Tribunal administratif N° 50051 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50051 4e chambre Inscrit le 14 février 2024 Audience publique extraordinaire du 21 février 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50051 du rôle et déposée le 14 février 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le …à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, alias …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 6 février 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 février 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique de ce jour, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vincent Staudt en sa plaidoirie à l’audience du 20 février 2024, Maître STROESSER s’étant excusé.
___________________________________________________________________________
En date du 25 juin 2020, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, demande dont il fut débouté par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 août 2020, qui lui ordonna également de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours.
Le 19 mai 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans, sur le fondement des articles 112 et 124, paragraphe (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 ».
Par jugement du tribunal administratif du 24 novembre 2021, inscrit sous le numéro 46698 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 17 novembre 2021 à l’encontre d’un arrêté ministériel du 9 novembre 2021 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification.
Par jugement du tribunal administratif du 29 décembre 2021, inscrit sous le numéro 46819 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 22 décembre 2021 à l’encontre d’un arrêté ministériel du 8 décembre 2021 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification.
Suivant transmis du ministère du 17 janvier 2022, la libération de l’intéressé du Centre de rétention fut décidée avec effet immédiat.
Par jugement du tribunal administratif du 29 mars 2023, inscrit sous le numéro 46138 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 18 juin 2021 à l’encontre de l’arrêté ministériel du 19 mai 2021, précité, prononçant à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans.
Il ressort d’un acte de levée d’écrou du 15 mai 2023 que Monsieur … fut libéré du Centre pénitentiaire de Luxembourg après y avoir purgé une peine d’emprisonnement de 12 mois.
Il résulte ensuite d’un rapport de police portant le numéro JDA/2023/144878-1, daté du 7 novembre 2023, qu’à cette date, les services de police furent appelés par l’Hôpital du Kirchberg au motif que l’intéressé, fortement alcoolisé, se comporterait de manière agressive et que la situation risquerait de dégénérer.
Par arrêté du 7 novembre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, lequel est basé sur les motifs et les considérations suivants :
« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport n° JDA/2023/144878-1 du 7 novembre 2023 établi par la Police grand-
ducale, Région Capitale, Commissariat Luxembourg - Groupe Gare ;
Vu ma décision de retour du 25 août 2020, lui notifiée le 28 août 2020 ;
Vu ma décision d'interdiction d'entrée sur le territoire d'une durée de 5 ans du 19 mai 2021, lui notifiée le même jour ;
Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;
Considérant que l'intéressé s'est présenté au Ministère des Affaires étrangères et européennes en vue de l'organisation de son retour volontaire dans son pays d'origine en date du 12 novembre 2020 ;
Considérant que l'intéressé n'a jusqu'à présent pas fait des démarches pour un retour volontaire dans son pays d'origine ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;
Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 novembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 7 novembre 2023, lequel fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 1er décembre 2023, inscrit sous le numéro 49744 du rôle.
Par un arrêté du 4 décembre 2023, notifié à l’intéressé le 8 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », décida de prolonger la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d'un mois à compter de la notification. Le recours contentieux introduit par Monsieur … à l’encontre du prédit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 19 décembre 2023, inscrit sous le numéro 49796 du rôle.
Par un arrêté du 4 janvier 2024, notifié à l’intéressé le 8 janvier 2024, le ministre prorogea la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une nouvelle durée d'un mois à compter de la notification. Par jugement du tribunal administratif du 19 janvier 2024, inscrit sous le numéro 49915 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit contre l’arrêté ministériel, précité, du 4 janvier 2024.
Par un arrêté du 6 février 2024, notifié à l’intéressé le 8 février 2024, le ministre prorogea à nouveau la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d'un mois à compter de la notification, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :
« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 7 novembre, 4 décembre 2023 et 4 janvier 2024, notifiés le 8 novembre 2023, le 8 décembre 2023 et le 8 janvier 2024, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 7 novembre 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 14 février 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 6 février 2024.
Étant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
En droit, il s’empare de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour expliquer que le placement d’une personne au Centre de rétention ne serait ni une obligation systématique, ni un automatisme pour le ministre, mais constituerait une simple faculté qui devrait être considérée comme l’ultime remède. Cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Sur le fondement du paragraphe (3) dudit article 120, le demandeur affirme que le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement devrait être en cours ou exécuté avec toute la diligence requise, ce qui impliquerait que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Dans ce contexte, il reproche au ministre de le retenir au Centre de rétention, alors qu’il n’existerait, à l’heure actuelle, aucune perspective d’éloignement vers son pays d’origine ou vers le pays où il aurait toutes ses attaches familiales, de sorte que se poserait la question de savoir comment le ministre pourrait exécuter cette mesure d’éloignement dans un délai raisonnable et endéans la durée maximale de la mesure de rétention.
Le demandeur fait valoir que le maintien au Centre de rétention constituerait une mesure privative de liberté dont la durée devrait être réduite au strict minimum et qu’il ne devrait pas y être retenu en attendant l’exécution de la mesure d’éloignement.
Enfin, le demandeur estime que son placement au Centre de rétention serait disproportionné au regard de sa situation personnelle et de son comportement et que le ministre aurait dû appliquer, conformément à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, des mesures moins coercitives en l’assignant à résidence dans un lieu qu’il aurait désigné avec l’obligation de se présenter régulièrement à des intervalles à fixer auprès de ses services ou de toute autre autorité désignée.
Le demandeur conclut que son maintien au Centre de rétention ne serait pas justifié, de sorte que la décision ministérielle du 6 février 2024 serait à réformer.
Subsidiairement, le demandeur sollicite dans le cadre du dispositif de son recours à voir annuler la décision ministérielle du 6 février 2024 pour « violation de la loi, détournement sinon excès de pouvoir, sinon violation de formes destinées à protéger les intérêts privés ».
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d'une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.
En ce qui concerne, tout d’abord, la légalité externe de l’arrêté ministériel litigieux, et plus particulièrement le reproche non autrement circonstancié d’une insuffisance de la motivation fournie par le ministre, il convient de souligner que ces développements sont à rejeter pour ne pas être fondés, étant donné qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’État et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision -, de sorte que le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse.
Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Quant à la légalité interne de l’arrêté ministériel litigieux, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.
Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».
Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».
L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est, partant, en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
En l’espèce, et tel que relevé par le tribunal dans ses jugements prémentionnés du 1er décembre 2023, du 19 décembre 2023 et du 19 janvier 2024, il est constant en cause que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, pour avoir fait l’objet d’une décision de retour en date du 25 août 2020, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans en date du 19 mai 2021 – décision dont la légalité et le bien-fondé ont été confirmés par le jugement du tribunal administratif, précité, du 29 mars 2023 –, qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.
Il s’ensuit qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi ou encore s’il ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.
Il appartient dès lors au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite.
Force est toutefois de constater, tel que d’ores et déjà relevé dans les jugements prémentionnés du 1er décembre 2023, du 19 décembre 2023 et du 19 janvier 2024, - le demandeur n’ayant apporté aucun nouvel élément dans le cadre du présent litige - que Monsieur … n’a fourni aucun élément qui permettrait de renverser la présomption du risque de fuite existant dans son chef.
Le demandeur fait encore valoir que le ministre aurait dû choisir une option moins coercitive que son placement en rétention telle qu’une assignation à résidence avec obligation dans son chef de se présenter régulièrement à des intervalles à fixer auprès des services ministériels ou toute autre autorité désignée.
À cet égard, il échet de relever qu’aux termes de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008].
On entend par mesures moins coercitives :
a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;
b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;
c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’État. Cette somme est acquise à l’État en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.
Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».
Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le demandeur reste toujours en défaut de soumettre au tribunal des éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef. À cet égard, il convient de relever qu’il est constant que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache.
Il n’a, par ailleurs, présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.
Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.
S’agissant, ensuite, des démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre pour organiser l’éloignement du demandeur, le tribunal a relevé dans son jugement prémentionné du 1er décembre 2023 que par courrier électronique du 14 novembre 2023, les autorités ministérielles luxembourgeoises s’étaient adressées au Consulat Général de Tunisie à Bruxelles pour obtenir un laissez-passer en faveur du concerné, tout en joignant à leur demande un jeu d’empreintes digitales, ainsi que deux photos d’identité de celui-ci.
C’est sur base de ces considérations que le tribunal a retenu dans son jugement prémentionné que les démarches entreprises jusque-là étaient à qualifier de suffisantes au regard des exigences posées par la loi.
Le tribunal relève encore que dans son jugement prémentionné du 19 décembre 2023 il a été constaté qu’en date du 4 décembre 2023 puis en date du 15 décembre 2023, les autorités luxembourgeoises ont adressé des rappels à leurs homologues tunisiens en les priant de bien vouloir les renseigner sur l’état d’avancement du dossier.
C’est sur base de ces considérations que le tribunal a retenu dans ledit jugement que les démarches entreprises jusque-là étaient à qualifier de suffisantes au regard des exigences posées par la loi.
Dans son jugement précité du 19 janvier 2024, le tribunal a encore retenu, sur base du rappel adressé par les autorités luxembourgeoises au Consulat Général de Tunisie à Bruxelles le 2 janvier 2024, que les démarches desdites autorités étaient toujours suffisantes au regard des exigences légales de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.
1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.
Au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, se matérialisant par l’envoi de nouveaux rappels les 17 et 31 janvier, ainsi que le 14 février 2024 au Consulat Général de Tunisie à Bruxelles afin de s’enquérir sur l’état d’avancement du dossier de Monsieur …, le tribunal doit réitérer son constat que les autorités luxembourgeoises, actuellement tributaires de la collaboration des autorités étrangères compétentes - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels leur adressés - que le dispositif d’éloignement est toujours en cours, et qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise.
Finalement, il y a lieu de relever que c’est à tort que le demandeur affirme que son éloignement n’aurait pas de chances d’être mené à bien. D’une part, même si la demande n’a, à ce jour, pas encore abouti, notamment en raison du manque de réactivité des autorités tunisiennes, la procédure d’identification actuellement entamée ne saurait, à ce stade, être considérée comme étant d’ores et déjà vouée à l’échec, étant donné que les autorités tunisiennes ont bien accusé réception de la demande des autorités luxembourgeoises. D’autre part, le tribunal doit réitérer son constat, tel qu’effectué dans le cadre du jugement, précité, du 19 janvier 2024, que les autorités ministérielles luxembourgeoises ont reçu un courrier du Consulat Général de Tunisie à Bruxelles en date du 15 décembre 2023 confirmant que la demande d’identification a été acheminée à Tunis pour examen et qu’elles seront tenues informées de la suite. Il s’ensuit que contrairement aux affirmations du demandeur, la procédure relative à son identification n’est pas d’ores et déjà vouée à l’échec.
Il est, par ailleurs, rappelé qu’il ne s’agit, dans le cas présent, que de la troisième prorogation du placement de Monsieur …, le législateur ayant expressément prévu la possibilité de proroger un placement en rétention pour un cinquième, voire un sixième mois, au cas où les autorités étrangères tardent à identifier un étranger en séjour irrégulier et à émettre le document de voyage requis.
Dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le demandeur conclut finalement à l’annulation de la décision ministérielle du 6 février 2024 « pour violation de la loi, détournement, sinon excès de pouvoir, sinon violation des formes destinées à protéger les intérêts privés ». Force est au tribunal de constater que le demandeur se contente d’énumérer les cas d’ouverture d’un recours contentieux devant le tribunal administratif tels que prévus par l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, sans fournir la moindre explication relative aux tenants et aboutissants de ce moyen, de sorte que le moyen en question est à considérer comme étant simplement suggéré et encourt, de ce chef, le rejet, étant donné qu’il n’incombe pas au tribunal de rechercher les éventuels argumentaires juridiques susceptibles de sous-tendre un moyen non autrement explicité.
Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que, contrairement à l’argumentation du demandeur, la mesure de prorogation du placement en rétention litigieuse n’est pas disproportionnée et qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens même à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.
Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 21 février 2024 à 11:00 heures par :
Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 10