Tribunal administratif N° 50126 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50126 2e chambre Inscrit le 1er mars 2024 Audience publique du 25 mars 2024 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 50126 du rôle et déposée le 1er mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marcel Marigo, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Niger), de nationalité togolaise, agissant en son nom personnel, ainsi qu’au nom et pour compte de son enfant mineur …, née le … à … (Togo), toutes deux de nationalité togolaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, suivant son dispositif, à l’annulation, sinon à la réformation, d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 16 février 2024 de la transférer elle et son enfant mineur vers la France, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement du 8 mars 2024 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo et Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 mars 2024.
Le 10 août 2023, Madame …, déclarant agir en son nom personnel, ainsi qu’au nom et pour compte de son enfant mineur …, introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le même jour, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée à la même date dans la base de données AE.VIS, que Madame … s’était vu délivrer par les autorités françaises un visa de type court séjour valable du 27 juillet 2023 au 10 septembre 2023.
Le 11 août 2023, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».
En date du 4 octobre 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises aux fins de la prise en charge de Madame … et de son enfant mineur sur base de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par celles-ci par courrier du 4 décembre 2023.
Par décision du 16 février 2024, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le 19 février 2024, le ministre informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de la transférer, ensemble avec son enfant mineur, dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :
« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 10 août 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 12(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférées vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.
Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.
En mains le rapport de Police Judiciaire du 10 août 2023 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 11 août 2023.
1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 10 août 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.
La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n'a fourni aucun résultat.
Il résulte cependant des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré un visa, valable du 27 juillet 2023 jusqu'au 10 septembre 2023.
Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 11 août 2023.
2 Sur cette base, une demande de prise en charge en vertu de l'article 12(2) du règlement DIII a été adressée aux autorités françaises en date du 4 octobre 2023, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 1er décembre 2023, respectivement en date du 5 décembre 2023 pour votre enfant.
2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.
Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.
La responsabilité de la France est acquise suivant l'article 12(2) du règlement DIII en ce que le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité au moment de l'introduction de la demande de protection internationale au Luxembourg et que l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
Un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).
3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que la France vous a délivré un visa Schengen, valable du 27 juillet 2023 jusqu'au 10 septembre 2023.
Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Togo en date du 13 juillet 2023. Un passeur vous aurait organisé un visa pour vous rendre en Europe, mais vous n'auriez pas connu le pays de destination. Lorsque vous êtes arrivée en Europe avec votre fille, un deuxième passeur vous aurait accompagnées au Luxembourg. Vous seriez restées quelques jours chez une femme avant d'introduire une demande de protection internationale.
Lors de votre entretien Dublin III en date du 11 août 2023, vous avez indiqué avoir des maux de tête. Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.
3 Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).
Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).
Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.
Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.
Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.
Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.
Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en France, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités françaises ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes françaises, notamment judiciaires.
Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.
Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.
Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.
4 Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.
Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.
Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférées. Par ailleurs, si cela s'avère être nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.
D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2024, Madame … a fait introduire un recours tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est en principe seul tenu, à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle, précitée, du 16 février 2024.
Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité entraînant qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit contre la même décision.
Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) introduit par la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation en ce qu’il est dirigé contre la décision du 16 février 2024. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre principal.
Le recours subsidiaire en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse réitère les rétroactes ayant mené à la décision déférée du 16 février 2024.
En droit, la demanderesse fait état d’une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) durèglement Dublin III et de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».
Quant à la violation alléguée des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, la demanderesse fait d’abord valoir qu’elle souffrirait de diverses maladies, tel que cela serait attesté par les certificats médicaux versés en cause, tout en donnant à considérer que, selon elle, il n’existerait aucune garantie que les autorités françaises respectent les prescriptions de la directive n°2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »). Ce constat s’imposerait d’autant plus que lesdites autorités ne lui auraient fourni aucune assistance médicale adéquate et effective à son arrivée avec sa fille mineure sur le territoire français et ce, malgré les obligations leur imposées en termes d’assistance médicale et d’accueil suivant les articles 17, 19 et 21 de ladite directive. Or, il se dégagerait des « pièces médicales » versées en cause que les autorités luxembourgeoises auraient, quant à elles, apporté une assistance médicale appropriée à la demanderesse et à son enfant mineur suite à l’introduction de la demande de protection internationale.
La demanderesse est ensuite d’avis que la référence faite par le ministre à la circonstance que la France est liée par un certain nombre d’instruments internationaux énumérés dans la décision ministérielle déférée ne signifierait pas ipso facto que les actions ou actes posés par cet Etat membre, notamment en ce qui concerne l’accueil des demandeurs de protection internationale, soient en phase avec les exigences desdits instruments juridiques.
Elle affirme, à cet égard, que le traitement qui aurait été réservé par les autorités françaises à elle et à son enfant mineur, en tant que personnes vulnérables, démontrerait à suffisance une violation desdits instruments juridiques par la France.
Au vu de ces considérations, la demanderesse estime que son transfert avec son enfant mineur vers la France les exposerait à un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
La demanderesse invoque ensuite une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III en faisant valoir que même s’il existait une présomption renforcée du respect des droits fondamentaux par les Etats membres de l’Union européenne, il ne s’agirait pas d’une présomption irréfragable, mais, au contraire, cette présomption pourrait être utilement combattue par des éléments démontrant que le système de protection connaît, dans l’Etat membre responsable, des défaillances graves et systémiques.
En se référant à un article de l’organisation non gouvernementale Amnesty International de 2023, intitulé « Loi « Asile et Immigration » : Le recul historique de la France », la demanderesse estime qu’il serait constant que le risque qu’elle et son enfant mineur subissent de mauvais traitements contraires à l’article 4 de la Charte demeurerait réel et réalisable, de sorte que les autorités luxembourgeoises ne pourraient pas se baser valablement sur le principe de la confiance mutuelle pour justifier l’application de l’article 12, « paragraphe (1), point d » du règlement Dublin III. Elle rappelle, à cet égard, que ledit règlement interdirait aux Etats membres de transférer un demandeur d’asile vers un autre Etat membre lorsqu’ils ne pourraient ignorer l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans ce dernier pays.
La demanderesse s’empare enfin de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et reproche au ministre d’avoir pris la décision litigieuse alors même qu’il aurait été aucourant du fait qu’elle-même et son enfant mineur se trouveraient dans une situation de particulière vulnérabilité, notamment eu égard à leur état de santé. Ainsi, l’état de santé mental de son enfant se dégagerait à suffisance de l’attestation médicale versée en cause, tandis que son propre état de santé serait également documenté à suffisance par des pièces versées en cause.
Elle insiste sur le fait que comme elle n’aurait jamais bénéficié d’une quelconque prise en charge médicale de la part des autorités françaises, le ministre ne pourrait, en tout état de cause, pas invoquer les dispositions des articles 31 et 32 du règlement Dublin III à l’appui de la décision litigieuse.
Enfin, la demanderesse se prévaut du principe de non-refoulement découlant de l’article 33 de la Convention de Genève, en affirmant que son transfert avec sa fille mineure vers la France constituerait un refoulement en violation de ladite disposition en ce qu’elles seraient soumises dans ce pays, en tant que demandeurs de protection internationale, à des conditions matérielles d’hébergement inhumaines et dégradantes.
Le délégué du gouvernement, conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Il affirme que compte tenu du fait que la demanderesse s’est vue délivrer de la part de la France un visa valable du 27 juillet au 10 septembre 2023 et que les autorités françaises avaient accepté sa prise en charge, ainsi que celle de sa fille, ce serait a priori à bon droit que le ministre a décidé de les transférer vers la France.
Il réfute ensuite l’existence, en France, de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qui empêcheraient tout transfert de demandeurs de protection internationale vers ce pays en insistant sur le fait que le système européen commun d’asile reposerait sur la présomption réfragable que l’ensemble des Etats y participants, dont la France, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard. Il ajoute qu’il appartiendrait aux demandeurs de protection internationale de fournir des éléments concrets permettant de retenir, malgré la présomption prévisée, l’existence, en France, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil, ce que la demanderesse resterait en défaut de faire. Elle ne démontrerait pas non plus que les conditions matérielles d’accueil en France seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement extrême telle que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement interdit par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Le délégué du gouvernement ajoute que la demanderesse n’aurait pas avancé à un quelconque moment des éléments concrets et individuels susceptibles de démontrer qu’en cas de transfert, elle serait personnellement exposée au risque que ses besoins essentiels minimaux, ainsi que ceux de son enfant, ne soient pas satisfaits en France et ce de manière durable, sans perspective d’amélioration au point qu’il aurait fallu renoncer à leur transfert.
Il relève encore qu’il ne se dégagerait pas du dossier administratif que l’état de santé physique et mentale de la demanderesse et de son enfant serait d’une gravité particulière et que leur transfert vers la France pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur ceux-ci, respectivement que leur état de santé physique et mentale s’opposerait à leur transfert vers la France. Il apparaîtrait plus particulièrement que la demanderesse n’apporterait aucun élément permettant de saisir le diagnostic exact des éventuelles pathologies dont elle souffrirait elle-même, ainsi que son enfant, ni le traitement qui serait suivi, ni les conséquences d’une absence d’un tel traitement. Il s’ensuivrait que le seuil de gravité requis par la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») dans son arrêt du 16 février 20171 ne serait pas atteint.
A cela s’ajouterait qu’en ce qui concerne la deuxième condition à remplir, à savoir que le transfert doit avoir un impact significatif et irrémédiable sur l’état de santé de la demanderesse et de son enfant mineur, il se dégagerait du dossier administratif que leur état de santé n’aurait pas empêché leur parcours migratoire jusqu’au Luxembourg. Par ailleurs, il ne ressortirait pas des pièces versées en cause que leur médecin déconseillerait leur transfert vers la France. Le délégué du gouvernement fait encore valoir qu’il ne faudrait pas perdre de vue qu’il ne serait de toute façon pas établi que la demanderesse et sa fille ne pourraient pas avoir accès aux soins le cas échéant nécessaires en France, voire que même si tel devait être le cas, elles pourraient et devraient faire valoir leurs droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit internes, voire auprès des instances européennes adéquates.
Sur base de ces considérations, le délégué du gouvernement conclut que la demanderesse n’aurait pas démontré que son transfert vers la France l’exposerait elle et sa fille à des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Enfin, il insiste sur le fait que le règlement Dublin III ne s’opposerait de toute façon pas au transfert des personnes vulnérables, mais prévoirait dans son article 32, paragraphe (1), alinéa 1 une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seuls fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, de sorte qu’en cas de besoin, il pourrait être tenu compte de l’état de santé de la demanderesse et de son enfant lors de l’organisation du transfert vers la France par le biais de la communication aux autorités françaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables les concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III.
Pour ce qui est de la violation alléguée par le ministre de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen, en insistant sur le fait qu’il ne se dégagerait d’aucun élément du dossier administratif que la demanderesse et son enfant mineur se trouveraient dans une situation de vulnérabilité particulière, de sorte qu’il n’existerait pas non plus d’éléments de nature à justifier le recours à la clause discrétionnaire, ce d’autant plus qu’une éventuelle vulnérabilité de la personne à transférer n’entraînerait pas une obligation pour un Etat membre de se déclarer compétent sur base de l’article 17, paragraphe (1), précité.
Enfin, le moyen tiré du fait que le transfert de la demanderesse et de son enfant vers la France constituerait un refoulement en violation des dispositions de l’article 33 de la Convention de Genève serait également à rejeter puisque Madame … resterait en défaut 1 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.d’établir qu’elles risqueraient d’être soumises en France à des conditions matérielles d’hébergement inhumaines et dégradantes.
Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) no604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
L’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été notamment prise dispose, quant à lui, que : « […] Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’Etat membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre Etat membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (1). Dans ce cas, l’Etat membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».
Il est en l’espèce constant en cause que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Madame …. Etant donné qu’il n’est pas contesté, pour se dégager, par ailleurs, du dossier administratif, que la France lui a délivré un visa Schengen valable du 27 juillet au 10 septembre 2023, ledit pays est effectivement à considérer comme étant responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, étant encore relevé qu’en date du 4 décembre 2023, les autorités françaises ont accepté de la prendre en charge elle et son enfant sur le fondement de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III.
C’est dès lors a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer la demanderesse et son enfant mineur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale, étant relevé que l’intéressée ne conteste pas la compétence de principe de la France, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour connaître de sa demande de protection internationale.
Il y a lieu de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure dedétermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.
En l’espèce, la demanderesse soutient que la décision déférée serait contraire aux articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte, 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et 33 de la Convention de Genève.
En ce qui concerne tout d’abord le moyen ayant trait à la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, celui-ci dispose comme suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ».
Le tribunal est amené à constater que, dans le cadre de son argumentation ayant trait au prédit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, la demanderesse invoque surtout un risque de subir en France des mauvais traitements au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et ce, en raison des dysfonctionnements dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil dans ce pays.
S’agissant d’abord de l’existence de défaillances systémiques au sein de la procédure d’asile, respectivement du système d’accueil français et d’une possible violation de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, le tribunal est amené à rappeler que la France est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats membres, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants.
Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt. 78.ainsi qu’à la CEDH. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il y a lieu d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces communiquées, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.
Le tribunal est encore amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives3, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE4, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt du 16 février 20175.
Quant à la preuve à rapporter par le demandeur de protection internationale, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20196 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine7. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant8.
En l’espèce, la demanderesse remettant en question la présomption du respect par la France des droits fondamentaux, puisqu’elle fait état de défaillances systémiques dans ce pays, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser en présentant des éléments permettant de retenir que la situation en France telle que décrite par elle atteint le 3 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.
4 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62 5 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.
6 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.
91.
7 Ibid., pt. 92 8 Ibid., pt. 93.degré de gravité requis par la jurisprudence précitée de la CJUE et des principes dégagés ci-
avant.
Or, force est de relever que pareilles défaillances systémiques atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal.
Le tribunal constate, en effet, que la demanderesse se limite à affirmer de manière péremptoire qu’il existerait des défaillances systémiques en France, voire que le principe de confiance mutuelle ne pourrait pas jouer, sans préciser en quoi consisteraient concrètement ces défaillances, respectivement pour quelle raison le principe de confiance mutuelle ne pourrait pas jouer dans le chef de la France.
Elle n’apporte plus particulièrement aucun élément de nature à établir qu’elle risquerait des mauvais traitements en cas de transfert en France, de même qu’elle n’apporte pas non plus la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en France, étant relevé que lors de son entretien Dublin III, la demanderesse n’a ni affirmé que ses droits n’auraient pas été respectés en France lors de son arrivée sur le territoire français, ni plus particulièrement que malgré des démarches effectuées en ce sens, elle n’aurait pas pu y déposer une demande de protection internationale. Le tribunal relève, par ailleurs, qu’outre le fait que le demanderesse n’a pas déclaré lors de son entretien Dublin III avoir à un moment donné infructueusement sollicité l’aide ou l’assistance des autorités françaises en raison de son état de santé, dans la mesure où elle n’avait pas la qualité de demandeur de protection internationale lorsqu’elle se trouvait en France, elle ne saurait plus particulièrement reprocher aux autorités dudit pays un non-respect des prescriptions prévues dans la directive Accueil qui ne s’appliquent, en effet, qu’aux personnes ayant la qualité de demandeur de protection internationale.
Le tribunal ne s’est pas non plus vu soumettre un quelconque élément de preuve, tel que notamment des rapports internationaux, relatif aux difficultés que rencontreraient de manière générale les autorités françaises dans le traitement des demandes de protection internationale et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, de même qu’il ne se dégage pas davantage des éléments de la cause que concrètement les autorités françaises compétentes risquent de violer le droit de la demanderesse à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de sa demande de protection internationale ou qu’elles risquent de refuser de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, la demanderesse n’ayant, en effet, avancé aucun élément concret permettant de conclure que sa procédure d’asile ne serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive Accueil.
La demanderesse a, par ailleurs, répondu à la question de l’agent de la direction de l’Immigration relative à la raison de son refus de se rendre en France pour y voir traiter sa demande de protection internationale qu’elle ne pourrait pas répondre à cette question parce qu’elle ne connaîtrait pas ledit pays9.
Le tribunal relève également que la demanderesse n’établit pas non plus que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en France ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir en usant des voies de droit adéquates, étant encore 9 Page 5 du rapport d’entretien Dublin.relevé que la France est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.
Pour ce qui est de l’article de l’organisation Amnesty International invoqué en cause lequel traite de la loi française « Asile et Immigration », ledit article ne contient qu’une prise de position de ladite organisation au sujet de la loi en question, mais il ne s’agit pas d’un rapport sur les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en France dont il se dégagerait que la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale seraient caractérisées dans cet Etat membre par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour tout demandeur de protection internationale, d’y être systématiquement exposé à une situation de précarité et de dénuement matériel et psychologique telle que son transfert constituerait en règle générale un traitement contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Le tribunal relève encore que la demanderesse ne fournit pas de précisions quant à la situation des personnes transférées vers la France dans le cadre du règlement Dublin III, ni n’invoque-t-elle une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») relative à une suspension générale des transferts vers la France, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. La demanderesse ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis de l’UNHCR interdisant les transferts vers la France dans le cadre du règlement Dublin III, en raison plus particulièrement de la politique d’asile française.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, il ne saurait être reproché aux autorités françaises des défaillances systémiques dans le cadre de la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale empêchant un transfert de la demanderesse et de son enfant mineur vers ce pays, de sorte que le moyen de la demanderesse fondé sur une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III encourt le rejet pour ne pas être fondé.
Dans la mesure où la demanderesse reste en défaut de prouver que les demandeurs de protection internationale transférés en France dans le cadre du règlement Dublin et plus particulièrement une mère accompagnée de son enfant mineur sont sérieusement à risque d’y être soumis à des conditions matérielles d’hébergement et d’accueil inhumaines et dégradantes au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le moyen tiré du fait que le transfert vers la France interviendrait en violation du principe de non-refoulement ancré à l’article 33 de la Convention de Genève, en ce qu’il est fondé sur la même prémisse, encourt également le rejet.
Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH,corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable10.
Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte11, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant12.
Il ne se dégage cependant pas de l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017, précité, que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.
En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive Accueil sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves: « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors 10 CourEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CourEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, pts. 65 et 96 12 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17. que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […]13 ».
Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […]14 ».
La CJUE a souligné que dans une telle situation, il appartient alors à ces autorités « d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé » et qu’en particulier « lorsqu’il s’agit d’une affection grave d’ordre psychiatrique, de ne pas s’arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d’un État membre à un autre, mais de prendre en considération l’ensemble des conséquences significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert » et que dans ce cadre, « les autorités de l’État membre concerné doivent vérifier si l’état de santé de la personne en cause pourra être sauvegardé de manière appropriée et suffisante en prenant les précautions envisagées par le règlement Dublin III et, dans l’affirmative, mettre en œuvre ces précautions »15, tout en relevant que suivant la jurisprudence de la CourEDH « l’article 3 de la CEDH n’oblige, en principe, pas un État contractant à s’abstenir de procéder à l’éloignement ou à l’expulsion d’une personne lorsque celle-ci est apte à voyager et à condition que les mesures nécessaires, appropriées et adaptées à l’état de la personne soient prises à cet égard »16.
Cette jurisprudence vise dès lors l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, telles que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée17.
La CJUE s’est, par ailleurs, référée à la jurisprudence de la CourEDH suivant laquelle, s’agissant de circonstances dans lesquelles les difficultés d’ordre psychiatrique que connaît un demandeur d’asile révèlent chez celui-ci des tendances suicidaires, le fait qu’une personne dont l’éloignement a été ordonné fait des menaces de suicide n’astreint pas l’Etat contractant à s’abstenir d’exécuter la mesure envisagée s’il prend des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation.
13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.
14 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.
15 Ibidem, points 76 et 77.
16 Ibidem, points 78.
17 Trib. adm., 8 janvier 2020, n° 43800 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu, ayant repris ces principes.La CJUE a encore relevé la coopération entre l’Etat membre devant procéder au transfert et l’Etat membre responsable afin d’assurer que le demandeur d’asile concerné reçoive des soins de santé pendant et à l’issue du transfert, l’Etat membre procédant au transfert devant s’assurer que le demandeur d’asile concerné bénéficie de soins dès son arrivée dans l’Etat membre responsable, les articles 31 et 32 du règlement Dublin III imposant, en effet, à l’Etat membre procédant au transfert de communiquer à l’Etat membre responsable les informations concernant l’état de santé du demandeur d’asile qui sont de nature à permettre à cet Etat membre de lui apporter les soins de santé urgents indispensables à la sauvegarde de ses intérêts essentiels.
Ainsi, ce n’est que dans l’hypothèse où la prise de précautions de la part de l’Etat membre procédant au transfert ne suffirait pas, compte tenu de la gravité particulière de l’affection du demandeur d’asile concerné, à assurer que le transfert de celui-ci n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, qu’il incomberait aux autorités de l’Etat membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de cette personne, et ce aussi longtemps que son état ne la rend pas apte à un tel transfert.
En l’espèce, la demanderesse a soutenu, dans le cadre de son recours, souffrir de diverses maladies, tandis que son enfant mineur bénéficierait d’un suivi psychologique, de sorte que leurs états de santé respectifs s’opposeraient à leur transfert en France au motif qu’il serait constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.
Il appartient dès lors au tribunal de vérifier si l’état de santé de la demanderesse et de son enfant présente une gravité telle qu’il y a de sérieux doutes de croire que le transfert de celles-ci entraînerait pour elles un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte18.
Il convient, à cet égard, tout d’abord de relever que lors de son entretien Dublin, la demanderesse n’a pas fait état de problèmes de santé particuliers tant en ce qui la concerne personnellement que pour ce qui est de sa fille. Elle a, en effet, déclaré « [j]’ai des maux de tête et au foyer on m’a donné des médicaments. Ma fille va bien aussi. »19.
Ensuite, il se dégage certes des pièces versées au moment du dépôt du recours sous analyse que suivant une ordonnance médicale du 16 janvier 2024, délivrée par le docteur …, de la Cellule Santé des DPI, direction de la Santé, au nom de l’enfant mineur de la demanderesse, ledit médecin a retenu, suite à une consultation de pédiatrie, ce qui suit : « Anorexie et non prise de poids ++ avis spécialisé ++ », de même qu’il se dégage d’une ordonnance médicale délivrée le 19 janvier 2024 par le docteur …, médecin-spécialiste en pédiatrie, que l’enfant s’est vue prescrire des médicaments pour une pathologie y non spécifiée, tandis qu’il se dégage d’un document intitulé « Attestation de prise en charge psychologique », émis le 28 février 2024 par la « … », que l’enfant mineur de la demanderesse fait l’objet d’un « suivi psychologique à raison d’une fois par semaine depuis le 7/02/2024 ». Ces pièces ne permettent toutefois pas de retenir que l’état de santé de l’enfant mineur serait d’une gravité particulière, voire qu’un transfert vers la France pourrait entraîner des conséquences significatives et irrémédiables sur celui-ci, ni surtout ne fournissent-elles des indices concrets selon lesquels elle ne pourrait pas bénéficier en France des soins médicaux dont elle pourrait avoir besoin.
18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.
19 Page 2 du rapport d’entretien.
En ce qui concerne l’état de santé de la demanderesse, tel que relevé, ci-avant, celle-ci n’a fait état lors de son entretien Dublin que de maux de tête, tandis qu’elle a versé au moment du dépôt du recours sous analyse un document intitulé « Certificat : Attestation de suivi psychologique », émis le 23 février 2024 par un psychologue de la Cellule Ethno-
psychologique du Service Migrants et Réfugiés de la Croix-Rouge qui atteste que la demanderesse « a bénéficié d’un suivi psychologique depuis le 01/09/2023, et ce à raison d’une fois par semaine ». Elle a encore versé à cette même occasion des ordonnances médicales datant du mois d’août 2023 et faisant état de problèmes d’ordre gynécologique en relation avec lesquels elle a fait une échographie et s’est vue prescrire un antibiotique. Or, il ne se dégage pas de ces seules pièces que l’état de santé de la demanderesse serait d’une gravité particulière, voire qu’un transfert vers la France pourrait entraîner des conséquences significatives et irrémédiables sur celui-ci, ni surtout ne fournissent-elles des indices concrets selon lesquels la demanderesse ne pourrait pas bénéficier en France des soins médicaux dont elle pourrait avoir besoin.
Il ne saurait dès lors être reproché au ministre, compte tenu des déclarations faites par la demanderesse dans le cadre de son entretien Dublin et au vu des pièces à sa disposition au moment de la prise de la décision sous analyse d’avoir retenu que la demanderesse n’avait fourni aucun élément concret sur son état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France.
Il n’en reste pas moins qu’il se dégage du certificat médical émis le 12 mars 2024 par le docteur … du service de … du Centre Hospitalier de Luxembourg que la demanderesse « a été admise dans [le] service de …, en entrée non volontaire, à la date du 05.03.2024. En effet, la patiente avait tenté de se suicider par pendaison dans le contexte d’une situation personnelle et administrative complexe. ». Il s’en dégage encore que « [a]ctuellement, la patiente présente une angoisse permanente d’un retour forcé en France avec également la crainte de se retrouver de nouveau dans une situation de précarité majeure. La patiente décrit que sa fille s’est depuis plusieurs mois bien intégrée dans une école à …. Afin de pouvoir permettre à sa fille d’avoir un maximum de stabilité et de pouvoir continuer à se sentir en sécurité, la patiente avait imaginé un suicide altruiste. En effet, Mme … s’imaginait que sa fille pouvait rester au Luxembourg si elle se suicidait. Actuellement la patiente ne représente plus de danger pour elle-même ni pour autrui. Elle est capable de s’occuper de sa fille de manière adéquate sans se mettre en danger et sans mettre en danger sa fille. La patiente a cependant besoin d’une stabilité dans son environnement en « foyer » et dans ses interactions sociales. Elle a également besoin de savoir que sa fille puisse bénéficier de la même stabilité en continuant à fréquenter l’école. En cas de nouvelle rupture violente dans son quotidien, la patiente serait à risque de commettre un acte de désespoir. La patiente ne doit pas être déplacée dans un autre pays pour une durée d’au moins trois mois, pour des raisons médicales. Dans le cas contraire, le pronostic vital de la patiente pourrait être engagé. ». Ledit rapport conclut que « [l]a patiente souffre d’un syndrome de stress post-traumatisme complexe associé à une symptomatologie dépressive. Actuellement il n’existe pas de dangerosité pour elle-même ou pour autrui à condition qu’elle puisse bénéficier d’un environnement social et physique stable. ».
Le tribunal se doit à cet égard de rappeler qu’il statue en l’espèce dans le cadre d’un recours en réformation qui est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’illa confirme ou la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été amenée à statuer, voire à refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés20.
Sur base des éléments soumis à son analyse, le tribunal se doit de constater que l’état de santé de Madame … est susceptible de remplir le seuil de gravité requis par la CJUE dans son arrêt précité du 16 février 2017, alors qu’elle souffre de dépressions et de troubles de stress post-traumatique et qu’elle a tenté de se suicider par pendaison le 5 mars 2024 en raison de sa peur d’un retour forcé vers la France et dans l’idée que sa fille pourrait, en raison de son décès, rester au Luxembourg. S’il se dégage du rapport médical versé en cause que son état psychique s’est entretemps stabilisé, il n’en reste pas moins qu’il s’en dégage aussi qu’il est déconseillé de procéder à son transfert au moins pendant les trois prochains mois, au risque d’engager son pronostic vital.
Au vu de ces considérations, il ne peut dès lors pas être exclu que la demanderesse encourt en raison du transfert en lui-même un risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé.
De ce fait, le tribunal se doit de conclure que l’état de santé de la demanderesse requiert de la part des autorités luxembourgeoises non seulement de s’assurer auprès des autorités françaises que son état de santé pourra être sauvegardé de manière appropriée et suffisante en France en prenant les précautions nécessaires, appropriées et adaptées à la personne de la demanderesse, mais surtout d’éliminer, au préalable, par avis médical, tout doute sur l’impact que le transfert en lui-même pourra avoir sur l’état de santé de la demanderesse en s’assurant plus particulièrement que celui-ci pourra être exécuté dans des conditions telles qu’elle ne sera pas exposée, du fait même de l’exécution du transfert, à une dégradation significative et irrémédiable de son état de santé. Or, dans la mesure où il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que le ministre ait procédé, sur la toile de fond du rapport médical du 12 mars 2024, à une quelconque analyse de l’impact que le transfert en lui-même pourra avoir sur l’état de santé de la demanderesse, il ne peut, au moment où il est appelé à statuer et sur base des éléments à sa disposition, exclure qu’un transfert de Madame … vers la France n’entraînera pas pour celle-ci un risque de violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, de sorte que la décision litigieuse encourt l’annulation dans le cadre du recours en réformation, sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres moyens, cet examen devenant surabondant.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;
au fond, le déclare justifié ;
20 Cour adm., 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y visées.
partant, dans le cadre du recours subsidiaire en réformation, annule la décision ministérielle du 16 février 2024 et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant le ministre actuellement compétent ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;
condamne l’Etat aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 25 mars 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 19