Tribunal administratif N° 46795 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46795 5e chambre Inscrit le 17 décembre 2021 Audience publique du 29 mars 2024 Recours formé par la société anonyme A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 46795 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2021 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN SA, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des Avocats à Luxembourg, ayant son siège social à L-1340 Luxembourg, 2, place Winston Churchill, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro B209469, représentée par Maître Elisabeth ADAM, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 16 septembre 2021, portant le numéro C28895 ayant déclaré irrecevable la réclamation introduite le 12 janvier 2021 contre contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial communal des années 2011, 2012 et 2013, ainsi que contre les bulletins de l'établissement séparé de la valeur unitaire et de l'impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2011, 2012 et 2013, tous émis en date du 24 février 2016 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mars 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 avril 2022 par la société anonyme ELVINGER HOSS PRUSSEN SA au nom de la société anonyme A, préqualifiée ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale critiquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART et Maître Nadège LE GOUELLEC en remplacement de Maître Elisabeth ADAM en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 décembre 2023 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 19 février 2024 informant les parties de la rupture du délibéré et de la fixation de l’affaire à l’audience publique du 6 mars 2024 ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport complémentaire ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom KERSCHENMEYER à l’audience publique du 6 mars 2024.
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A défaut de déclaration de l’impôt, le bureau d’imposition sociétés Luxembourg 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit en date du 24 février 2016 à l’égard de la société anonyme A, une société de gestion de patrimoine familial, désignée ci-après par « la société A », les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2011, 2012, et 2013, les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2011, 2012, et 2013, les bulletins de l’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier des années 2011, 2012 et 2013, ainsi que les bulletins de l’impôt sur la fortune des années 2011, 2012 et 2013. Les prédits bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités mentionnèrent expressément qu’à « défaut de déclaration d’impôt, le revenu a été taxé en vertu du § 217 AO ».
Par courrier de son litismandataire du 12 janvier 2021, la société A fit introduire une réclamation contre les prédits bulletins émis le 24 février 2016, auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur ».
Par une décision du 16 septembre 2021, référencée sous le numéro C 28895, le directeur déclara cette réclamation irrecevable dans les termes suivants :
« (…) Vu la requête introduite en date du 12 janvier 2021 par Me Petrus Moons, de la société à responsabilité limitée Loyens & Loeff Luxembourg, au nom de la société anonyme A, avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l'impôt sur le revenu des collectivités et de la base d'assiette de l'impôt commercial communal des années 2011, 2012 et 2013, ainsi que contre les bulletins de l'établissement séparé de la valeur unitaire et de l'impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2011, 2012 et 2013, tous émis en date du 24 février 2016 ;
Vu le dossier fiscal ;
Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (AO) ;
Considérant que si l'introduction de plusieurs instances par une seule et même requête n'est incompatible, en l'espèce, ni avec le secret fiscal, ni avec les règles de compétence et de procédure, elle ne dispense pas d'examiner chaque acte attaqué en lui-même et selon ses propres mérites et ne saurait imposer une jonction qu'il est loisible au directeur des contributions de prononcer lorsque les instances lui paraissent suffisamment connexes ; qu'il n'y a pas lieu de la refuser en la forme ;
Considérant qu'aux termes des §§ 228 et 246 AO, le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification des bulletins litigieux, qui, en cas de simple pli postal, est présumée accomplie le troisième jour ouvrable après la mise à la poste ;
Considérant que la réclamante expose qu'en l'espèce, les bulletins litigieux « n'indiquent nullement un autre élément essentiel à la base de toute imposition, à savoir la qualité en laquelle la Société serait redevable de l'IRC, l'ICC et l'IF, malgré son statut de SPF.
Par conséquent, en vertu du §246(3) AO lu conjointement avec le §211(2) AO, le délai de réclamation ne saurait avoir commencé à courir. En l'absence de communication préalable par l'administration des contributions au sens du paragraphe 205(3) AO, les délais de recours de courent pas » ; qu'en outre, les bulletins litigieux « n'ont pas été régulièrement notifiés, 2 puisqu'ils ont été émis par une autorité incompétente » et n'ont ainsi pas été « envoyés à la personne à qui ils sont destinés d'après leur contenu » ;
Considérant à titre introductif que la requérante semble faire un amalgame de deux situations de droit profondément différentes, à savoir d'un côté l'annulation pure et simple du bulletin en cause pour non-respect des dispositions du § 205, alinéa 3 AO avec effet concomitant la remise à plat de toute la procédure d'imposition, le tout dans le cadre de la réclamation devant le directeur des contributions, et, de l'autre côté, la situation où le délai de recours ne commence pas à courir, conformément au § 246 AO, dans le cas où le bureau d'imposition a omis d'apposer les éléments limitativement énumérés au § 211, alinéa 2 AO ;
Considérant qu'il ressort du dossier fiscal que les bulletins litigieux contiennent clairement l'indication des voies et délais de recours ; que la condition relative à l'indication des points de divergences par rapport aux déclarations remises est évidemment inapplicable en l'espèce alors que, malgré les divers rappels et sommations d'astreinte l'enjoignant à s'exécuter, la réclamante n'a jamais daigné déposer la moindre déclaration pour les années litigieuses, ce qui a d'ailleurs contraint le bureau d'imposition à procéder par voie de taxation ;
qu'il en résulte que les bulletins litigieux ont été régulièrement émis au sens du § 211, alinéa 2 AO, d'autant plus que la mention « à défaut de déclaration d'impôt, le revenu a été taxé » figure sur chaque bulletin de l'impôt sur le revenu des collectivités des années litigieuses, et que les autres bulletins en cause, bien que constituant des décisions disjointes, reposent toutefois et de manière inhérente et logique, sur les mêmes fondements, à savoir la taxation ; qu'admettre le contraire, c'est-à-dire partir du principe que les autres bulletins en cause ne reposeraient pas sur une taxation d'office, équivaudrait à entériner que la réclamante n'aurait remis qu'une partie sélectionnée de la déclaration d'impôt, ce qui n'est clairement pas le cas, étant donné qu'elle n'en a remis aucune ;
Considérant que les bulletins litigieux ont été incontestablement notifiés à la personne à qui ils étaient destinés, à savoir la réclamante ; que la notification a été faite à l'adresse de son siège social, adresse dont la validité n'est pas contestée ;
Considérant que le délai de recours a ainsi valablement commencé à courir dès la notification des bulletins litigieux ;
Considérant que les bulletins litigieux ont été émis en date du 24 février 2016 et notifiés le 29 février 2016, de sorte que le délai a expiré le 31 mai 2016 ; que les réclamations, introduites en date du 12 janvier 2021, sont donc tardives ;
Considérant qu'il découle de tout ce qui précède que les réclamations contre les bulletins litigieux sont irrecevables ;
Considérant, à titre superfétatoire, que le moyen tiré du défaut de compétence de l'autorité ayant émis les bulletins litigieux, quod non, s'analyse en une question de fond qui, contrairement aux allégations de la réclamante, est sans incidence sur la question de la recevabilité des réclamations ;
PAR CES MOTIFS dit les réclamations irrecevables. (…) » Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 décembre 2021, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la prédite décision du directeur du 16 septembre 2021.
I.
Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, en appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » et de l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt.
Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale du 16 septembre 2021, lequel étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
Dès lors, il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
II.
Quant au bien-fondé du recours Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, la demanderesse explique avoir été constituée le 10 octobre 1938 sous l’ancienne forme de société « … ». Elle déclare avoir obtenu le statut de société de gestion de patrimoine familial (SPF) par devant notaire avec effet au 1er janvier 2011, de sorte que tant que l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, désignée ci-
après par « l’AEDT », ne lui aurait pas retiré ce statut, elle ne serait soumise qu’à la taxe d’abonnement mais non point à l’impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial communal, ni à l’impôt sur la fortune, conformément aux articles 4, 5 et 8 de la loi modifiée du 11 mai 2007 relative à la création d’une société de gestion de patrimoine familial.
Nonobstant l’absence d’une telle décision de retrait de son statut de SPF par l’AEDT, le bureau d’imposition aurait émis les bulletins de l’impôt litigieux en date du 24 février 2016 à son encontre.
La société demanderesse reproche au directeur d’avoir à tort déclaré tardive sa réclamation contre les prédits bulletins de l’impôt.
En droit, elle argumente qu’en vertu des §§ 228 et 246 AO, une réclamation contre un bulletin d'imposition devrait être introduite dans un délai de trois mois à compter de la notification du bulletin en question sinon à compter de la prise de connaissance du bulletin ou du moment où le bulletin serait à considérer comme étant connu. Elle se réfère dans ce contexte à un arrêt de la Cour administrative du 9 janvier 2018, inscrit sous le numéro 39755C du rôle, pour affirmer que seule une communication dans les formes légales par l'administration pourrait déclencher le cours du délai de recours. Or, dans la mesure où en l’espèce l’AEDT n’aurait jamais prononcé de décision de retrait de son statut de SPF l’administration des Contributions directes n’aurait pas été compétente pour émettre les bulletins de l’impôt litigieux à son encontre, de sorte que la communication des bulletins en question n’aurait pasété faite dans les formes légales et que partant le délai de réclamation n’aurait pas pu commencer à courir.
La société demanderesse argumente ensuite, qu’en application du § 246 (3) AO le délai de réclamation contre un bulletin de l’impôt ne commencerait pas à courir si le bulletin ne comportait pas l’indication des voies de recours ou encore s’il ne comprenait pas les informations mentionnées au § 211 (2) AO, lequel exigerait que le bulletin d'impôt indique « les bases d'imposition si elles n'ont pas encore été communiquées au contribuable ». Or, en l'espèce, les bulletins de l’impôt litigieux indiqueraient certes les montants de l’imposition sans pour autant indiquer un autre élément essentiel à savoir la base même du principe de l’imposition. Elle se réfère dans ce contexte à un arrêt rendu en date du 17 mars 20221 par la Cour administrative. De surplus, l'administration n'aurait pas précisé dans les bulletins litigieux qu’elle aurait procédé par taxation d'office au sens du paragraphe 217 AO, sauf dans le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités.
La société demanderesse conclut que le délai de réclamation contre les bulletins litigieux n’aurait pas pu commencer à courir de sorte que le directeur n’aurait pas pu retenir que sa réclamation aurait été introduite de manière tardive.
Enfin, à titre plus subsidiaire, la société demanderesse argumente que les bulletins de l’impôt litigieux auraient été émis en violation du paragraphe 205 (3) AO étant donné qu’elle n’aurait pas été informée préalablement à l’émission des bulletins de l’impôt par le bureau d’imposition « du contenu de l’imposition ». Selon la société demanderesse la « jurisprudence constante sur l’inapplication du paragraphe 205 (3) AO en matière d’imposition en vertu du paragraphe 217 AO » ne pourrait pas trouver application en l’espèce, puisqu’elle n’aurait « pas la qualité de contribuable et partant aucune obligation déclarative auprès de l’ACD ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Appréciation du tribunal Il est constant en cause que le directeur a déclaré irrecevable ratione temporis la réclamation introduite en date du 12 janvier 2021 par la société demanderesse contre les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2011, 2012, et 2013, les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2011, 2012, et 2013, les bulletins de l’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier des années 2011, 2012 et 2013, ainsi que les bulletins de l’impôt sur la fortune des années 2011, 2012 et 2013, sans examiner les contestations de la société demanderesse quant à la régularité, respectivement quant au bien-
fondé de la taxation d’office opérée par le bureau d’imposition.
Face aux contestations de l’irrecevabilité de sa réclamation par la société demanderesse il convient de rappeler qu’aux termes du § 228 AO : « Les décisions visées aux §§ …, 166 alinéa 3, 211, 212, 212a alinéa 1, 214, 215, 215a, 235, 396 alinéa 1 et 402 peuvent être attaquées dans un délai de trois mois par voie de réclamation devant le directeur de l'Administration des contributions directes ou son délégué. (…) ».
Par ailleurs, le § 245 AO dispose que : « (1) Le délai de recours est de trois mois pour les réclamations (§ 228 AO). (…) », ce délai de réclamation étant un délai de forclusion, 1 Inscrit sous le numéro 46584C du rôleconformément au § 83, alinéa (2) AO qui dispose que « (…) Fristen zur Einreichung eines Rechtsmittels sind Ausschlussfristen (…) ».
Enfin, le § 246 AO précise que : « (1) Die Frist zur Einlegung eines Rechtsmittels beginnt mit Ablauf des Tags, an dem der Bescheid dem Berechtigten zugestellt oder, wenn keine Zustellung erfolgt, bekannt geworden ist oder als bekannt gemacht gilt. (…) ».
Il est constant en cause pour ne pas être contesté que les bulletins litigieux ont été émis 24 février 2016, de sorte qu’ils sont présumés avoir été notifiés à la société demanderesse dans les trois jours ouvrables, à savoir, en date du 29 février 2016 – ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par la société demanderesse - de sorte que le délai de réclamation a, en principe, expiré le 29 mai 2016.
Dès lors, au moment de l’introduction de la réclamation par courrier du 12 janvier 2021, le délai de réclamation était a priori expiré, étant relevé que selon le paragraphe 252 AO, aux termes duquel « Die Rechtsmittelbehörde hat zu prüfen, ob das Rechtsmittel zulässig und in der vorgeschriebenen Form und Frist eingelegt ist. Mangelt es an einem dieser Erfordernisse, so ist das Rechtsmittel als unzulässig zu verwerfen », le directeur avait à analyser avant tout autre progrès si la réclamation, dont il a été saisi en l’espèce, a été introduite dans le délai de la loi et à défaut, à la déclarer irrecevable pour tardivité, de sorte qu’aucun reproche ne peut lui être fait pour avoir examiné de prime abord la recevabilité ratione temporis de la réclamation et pour l’avoir, après avoir constaté que, de son avis, elle avait été introduite tardivement, déclaré irrecevable sans pousser plus loin son analyse quant au fond.
La demanderesse conteste néanmoins l’irrecevabilité de sa réclamation en argumentant que le § 246 AO serait à interpréter par référence à un arrêt de la Cour administrative du 17 mars 2022, inscrit sous le numéro 46584C du rôle, selon lequel seule une communication dans les formes légales par l’administration pourrait déclencher le cours du délai de réclamation.
Selon la société demanderesse, un bulletin de l’impôt émis par une autorité incompétente ne serait donc pas à considérer comme ayant été communiqué dans les formes et délai de la loi de sorte à ne pas pouvoir déclencher le délai de réclamation.
Force est à cet égard au tribunal de constater que la société demanderesse opère une confusion entre, d’une part, les conditions de recevabilité d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt et, d’autre part, les conditions de la légalité externe du bulletin de l’impôt attaqué par la réclamation en question.
En effet, la question de la compétence d’une autorité pour émettre un bulletin de l’impôt relève de la régularité de la procédure d’établissement du bulletin, en d’autres termes, de la légalité du bulletin de l’impôt lui-même et peut aboutir, le cas échéant en présence d’irrégularités à l’annulation du bulletin.
En revanche, la question de la communication du bulletin de l’impôt est étrangère à la question de la légalité dudit bulletin, mais s’inscrit dans le seul contexte de la recevabilité de la réclamation dirigée contre ledit bulletin de l’impôt. Ainsi, la date de communication du bulletin de l’impôt au contribuable déclenche le délai de réclamation contre ledit bulletin. Les formalités du déclenchement du délai de la réclamation sont fixées par les §§ 245 et 256 AO, dont le non-respect peut impliquer, le cas échéant, une irrecevabilité rationae temporis de la réclamation.
La Cour administrative a certes retenu dans le cadre de l’arrêt précité du 9 janvier 2018, auquel la société demanderesse se réfère, que : « Le paragraphe 246, alinéa (1), AO doit être interprété en ce sens que seule une communication dans les formes légales par l’administration peut déclencher le cours du délai de recours, de manière qu’une connaissance fortuite par d’autres voies ne peut pas avoir cet effet. ». Toutefois, contrairement aux affirmations de la société demanderesse, laquelle a, d’ailleurs, omis de citer la deuxième partie de la phrase afférente, force est de constater que la Cour administrative s’est référée aux conditions de forme d’une telle communication, en d’autres termes aux formalités selon lesquelles un bulletin d’impôt doit être porté à la connaissance d’un contribuable, lesquelles sont énoncées par les §§ 245 et 246 AO précités. En effet, la seconde partie de la phrase afférente - que la société demanderesse a, tel que retenu ci-avant, omis de citer – selon laquelle « une connaissance fortuite [d’un bulletin de l’impôt] par d’autres voies ne peut pas avoir cet effet » fait ressortir sans équivoque que la notion de « communication » correspond à la notion de « portée à la connaissance », de sorte que les « formes légales » auxquelles la Cour administrative fait référence correspondent aux formalités auxquelles est soumise une telle communication et non point aux conditions de légalité auxquelles est soumis le bulletin de l’impôt en lui-même.
La question de la compétence de l’autorité ayant émis le bulletin de l’impôt est donc étrangère à celle de la recevabilité de la réclamation contre ledit bulletin de l’impôt, de sorte que le moyen de la société demanderesse tablant sur une incompétence de l’autorité ayant émis les bulletins de l’impôt litigieux pourrait tout au plus être pertinent dans le cadre d’une analyse de la régularité d’un point de vue procédural des bulletins litigieux mais non point dans le cadre de l’analyse de la question de savoir si la réclamation contre lesdits bulletins a été introduite dans les délais de la loi. Le moyen afférent concluant à la recevabilité de la réclamation contre les bulletins de l’impôt litigieux est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Dans le même ordre d’idées, le moyen de la demanderesse tiré du § 91 AO est à rejeter.
Ainsi, aux termes dudit §91 : « (1) Verfügungen (Entscheidungen, Beschlüsse, Anordnungen) der Behörden für einzelne Personen werden dadurch wirksam, dass sie demjenigen zugehen, für den sie ihrem Inhalt nach bestimmt sind (Bekanntgabe). (…) ».
L’argumentation de la société demanderesse tablant sur le fait, d’une part, que les bulletins de l’impôt litigieux auraient été émis par une autorité incompétente et, d’autre part, qu’elle ne serait pas soumise en tant que SPF à l’impôt sur le revenu des collectivités, à l’impôt commercial communal ainsi qu’à l’impôt sur la fortune, de sorte qu’en application du §91 AO précité lesdits bulletins n’auraient pas dû être émis à son encontre, a de nouveau trait à la régularité de la procédure d’établissement des bulletins litigieux et donc à la légalité externe desdits bulletins de l’impôt en eux-mêmes mais non point à la recevabilité de la réclamation dirigée contre lesdits bulletins.
Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Concernant ensuite le moyen de la société demanderesse selon lequel le délai de réclamation contre les bulletins de l’impôt litigieux n’aurait pas commencé à courir à défaut d’indication des mentions exigées par les §§ 246, alinéa (3) et 211 AO, il échet de préciser qu’aux termes du §211 AO:
« (1) Steuerbescheide, die nach den Steuergesetzen schriftlich zu erteilen sind, müssen die Höhe der Steuer enthalten.(2) Sie müssen ferner enthalten:
1. eine Belehrung, welches Rechtsmittel zulässig ist und binnen welcher Frist und bei welcher Behörde es einzulegen ist, 2. die Besteuerungsgrundlagen, soweit sie dem Steuerpflichtigen nicht schon mitgeteilt wurde, 3. eine Anweisung, wo, wann und wie die Steuer zu entrichten ist, 4. die Punkte, in denen von der Steuererklärung abgewichen wird. (…) ».
Cette disposition énumère un certain nombre d’informations devant obligatoirement figurer dans un bulletin de l’impôt et a trait au contenu formel des bulletins, étant relevé que c’est exclusivement sur le point 2. de du § 211, alinéa (2) AO, à savoir l’indication des bases d’imposition (« Besteuerungsgrundlagen »), sur lequel portent les critiques de la société demanderesse.
Le tribunal constate de prime abord qu’il n’est pas contesté qu’un bulletin de taxation établi en application du § 217 AO est à qualifier de bulletin de l’impôt au sens des §§ 210b et 211 AO, de sorte que les exigences imposées par cette dernière disposition trouvent application.
En ce qui concerne ensuite la sanction d’une éventuelle inobservation de cette disposition, il convient de se référer au § 246 (3) AO, lequel dispose que :
« Fehlt in einem Bescheid eine Rechtsmittelbelehrung oder ist sie unrichtig erteilt, so wird die Rechtsmittelfrist nicht in Lauf gesetzt. Dasselbe gilt für die in Absatz 2 von § 211 vorgesehenen Punkte. ».
La sanction d’une inobservation des exigences tenant au contenu formel d’un bulletin telles que prévues au § 211, alinéa (2) AO, en l’occurrence l’indication des bases d’imposition (« Besteuerungsgrundlagen »), consiste dès lors dans le fait que le délai légal de réclamation de trois mois ne commence pas à courir et non point dans l’annulation des bulletins attaqués, ce qui n’est d’ailleurs pas invoqué par la société demanderesse.
S’agissant ensuite du bien-fondé, en l’espèce, du reproche d’un défaut d’indication des bases d’imposition dans les bulletins litigieux, la Cour administrative a rappelé dans un arrêt du 17 mars 2022, inscrit sous le numéro 46584C du rôle2 auquel la société demanderesse se réfère, qu’un bulletin de l’impôt comporte en principe l’élément décisionnel consistant en la cote d’impôt fixée et les motifs à sa base qui correspondent à l’ensemble des éléments de fait et bases d’imposition constatés pour aboutir à la décision de fixation de la cote d’impôt.
La Cour administrative a, par ailleurs, précisé que la disposition du § 211, alinéa (2), point 2. AO doit être comprise en ce sens qu’elle impose au bureau d’imposition l’obligation de motiver sa décision de fixation de la cote d’impôt par l’indication des bases d’imposition retenues par lui afin d’aboutir à la cote d’impôt. La question du contenu nécessaire de la communication des bases d’imposition dans le bulletin d’impôt se résout partant en une question relative à la motivation de la décision d’imposition et le § 211, alinéa (2) AO doit être considéré comme instaurant une obligation de motivation formelle du bulletin.
Or, d’une manière générale, si la motivation formelle d’une décision ne doit pas être exhaustive, elle doit cependant expliciter du moins sommairement les raisons sises à la base de 2 Cour adm., 17 mars 2022, n°46584C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1028.la décision en question d’une manière telle que son destinataire soit en mesure d’en comprendre la substance et la portée. Le fait, par l'administration, de se limiter à reprendre comme seuls motifs des formules générales et abstraites prévues par la loi, sans tenter de préciser concrètement comment, dans le cas d'espèce, des raisons de fait permettent de justifier la décision, équivaut à une absence de motivation, empêchant l’administré de comprendre le pourquoi de la décision qui l’affecte - ne serait-ce que pour soupeser les chances de succès d’une réclamation ou, plus loin, d’un recours juridictionnel - et mettant le juge administratif dans l'impossibilité de contrôler la légalité de l'acte.
En l’espèce, à défaut par la société demanderesse d’avoir déposé des déclarations de l’impôt pour les années 2011, 2012 et 2013, le bureau d’imposition a fixé les bases d’imposition par voie de taxation sur base du § 217 AO. Pour ce faire, le bureau d’imposition s’est fondé sur les comptes annuels de la société demanderesse des exercices 2011, 2012 et 2013. Ainsi, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2011, 2012 et 2013, versés en cause, mentionnent un bénéfice commercial suivant bilan fiscal de l’ordre de … euros, … euros, respectivement … euros, montants dont lesdits bulletins indiquent qu’ils sont à reporter sur les bulletins de l’impôt commercial respectifs des années 2011, 2012 et 2013. Les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités des années 2011, 2012 et 2013 indiquent encore que des montants arrondis de … euros, … euros, respectivement … euros avaient été pris en compte comme revenu imposable arrondi et finalement qu’à défaut de dépôt d’une déclaration de l’impôt, le revenu avait été taxé en application du § 217 AO.
Les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2011, 2012 et 2013 reprennent ensuite les montants précités de … euros, … euros respectivement … euros.
Au vu de ces considérations et à défaut de toute contestation de la part de la société demanderesse quant aux bases d’imposition concrètement retenues par le bureau d’imposition le tribunal est amené à conclure qu’à la base de la taxation le bureau d’imposition a fidèlement repris les montants déclarés par la société demanderesse elle-même dans le cadre de son bilan fiscal. Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que le bureau d’imposition s’est conformé à l’obligation de motivation formelle énoncée par le § 211, alinéa (2) AO en énonçant du moins sommairement les raisons à la base de l’imposition par la précision de la nature et du quantum des revenus ayant été pris en compte comme base d’imposition, de même que par la précision du fait que les revenus ont été établis par voie de taxation à défaut de dépôt d’une déclaration de l’impôt, et, par ailleurs, par l’indication de sa source d’information laquelle était, à défaut de déclaration de l’impôt, le bilan fiscal de la société demanderesse.
Cette conclusion n’est pas énervée par la solution retenue par la Cour administrative dans l’arrêt précité du 17 mars 2022 auquel la société demanderesse se réfère. En effet, dans le cadre dudit arrêt la Cour administrative a retenu le défaut de l’indication d’une motivation suffisante à la base du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités en constatant que le bureau d’imposition avait fondé la taxation des bases d’imposition sur les montants figurant dans le bilan fiscal publié par la société en question, en refusant toutefois d’accepter un poste de correction de valeur d’un élément de l’actif net investi ce qui avait impliqué une augmentation substantielle du bénéfice découlant des comptes annuels. Cette situation diffère foncièrement de celle se présentant dans le cadre du recours sous examen dans la mesure où, en l’espèce, la société demanderesse n’argumente pas, ni a fortiori n’établit, que le bureau d’imposition se serait de quelque manière écarté des montants qu’elle avait elle-même retenus dans le cadre de son bilan fiscal. La solution retenue par la Cour administrative dans le cadrede l’arrêt précité du 17 mars 2022 n’est partant, contrairement aux affirmations de la demanderesse, pas transposable à la situation d’espèce.
Concernant ensuite les bulletins d’établissement de la valeur unitaire aux 1er janvier des années 2011, 2012 et 2013, ainsi que les bulletins de l’impôt sur la fortune des années 2011, 2012 et 2013 la société demanderesse n’argumente pas non plus ni a fortiori n’établit que le bureau d’imposition se serait écarté dans le cadre de la fixation des bases d’imposition des montants qu’elle a indiqués elle-même dans le cadre de son bilan fiscal, de même qu’ il ne ressort d’aucun élément concret soumis au tribunal que le bureau d’imposition aurait agi en ce sens.
Force est dès lors au tribunal de conclure que les précisions et indications ainsi fournies dans le cadre des bulletins de l’impôt litigieux sont suffisantes pour répondre aux exigences du § 211, alinéa (2) AO tenant au contenu formel obligatoire d’un bulletin d’imposition, la société demanderesse ayant, en effet, été informée sur la nature et le quantum des revenus ayant été pris en compte comme base d’imposition, de même que sur le fait que les revenus ont été établis par voie de taxation à défaut de dépôt d’une déclaration de l’impôt, et, par ailleurs, sur la source d’information du bureau, qui à défaut de déclaration de l’impôt, s’est basé sur le bilan fiscal.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le reproche tenant à une violation des §§ 211, alinéa (2) et 246, alinéa (3) AO laisse d’être fondé, de sorte que la société demanderesse n’est pas fondée à affirmer que le délai de réclamation ait, de ce fait, été empêché de à courir à partir de la notification des bulletins litigieux.
Finalement, il y a lieu de rejeter le moyen de la société demanderesse tiré d’une violation du § 205, alinéa (3) AO au motif que le bureau d’imposition ne l’aurait pas averti préalablement à l’établissement des bulletins de l’impôt litigieux du contenu de ces derniers.
Ce moyen a de nouveau trait à la régularité de la procédure d’établissement des bulletins litigieux et donc à la légalité externe des bulletins litigieux de sorte qu’il est étranger à la question de la recevabilité de la réclamation dirigée contre les bulletins afférents. Il s’agit en effet, de nouveau, d’un moyen qui ne saurait être pertinent, le cas échéant, qu’au niveau de l’analyse de la légalité des bulletins de l’impôt litigieux et lequel pourrait aboutir, le cas échéant, à l’annulation desdits bulletins. Ledit moyen n’est toutefois pas pertinent au niveau de l’analyse de la recevabilité de la réclamation contre les bulletins afférents de sorte qu’il est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le directeur a valablement pu déclarer tardive la réclamation introduite en date du 12 janvier 2021 et que le recours en réformation sous analyse est donc à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Au vu de l’issu du litige, la demande en obtention d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros telle que sollicitée par la société demanderesse sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours principal en réformation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure formulée par la société demanderesse ;
condamne la société demanderesse aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Françoise Eberhard, premier vice-président, Caroline Weyland, juge, Nicolas Griehser Schwerzstein, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 29 mars 2024 par le premier vice-président Françoise Eberhard en présence du greffier Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 11