Tribunal administratif No 45910a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:TADM:2024:45910a 3e chambre Inscrit le 19 avril 2021 Audience publique du 26 mars 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée … SARL, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur la fortune
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JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 45910 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2021 par la société à responsabilité limitée … SARL, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, Monsieur …, tendant à la réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 15 janvier 2021, inscrite sous le numéro …, rejetant sa réclamation introduite en date du 21 octobre 2020 contre le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019, émis le 29 juillet 2020 ;
Vu le jugement interlocutoire du tribunal administratif du 18 avril 2023, inscrit sous le n° 45910 du rôle, posant une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle ;
Vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 novembre 2023, inscrit sous le n° 00185 du registre ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 15 novembre 2023 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;
Vu le mémoire supplémentaire de la société à responsabilité limitée … SARL déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2024 ;
Vu le courrier du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 févier 2024 ;
Revu les pièces versées en cause, et notamment la décision critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur … en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 février 2024.
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En date du 29 juillet 2020, le bureau d’imposition … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée par « la société … », un bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019.
1Par courrier du 19 octobre 2020, réceptionné le 21 octobre 2020, le gérant de la société …, Monsieur …, introduisit, au nom et pour le compte de celle-ci, une réclamation à l’encontre du bulletin de la fortune, prémentionné, auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».
Par décision du 15 janvier 2021, portant le numéro … du rôle, le directeur déclara ladite réclamation recevable mais non fondée. Ladite décision est libellée comme suit :
« […] Vu la requête introduite le 21 octobre 2020 par le sieur …, au nom de la société à responsabilité limitée …, avec siège social à L-…, pour réclamer contre le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019, émis le 29 juillet 2020 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 228 et 301 de la loi générale des impôts (AO);
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu’elle est partant recevable ;
Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition de l’avoir soumise à un impôt sur la fortune minimum d’un montant de 4.815 euros ;
Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d’impôt étant d’ordre public ;
qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-fondé ; qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;
Considérant qu’en guise de motivation la réclamante argue que la législation actuellement en vigueur serait contraire à l’esprit de l’impôt sur la fortune et à l’article 10bis, alinéa 1er de la Constitution ; qu’elle marque son désaccord en ce qui concerne qu’une valeur unitaire négative puisse générer un impôt sur la fortune à hauteur de 4.815 euros, « le taux de base » s’élevant à 5, respectivement à 0,5 pour mille ;
Considérant que si, en l’espèce, la réclamante conteste le montant de l’impôt fixé, il n’en reste pas moins que les bases sur lesquelles s’assied l’imposition ne sont pas attaquées ;
que c’est le calcul-même de l’impôt qui est critiqué par la réclamante ;
Considérant que l’instruction a révélé que les bases d’imposition sont conformes à la loi et aux faits de la cause ;
Considérant qu’il n’appartient pas au directeur des contributions statuant au contentieux de se prononcer sur le bien-fondé des lois ni d’ailleurs sur leur conformité à la Constitution mais uniquement sur leur application ; qu’il échet donc de vérifier si l’impôt dû fixé par le bulletin attaqué a été calculé en conformité avec les §§ 5 à 10 de la loi modifiée de l’impôt sur la fortune (VStG) ;
Considérant que la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier 2019 a été fixée à hauteur de … euros ;
2 Considérant qu’aux termes du § 8, alinéa 1er VStG « L’impôt sur la fortune dû au titre d’une année s’élève a) au cas où la fortune imposable est inférieure ou égale à 500.000.000 euros à 5 pour mille ;
b) au cas où la fortune imposable est supérieure à 500.000.000 euros à la somme de 2.500.000 euros augmentée de la différence entre la fortune imposable et 500.000.000 euros multipliée par 0,5 pour mille. » ;
Considérant qu’en vertu du § 8, alinéa 1er VStG, l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019 s’élève donc à 0 euro ;
Considérant qu’en vertu du § 8, alinéa 2, lettre a VStG, l’impôt sur la fortune est fixé, par dérogation au § 8, alinéa 1er VStG, à 4.815 euros au minimum pour les organismes à caractère collectif ayant leur siège social ou leur administration centrale au Luxembourg dans le chef desquels la somme des immobilisations financières, des créances sur des entreprises liées et sur des entreprises avec lesquelles l’organisme à caractère collectif a un lien de participation, des valeurs mobilières et des avoirs en banques, avoirs en comptes de chèques postaux, chèques et encaisse dépasse 90 pour cent du total du bilan et 350.000 euros ; que par immobilisations financières, créances sur des entreprises liées et sur des entreprises avec lesquelles l’organisme à caractère collectif a un lien de participation, valeurs mobilières et avoirs en banque, avoirs en comptes de chèques postaux, chèques et encaisse, il y a lieu d’entendre les biens qui sont ou seraient à comptabiliser aux comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé ; que pour l’application de la présente lettre, les parts détenues dans des entreprises communes en général sont supposées être comptabilisées aux comptes 231 et 233 du plan comptable normalisé ;
Considérant que s’y juxtapose la lettre b de l’alinéa 2 du même § 8 VStG, retenant notamment que l’impôt sur la fortune est fixé :
- à 535 euros au minimum lorsque le total du bilan est inférieur ou égal à 350.000 euros, - à 1.605 euros au minimum lorsque le total du bilan est supérieur à 350.000 euros et inférieur ou égal à 2.000.000 euros, - à 5.350 euros au minimum lorsque le total du bilan est supérieur à 2.000.000 euros et inférieur ou égal à 10.000.000 euros, - à 10.700 euros au minimum lorsque le total du bilan est supérieur à 10.000.000 euros et inférieur ou égal à 15.000.000 euros, - à 16.050 euros au minimum lorsque le total du bilan est supérieur à 15.000.000 euros et inférieur ou égal à 20.000.000 euros, - à 21.400 euros au minimum lorsque le total du bilan est supérieur à 20.000.000 euros et inférieur ou égal à 30.000.000 euros, - à 32.100 euros au minimum lorsque le total du bilan est supérieur à 30.000.000 euros, pour les autres organismes à caractère collectif ayant leur siège social ou leur administration centrale au Luxembourg ;
3Considérant, en ce qui concerne tout aussi bien l’alinéa 1er du § 8 VStG que l’alinéa 2 du même paragraphe, que par bilan, il y a lieu d’entendre le bilan établi conformément aux dispositions de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu ; que par total du bilan on entend le total du dernier bilan de clôture de l’année d’imposition ;
Considérant que la réclamante a remis la déclaration d’impôt de l’année litigieuse ensemble avec les comptes annuels au 31 décembre 2018 ; que l’actif de la réclamante se présente comme suit :
Immobilisations financières (23*) … Autres Créances … Avoirs en banque, chèques, encaisse (51*) … Somme des comptes 23, 41, 50, 51 … Total du bilan … Considérant qu’il suit de ce qui précède que la somme des immobilisations financières, des créances sur des entreprises liées et sur des entreprises avec lesquelles le contribuable a un lien de participation, des valeurs mobilières et des avoirs en banques, avoirs en comptes de chèques postaux, chèques et encaisse dépasse 90 pour cent du total du bilan et 350.000 euros ; que dès lors l’impôt sur la fortune minimum au 1er janvier 2019 se chiffre à 4.815 euros en vertu du § 8, alinéa 2, lettre a VStG ;
Considérant que l’impôt sur la fortune minimum se substitue à l’impôt sur la fortune dit normal (§ 8, alinéa 1er VStG) lorsque l’impôt sur la fortune minimum est supérieur à l’impôt sur la fortune normal ;
Considérant qu’il suit de ce qui précède que c’est à juste titre que le bureau d’imposition a fixé l’impôt sur la fortune de l’année 2019 en vertu du § 8, alinéa 2, lettre a VStG ;
Considérant que pour le surplus, l’imposition est conforme à la loi et aux faits de la cause et n’est d’ailleurs pas autrement contestée ;
PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] ».
Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 avril 2021, la société …, représentée par son gérant …, a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du directeur, précitée, du 15 janvier 2021.
Par jugement du 18 avril 2023, inscrit sous le numéro 45910 du rôle, le tribunal se déclara d’abord compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la 4décision directoriale précitée du 15 janvier 2021. Il rejeta ensuite les développements du délégué du gouvernement tendant à voir déclarer le recours irrecevable au motif que la requête introductive d’instance aurait été signée, non pas par la société …, mais par Monsieur …, lequel aurait agi à titre privé, le tribunal étant venu à la conclusion que Monsieur … avait signé ladite requête introductive d’instance en sa qualité de gérant de la société en question.
Au vu de ces considérations et à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité, même à soulever d’office, le tribunal déclara le recours en réformation introduit par la société … recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond, le tribunal, après avoir résumé les développements de part et d’autre, nota, en premier lieu, que la société demanderesse ne conteste point ne pas remplir les critères prévus au paragraphe 8, alinéa 2, point a) de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune, appelée « Vermögenssteuergesetz », en abrégé « VStG », disposition légale prévoyant un impôt sur la fortune minimum de 4.815 euros pour un certain type de sociétés et stipulant que : « (2) Par dérogation à l’alinéa 1, l’impôt sur la fortune dû par les contribuables résidents visés par le § 1, alinéa 1, numéro 2 et par le § 3, alinéa 1 numéros 4, 5, 9 et 10 est fixé à a) 4.815 euros au minimum lorsque la somme des immobilisations financières, des créances sur des entreprises liées et sur des entreprises avec lesquelles le contribuable a un lien de participation, des valeurs mobilières et des avoirs en banques, avoirs en comptes de chèques postaux, chèques et encaisse dépasse 90% du total du bilan et 350.000 euros.
Par immobilisations financières, créances sur des entreprises liées et sur des entreprises avec lesquelles le contribuable a un lien de participation, valeurs mobilières et avoirs en banque, avoirs en comptes de chèques postaux, chèques et encaisse, il y a lieu d’entendre les biens qui sont ou seraient à comptabiliser aux comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé. Pour l’application de la présente lettre, les parts détenues dans des entreprises communes en général sont supposées être comptabilisées aux comptes 231 et 233 du plan comptable normalisé; ».
Il nota encore que même si la demanderesse consent remplir les critères visés cumulativement par cette même disposition légale, elle estime cependant que celle-ci devrait être écartée pour être contraire à l’article 10bis de la Constitution, tel qu’en vigueur à l’époque dudit jugement et consacrant le principe d’égalité devant la loi, et tel que repris par l’article 15 de la Constitution révisée, tout en remarquant que l’ensemble des développements de la concernée tournent autour de cette question d’inconstitutionnalité. Au vu de ce constat, il déclara limiter son analyse à l’examen de cette même question.
A cet égard, et après avoir cité le paragraphe 8 VStG, le tribunal releva qu’aux termes de ladite disposition légale, et plus particulièrement aux termes de son alinéa 2, point a), les organismes à caractère collectif dont la somme des immobilisations financières, des créances sur des entreprises liées et sur des entreprises avec lesquelles ils ont un lien de participation, des valeurs mobilières et des avoirs en banques, avoirs en comptes de chèques postaux, chèques et encaisse (« la somme des actifs financiers ») dépasse 90% du total du bilan et dont la somme des actifs financiers dépasse le montant de 350.000 euros, sont d’office soumis à l’impôt sur la fortune minimum de 4.815 euros.
Il en déduisit que seuls les organismes à caractère collectif ne remplissant pas simultanément ces deux conditions tombent sous le champ d’application du point b) de 5l’alinéa 2 du même article, lequel fixe l’impôt sur la fortune redû sur base d’un tarif structuré en fonction de 7 paliers qui se réfèrent au total du bilan des organismes collectifs.
Le tribunal vint ainsi à la conclusion que c’était a priori à juste titre que le directeur avait rejeté la réclamation de la demanderesse et avait confirmé le bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019 émis à l’encontre de celle-ci et ayant fixé l’impôt sur la fortune à 4.815 euros en vertu du paragraphe 8, alinéa 2, point a) VStG.
Il releva ensuite qu’il se trouve, au vu du moyen d’inconstitutionnalité soulevé par la demanderesse, être confronté à la question de savoir si le paragraphe 8, alinéa 2, point a) VStG n’institue pas une différence de traitement discriminatoire sur le plan fiscal entre l’organisme à caractère collectif dont la somme des immobilisations financières, des créances sur des entreprises liées et sur des entreprises avec lesquelles l’organisme à caractère collectif a un lien de participation, des valeurs mobilières et des avoirs en banques, avoirs en comptes de chèques postaux, chèques et encaisse dépasse 90% du total du bilan et celui dont la somme des actifs financiers au sens de cette disposition ne dépasse pas 90% du total du bilan, contribuables se trouvant - en apparence - dans une situation comparable dans la mesure où ils sont tous soumis à l’impôt sur la fortune minimum dont le total du bilan dépasse 350.000 euros.
Après avoir rappelé qu’il doit procéder à l’analyse de cette question pour statuer sur les développements présentés par la demanderesse et qu’il ne peut pas apporter de réponse à la question de savoir si le paragraphe 8, alinéa 2, point a) VStG n’institue pas une différence de traitement discriminatoire sur le plan fiscal entre les contribuables tombant sous le champ d’application de cette disposition et ceux tombant dans celui du point b) du même alinéa, sans empiéter sur la compétence d’attribution de la Cour constitutionnelle, il retint que conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, ci-après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », il est tenu de saisir la Cour constitutionnelle, dans la mesure où une décision sur la question soulevée est nécessaire pour rendre son jugement, que la question n’est pas dénuée de tout fondement et que la Cour constitutionnelle n’a pas déjà statué sur une question ayant le même objet. Il décida ainsi, avant tout progrès en cause, de surseoir à statuer et de demander à la Cour constitutionnelle de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante :
« Le paragraphe 8, alinéa 2, point a) VStG en ce qu’il prévoit un impôt minimum de 4.815 euros par application du seul critère que le total du bilan inclut plus de 90% du total du bilan des montants comptabilisés aux comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé, alors qu’en cas d’un non-dépassement de la limite de 90% du total du bilan, le montant de l’impôt minimum s’élèverait seulement à 1.605 euros par application de l’échelle définie au point b) du même alinéa 2, est-il conforme à l’article 10bis, alinéa 1er de la Constitution en ce qu’il s’applique aux contribuables dont le total du bilan est dans les deux cas supérieur à 350.000 euros et inférieur ou égal à 2.000.000 euros ? ».
Dans son arrêt du 10 novembre 2023, inscrit sous le n° 00185 du registre, la Cour constitutionnelle retint que : « le paragraphe 8, alinéa 2, point a), de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune, appelée « Vermögenssteuergesetz », en abrégé « VStG » dans sa version modifiée par la loi du 23 décembre 2016 portant mise en œuvre de la réforme fiscale 2017 est contraire à l’article 10bis de la Constitution, de même que depuis le 1er juillet 2023, à l’article 15 de la Constitution révisée ayant le même libellé » et qu’« en attendant une réforme législative à intervenir, il y a lieu d’appliquer au 6contribuable visé par l’article 2, du paragraphe 8 VStG tombant a priori sous le point a) l’impôt sur la fortune minimum visé par le point b) chaque fois que celui-ci est plus favorable », sur base de la motivation suivante :
« […] L’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution, dans sa version applicable avant le 1er juillet 2023, dispose : « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ».
Le même libellé a été repris par l’article 15 du texte révisé de la Constitution entré en vigueur le 1er juillet 2023.
Ces articles sont applicables au cas de figure sous analyse en ce qu’ils visent à la fois les personnes physiques et les personnes morales.
La mise en œuvre de la règle constitutionnelle d’égalité suppose que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée se trouvent dans une situation comparable.
Suivant l’analyse du jugement de renvoi, la question de la comparabilité des situations alléguées n’est pas à opérer par rapport aux alinéas 1 et 2 du paragraphe 8 VStG, mais par rapport aux points a) et b) de l’alinéa 2 de ce même paragraphe.
Le paragraphe 8 VStG énonce en son alinéa 1 le principe de l’imposition de la fortune en raison de la fortune imposable suivant un taux fixe de 5 pour 1000 lorsque celle-ci est inférieure ou égale à 500.000.000 euros, tandis que lorsque la fortune imposable dépasse ce seuil, le taux fixe est de 0.5 pour 1000.
Par dérogation à ce principe, l’alinéa 2 du paragraphe 8 VStG prévoit un impôt minimum sur la fortune applicable aux seuls contribuables résidents visés par le paragraphe 1, alinéa 1, numéro 2 et par le paragraphe 3, alinéa 1, numéros 4, 5, 9 et 10 VStG.
L’alinéa 2 énonce deux hypothèses distinctes d’assujettissement à l’impôt minimum sur la fortune en ses points a) et b) correspondant aux deux situations par rapport auxquelles la question de comparabilité se trouve présentement posée.
Le point a) prévoit un impôt minimum forfaitaire de 4.815 euros pour les contribuables prévisés dont la somme des postes de bilan y précisée, correspondant aux comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé, dépasse à la fois 90 % du total du bilan et le seuil de 350.000 euros.
Pour les contribuables pour lesquels la somme des quatre postes de bilan en question ne dépasse pas 90 % du total du bilan et le seuil de 350.000 euros, un impôt minimum est fixé par palier en fonction du montant total de leur bilan.
Selon la formulation de la question préjudicielle posée par le tribunal administratif, la comparabilité des contribuables visés par les points a) et b) de l’alinéa 2, du paragraphe 8 VStG reposerait sur le critère lié au total de leur bilan qui serait, dans les deux cas, supérieur à 350.000 euros et inférieur ou égal à 2.000.000 euros tandis que le seuil de 90 % repris au point a), de l’alinéa 2 serait à l’origine de la différence d’impôt constatée et, de surcroît, succeptible de méconnaître l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution.
7En effet, il découle du libellé de la question préjudicielle soumise que la comparabilité des situations est plus particulièrement recherchée au niveau du point b), de l’alinéa 2, du paragraphe 8 VStG par rapport à sa deuxième phrase qui fixe à 1.605 euros au minimum l’impôt sur la fortune redû lorsque le total du bilan est supérieur à 350.000 euros et inférieur ou égal à 2.000.000 euros, de sorte à être plus favorable que le montant d’impôt forfaitaire de 4.815 euros au minimum prévu par le point a) pour un total du bilan qui serait, en tout état de cause, supérieur à 350.000 euros.
Les facteurs de distinction posés par le point a) sont ceux du dépassement de 90 % du total du bilan par les quatre postes correspondant aux comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé et du seuil de 350.000 euros, de sorte à viser certaines sociétés de type financier en raison de la proportion des comptes précités par rapport au total de leur bilan, soit plus de 90 %, et de la somme totale desdits comptes qui doit être supérieure à 350.000 euros.
Quant au point b), les facteurs de distinction retenus par le législateur reposent sur le total du bilan, indépendamment de sa composition, de manière à inclure tout contribuable non-visé au point a), y compris les contribuables pour lesquels les comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé dépassent 90 % du total de leur bilan sans toutefois dépasser le seuil de 350.000 euros.
Dans le cadre limité des contribuables auxquels s’appliquent les dispositions de l’alinéa 2, du paragraphe 8 VStG, les cas de figure respectifs figurant à ses points a) et b) visent ainsi des contribuables dont la structure bilantaire est semblable en ce que les comptes 23, 41, 50 et 51 de ces sociétés dépassent 90 % du total de leur bilan, de sorte que ces contribuables relèvent d’une catégorie de personnes suffisamment comparables.
Par suite, la différence de traitement soulevée par le tribunal administratif ne saurait trouver son fondement dans le seul critère des 90 % repris au point a) étant donné qu’il n’est pas à l’origine de la différence de régime d’imposition constatée entre les points a) et b) pour ces contribuables.
En effet, ce n’est qu’à partir du dépassement du seuil de 90 % par les comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé par rapport au total de leur bilan que ces contribuables sont distingués par l’ajout de la condition relative au dépassement du seuil de 350.000 euros par lesdits comptes.
L’alinéa 2, du paragraphe 8 VStG, en ses points a) et b), opère partant une différence de traitement entre contribuables se trouvant dans une situation comparable.
Le législateur peut, sans violer le principe constitutionnel de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que la différence instituée procède de disparités objectives, qu’elle soit rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.
Aucune justification n’a pu être fournie par le représentant étatique, ni inférée à partir des travaux parlementaires concernant la différence de traitement ainsi mise en place, de sorte que celle-ci, pour ce qui est du seuil de 350.000 euros pour la somme totale des comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé, est à regarder comme n’étant a priori pas rationnellement justifiée.
8 Au-delà, le principe de l’égalité devant la loi se décline en matière fiscale à travers le principe de la contribution à l’impôt suivant les facultés contributives du contribuable. Ces facultés s’analysent à partir de la réalité économique.
En distinguant les contribuables visés aux points a) et b) par l’ajout d’un second critère au point a) reposant sur le dépassement de la somme de 350.000 euros par les comptes 23, 41, 50 et 51 du plan comptable normalisé, ladite disposition méconnaît la faculté contributive des contribuables y visés.
Lorsque des personnes suffisamment comparables sont de la sorte, susceptibles de tomber sous deux règles d’imposition différentes, il y a lieu à application de la règle la plus favorable.
Partant, le paragraphe 8, alinéa 2, point a), VStG n’est pas conforme à l’article 10bis, pararaphe 1er, de la Constitution, en ce que le seuil y prévu de 350.000 euros ne se trouve pas êre rationnellement justifié. Toutes choses étant restées égales par ailleurs, ledit article est également à déclarer non conforme, à partir du 1er juillet 2023, par rapport à l’article 15 de la Constitution révisé ayant le même libellé que l’article 10bis, paragraphe 1er, antérieur.
En attendant une réforme législative à intervenir et en vue de garder le système opérationnel, il y a lieu d’appliquer au contribuable visé par l’alinéa 2, du paragraphe 8 VStG tombant a priori sous le point a) l’impôt sur la fortune minimum visé par le point b) chaque fois que celui-ci est plus favorable. […] ».
Par avis du 15 novembre 2023, le tribunal accorda aux parties le droit de déposer un mémoire supplémentaire afin de prendre position quant aux conclusions de l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle du 10 novembre 2023.
Dans son mémoire supplémentaire, la demanderesse, en se référant à l’article 15, alinéa 2 de la loi du 27 juillet 1997, donne en premier lieu à considérer que le tribunal de céans serait lié par le prédit arrêt de la Cour constitutionnelle, de sorte qu’il lui appartiendrait de réformer la décision directoriale litigieuse et de fixer l’impôt sur la fortune redû à 1.605 euros. Elle ajoute que de son point de vue, la réforme législative qui devait intervenir suite au prédit arrêt de la Cour constitutionnelle n’aurait pas d’incidence en ce qui concerne le recours sous analyse dans la mesure où elle ne saurait concerner l’année fiscale litigieuse, à savoir l’année 2019.
En reprochant à la partie étatique un « comportement incompréhensible », la demanderesse sollicite encore la condamnation de celle-ci à lui payer une indemnité de procédure de 3.000 euros, somme qui correspondrait aux honoraires lui réclamés par l’avocat auquel elle aurait nécessairement dû faire appel pour déposer ses conclusions devant la Cour constitutionnelle.
Le délégué du gouvernement, de son côté, n’a pas déposé de mémoire additionnel en bonne et due forme, mais s’est contenté d’adresser un courrier au tribunal de céans en date du 6 février 2024, auquel fut joint une copie d’un nouveau bulletin d’imposition sur la fortune au 1er janvier 2019 émis le 31 janvier 2024 à l’égard de la demanderesse.
9Force est d’abord de constater qu’il ressort du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019 ainsi soumis au tribunal, que l’administration des Contributions directes a tenu compte des conclusions retenues par la Cour constitutionnelle dans le prédit arrêt du 10 novembre 2023, et a, en conséquence, procédé à une rectification du bulletin sur la fortune initial émis à l’égard de la demanderesse en faisant application du point b) du paragraphe 8, alinéa 2, VStG , et en fixant ledit impôt à 1.605 euros.
Ce faisant, l’administration des Contributions directes a non seulement suivi les conclusions de la Cour constitutionnelle, mais a, par ailleurs, procédé à une imposition conforme aux attentes de la demanderesse, laquelle a, en effet, serait-ce au cours de la phase précontentieuse, ou encore au cours de la phase contentieuse, toujours fait valoir qu’elle devrait se voir appliquer les dispositions prévues par le point b) du paragraphe 8, alinéa 2, VStG, lequel prévoit, un tarif structuré en fonction de 7 paliers qui se réfèrent au total du bilan des organismes collectifs.
Dans la mesure où la demanderesse a dès lors a priori obtenu satisfaction en tous points, il se pose la question de la subsistance de l’objet du recours sous analyse. Cette question a été librement discutée à l’audience des plaidoiries du 20 février 2024, lors de laquelle Monsieur … a, en sa qualité de représentant de la demanderesse, expliqué qu’indépendamment du bulletin rectifié émis à l’encontre de cette dernière, il appartiendrait au tribunal de réformer la décision directoriale litigieuse du 15 janvier 2021, alors qu’il aurait seul compétence, dans le cadre de son pouvoir de réformation, de fixer un impôt conforme aux conclusions de la Cour constitutionnelle.
Le délégué du gouvernement n’ayant pas été présent à l’audience des plaidoiries du 20 février 2024, n’a pas pris position quant à ce point, si ce n’est dans son courrier du 6 février 2024, dans lequel il a informé le tribunal que l’affaire serait devenue sans objet compte tenu du nouveau bulletin d’impôt sur la fortune émis à l’égard de la demanderesse.
Il est constant en cause que l’objet du recours sous analyse, lequel est constitué par le résultat que la partie demanderesse entend obtenir1, consiste en l’espèce, en la réformation de la décision directoriale dans la mesure où celle-ci a retenu que c’est « à juste titre que le bureau d’imposition a fixé l’impôt sur la fortune de l’année 2019 en vertu du § 8, alinéa 2, lettre a VStG », à savoir à 4.815 euros, la demanderesse étant, tel que retenu ci-avant, en effet d’avis que l’impôt sur la fortune de l’année 2019 devrait être établi, dans son chef, conformément au point b), alinéa 2 du paragraphe 8 VStG et partant être fixé à 1.605 euros.
Si, au jour de l’introduction du recours en réformation sous analyse, cet objet était certes donné, il n’en reste pas moins que dans la mesure où un nouveau bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019 a été émis à l’égard de la demanderesse en date du 31 janvier 2024, lequel annule et remplace le bulletin émis à son encontre le 29 juillet 2020, ce dernier, de même que la décision directoriale confirmative du 15 janvier 2021, a disparu de l’ordonnancement juridique avec effet rétroactif.
Or, dans l’hypothèse où un acte est remplacé avec effet rétroactif, comme c’est le cas en l’espèce, le recours dirigé à l’encontre de cet acte perd son objet. La sortie de vigueur rétroactive d’un acte administratif résulte de l’annulation de la décision, soit par la juridiction 1 Trib. adm. 6 mai 2015, n°34621 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 382 et les autres références y citées.
10administrative, soit par l’autorité administrative elle-même. Comme en cas d’annulation par le juge, en cas de retrait de la décision par l’administration elle-même, la décision sera réputée n’avoir jamais existé. En effet, il s’agit d’une possibilité offerte à l’autorité administrative de réparer spontanément ses erreurs en réalisant elle-même ce que ferait le juge saisi d’un recours contentieux2.
Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation sous analyse est à rejeter pour défaut d’objet.
En ce qui concerne la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000 euros, formulée par la demanderesse dans son mémoire supplémentaire, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999, portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « [l]orsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».
En l’espèce, s’il est certes vrai qu’il ressort des conclusions de la Cour constitutionnelle que l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2019 fixé dans le chef de la demanderesse n’a, contrairement à ce qui avait été retenu par le bureau d’imposition dans le cadre du bulletin d’imposition y relatif émis le 29 juillet 2020, ainsi que dans la décision directoriale litigieuse, pas valablement pu être établi sur base du paragraphe 8, alinéa 2, point a), VStG, compte tenu de l’inconstitutionnalité de cette disposition légale, et qu’il doit, toujours d’après les conclusions de la Cour constitutionnelle, être établi conformément au point b) de cette même disposition légale, en attendant une réforme législative à intervenir, il n’en reste pas moins qu’aucun agissement fautif ou négligent ne saurait être reproché à la partie étatique, laquelle n’a fait qu’appliquer la loi telle qu’en vigueur au moment de la prise de décision litigieuse, le bureau d’imposition dans un premier temps, et le directeur dans un deuxième temps, n’ayant pas eu d’autre choix que de fixer l’impôt sur la fortune dans le chef de la demanderesse conformément aux dispositions légales en vigueur.
Au vu de ces considérations, les conditions d’application du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la demanderesse n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte que la demande d’octroi d’une indemnité de procédure formulée par la société demanderesse est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
vidant le jugement du tribunal administratif du 18 avril 2023, inscrit sous le n° 45910 du rôle ;
rejette le recours en réformation pour être devenu sans objet ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que sollicitée par la partie demanderesse ;
2 Trib. adm. 16 juin 2010 n° 26323 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 388 et les autres références y citées.
11 fait masse des frais et dépens et les impute pour moitié à l’Etat et pour moitié à la société ….
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 12