Tribunal administratif N° 47407 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47407 5e chambre Inscrit le 6 mai 2022 Audience publique du 29 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …(Malte), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47407 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mai 2022 par la société à responsabilité limitée DUVIEUSART EBEL AVOCATS ASSOCIÉS SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1134 Luxembourg, 55, rue Charles Arendt, et représentée aux fins de la présente procédure par Maître Stéphane EBEL, avocat à la Cour, inscrit sur la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à … , tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 9 février 2022, référencée sous le numéro C 29907, ayant déclaré irrecevable sa réclamation introduite le 3 septembre 2021 ;
Vu le courrier électronique du 18 août 2022 de la société à responsabilité limitée BONN & SCHMITT SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1511 Luxembourg, 148, avenue de la Faïencerie, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Stéphane EBEL, préqualifié, laquelle déclare reprendre le mandat de représentation de Monsieur …, préqualifié, en lieu et place de la société à responsabilité limitée DUVIEUSART EBEL AVOCATS ASSOCIÉS SARL, préqualifiée ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2022 par la société à responsabilité limitée BONN & SCHMITT SARL, préqualifiée, au nom de son mandant, préqualifié ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART à l’audience publique du 7 février 2024, Maître Stéphane EBEL s’étant excusé.
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Par courrier daté du 28 août 2021 et réceptionné le 3 septembre 2021 par l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par l’« administration », 1Monsieur … introduisit auprès du directeur de l’administration, ci-après désigné par le « directeur ».
Par une décision datée du 9 février 2022, référencée sous le n° C 29907, le directeur déclara la réclamation de Monsieur … irrecevable pour cause de tardiveté. Ladite décision est libellée comme suit :
« (…) Vu la requête introduite le 3 septembre 2021 par le sieur …, avec référence à « … » ;
Vu le dossier fiscal ;
Considérant, à titre liminaire, que le réclamant a rédigé sa requête en langue anglaise, alors que la loi modifiée du 24 février 1984 définit comme langues administratives du Luxembourg les langues luxembourgeoise, française et allemande ;
Considérant que même si la requête ne désigne pas de façon précise la décision qu'elle entend attaquer et ne fait ressortir nulle part le terme de « réclamation », terme en principe indispensable afin d'être en mesure de qualifier une requête déposée de réclamation en bonne et due forme devant le directeur des contributions, au sens du § 228 de la loi générale des impôts (AO), il n'en reste pas moins qu'en vertu de la jurisprudence qui, sur le fondement du § 249, alinéa 1er AO, tend à interpréter les requêtes des contribuables selon l'intention qu'elles manifestent plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes employés (principe de l'effet utile), la requête est à considérer comme réclamation contre le bulletin de l'impôt sur le revenu de l'année 2019, émis en date du 24 mars 2021;
Vu les §§ 228 et 301 AO ;
Considérant qu'aux termes des §§ 228 et 246 AO le délai de réclamation est de trois mois et court à partir de la notification ;
Considérant que les bulletin litigieux, émis en date du mars 2021, a été notifié le 29 mars 2021, de sorte que le délai a expiré le 29 juin 2021 ; que la réclamation, introduite en date du 3 septembre 2021, est donc tardive ;
Considérant qu'aux termes du § 83 AO ce délai est un délai de forclusion ;
Considérant qu'en exécution du § 252 AO, la réclamation est donc à qualifier de tardive ;
Considérant qu'il découle de tout ce qui précède que la réclamation introduite est irrecevable pour cause de tardiveté ;
PAR CES MOTIFS dit la réclamation irrecevable (…) ».
Par requête déposée le 6 mai 2022 au greffe du tribunal administratif, Monsieur …, a 2introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 9 février 2022.
À titre liminaire, le tribunal précise que la réclamation introduite par courrier du 28 août 2021 auprès du directeur est formulée de manière peu claire et reste équivoque quant à son objectif. Une analyse approfondie du libellé de la réclamation révèle toutefois que le directeur a retenu à juste titre qu’elle est dirigée contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2019 émis à l’égard du demandeur le 24 mars 2021, analyse qui n’a d’ailleurs pas été contestée par le demandeur dans le cadre du recours sous examen.
Le tribunal relève, ensuite, qu’il résulte de la lecture combinée des dispositions du § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, qu’un recours au fond est ouvert contre une décision directoriale prise sur réclamation introduite contre un bulletin de l’impôt.
Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision directoriale précitée du 9 février 2022, lequel recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
Arguments et moyens des parties A l’appui de son recours, le requérant soulève, tout d’abord, qu’à travers sa réclamation du 3 septembre 2021, il aurait sollicité implicitement un relevé de forclusion du délai de réclamation, tel que cela serait permis par les §§ 86 et 87 AO.
Le requérant explique que les bulletins litigieux auraient été émis au début de la pandémie de COVID-19 alors qu’il aurait été « bloqué » à l’étranger et qu’il n’aurait dès lors pas été en mesure de rejoindre son domicile au Grand-Duché de Luxembourg et y relever son courrier. Il précise également qu’il souffrirait de pathologies cardiaques.
De surcroît, il affirme que l’introduction d’une réclamation en dehors du délai légal obligerait le directeur à vérifier d’office si les conditions posées par les §§ 86 et 87 AO sont remplies, sous peine de manquement à une formalité procédurale substantielle.
Le requérant donne à considérer que les conditions afférentes seraient remplies en l’espèce. Il expose que la réclamation aurait été introduite endéans le délai maximal de 12 mois suivant l’expiration du délai de réclamation, et dans les 15 jours suivant le moment où il aurait pris connaissance des bulletins d’imposition litigieux.
Le délégué du gouvernement conteste que la réclamation du 3 septembre 2021 contiendrait une demande implicite de relevé de forclusion du délai de réclamation. Il affirme que celle-ci ne ferait d’ailleurs aucune allusion à la question du délai de réclamation respectivement à sa prorogation.
Il soulève encore que les frontières nationales n’auraient pas été fermées durant la 3pandémie liée à la Covid-19 et qu’il aurait été loisible de voyager en étant muni de certains certificats. Il argumente que le requérant ne préciserait pas dans quel pays il aurait été « bloqué » et ne rapporterait aucune preuve à ce sujet.
Enfin, le délégué du gouvernement affirme que le directeur ne devrait pas vérifier d’office si les conditions prévues aux §§ 86 et 87 AO seraient remplies dans le cas où aucune demande ni argument en ce sens ne lui sont présentés.
Appréciation du tribunal À titre liminaire, le tribunal constate que le demandeur ne conteste pas avoir introduit sa réclamation au-delà du délai de trois mois fixé par le § 245 AO1 et computé suivant les modalités du § 246 AO2, mais qu’il limite son argumentation au fait que sa réclamation aurait contenu une demande de relevé de forclusion implicite que le directeur n’aurait pas reconnue, respectivement analysée.
À cet égard le tribunal relève que le § 86 AO dispose comme suit :
« Nachsicht wegen Versäumung einer Rechtsmittelfrist kann beantragen, wer ohne sein Verschulden verhindert war, die Frist einzuhalten. Das Verschulden eines gesetzlichen Vertreters oder eines Bevollmächtigten steht dem eigenen Verschulden gleich. ».
Quant au § 87 AO, il prévoit que :
« (1) Über den Antrag auf Nachsicht entscheidet die Stelle, die über das versäumte Rechtsmittel zu entscheiden hat.
(2) Der Antrag ist innerhalb zweier Wochen nach Ablauf des Tags zu stellen, an dem der Antrag zuerst gestellt werden konnte; dabei sind die Tatsachen, die den Antrag begründen sollen, anzuführen und glaubhaft zu machen. Innerhalb dieser Frist ist die Einlegung des versäumten Rechtsmittels nachzuholen.
(3) Auslagen, die durch den Antrag auf Nachsicht entstehen, trägt in allen Fällen der Antragsteller.
(4) Die Nachsicht kann auch ohne Antrag bewilligt werden, falls das versäumte Rechtsmittel innerhalb der im Absatz 2 bezeichneten Frist eingelegt ist.
(5) Nach Ablauf eines Jahrs, von dem Ende der versäumten Frist angerechnet, kann die Nachsicht nicht mehr begehrt oder ohne Antrag bewilligt werden. ».
Il se dégage de la lecture des dispositions précitées que le formalisme relatif à l’introduction d’une demande de relevé de forclusion est réduit à la triple condition de 1 § 245 AO : « (1) Le délai de recours est de trois mois pour les réclamations (§228 AO) et de trois mois au contentieux des actes détachables (§237 AO). (2) Lorsque le dernier jour du délai est un samedi, un dimanche, un jour férié légal ou un jour férié de rechange, ce délai est prorogé jusqu'au prochain jour ouvrable. ».
2 § 246 AO : « (1) Die Frist zur Einlegung eines Rechtsmittels beginnt mit Ablauf des Tags, an dem der Bescheid dem Berechtigten zugestellt oder, wenn keine Zustellung erfolgt, bekannt geworden ist oder als bekannt gemacht gilt. (2) Ein Rechtsmittel kann eingelegt werden, sobald der Bescheid vorliegt. (3) Fehlt in einem Bescheid eine […] Rechtsmittelbelehrung oder ist sie unrichtig erteilt, so wird die Rechtsmittelfrist nicht in Lauf gesetzt.
Dasselbe gilt für die in Absatz 2 von §211 vorgesehenen Punkte. ».
4solliciter cette mesure d’indulgence3 - sauf octroi dudit relevé par le directeur sans demande afférente du contribuable, lorsque le délai de 15 jours visé au § 87, alinéa (4) est respecté - , d’exposer les circonstances ayant empêché l’intéressé d’introduire sa réclamation en temps utile et de faire valoir ses moyens de réclamation dans le même délai prévu pour l’introduction d’une demande en relevé de forclusion. En ce qui concerne cette dernière condition, rien n’empêche l’intéressé de faire état de ses moyens de réclamation dans le même écrit par lequel il sollicite le relevé de forclusion. En effet, l’examen de la demande en relevé de forclusion ne fait pas l’objet d’un examen séparé de celui du bien-fondé des moyens de réclamation, la décision sur le relevé de forclusion étant un élément dépendant de la décision sur la réclamation. Cela n’empêche cependant pas le directeur de trancher la question concernant le relevé de forclusion en premier lieu et, en cas de refus, déclarer la réclamation irrecevable4.
Contrairement à ce que soutient le délégué du gouvernement, le directeur doit, y compris lorsqu’aucune demande formelle de relevé de forclusion n’est formulée par le réclamant, vérifier d’office si les conditions des §§ 86 et 87 AO sont remplies5.
En l’espèce, dans sa réclamation, le requérant a indiqué que : « Due to Covid and non-Lux presence please extend dates to accomodate Covid restrictions ». Cette demande est certes formulée de manière succincte, il n’en demeure pas moins que l’intention du demandeur en ressort sans équivoque en ce qu’il demande à ce que les délais pour introduire une réclamation soient étendus. Force est dès lors de conclure que le demandeur a bien introduit, et ce même de manière expresse, une demande de relevé de forclusion auprès du directeur au sens des §§ 86 et 87 AO. En effet, il apparait clairement que le demandeur, conscient d’agir en dehors du délai de trois mois prévu pour porter sa réclamation contre les bulletins d’imposition litigieux, a entendu solliciter de l’administration un relevé dudit délai qu’il a motivé par le contexte de la pandémie de COVID-19 durant lequel il aurait été « bloqué » à l’étranger sans être en mesure de rejoindre son domicile au Grand-Duché de Luxembourg et d’y relever son courrier.
Il y a donc lieu de constater que la réclamation du requérant contient une demande formelle de relevé de forclusion du délai de réclamation, qu’il aurait appartenu au directeur d’analyser tant quant à sa forme que quant au fond.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est fondé et qu’il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler la décision déférée et renvoyer l’affaire en prosécution de cause au directeur pour statuer sur la demande de relevé de forclusion lui soumise par le demandeur.
Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit 3 Trib. adm., 23 février 1999, n° 10872 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts n° 1114 et les autres références y citées.
4 Hübschmann-Hepp-Spitaler, Kommentar zur RAO, ad § 87, Anm. 1 et 1-2.
5 Hübschmann-Hepp-Spitaler, Kommentar zur RAO, ad § 87, Anm. 4.
5contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 9 février 2022 (C 29907) ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, par réformation, annule la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 9 février 2022 (C 29907) ;
renvoie l’affaire en prosécution de cause devant ledit directeur ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne l’État aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 mars 2024 par :
Françoise Eberhard, premier vice-président, Benoît Hupperich, juge, Nicolas Griehser Schwerzstein, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila Adrovic.
s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 6