Tribunal administratif N° 49966 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49966 4e chambre Inscrit le 22 janvier 2024 Audience publique extraordinaire du 22 février 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 49966 du rôle et déposée le 22 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte Schaeffer, avocat à la Cour, assistée de Maître José Steffen, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au « ministre de l’Immigration et de l’Asile », du 3 janvier 2024 de le transférer vers la Belgique comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Vincent Staudt en sa plaidoirie à l’audience publique du 6 février 2024.
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Le 18 juillet 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion suite à une recherche effectuée dans la base de données EURODAC que Monsieur … avait déposé deux demandes de protection internationale en Belgique les 12 mars 2020 et 8 novembre 2021.
Le 19 juillet 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale envertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».
Par un arrêté du 19 juillet 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois, mesure renouvelée jusqu’au 1er décembre 2023 par un arrêté ministériel du 26 octobre 2023.
Par un arrêté du 11 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, désormais en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », prolongea la mesure d’assignation à résidence de Monsieur … jusqu’au 8 mars 2024.
Le 31 juillet 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités belges en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III , demande qui fut acceptée par ces dernières en date du 4 août 2023 en application du prédit article du règlement Dublin III.
Par décision du 3 janvier 2024, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers la Belgique, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :
« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 18 juillet 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions des articles 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Belgique qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 18 juillet 2023 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 19 juillet 2023.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 18 juillet 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
2 La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Belgique en date des 12 mars 2020 et 8 novembre 2021.
Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 19 juillet 2023.
Sur cette base, une demande de reprise en charge en vertu de l’article 18(1)d du règlement DIII a été adressée aux autorités belges en date du 31 juillet 2023, demande qui fut acceptée par lesdites autorités belges en date du 4 août 2023.
2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.
Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale en Belgique en date des 12 mars 2020 et 8 novembre 2021.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté …/République Démocratique du Congo en 2012 vers la Tunisie, où vous auriez étudié jusqu’en 2016. En date du 9 octobre 2016, vous 3 auriez quitté la Tunisie en direction de la Bulgarie, afin d’y poursuivre vos études. Après une année passée à Sofia/Bulgarie, vous vous seriez rendu en Belgique, où vous avez étudié à Namur/Belgique et plus tard à Liège/Belgique. À la suite du rejet définitif de votre deuxième demande de protection internationale introduite en Belgique, vous auriez décidé de quitter la Belgique en train vers le Luxembourg, où vous déclarez être arrivé en date du 17 juillet 2023.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 19 juillet 2023, vous mentionnez que vous auriez beaucoup maigri et que votre santé ne serait pas bonne. Il y a cependant lieu de soulever que vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Belgique qui est l’Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
Rappelons à cet égard que la Belgique est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. Torture »).
Il y a également lieu de soulever que la Belgique est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la Belgique profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la Belgique est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.
Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Belgique sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires belges.
Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.
Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence la Belgique. Vous ne faites valoir aucun indice que la Belgique ne vous offrirait 4 pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions belges, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».
Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.
Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l’exécution du transfert vers la Belgique, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Belgique, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s’avérer nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la Belgique en informant les autorités belges conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n’ont pas été constatées. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 janvier 2024, inscrite sous le numéro 49966 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 3 janvier 2024.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal administratif est compétent pour connaître durecours principal en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.
En droit et en premier lieu, Monsieur … se prévaut d’une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », au motif que son état de santé serait précaire.
Il invoque, dans ce contexte, l’article 21 de la directive 2013/33/UE du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes d’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive 2013/33 », l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 qui transposerait le prédit article 21, ainsi que l’article 16 de la même loi pour faire valoir que le ministre aurait dû tenir compte de sa situation particulière en tant que personne vulnérable.
En effet, il aurait indiqué lors de son entretien mené dans le cadre de la détermination du pays responsable de l’examen de sa demande de protection internationale qu’il aurait beaucoup maigri et que son état de santé n’aurait pas été bon. Il aurait été convoqué à un examen en date du 10 août 2023 au cours duquel le Dr. H. aurait constaté des symptômes de bronchite, voire de tuberculose et aurait sollicité, dans ce contexte, un examen d’imagerie médical à son égard en date du 22 août 2023 duquel ressortirait qu’il présenterait un discret syndrome bronchique basal. Le demandeur indique, en outre, que l’examen du test sanguin de dépistage de la tuberculose, basé sur l’analyse de libération de l’interféron gamma, aurait révélé qu’il serait atteint d’une tuberculose active ou latente. Dans le cadre de son traitement médical, il serait tenu de se soumettre à un contrôle médical en date du 28 février 2024.
Le demandeur fait encore valoir qu’il résulterait de ses analyses sanguines qu’il serait atteint des maladies d’hépatite B et C et qu’en raison de l’absence d’anticorps aux prédites maladies, des vaccins devraient lui être administrés, ce qui n’aurait pas encore pu se faire en raison du fait que sa température corporelle aurait été trop élevée. Il considère, par ailleurs, que son état de santé se serait fortement détérioré depuis son arrivée au Luxembourg.
En s’emparant de l’article 32 du règlement Dublin III, Monsieur … reproche au ministre de ne pas avoir transmis les informations concernant son état de santé aux autorités belges et de ne pas avoir sollicité des garanties individuelles pour une prise en charge adéquate de ses besoins qui seraient particuliers en termes de conditions d’accueil et de soins de santé.
En renvoyant à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après dénommée « la CJUE », du 21 décembre 20111, dans lequel celle-ci aurait retenu que le transfert de demandeurs d’asile dans le cadre du règlement Dublin III pourrait, dans certaines 1 CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, et M. E. et autres c.
Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, C-493/10.circonstances, être incompatible avec l’interdiction de l’article 4 de la Charte, il affirme encore que son état de vulnérabilité constituerait un élément que le ministre aurait dû prendre en compte dans l’appréciation du risque de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte et de l’article 3 de la CEDH dans le cas d’un transfert vers la Belgique.
Il en conclut que le transfert vers la Belgique entraînerait l’interruption de son suivi et traitement médical, ce qui aurait pour conséquence une aggravation irréversible de son état de santé et ce qui constituerait une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
En second lieu, le demandeur conclut à une violation de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », en arguant que le ministre aurait omis de solliciter une garantie auprès des autorités belges qu’il ne serait pas refoulé vers son pays d’origine, le Congo, où il risquerait de subir des traitements inhumains au sens de l’article 4 de la Charte et 3 de la CEDH, voire où il risquerait sa vie, tout en faisant valoir que le ministre aurait fait une mauvaise interprétation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III en ce qu’il ne se serait pas déclaré compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, malgré la décision de rejet de sa demande de protection internationale en Belgique, décision ayant acquis autorité de chose jugée, de sorte que sa crainte de faire l’objet d’un renvoi vers son pays d’origine serait réelle et fondée, Monsieur … précisant, dans ce contexte, ne pas pouvoir être transféré vers un quelconque autre Etat faute d’être en possession d’une autorisation de séjour.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours sous analyse pour ne pas être fondé.
Le tribunal relève d’abord qu’il n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
2 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 515 et les autres références y citées.L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités belges pour examiner la demande de protection internationale du demandeur, prévoit que « 1. L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25, et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».
En l’espèce, le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision ministérielle déférée a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … est la Belgique, en ce que le demandeur y avait introduit deux demandes de protection internationale en date des 12 mars 2020 et 8 novembre 2021 et que les autorités belges ont accepté sa reprise en charge en date du 4 août 2023.
C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale introduite au Luxembourg, étant souligné que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des autorités belges, ni l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois.
Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En l’espèce, force est de constater que le demandeur reste en défaut d’alléguer et a fortiori de démontrer l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Belgique, ce dernier soutenant, en substance, uniquement que son transfert serait contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ainsi qu’à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en raison de son état de santé, tout en invoquant une violation du principe de non-refoulement.
En ce qui concerne la violation alléguée des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, en raison de l’état de santé du demandeur, le tribunal relève tout d’abord que l’Etat belge est tenu en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la CEDH, au respect des dispositions de celle-ci et de celles du Pacte international des droits civils et politiques et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.
Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats yparticipant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3.
C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4.
Il échet de constater qu’aux termes de l’arrêt de la CJUE du 16 février 20175, l’article 4 de la Charte, et partant également par analogie l’article 3 de la CEDH, doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article6, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 20197, qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant8.
Néanmoins, il ne se dégage pas de cette jurisprudence que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour tout demandeur déclarant avoir un quelconque problème de santé.
En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33 sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats (…) ». Elle a retenu ensuite que « (…) dans des 3 CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, et M. E. et autres c.
Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, C-493/10, point 78.
4 Ibidem, point 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.
5 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
6 Ibidem, points 65 et 96.
7 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.
8 Ibidem, point 88.circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. (…) »9. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « (…) d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert (…) » 10.
Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, telles que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée11.
Or, force est de constater en l’espèce que, s’il ressort certes du rapport médical du 23 août 2023 relatif à un prélèvement sanguin du 10 août 2023 que Monsieur … était susceptible d’être atteint d’une tuberculose active ou latente, il résulte toutefois du rapport médical relatif à l’examen radiologique du 23 août 2023 que ce dernier présente un « discret syndrome bronchique basal, actuellement sous antibiotique, pas de foyer parenchymateux, pas d’élément pour une tuberculose, hypogénésie de la 1° côte gauche », de sorte à exclure la tuberculose.
Il échet ensuite de retenir que contrairement aux affirmations du demandeur, il ne ressort pas des résultats de l’examen sanguin effectué le 10 août 2023 qu’il serait atteint d’une hépatite B ou C, ni qu’un traitement médical spécifique, autre que des vaccins, lui aurait été prescrit en ce sens.
9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.
10 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.
11 Ibidem, point 83.Force est partant au tribunal de constater qu’au-delà d’un contrôle médical prévu le 28 février 2024, il ne ressort d’aucun élément à sa disposition qu’un transfert du concerné vers la Belgique pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers la Belgique, ce dernier ne faisant actuellement, d’après les éléments soumis à l’analyse du tribunal, l’objet d’un quelconque traitement médical.
Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en Belgique des soins médicaux dont il pourrait, le cas échéant, avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976.
Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale débouté de sa demande, au système de santé belge, quod non, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit internes, voire devant les instances européennes adéquates.
Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que le demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière s’opposant à son transfert vers la Belgique.
A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1er une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la Belgique par le biais de la communication aux autorités belges des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une violation par la décision ministérielle litigieuse des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte du fait que le ministre n’aurait pas tenu compte de sa situation particulière de personne vulnérable est à rejeter pour être non fondé. Sur base des mêmes considérations, il y a lieu de rejeter le moyen du demandeur fondé sur une violation des articles 15 et 16 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que sur l’article 21 de la directive 2013/33, étant encore précisé que le demandeur est resté en défaut d’affirmer et partant a fortiori d’établir l’effet direct du prédit article de la directive 2013/33. Aucun reproche ne saurait, par ailleurs, au regard des conclusions qui précèdent, être adressé au ministre en relation avec l’article 32 du règlement Dublin III.
En ce qui concerne ensuite le risque allégué d’une expulsion en cascade vers la République démocratique du Congo, le tribunal constate tout d’abord que la décision entreprise n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, étant relevé que ledit Etat membre, en l’occurrence la Belgique, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.
Force est ensuite de relever que, dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la CourEDH a précisé qu’elle se gardait d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les Etats remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève, sa préoccupation essentielle étant de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent l’intéressé contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui, la CourEDH ayant encore retenu que l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant.
Compte tenu de l’importance que la CourEDH attache à l’article 3 de la CEDH et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours demande cependant impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, c’est-à-dire un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la CEDH, la préoccupation essentielle de la CourEDH étant de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le demandeur contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine, la CourEDH ayant encore souligné que lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la CourEDH de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueilles par eux.
Il se dégage en conséquence de cette jurisprudence que le transfert d’un demandeur de protection internationale du Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre, soit qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat, soit qu’il ne bénéficierait pas d’une protection contre le refoulement vers son pays d’origine dans l’Etat intermédiaire responsable du traitement de sa demande de protection internationale, à savoir en l’occurrence la Belgique.
Cette jurisprudence impose dès lors la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce de l’intéressé.
Force est toutefois de constater qu’en l’espèce, le demandeur n’apporte aucun élément de nature à établir qu’il risquerait des mauvais traitements en cas de retour en Belgique. Il ne se dégage ainsi pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Belgique, ni que ses droits ne seraient pas garantis en Belgique, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale déboutés en Belgique ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que les demandeurs de protection internationaledéboutés n’auraient en Belgique aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore rappelé que la Belgique est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.
Le demandeur reste dès lors en défaut d’étayer concrètement l’existence dans son chef d’un risque de se voir renvoyer arbitrairement par les autorités belges vers son pays d’origine, le concerné ne fournissant pas d’éléments susceptibles de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe du non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient mises sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.
Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que si les autorités belges devaient néanmoins décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation de l’articles 3 de la CEDH, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates.
Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur vers la Belgique l’exposerait à un retour forcé en République démocratique du Congo, qui serait contraire au principe de non-refoulement découlant, de l’article 33 de la Convention de Genève.
En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, celui-ci dispose que « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres12. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge13, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration14.
12 CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, et M. E. et autres c.
Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 65.
13 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.
14 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.En l’espèce, le demandeur invoque un risque d’expulsion en cascade pour soutenir que le ministre aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.
En ce qui concerne une violation du principe de non-refoulement dans le chef de Monsieur …, étant donné que le tribunal vient de rejeter les moyens tirés d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte à cet égard et que, tel que retenu ci-avant, il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que le transfert du demandeur vers la Belgique l’exposerait à un retour forcé en République démocratique du Congo, qui serait contraire audit principe de non-refoulement de l’article 33 de la Convention de Genève, il n’entrevoit pas non plus d’éléments de nature à justifier dans le cas du demandeur le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la Belgique, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 22 février 2024 à 14.00 heures par :
Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 14