait requalifié ces montants en distributions cachées de bénéfices.
En ce qui concerne ensuite les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2016 et 2018, le délégué du gouvernement indique que le bureau d’imposition aurait requalifié … euros respectivement pour chacune des deux années en distribution cachée de bénéfices, tout en appliquant la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux à hauteur de 15 %.
Dans la mesure ou la société demanderesse aurait, dans sa réponse au courrier du bureau d’imposition émis en vertu du § 205, alinéa 3 AO, marqué son « [a]ccord avec les ajouts au résultat et l’application « D.C.B. » - Location bâtiment à … : 2015 à 2018: … € » et, d’autre part, ne contesterait pas, dans le cadre de son recours sous examen, les ajouts « Location bâtiment à … » et « Location entrepôt à … », la manière de procéder du bureau d’imposition ne prêterait pas à critique et il y aurait lieu de confirmer lesdits bulletins d’impôt.
En ce qui concerne finalement les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux des années 2015 et 2017, le délégué du gouvernement renvoie à ses développements au sujet des bulletins de l’impôt sur le revenu et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2017 et 2018, pour en déduire qu’il y aurait lieu de confirmer le montant de la distribution cachée de bénéfices des années 2015, 2016 et 2017.
Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse reprend, en substance, ses moyens tels que formulés dans sa requête introductive d’instance.
Quant aux redevances payées à la société B Invest, elle reprend l’argumentation développée dans sa requête introductive d’instance, tout en ajoutant que le contrat de licence de marque conclu avec la société B déterminerait les redevances de manière fixe, étant donné qu’une détermination de celles-ci sur base de son chiffre d’affaires serait extrêmement aléatoire pour la société B.
Elle soutient dans ce contexte que l’article 45 LIR n’impliquerait pas que les dépenses devraient correspondre aux pratiques du marché, lesquelles ne pourraient, à son avis, pas être définies uniquement sur base des moyennes généralement admises par l’administration. Le contribuable serait, par ailleurs, seul juge du niveau d’une dépense.
Par ailleurs, et même à supposer qu’il faille mettre en relation le montant des redevances avec le chiffre d’affaires, il y aurait lieu de constater que les redevances litigieuses payées au titre des années 2015 à 2018 ne seraient pas excessives, alors qu’elles s’élèveraient à respectivement 23,4 %, 6,6 %, 6,2 % et 9,8% de son chiffre d’affaires.
A titre subsidiaire, et même à supposer qu’il faille considérer que les redevances soient excessives, il conviendrait toutefois de constater que leur déductibilité aurait à tout le moins dû être admise à raison de ce qui ne dépasserait pas les pratiques du marché.
S’agissant des frais de sponsoring en lien avec un conducteur professionnel de sport automobile, la société demanderesse ajoute qu’elle aurait sponsorisé un « pilote chevronné », Monsieur Z, qui vivrait à une trentaine de kilomètres seulement de « ses activités de 13distribution » et des placements de panneaux photovoltaïques. Elle rappelle à cet égard que bien qu’il soit impossible de déterminer quelles seraient les « recettes directement liées à la promotion sur le véhicule », il serait toutefois certain que cette promotion aurait eu pour effet d’accroître sa notoriété, de même que « son image ». Des installations auraient ainsi notamment pu être réalisées en France, en Grèce et en Italie.
Quant aux remises de dettes accordées aux sociétés D et F, il conviendrait de rappeler que la cession aurait été réalisée pour la valeur comptable de la société D, la société demanderesse précisant que les avances qu’elle aurait consenties à la société D et à l’associé commandité de celle-ci, la société F, auraient servi à financer les frais de constitution et de fonctionnement, alors que la société D n’aurait jamais démarré ses activités, et n’aurait pas réalisé le moindre investissement ni bénéfice. Il serait dès lors logique qu’un acheteur n’accepterait pas de reprendre des dettes liées au fonctionnement du passé. D’autre part, il aurait été important de céder rapidement la participation dans la société D, compte tenu des importants frais de fonctionnement liés à celle-ci, et donc d’un besoin imminent de devoir réaliser de nouvelles avances pour permettre à celle-ci de faire face à ces frais.
Dans ces circonstances, la société demanderesse conclut que « l’opération de vente avec abandon de créance à l’égard de la [société D] et de l’associé commandité[, la société F] » se serait réalisée dans des conditions normales de marché, entre parties indépendantes, contrairement à ce que soutiendrait la partie étatique. Elle insiste à cet égard sur le fait que la société acquéreuse serait un tiers étranger, sans un quelconque lien d’interdépendance avec elle-
même, et que son actionnaire de référence serait un homme d’affaires et investisseur liégeois de renom, Monsieur Q, qui aurait manifesté son intérêt pour le rachat de la société D, qui demeurerait, à ce jour, gérée par des personnes tierces à elle-même.
Dès lors, ni la société D, ni la société F, ni encore la société G ne pourraient être considérées comme faisant partie des bénéficiaires pour lesquels l’octroi d’un avantage pourrait être requalifié en une distribution cachée de bénéfice au sens de l’article 164 LIR, c’est-à-dire effectuées en faveur d’associés, de sociétaires ou d’intéressés.
Elle ajoute que, contrairement à ce que soutiendrait le représentant étatique, la circonstance que le bilan de la société D ne fasse apparaître aucun produit pour l’année 2015 ne pourrait pas être considérée comme un « indice pour le maintien d’une non-déduction ». Il s’agirait au contraire d’un élément ayant uniquement justifié la nécessité de se séparer rapidement de la société D qui lui serait devenue trop couteuse.
Analyse du tribunal a) Remarques préliminaires Le tribunal rappelle que le litige porte sur la question de l’admissibilité de dépenses d’exploitation, alors que l’administration n’a pas accepté la déductibilité de certains frais déclarés par la société demanderesse, mais a au contraire, retenu l’existence de distributions cachées de bénéfices.
A cet égard, le tribunal relève, d’un côté, que l’article 45, paragraphe (1) LIR dispose comme suit : « Sont considérées comme dépenses d’exploitation déductibles les dépenses provoquées exclusivement par l’entreprise. ».
14Cette disposition admet la qualification de dépense d’exploitation s’il existe un lien de causalité suffisamment étroit entre la dépense et le revenu passé, actuel ou à naître du contribuable et si ce lien présente un caractère d’exclusivité suffisant pour exclure que la dépense a été en réalité engagée pour les besoins personnels d’autres personnes7.
Le contribuable est néanmoins seul juge de l’opportunité d’une dépense d’exploitation et la notion du lien de causalité n’implique aucun contrôle de la question de savoir si la dépense était nécessaire pour l’activité ou si elle était effectivement susceptible de profiter à l’exploitation. Il faut et il suffit que la dépense ait trouvé sa cause exclusive dans l’activité commerciale. En effet, étant donné que le droit fiscal soumet à l’impôt l’activité à but de lucre du contribuable qu’il a effectivement réalisée, mais n’affecte pas sa liberté individuelle de définir lui-même l’envergure de son initiative entrepreneuriale, il incombe au seul contribuable de déterminer l’étendue de son activité commerciale, les moyens y engagés et le niveau de profit qu’il entend en tirer8.
Il s’ensuit que les dépenses d’exploitation ne connaissent pas de limitation quant à leur montant9, dès lors que leur lien exclusif avec l’activité en question est donné.
Toutefois, la circonstance que le contribuable reste juge de l’opportunité et du montant des dépenses à engager par lui ne l’exonère pas de l’obligation de rapporter la preuve du lien causal exclusif10 susvisé.
En effet, la preuve du lien de causalité suffisamment étroit et exclusif incombe en principe au contribuable à la fois au niveau de la procédure d’imposition conformément aux principes posés par les §§ 171, alinéa (1), 204, alinéa (1) et 205, alinéas (1) et (2) AO, et au niveau de la procédure contentieuse eu égard à l’article 59 de la loi du 21 juin 1999 suivant lequel « La preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable. […]. La preuve peut être rapportée par tous les moyens, hormis le serment. »11.
Il appartient dès lors au contribuable de rapporter la preuve non seulement de l’existence matérielle de ces dépenses, c’est-à-dire que les dépenses alléguées ont causé une diminution effective de son patrimoine, mais encore de la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu choisie12.
Dans ces conditions, il incombe à la société demanderesse de rapporter la preuve que les conditions de l’article 45, paragraphe (1) LIR sont remplies pour porter en déduction les redevances, les frais de sponsoring et les remises de dettes, analyse qui sera faite ci-après.
A cet égard, le tribunal constate d’ores et déjà que cette conclusion ne se trouve pas remise en cause par l’argumentation de la société demanderesse fondée sur une violation 7 Cour adm., 4 mai 2021, n° 44776C du rôle ; Cour adm., 27 juillet 2016, n° 36855C du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.
8 Cour adm., 1er décembre 2016, n° 37844C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 209 et les autres références y citées.
9 Trib. adm., 24 février 2000, n° 11061 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 208 et les autres références y citées.
10 Voir en ce sens : Trib. adm., 28 juin 2000, n° 11553 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 209 et les autres références y citées.
11 Cour adm., 10 novembre 2015, n° 35818C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 212 et l’autre référence y citée.
12 Cour adm., 11 mars 2021, n° 44078C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 213 (2e volet) et les autres références y citées.
15alléguée « des principes de bonne gouvernance » tirée du fait que l’administration aurait, par le passé, accepté la déduction intégrale de certains frais, de sorte qu’elle ne serait désormais plus en droit de refuser leur déduction pour les années d’imposition postérieures.
Ainsi, le tribunal rappelle qu’en application du principe de l’annualité de l’impôt, consacré notamment à l’article 1er LIR qui dispose que « L’année d’imposition cadre avec l’année civile. », et à l’article 6, paragraphe (1) LIR, aux termes duquel « L’impôt frappe le revenu imposable réalisé par le contribuable pendant l’année d’imposition », la situation du contribuable doit être considérée pour chaque année d’imposition suivant des données et caractéristiques propres, établies du moment. Ainsi, l’administration fiscale et par la suite aussi le juge administratif, dans la limite de ses pouvoirs et des moyens soulevés par le contribuable, doit apprécier l’admissibilité de certaines dépenses dans la catégorie des dépenses d’exploitation au regard des dispositions légales applicables en la matière et au regard des éléments de fait à sa disposition, et il ne saurait être dispensé de cette analyse par le simple fait que certaines dépenses auraient, dans le passé, été admises par le bureau d’imposition à titre de dépenses d’exploitation, sauf l’hypothèse d’une décision expresse en faveur du contribuable13, ce qui n’est en l’espèce ni allégué, ni a fortiori démontré.
Les contestations afférentes de la société demanderesse encourent, dès lors, le rejet.
D’un autre côté, le tribunal relève que se pose la question de l’existence de distributions cachées de bénéfices au sens de l’article 164, paragraphe (1) LIR, retenue par le bureau d’imposition, dans la mesure où c’est justement le défaut de lien de causalité exclusif entre les dépenses engagées et l’activité de la société demanderesse qui serait susceptible, le cas échéant, de permettre de conclure que les dépenses litigieuses ont, en réalité, été engagées pour les besoins personnels d’autres personnes, tel que relevé ci-avant, dont notamment les associés de la société demanderesse, respectivement des personnes intéressées au sens de l’article 164, paragraphe (3) LIR.
De manière plus générale, il convient encore de préciser que si le tribunal est certes investi en la présente matière du pouvoir de statuer en tant que juge du fond et qu’il est ainsi investi du pouvoir de substituer à une décision administrative jugée illégale sa propre décision, il n’en demeure pas moins que s’il est saisi d’un recours contentieux contre un acte déterminé, en l’occurrence les bulletins d’impôt déférés, l’examen auquel il doit se livrer s’effectue en principe dans le cadre des moyens invoqués par la partie demanderesse pour contrer les points spécifiques de l’acte déféré faisant grief, sans que son contrôle ne consiste à procéder à un réexamen général et global de la situation fiscale du contribuable. Il s’ensuit qu’il incombe au demandeur en réformation de fournir à l’appui de sa requête des éléments suffisamment précis pour permettre, le cas échéant, l’exercice utile de ce pouvoir de réformation14.
C’est sur cette toile de fond et sur base de ces considérations que le tribunal examinera, les contestations de la société demanderesse quant aux différentes dépenses que celle-ci entend déduire.
b) Quant à la déductibilité des redevances payées à la société B 13 Cour adm. 3 août 2016, n° 37117C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n°21 et les autres références y citées.
14 Trib. adm. 17 novembre 2004, n° 18360a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 31 et les autres références y citées.
16Force est au tribunal de constater que les parties sont en désaccord sur la possibilité pour la partie demanderesse de déduire en tant que dépenses d’exploitation les redevances qu’elle a réglées, de façon non contestée, pour la licence de la marque « A » dans le cadre de l’imposition de ses revenus pour les années 2015 à 2018.
Si des paiements afin de se voir accorder une licence pour l’utilisation d’une certaine marque dans le cadre de son activité par une société commerciale peuvent a priori être considérés comme ayant été provoqués exclusivement par l’entreprise, de sorte à pouvoir être reconnus en tant que dépenses d’exploitation, la partie gouvernementale s’y oppose en l’espèce, de l’entendement du tribunal, sur base de l’article 45 LIR en soutenant que la société demanderesse n’aurait pas justifié la détermination du montant de ces redevances, respectivement qu’elles répondent aux règles usuelles du marché telles qu’elles seraient appliquées entre tiers, le délégué du gouvernement mettant plus particulièrement en exergue que le montant des redevances correspondrait à « 25 pourcent » du chiffre d’affaires de la société demanderesse, alors qu’en moyenne, le montant des redevances payées entre tiers varierait entre « 2 et 6 pourcent du chiffre d’affaires ».
La question litigieuse en l’espèce est donc celle de savoir si une dépense doit être économiquement justifiée pour pouvoir être qualifiée de dépense déductible au sens de l’article 45, paragraphe (1) LIR.
Dans ce contexte, le tribunal est amené à retenir qu’il ne ressort pas des dispositions de l’article 45, paragraphe (1) LIR qu’une dépense doit être économiquement justifiée pour être portée en déduction, alors que le contribuable est, tel qu’il ressort des jurisprudences citées ci-
avant, seul juge de l’opportunité et de la nécessité d’engager une dépense15.
En revanche, le principe de l’appréciation économique (« wirtschaftliche Betrachtungsweise ») impose que la dépense soit économiquement rattachable à l’activité effectivement exercée16.
Les considérations de la partie étatique qui ont trait au respect du principe de pleine concurrence visent in fine à déterminer la part de revenus attribuables à un contribuable déterminé, et plus généralement à délimiter le pouvoir d’imposition d’un Etat déterminé, tandis que la question de la déductibilité des dépenses d’exploitation se situe, en amont, à un stade antérieur à l’attribution des revenus réalisés et a fortiori antérieur à la phase de réalisation des revenus17.
L’article 45, paragraphe (1) LIR – seule disposition pertinente en l’espèce – a, en effet, pour ratio legis de délimiter et de séparer les dépenses professionnelles et les dépenses engagées pour des besoins personnels, qu’il s’agisse des besoins personnels du contribuable en question ou de celui d’autres personnes, dont notamment ses associés ou actionnaires, tel que relevé ci-
avant.
15 Voir également en ce sens: Herrmann, Heuer, Raupach, Kommentar zum Einkommen- und Körperschaftsteuergesetz, Oktober 2022, § 4, Anm. 793.
16 Voir également en ce sens: Herrmann, Heuer, Raupach, Kommentar zum Einkommen- und Körperschaftsteuergesetz, Oktober 2022, § 4, Anm. 814.
17 Trib. adm., 14 juin 2023, n° 46054 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.
17L’article 45, paragraphe (1) LIR n’exige pas que le montant de la dépense engagée constitue une contrepartie parfaitement symétrique au revenu effectivement réalisé par la suite.
Il suffit que la contrepartie soit, tel que relevé ci-avant, suffisante dans son ensemble18.
Dans ces conditions, le tribunal retient en l’espèce, dans le stricte cadre de l’article 45, paragraphe (1) LIR, que l’exercice d’une activité par la société demanderesse consistant en l’exploitation de la marque « A » constitue une contrepartie adéquate suffisante aux dépenses engagées par la société demanderesse – à savoir le paiement des redevances –, qui est de nature à démontrer l’existence d’un lien de causalité exclusif suffisant, et, par voie de conséquence, à exclure que les paiements litigieux aient été effectués pour les besoins personnels de la société B Invest, tel que semble le suggérer la partie étatique. Le délégué du gouvernement n’a, en effet, ni remis en cause le caractère avéré de cette activité, telle qu’elle ressort du « contrat de licence de marque » versé par la société demanderesse, ni le principe de l’existence matérielle de ces dépenses, ni encore qu’elle s’inscrit dans le cadre de l’objet social de la société demanderesse.
La partie étatique n’est, dès lors, pas fondée à refuser la déduction des dépenses d’exploitation de la société demanderesse aux motifs que le montant des redevances payé ne répondrait pas « aux règles usuelles du marchées telles quelles seraient appliquées entre tiers », respectivement que le montant des redevances correspondrait à « 25 pourcent du chiffre d’affaires, alors qu’en moyenne, le montant des redevances payées entre tiers varie entre 2 et 6 pourcent du chiffre d’affaires ». Par ailleurs, si les redevances litigieuses correspondent à 23,4% du chiffre d’affaires de la société demanderesse pendant l’année 2015, elles ne s’élèvent qu’à respectivement 6,6 %, 6,2% et 9,5 % au titre des années 2016 à 2018, tel qu’affirmé de façon non contestée par la société demanderesse dans sa requête introductive d’instance, étant rappelé que les dépenses ne connaissent pas de limitation quant à leur montant, tel que relevé ci-avant.
En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à retenir sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent que la partie étatique est restée en défaut de remettre en cause, sur le fondement de l’article 45, paragraphe (1) LIR, la réalité économique des relations commerciales à la base de la déduction des redevances, et qu’en revanche, la société demanderesse a, à suffisance, justifié l’existence d’un lien de causalité exclusif entre le paiement des redevances à la société B au cours de années 2015, 2016, 2017 et 2018, et son activité économique.
C’est, dès lors, à tort que le bureau d’imposition a refusé la déduction des montants de … euros pour chacune des années 2015 à 2018, versés par la société demanderesse au profit de la société B Invest à titre de redevances pour l’exploitation de la marque « A », qui sont à qualifier de dépenses d’exploitation au sens de l’article 45, paragraphe (1) LIR.
c) Quant à la déductibilité des frais de sponsoring La société demanderesse conteste, en substance, le refus du bureau d’imposition d’admettre la déductibilité des frais de sponsoring d’un conducteur professionnel de courses automobiles à hauteur de … euros qu’elle aurait versés à la société suisse …, ci-après désignée par la « société … », au cours de l’année 2016.
18 Voir en ce sens: Herrmann, Heuer, Raupach, Kommentar zum Einkommen- und Körperschaftsteuergesetz, Oktober 2022, § 4, Anm. 856.
18A cet égard, le tribunal relève que si les frais engagés par une entreprise commerciale en vue du sponsoring d’activités sportives sont susceptibles de constituer des dépenses d’exploitation au sens de l’article 45 LIR et s’il n’est pas requis, à cet égard, que l’activité de l’entreprise soit elle-même liée à ce sport, l’engagement de ces frais doit toutefois procurer à l’entreprise une contrepartie adéquate qui soit de nature à bénéficier à son activité, cette contrepartie pouvant notamment consister en le droit à une certaine publicité ou en le nouement ou la continuation d’une relation d’affaires19.
Le tribunal se doit de constater qu’il se dégage d’un contrat conclu le 15 décembre 2015 que la société … s’engage « à mettre en valeur les logos et couleurs d[e la société A] sur la voiture, …, engagée par [elle] à l’occasion des rallyes de la saison de championnat …, …. ».
En contrepartie, la société demanderesse s’est engagée à payer à la société … un montant de … euros.
A cet égard, les justifications avancées par la société demanderesse pour étayer l’existence d’un lien de cette dépense avec son activité commerciale laissent de convaincre le tribunal.
En effet, les arguments suivant lesquels, premièrement, elle aurait choisi de sponsoriser un pilote qui vivrait à une trentaine de kilomètres de « ses activités de distribution » et des placements de panneaux photovoltaïques et qui participerait à des compétitions internationales et européennes dans lesquelles il bénéficierait d’une certaine renommé, et deuxièmement, qu’il serait certain que la promotion aurait eu pour effet d’accroître la notoriété de la société demanderesse elle-même, ainsi que « son image », même s’il était impossible de déterminer quelles étaient « les recettes directement liées à la promotion sur le véhicule », ne sont pas de nature à établir un lien causal entre ses intérêts commerciaux et les frais du sponsoring litigieux en ce sens qu’il n’appert pas en quoi l’activité de la société demanderesse pourrait profiter de cet engagement de sponsoring se résumant à la prise en charge de frais de participation d’un conducteur à des rallyes « de championnat … » du « 01/01 au 30/06/2016 », ainsi que « … ».
Or, il aurait incombé à la société demanderesse de démonter concrètement l’existence d’une contrepartie de publicité effective en ce sens qu’elle aurait réellement mis à profit les voies publicitaires lui offertes.
Cette conclusion, à défaut de développements circonstanciés à cet égard, n’est pas énervée par l’affirmation de la société demanderesse suivant laquelle « des installations » auraient ainsi « notamment » pu être réalisées en France, en Grèce et en Italie.
Il s’ensuit qu’à défaut d’une justification suffisante du lien causal entre ce sponsoring convenu avec la société … et l’activité de la société demanderesse, c’est à bon droit que le bureau d’imposition a refusé d’admettre la déduction des frais afférents en tant que dépenses d’exploitation.
d) Quant à la déductibilité des « remises de dettes », respectivement des « abandons de créances » accordés à la société D et à la société F Aux termes de l’article 45 LIR, trois conditions doivent être remplies pour qualifier de dépense d’exploitation : (i) il faut être en présence d’une dépense, (ii) celle-ci doit se trouver en relation causale avec l’activité de l’entreprise, (iii) sans être en relation économique avec des revenus exonérés.
19 Cour adm., 11 mars 2021, n° 44078C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts n°225.
19 Par conséquent, sont seules déductibles les dépenses professionnelles qui entraînent une diminution de l’actif net investi. Pour qu’il y ait dépense, il faut partant qu’il y ait amputation du patrimoine du contribuable et non pas une simple modification de sa composition20.
Il y a ensuite lieu de rappeler qu’il appartient non seulement au contribuable de rapporter la preuve de l’existence matérielle des dépenses, c’est-à-dire que les dépenses alléguées ont causé une diminution effective de son patrimoine, mais encore la preuve de la relation économique de la dépense alléguée avec la catégorie de revenu choisie. La société demanderesse doit partant établir que les abandons de créance litigieux sont en relation avec son activité commerciale.
En l’espèce, force est de constater que la société demanderesses affirme que l’abandon de sa créance à hauteur de … euros concernant sa filiale, la société D, et de sa créance à hauteur de … euros concernant la société F, associé commandité de la société D, pour l’exercice 2015, abandons de créance qu’elle aurait accordés à l’occasion de la cession de ses actions détenues dans la société D à la société G, ne « p[ourraient] être requalifié[s] en distribution[s] cachée[s] de bénéfice[s] », de sorte que « la déductibilité de l’abandon de créance doit être admise et la retenue à la source doit être supprimée ».
La société demanderesse explique plus particulièrement que sa participation dans la société D aurait été très onéreuse, de sorte qu’elle aurait accepté de céder celle-ci à la société G pour un montant de … euros et ceci « pour solde de tout compte et de toute créance entre [elle-
même] et D ou son Associé Commandité F ». Elle aurait par conséquent accordé une remise de dettes aux sociétés D et F à concurrence de respectivement … euros et … euros à l’occasion de la cession de sa participation dans la société D à la société G.
Or, si ces développements sont certes de nature à expliquer les raisons ayant amené la société demanderesse à céder ses participations dans la société F, elles ne sont en revanche pas de nature à établir que les remises de dettes litigieuses ont été faites dans son intérêt personnel et non seulement motivé par les besoins de la société F, voire de son associé commandité, alors qu’un créancier tiers n’aurait a priori pas consenti à une remise de dettes d’un montant de … euros en faveur de son débiteur, supérieur au montant de … euros dégagé par ce même créancier dans le cadre de la vente de ses actifs à un tiers.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a refusé d’admettre la déduction des remises de dettes accordées par la société demanderesse à la société D et à la société F en tant que dépenses d’exploitation.
3) Quant à la question de l’existence de distributions cachées de bénéfices Arguments des parties A l’appui de son recours et quant à la requalification de la correction de valeur qu’elle aurait comptabilisée sur sa participation dans la société E pour la totalité de son montant, en l’occurrence … euros, en distribution cachée de bénéfice, la société demanderesse expose, tout d’abord, qu’elle aurait fait l’acquisition de quatre sociétés en Grèce : la société E, société financière, et trois sociétés opérationnelles, à savoir la société H A, ci-après désignée par « la société H A », la société H B, ci-après désignée par « la société H B », et la société I, ci-après 20 A. Steichen, Précis de droit fiscal de l’entreprise, 5e édition, Legitech, p.280, n° 299.
20désignée par « la société I », qui auraient chacune comme seule activité la réalisation et l’exploitation d’un parc de panneaux photovoltaïques en Grèce.
A ce titre, elle explique plus particulièrement que la société E(i) aurait été constituée en date du 27 décembre 2010 par la société anonyme belge C, ci-après désignée par « la société C », et par Monsieur X, et (ii) serait une société ayant une activité financière avec un capital souscrit de … euros, libéré à concurrence de 25%.
En date du 31 décembre 2012, la société C et Monsieur X lui auraient cédé toutes les actions de la société E pour leur valeur comptable, en l’occurrence … euros.
Au cours des années 2012 et 2013, elle aurait octroyé des avances à la société E pour un montant total de … euros, afin de lui permettre d’opérer à son tour des avances au profit des sociétés H A, H B et I.
En date du 3 mars 2014, elle aurait, d’une part, libéré le solde du capital de la société E de … euros et, d’autre part, augmenté le capital social de … euros moyennant émission de … nouvelles actions et paiement d’une prime d’émission de … euros. Ces montants auraient été libérés par l’incorporation des avances qu’elle lui aurait octroyées antérieurement pour un montant total de … euros.
Elle aurait, dès lors, détenu la participation dans la société E, dans ses comptes, pour une « valeur globale d’acquisition » d’un montant de … euros (… + … + … + …), société qui aurait été mise en liquidation en 2014.
La société demanderesse expose ensuite que la société J A (i) aurait été constituée au courant de l’année 2012 avec un capital social de … euros, représenté par … parts d’une valeur nominale de … euros, (ii) aurait été détenue à 100 % par la société C, qui aurait cédé les … parts à la société E en date du 11 mai 2012, et (iii) aurait augmenté, en date du 25 août 2014, son capital social de … euros en émettant … nouvelles actions d’une valeur nominale de … euros, qui auraient été souscrites par la société E, laquelle lui aurait cédé les … actions en date du 7 décembre 2014 pour un prix équivalent au pair comptable, en l’occurrence … euros.
La société J B, quant à elle, (i) aurait été constituée au courant de l’année 2012 avec un capital social de … euros, composé de … parts d’une valeur nominale de 30 euros, (ii) aurait été détenue à 100% par la société C, qui aurait cédé … parts à la société E en date du 13 janvier 2014 et 1 part à Madame R, et (iii) aurait augmenté, en date du 29 août 2014, son capital social de … euros en émettant … nouvelles parts d’une valeur nominale de … euros, qui auraient été souscrites par la société E, laquelle lui aurait cédé les … actions en date du 13 janvier 2014 pour un prix équivalent au pair comptable, en l’occurrence … euros.
Elle expose finalement que la société I (i) aurait été constituée au courant de l’année 2012 avec un capital social de … euros, composé de … parts d’une valeur nominale de … euros, (ii) aurait été détenue à 100 % par la société C qui aurait cédée … parts à la société E en date du 27 décembre 2012 et 10 parts à Madame R, et (iii) aurait augmenté, en date du 25 août 2014, son capital social de … euros en émettant … nouvelles parts d’une valeur nominale de … euros, dont … part aurait été souscrite par Madame Q et … parts par la société E, laquelle lui aurait cédé les … parts en date du 7 octobre 2014 pour un prix équivalent au pair comptable, en l’occurrence … euros.
21 La société demanderesse poursuit que la société E aurait octroyé plusieurs avances aux sociétés J A, J B et I, afin de leur permettre d’acquérir des installations photovoltaïques, avances qui auraient été intégrées dans leurs fonds propres au cours de l’année 2014.
Elle donne à considérer que si sa participation dans la société E avait certes « disparu » dans le cadre de la liquidation de celle-ci, elle aurait toutefois reçu, en sa qualité d’actionnaire unique, « les actifs et les dettes de [la société] E […] en contrepartie ». Il s’ensuivrait que la réduction de valeur qu’elle aurait actée sur sa participation dans la société E pour un montant de … euros ne serait pas justifiée.
Elle renvoie à cet égard à un rapport dressé par un comptable grec qui disposerait que le compte « participations [E] » aurait dû être crédité, en débitant, non pas le compte de résultat, mais « les comptes d’actifs » des participations détenues dans les sociétés J A, J B et I, de sorte que le prix d’acquisition aurait dû être majoré de … euros pour la société H A, de … euros pour la société H B et de … euros pour la société I. Elle fait, à cet égard, valoir que la différence entre le prix d’acquisition de la participation dans la société E, d’une part, et la somme de … euros (…+…+…), d’autre part, en l’occurrence … euros, constituerait « la perte réelle sur la participation de [la société] E […] », qui aurait dû être prise en charge. Elle soutient dans ce contexte que les comptes annuels auraient été rectifiés depuis l’introduction de la réclamation et auraient été communiqués en guise de complément de réclamation.
Elle donne, en outre, à considérer qu’elle aurait joint à la réclamation un rapport établi par son commissaire aux comptes, la société à responsabilité limitée K, qui décrirait les flux financiers entre elle-même et ses filiales grecques et les investissements qui auraient été faits par ces dernières. Elle insiste finalement sur le fait qu’elle serait toujours propriétaire des parts sociales des sociétés J A, J B et I, qui détiendraient toujours les investissements en question, et qui commenceraient à dégager des bénéfices.
Au vu de ce qui précède, il serait clairement établi que les sommes en question n’auraient pas quitté l’entreprise, de sorte qu’il ne s’agirait pas de distributions cachées de bénéfices. Il en irait de même de « la moins-value » qu’elle aurait réalisée sur sa participation détenue dans la société E d’un montant de … euros, qui s’expliquerait par « des résultats négatifs engendrés », de sorte que cette somme ne pourrait pas non plus être qualifiée de distribution cachée de bénéfices.
Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement donne à considérer que la société demanderesse admettrait qu’une telle correction de valeur ne serait pas justifiée. A son avis, « [l]es dispositions de l’article 164, alinéa 3 L.I.R. s[eraient] en outre manifestement remplies. ».
Dans sa réplique, la société demanderesse reconnaît que la correction de valeur opérée sur sa participation dans la société E n’aurait pas été justifiée, en insistant sur le fait que ce serait exactement dans ce sens que ses comptes annuels, ainsi que ses déclarations fiscales auraient été corrigés.
Elle donne toutefois à considérer que le mémoire en réponse ne contiendrait aucune argumentation en ce qui concerne la qualification de « distribution cachée de bénéfices », de sorte que la partie étatique resterait en défaut de démontrer l’existence soit d’une diminution de l’actif (« Vermögensminderung »), soit d’un défaut d’accroissement de l’actif (« verhinderte Vermögensmehrung »). Elle explique dans ce contexte que les actifs, à savoir 22les participations financières dans les sociétés H A, H B et I, feraient toujours parti de son patrimoine et figureraient toujours à l’actif de son bilan, de sorte que le bureau d’imposition aurait, à tort, retenu une distribution cachée de bénéfice dans son chef.
Analyse du tribunal Il échet, tout d’abord, de constater que même si le courrier du 11 juin 2020 du bureau d’imposition a qualifié les redevances payées par la société demanderesse à la société B et les frais de sponsoring de distributions cachées de bénéfices, ni les bulletins déférés ni le délégué du gouvernement n’ont retenu cette qualification. En revanche, force est au tribunal de constater que les bulletins déférés ont requalifié en distributions cachées de bénéfices (i) les remises de dettes accordées par la société demanderesse à la société D et à la société F, précitées, ainsi (ii) qu’un montant de … euros que la société demanderesse a, selon ses propres explications, erronément comptabilisé en tant que correction de valeur sur la participation détenue dans la société E.
L’article 164, paragraphe (3) LIR dispose comme suit : « Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ».
Une distribution cachée de bénéfices existe si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement d’une société des avantages qui s’analysent pour cette dernière en un emploi de revenus sans contrepartie effective et que l’associé, sociétaire ou intéressé n’aurait pas pu obtenir en l’absence de ce lien. La situation concernée est celle où un gestionnaire prudent et avisé n’aurait pas accordé un avantage similaire à un tiers.
Une distribution cachée de bénéfices s’analyse en une opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus, mais dont l’examen de sa substance permet de dégager sa qualification réelle d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé, actionnaire ou intéressé et ayant entraîné soit une diminution de l’actif (“Vermögensminderung”) soit un défaut d’accroissement de l’actif (“verhinderte Vermögensmehrung”)21.
La reconnaissance de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices suppose, outre que l’avantage, ait entraîné soit une diminution de l’actif, soit un défaut d’accroissement de l’actif dans le chef de la société en question, que ledit avantage soit resté pour cette dernière sans contrepartie effective en sa faveur. La notion de contrepartie effective implique que la société ait bénéficié de l’allocation d’un bien ou avantage appréciable en argent qui présente un lien économique direct avec l’avantage alloué par elle et qui constitue une compensation adéquate de la valeur de l’avantage accordé. La question de la reconnaissance d’un avantage accordé unilatéralement par la société se situe au niveau des effets économiques qui peuvent découler d’une opération unique ou de plusieurs opérations lorsque le lien économique les unissant implique l’analyse de leurs effets dans leur globalité22.
21 Cour adm., 19 janvier 2012, n° 28781C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 652 et les autres décisions y visées.
22 Cour adm, 11 mars 2021, n° 44908C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 655.
23L’avantage accordé par la société doit, par ailleurs, tout comme les distributions de revenus dans les formes prévues par le droit des sociétés, encore avoir la nature d’une recette pouvant être qualifiée de revenu de capitaux mobiliers dans le chef du bénéficiaire23.
Force est encore au tribunal de retenir qu’une dépense qui ne présente pas un lien de causalité exclusif suffisant avec l’activité de l’entreprise à défaut de lui procurer une contrepartie adéquate ne peut certes pas rentrer parmi les dépenses d’exploitation déductibles du bénéfice imposable, mais elle constitue une distribution cachée de bénéfices uniquement si en outre l’avantage découlant de la prise en charge de la dépense peut être considéré comme ayant été alloué directement ou indirectement à un associé, actionnaire ou intéressé sous une forme pouvant donner lieu à une recette imposable.
En ce qui concerne la charge de la preuve, il résulte d’une lecture combinée des articles 164, paragraphe (3) LIR et 59 de la loi du 21 juin 1999, précités, que la charge de la preuve de l’existence d’une distribution cachée de bénéfices repose en premier lieu sur le bureau d’imposition. Celui-ci doit, en effet, procéder à un examen impartial et objectif des déclarations du contribuable et relever des éléments qui lui paraissent douteux et qui pourraient indiquer l’existence de distributions cachées de bénéfice. Ainsi, c’est essentiellement lorsque le bureau d’imposition peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent une telle distribution probable et qui n’ont pas été éclairées ou documentées par le contribuable que le bureau peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve, le contribuable devant prouver qu’il n’y a pas diminution de bénéfice ou que celle-ci est économiquement justifiée, et non seulement motivée par des relations particulières entre deux entités liées24.
Quant aux remises de dettes accordées par la société demanderesse à la société D et à la société F, force est de constater que l’affirmation de la partie étatique suivant laquelle il y aurait des distributions cachées au motif que « la société [demanderesse] et les sociétés D, F et G [ne seraient pas] à considérer comme des tiers », ne se trouve corroboré par aucun élément tangible.
En effet, il ressort des éléments du dossier soumis au tribunal, dont notamment un contrat de cession d’actions du 30 avril 2015, que la société demanderesse a, tel que relevé ci-
avant, cédé l’intégralité de ses parts dans la société D à la société G « pour solde de tout compte et de toute créance entre A et D ou son Associé Commandité F », sans qu’il n’en ressort que la société G ne soit un « associé, sociétaire ou intéressé » au sens de l’article 164, paragraphe (3) LIR.
Sans nier que les opérations de remises de dettes peuvent légitimement amener l’administration à solliciter de la part du contribuable des informations et justifications complémentaires sur les motifs à la base de ces opérations, afin de vérifier le respect des conditions légales pour la reconnaissance fiscale de ces opérations, il n’en reste pas moins que les explications et preuves documentaires présentées par la société demanderesse aux différents stades de la procédure sont de nature à justifier la réalité économique des opérations litigieuses, de manière à ne pas fournir d’indices quelconques plaidant en faveur de l’existence de 23 Cour adm., 31 juillet 2019, n° 42326C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 660 et les autres références y citées.
24 Cour adm. 12 février 2009, n° 24642C, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 656 (2e volet) et les autres décisions y visées.
24distributions cachées de bénéfices accordées par la société demanderesse à ses propres actionnaires.
En revanche, la position étatique tendant à admettre l’existence de distributions cachées à travers les opérations de remises de dettes en cause repose sur la seule apparence affirmée du caractère inusuel desdites opérations sans être étayée plus loin par des indices suffisamment concrets dans le sens d’une allocation effective d’avantages aux actionnaires de la société demanderesse par le biais de sa filiale et de l’actionnaire commandité de celle-ci et se trouvant infirmée par les arguments et éléments de preuve soumis par la société demanderesse.
Le tribunal arrive partant à la conclusion que les redressements effectués par le bureau d’imposition sur le fondement de la reconnaissance de distributions cachées de bénéfices ne sont pas justifiés.
C’est dès lors à tort que le bureau d’imposition a qualifié le montant de … euros de distributions cachées de bénéfices soumises à la retenue d’impôt sur revenus de capitaux.
Partant, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal, ainsi que de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux de l’année 2015 sont à réformer dans cette mesure.
Quant à la correction de valeur initialement comptabilisée par la société demanderesse en relation avec sa participation dans la société E, et outre le fait que la position étatique tendant à admettre l’existence de distributions cachées à travers l’opération de correction de valeur en cause repose sur la seule affirmation péremptoire selon laquelle « les dispositions de l’article 164, alinéa 3 L.I.R. sont en outre manifestement remplies » sans être étayée plus loin par des indices concrets dans le sens d’une allocation effective d’un avantage sans contrepartie effective par la société demanderesse à ses « associés, sociétaires ou intéressés », force est au tribunal de rappeler qu’il a été retenu ci-avant que la société demanderesse a affirmé qu’elle avait erronément opéré une « correction de valeur » sur sa participation dans la société E au lieu d’une « moins-value », tout en ajoutant qu’elle avait corrigé ses comptes annuels, ainsi que ses déclarations fiscales dans ce même sens. Le tribunal en a déduit que la question de la déduction de la « correction de valeur » n’était donc plus litigieuse. Or, dans la mesure où les explications vagues et non circonstanciées du délégué du gouvernement tendant à voir retenir l’existence de distributions cachées de bénéfices sont exclusivement fondées sur le constat d’une « correction de valeur » qui s’est avérée être une erreur de la société demanderesse - non contestée par le délégué du gouvernement - le tribunal arrive à la conclusion que les redressements effectués par le bureau d’imposition sur le fondement de la reconnaissance de distributions cachées de bénéfices ne sont pas justifiés, à défaut d’autres explications.
C’est dès lors à tort que le bureau d’imposition a qualifié le montant de … euros de distribution cachée de bénéfices soumise à la retenue d’impôt sur revenus de capitaux.
Partant, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal, ainsi que de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux de l’année 2017 sont à réformer dans cette mesure.
Par voie de conséquence, c’est à bon droit que le bureau d’imposition a redressé les bénéfices déclarés en y ajoutant le montant de … euros pour l’année 2017, non déductible en 25tant que dépense d’exploitation, mais c’est à tort que ce même montant a été qualifié de distribution cachée soumise à la retenue d’impôt sur revenus de capitaux.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation ;
déclare le recours principal en réformation irrecevable dans la mesure où il vise (i) le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015, en ce qui concerne le volet de l’impôt sur le revenu des collectivités fixé conformément à l’article 174, paragraphe (1) LIR, (ii) le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2016, et (iii) les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2015 et 2016, tous émis à l’égard de la société A le 3 septembre 2020 ;
le déclare recevable pour le surplus ;
au fond, le déclare partiellement justifié ;
partant, par réformation - des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2015, 2016, 2017 et 2018 émis à l’égard de la société A le 3 septembre 2020, dit que les montants de … euros correspondant aux redevances payées dans le cadre du contrat de licence conclu avec la société B Invest au titre desdites années sont déductibles en tant que dépenses d’exploitation au sens de l’article 45 LIR ;
- du bulletin d’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2015, du bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2015 et du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux de la même année, tous émis en date du 3 septembre 2020, dit qu’aucune distribution cachée des bénéfices en rapport avec les remises de dettes à hauteur de … euros n’est à retenir pour l’année 2015 ;
- du bulletin d’impôt sur le revenu des collectivités de l’année 2017, du bulletin de l’impôt commercial communal de l’année 2017 et du bulletin de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux de la même année, tous émis en date du 3 septembre 2020, dit qu’aucune distribution cachée des bénéfices en rapport avec la « correction de valeur » à hauteur de … euros n’est à retenir pour l’année 2017;
rejette le recours principal en réformation pour le surplus ;
renvoie le dossier au bureau d’imposition Sociétés-… pour exécution ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
fait masse des frais et dépens et les met par moitié à charge de l’Etat et par moitié à charge de la société demanderesse.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 février 2024 par :
26Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 19 février 2024 par le premier vice-
président Françoise Eberhard, en présence du greffier Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 27