Tribunal administratif N° 47679 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47679 2e chambre Inscrit le 11 juillet 2022 Audience publique du 19 février 2024 Recours formé par Monsieur …, sans adresse connue, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 47679 du rôle et déposée le 11 juillet 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iran), de nationalité iranienne, actuellement sans adresse connue, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 juin 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 janvier 2024.
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Le 30 septembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.
Suite à une recherche effectuée dans le système EURODAC en date du 3 octobre 2019, il s’avéra que Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 28 février 2019.
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’unedemande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
Suite à la demande d’informations introduite par les autorités luxembourgeoises le 7 octobre 2019, leurs homologues grecs leur répondirent le 29 novembre 2019 que la demande de protection internationale de Monsieur … n’avait pas encore été analysée et qu’aucune décision n’avait été prise à son encontre.
En date des 21 octobre et 24 novembre 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 24 juin 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 27 juin 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … en la déclarant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 24 juin 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Par avis du 18 octobre 2023, le tribunal informa le litismandataire de Monsieur …, Maître Ardavan Fatholahzadeh, que l’audience initialement fixée au 23 janvier 2024 était fixée au 18 décembre 2023 pour plaidoiries.
Par courriel du 19 octobre 2023, ce dernier répondit qu’il n’avait plus mandat dans l’affaire introduite par ses soins au vu de l’absence de contact avec son mandant.
Le même jour, un courrier recommandé du tribunal administratif fut expédié à Monsieur … à l’adresse mentionnée sur la décision ministérielle du 24 juin 2022, sise à L-…, afin de l’informer que, suite au dépôt de mandat de son litismandataire, il devait confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour et que son affaire était fixée pour plaidoiries au 18 décembre 2023. Il fut encore informé du fait qu’à défaut d’instructions de sa part, son recours risquait d’être rejeté pour défaut d’intérêt à agir. Ledit courrier revint à son expéditeur avec la mention « Retour non-réclamé ».
Le même courrier fut renvoyé par lettre simple en date du 2 novembre 2023.
Le 6 décembre 2023, la convocation à l’audience publique du 18 décembre 2023 fut envoyée à Monsieur … par lettre recommandée à l’adresse mentionnée sur la requête introductive d’instance sise à L-…, courrier qui revint également à son expéditeur avec la mention « Retour Non réclamé ».
A l’audience publique du 18 décembre 2023, le tribunal remit l’affaire à l’audience publique du 22 janvier 2024 pour plaidoiries.
Après renseignements pris auprès de la partie étatique le 18 décembre 2023, celle-ci informa le tribunal le 20 décembre 2023 que la dernière adresse connue de Monsieur … étaitcelle se trouvant dans le dossier administratif et qu’actuellement, il ne serait plus enregistré à une adresse au Luxembourg.
Le 22 décembre 2023, un nouveau courrier du tribunal informant Monsieur … qu’il devait obligatoirement se faire représenter par un avocat à la Cour et que l’audience des plaidoiries était fixée au 22 janvier 2024 lui fut envoyé par lettres recommandée et simple à l’adresse sise à …. Le courrier recommandé revint à son expéditeur avec la mention « Non réclamé », tandis que le courrier simple revint avec la mention « N’habite plus à cette adresse ».
A l’audience publique du 22 janvier 2024, et au vu du constat que, malgré de multiples invitations en ce sens par lettres simples et recommandées adressées à Monsieur …, le tribunal n’avait aucune nouvelle de ce dernier et qu’aucun nouvel avocat ne s’était constitué pour le représenter, le tribunal a soulevé d’office la question du maintien de l’intérêt à agir de ce dernier conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée « la loi du 21 juin 1999 », l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’une demande s’analysant en effet en question d’ordre public1.
Le délégué du gouvernement a conclu que le recours devait être déclaré comme étant irrecevable.
Le tribunal relève que, si stricto sensu l’intérêt à agir est à apprécier au moment de l’introduction du recours, il n’en reste pas moins que le maintien d’un intérêt à agir, ou plus précisément d’un intérêt à poursuivre une action doit être vérifié au jour du jugement2 sous peine de vider ce dernier de tout effet utile, les juridictions administratives n’ayant pas été instituées pour procurer aux plaideurs des satisfactions purement platoniques ou leur fournir des consultations3, ainsi que sous peine, le cas échéant, outre d’encombrer le rôle des juridictions administratives, d’entraver la bonne marche des services publics en imposant à l’autorité compétente de se justifier inutilement devant les juridictions administratives et en exposant, le cas échéant, ses décisions à la sanction de l’annulation ou de la réformation sans que l’administré ayant initialement introduit le recours ne soit encore intéressé par l’issue de ce dernier.
Or, la première personne à pouvoir justifier s’il existe effectivement dans son chef un intérêt concret et personnel suffisant pour intenter un procès et pour le poursuivre ensuite, est le justiciable lui-même qui a saisi le tribunal administratif d’une demande : non seulement, il estime qu’il a été porté atteinte à ses droits ou que ses intérêts ont été lésés, mais il considère que le redressement obtenu au moyen d’une décision juridictionnelle apportera à sa situation une amélioration qui compense les frais qu’entraîne et les désagréments que comporte un procès. La volonté du justiciable, manifestée par l’introduction d’une demande en justice, de défendre ce qu’il considère comme un intérêt le concernant est donc le premier élément qui est nécessaire pour rendre possible la constatation que ce justiciable justifie effectivement de l’intérêt concret et personnel requis en droit pour être recevable à intenter un procès.
1 Cour adm., 29 mai 2008, n° 23728C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 5 et les autres références y citées.
2 Michel Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p. 494.
3 Trib. adm., 14 janvier 2009, n° 22029 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 63 et les autres références y citées.Si cette volonté vient à disparaître en cours de procès, il n’est potentiellement plus satisfait à la condition qui doit être remplie en tout premier lieu pour que l’on puisse admettre que la partie litigante conserve effectivement un intérêt concret et personnel à faire statuer sur la demande qu’elle a introduite. Cette première condition n’étant plus remplie, il y a lieu d’en conclure que le recours n’est plus recevable en raison de la disparition de l’intérêt requis en droit.
Or, le défaut de volonté de maintenir une demande peut résulter de la persistance avec laquelle le justiciable s’abstient de toute marque d’intérêt pour le déroulement du procès qu’il a engagé4. Cette absence de toute marque d’intérêt constitue dès lors un motif suffisant pour décider que l’intérêt requis en droit pour obtenir une décision sur la demande n’existe plus et qu’à défaut de cet intérêt, le recours doit être rejeté comme n’étant plus recevable.
En l’espèce, force est tout d’abord de rappeler (i) que le litismandataire ayant introduit le recours sous analyse, au nom et pour compte de Monsieur …, a informé le tribunal en date du 19 octobre 2023 qu’il a déposé son mandat dans cette affaire, dans la mesure où il n’avait plus aucun contact avec son mandant, (ii) qu’il n’y a, par la suite, jamais eu de reprise de mandat, ni de constitution de nouvel avocat en conformité avec les articles 5 (5) et 10 de la loi du 21 juin 1999, (iii) que la partie étatique a informé le tribunal qu’elle n’avait pas d’autres renseignements sur l’adresse effective et actuelle de Monsieur … et (iv) que le greffe du tribunal a, à de multiples reprises, tenté de porter à la connaissance de ce dernier son obligation de se faire représenter par un avocat, ainsi que les dates auxquelles son affaire avait été fixée pour plaidoiries.
Or, en omettant de donner le moindre signe de vie à son mandataire, voire de communiquer à celui-ci ou bien au ministre ou bien même directement au tribunal ses nouvelles coordonnées, Monsieur … a rendu impossible toute communication ou notification dans son chef en relation avec la procédure contentieuse qu’il a intentée en vue de contester le bien-
fondé de la décision ministérielle litigieuse du 24 juin 2022. En agissant de la sorte, il n’a dès lors pas témoigné le moindre intérêt pour le déroulement et le maintien de l’instance qu’il a mue par sa requête du 11 juillet 2022, de sorte que le recours doit être rejeté pour perte d’intérêt à agir.
Bien que le dernier avocat constitué a, en l’espèce, déposé son mandat après que la requête introductive d’instance ait été introduite pour compte du destinataire de l’acte administratif attaqué, le présent jugement est néanmoins rendu contradictoirement entre parties5.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
rejette le recours ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
4 Voir notamment Conseil d’Etat belge, 6 avril 1982, n° 22183.
5 En ce sens : trib. adm., 24 janvier 2000, n° 11558 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 973 et les autres références y citées.Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 19 février 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 5