Tribunal administratif N° 47611 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47611 2e chambre Inscrit le 29 juin 2022 Audience publique du 22 avril 2024 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47611 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2022 par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), demeurant à L-…, et de son épouse Madame …, née le … à … (Erythrée), agissant en leur nom personnel et au nom de leurs enfants mineurs …, née le … à … (Erythrée), …, née le … à …, …, née le … à … (Erythrée) et de la nièce de Monsieur …, …, née le … à …, tous de nationalité érythréenne, demeurant ensemble à … (Ouganda), … (Katuuso), tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 décembre 2021 rejetant la demande de regroupement familial en faveur de …, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 28 mars 2022 prise sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 janvier 2024.
En date du 21 septembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».
Par décision du 29 mai 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », accorda à Monsieur … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », ainsi qu’une autorisation de séjour jusqu’au 28 mai 2025.
Par courrier de son litismandataire du 20 août 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de regroupement familial dans le chef de son épouse, Madame …, de leurs enfants mineurs …, …, …, et de sa nièce, l’enfant ….
En date du 24 septembre 2020, le ministre sollicita de Monsieur … qu’il lui fasse parvenir certains documents afin de compléter sa demande de regroupement familial, ce qu’il fit par courrier de son litismandataire daté du 13 décembre 2021.
Par décision du 20 décembre 2021, le ministre s’adressa au litismandataire de Monsieur … dans les termes suivants :
« […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 15 décembre 2021.
I. Demande de regroupement familial en faveur de l’épouse et des enfants de votre mandant Je tiens à vous informer que le regroupement familial en faveur de l’épouse et des enfants de votre mandant a été accordé. Veuillez trouver en annexe les autorisations de séjour temporaire.
II. Demande de regroupement familial en faveur de la nièce de votre mandant Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, le regroupement familial de la nièce n’est pas prévu à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
Par conséquent, l’autorisation de séjour lui est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.
La présente décision est susceptible de faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision.
Néanmoins, je suis disposé à considérer l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1) c) et (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration dans le chef de Madame … à condition de me faire parvenir les documents suivants :
• un engagement de prise en charge en bonne et due forme souscrit en faveur Madame … ainsi que les trois dernières fiches du garant ;
• une preuve que votre mandant dispose d’un logement approprié au Luxembourg ainsi que l’accord écrit du propriétaire, accompagné d’une pièce d’identité, à y loger une personne supplémentaire ;
• la preuve que Madame … dispose d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois (assurance de voyage) ;
• une copie de toutes les pages du passeport en cours de validité de Madame … ;
• l’original ou une copie certifiée conforme d’un acte de naissance ou bien du certificat de baptême de Madame … ;
• L’exequatur par le Tribunal d’arrondissement à Luxembourg/Diekirch du « Court Order » des « 1st Zoba Debub Courts » du 17 mars 2015 octroyant la tutelle de l’enfant … à 2 votre mandant, exequatur qui est à demander par un avocat à la Cour conformément à l’article 680 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Si les documents ne sont pas rédigés dans les langues allemande, française ou anglaise, une traduction certifiée conforme par un traducteur assermenté doit être jointe.
La décision à l’octroi éventuel d’une autorisation de séjour sera prise sur base de l’examen des documents produits, sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l’obtention d’une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la décision. […] ».
Par courriers séparés du même jour, le ministre fit parvenir au litismandataire de Monsieur … les autorisations de séjour temporaire en qualité de membres de famille au bénéfice de l’épouse de ce dernier et de ses trois filles mineures, valables jusqu’au 20 mars 2022.
Par courrier de son litismandataire du 18 mars 2022, Monsieur … sollicita du ministre l’émission de nouvelles autorisations de séjour temporaire en qualité de membres de famille au bénéfice de son épouse et de ses trois filles mineures, dans la mesure où celles octroyées en date du 20 décembre 2021 allaient expirer sans que les concernées aient pu s’adresser à l’Ambassade représentant le Grand-Duché de Luxembourg en Ouganda, où elles avaient trouvé refuge entretemps.
Par courrier de son litismandataire du 20 mars 2022, Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 20 décembre 2021 refusant le regroupement familial dans le chef de sa nièce ….
Par courrier du 22 mars 2022, le ministre fit parvenir de nouvelles autorisations de séjour dans le chef de l’épouse et des trois enfants mineurs de Monsieur …, valables jusqu’au 20 juin 2022.
Par décision du 28 mars 2022, le ministre confirma sa décision initiale du 20 décembre 2021 dans les termes suivants :
« […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sus rubrique qui m’est parvenu en date du 21 mars 2022.
Je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 20 décembre 2021 dans son intégralité.
Néanmoins, je tiens à vous informer que notre proposition de considérer l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1) c) reste maintenu sous condition que votre mandante nous fait parvenir les documents nécessaires demandés en date du 20 décembre 2021. On ne saurait alors soulever que l’article 8 de la CEDH n’a pas été respecté. […] ».
Par courrier de son litismandataire du 15 juin 2022, Monsieur … sollicita à nouveau du ministre l’émission de nouvelles autorisations de séjour temporaire en qualité de membres de famille au bénéfice de son épouse et de ses trois filles mineures, dans la mesure où celles octroyées en date du 22 mars 2022 allaient expirer sans que les concernées aient pu s’adresser à l’Ambassade représentant le Grand-Duché de Luxembourg en Ouganda.
Par courrier du 17 juin 2022, le ministère fit parvenir de nouvelles autorisations de séjour dans le chef de l’épouse et des trois enfants mineurs de Monsieur … valables jusqu’au 15 septembre 2022.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juin 2022, Monsieur …, Madame … et leurs enfants mineurs …, …, …, ainsi que l’enfant …, ci-après désignés par « les consorts … », ont fait introduire un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles susvisées des 20 décembre 2021 et 28 mars 2022.
Etant donné que l’article 113 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », par renvoi à l’article 109 de la même loi, prévoit expressément un recours en annulation en la présente matière, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours et en fait, les consorts … font valoir que … serait la nièce de Monsieur …, à savoir la fille de son frère qui aurait disparu en 2009. La mère de l’enfant aurait, quant à elle, disparu en 2010. Monsieur … aurait alors été désigné gardien de sa nièce par décision judiciaire de la « 1st Zoba Debub Courts » datée du 17 mars 2015, alors que sa propre mère, grand-mère de l’enfant, n’aurait plus été en mesure d’en prendre soin en raison de son état de santé. Monsieur … se serait vu octroyer le statut de réfugié par décision ministérielle datée du 29 mai 2020 et aurait introduit en date du 20 août 2020 une demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse, de ses trois enfants et de sa nièce, demande qui aurait été refusée uniquement dans le chef de sa nièce par décision datée du 20 décembre 2021 et par décision du 28 mars 2022 prise sur recours gracieux.
En droit, les demandeurs invoquent une violation de l’article « 70 c) » de la loi du 29 août 2008, du droit fondamental au respect de la vie privée et familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant. Après avoir cité les articles 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », ainsi que l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », les demandeurs estiment que …, la nièce de Monsieur …, devrait être assimilée à un enfant célibataire de moins de 18 ans de ce dernier, étant donné que la garde et la charge de Bethlehem lui auraient été transférées par jugement de la « 1st Zoba Debub Courts » du 17 mars 2015. Ils expliquent, à ce propos, que Monsieur … aurait été désigné gardien de sa nièce en raison de la disparition des parents de cette dernière et de l’incapacité de la grand-mère de l’enfant de continuer à la prendre en charge, ce qui serait dûment constaté par les juridictions érythréennes compétentes. … serait également la pupille placée sous la tutelle légale de Monsieur …, lequel serait, à ce titre, détenteur de la garde de cet enfant et des attributs qui en découleraient. Suite à la fuite de Monsieur … de son pays d’origine en mai 2015, … serait restée avec l’épouse et les enfants de Monsieur …, et ces derniers se seraient rendus tous ensemble en Ouganda en 2021. Les demandeurs estiment ainsi qu’ils entretiendraient ensemble une vie privée et familiale effective, intense et stable qu’il y aurait lieu de protéger et concluent à la violation de l’article 70 (1) c) de la loi du 29 août 2008.
Après s’être emparés d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les demandeurs soutiennent que les décisions ministérielles seraient contraires à l’article 8 de la CEDH, ainsi qu’à l’article 9 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ci-après désignée par « la CIDE », qui consacre le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il serait ainsi incontestablement dans l’intérêt supérieur de l’enfant mineur … de rejoindre songardien et tuteur légal au Luxembourg, où elle pourrait poursuivre et maintenir, avec lui, sa tante et ses trois cousines leur vie familiale. Les demandeurs font valoir, dans ce contexte, que les décisions litigieuses porteraient non seulement gravement préjudice à l’intérêt supérieur de l’enfant mineur …, mais également au droit au respect de la vie familiale que Monsieur … entretiendrait avec son épouse et leurs trois enfants, ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale que … entretiendrait avec sa tante par alliance et ses trois cousines. En effet, étant donné que le regroupement familial aurait été accordé à Madame … et ses trois enfants par décisions ministérielles datées du 20 décembre 2021, celles-ci auraient été confrontées au cruel choix de, soit abandonner l’enfant … seule en Ouganda pour rejoindre leur époux et père au Luxembourg, soit de retarder pour une durée indéterminée leur propre arrivée au Luxembourg, ce qu’elles auraient d’ores et déjà été contraintes de faire suite à l’émission des premières autorisations de séjour temporaires intervenues en date du 20 décembre 2021, afin de ne pas laisser … seule en Ouganda dans l’attente de l’issue de la procédure contentieuse.
Les demandeurs en concluent que les décisions ministérielles seraient intervenues en violation du droit fondamental au respect de leur vie privée et familiale et en contrariété avec l’intérêt supérieur de l’enfant …, de sorte qu’elles encourraient l’annulation pour violation de la loi et erreur manifeste d’appréciation.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens. Il indique que l’arrêt de la CJUE du 13 mars 2019, E. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-635/17, qui aurait été invoqué par les demandeurs, ne pourrait pas être invocable en l’espèce, dans la mesure où la législation luxembourgeoise sur l’immigration, contrairement à la législation néerlandaise invoquée dans l’arrêt en question, n’autoriserait pas le regroupement familial des pupilles avec lesquels le regroupant entretient des liens familiaux effectifs, de sorte que l’article 70 (1) c) de la loi du 29 août 2008 n’aurait pas été violé. Il précise encore que le ministre n’aurait pas refusé tout droit de séjour sur le territoire luxembourgeois à …, alors qu’il aurait proposé de lui accorder un droit de séjour sur base de l’article 78 (1) c) de la loi du 29 août 2008. Après avoir soutenu que cette norme de droit national prévoirait une protection identique, sinon similaire à celle accordée par l’article 8 de la CEDH, le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens des demandeurs fondés sur une violation de l’article 8 de la CEDH et de l’article 9 de la CIDE.
A titre liminaire, il échet de relever que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.
A cet égard, le tribunal constate que par le biais des décisions du 20 décembre 2021 et 28 mars 2022, le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de …, la nièce mineure de Monsieur …, au motif que le regroupement de la nièce ne serait pas prévu par l’article 70 de la loi du 29 août 2008 et qu’il a proposé de lui octroyer une autorisation de séjour conformément à l’article 78 (1) c) de la loi du 29 août 2008, qui respecterait l’article 8 de la CEDH, à condition que Monsieur … lui fasse parvenir les documents nécessaires.
1 Trib. adm., 1er octobre 2012, n° 28831 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.Il échet de rappeler que le regroupement familial, tel qu’il est défini à l’article 68 c) de la loi du 29 août 2008, a pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant, en l’occurrence le bénéficiaire d’une protection internationale, et les membres de sa famille.
Aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, tel que rédigé dans sa version applicable en l’espèce, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :
1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;
2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;
3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. […] (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».
L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :
a) le conjoint du regroupant ;
b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;
c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.
(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.
(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.
(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection 6 internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.
(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :
a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;
b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;
c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés ».
Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.
Il ressort encore de l’article 69 (3) de la loi du 29 août 2008 que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70 de la même loi, dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du premier paragraphe de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-
même et pour les membres de sa famille. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.
Dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur … a introduit la demande de regroupement familial dans les six mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’il ne doit pas remplir les conditions prévues à l’article 69 (1) de la loi du 29 août 2008 pour demander le regroupement familial avec les membres de sa famille.
En ce qui concerne les conditions à remplir par …, le tribunal constate que ni le lien familial entre les demandeurs ni le décès de ses parents ni l’authenticité ni le contenu du jugement de placement sous tutelle n’ont fait l’objet de contestations, de sorte que ces éléments doivent être considérés comme établis, et que les discussions des parties tournent principalement autour de la question de savoir si le placement de …, orpheline, sous la tutelle de Monsieur … a créé un lien de filiation, tel qu’il permettrait l’application de l’article 70 (1) c) de la loi du 29 août 2008 visant les enfants célibataires de moins de dix-huit ans.
Or, force est de constater à la lecture dudit article que celui-ci vise exclusivement les enfants, soit les descendants directs, et non pas les neveux et nièces, même placés sous la tutelle du regroupant, au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec le regroupant installé au Luxembourg.
Il ressort d’ailleurs de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après désignée par « la directive 2003/86 », et plus particulièrement de son article 4, ainsi que d’une communication de la Commission européenne2 à laquelle les demandeurs ont fait référence, que seuls les membres de la famille nucléaire, c’est-à-dire le conjoint et les enfants mineurs biologiques ou adoptés du regroupant ou du conjoint, - à condition que le regroupant ou son conjoint, respectivement, ait le droit de garde et en ait la charge -, ont droit au regroupement familial sans que les Etats membres puissent exercer leur marge d’appréciation.
Si, dans ce contexte, les demandeurs estiment que … devrait être considérée comme étant l’enfant mineure de Monsieur …, dans la mesure où elle a été placée sous sa tutelle par jugement du 17 mars 2015 des « 1st Zoba Dubub Courts », en Erythrée, et qu’il exerce sur elle un droit de garde, il échet néanmoins de relever que par un arrêt du 26 mars 2019, la CJUE a été amenée à retenir que « la notion de « descendant direct » d’un citoyen de l’Union figurant à l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38 doit être interprétée en ce sens qu’elle n’inclut pas un enfant qui a été placé sous la tutelle légale permanente d’un citoyen de l’Union au titre de la kafala algérienne, dès lors que ce placement ne crée aucun lien de filiation entre eux. »3.
Il y a, dès lors, lieu de retenir, au vu de ces enseignements et par analogie, que l’enfant qui a été placé sous la tutelle légale permanente d’un ressortissant de pays tiers, bénéficiaire d’une protection internationale, ne peut être considéré comme étant un enfant célibataire de moins de dix-huit ans de ce ressortissant, tel que visé à l’article 70 (1) c) de la loi du 29 août 2008, lorsque ce placement sous tutelle ne crée aucun lien de filiation entre eux.
Or, dans la mesure où les demandeurs ne démontrent pas qu’un lien de filiation a été créé entre eux par le jugement de placement sous tutelle du 17 mars 2015, dans lequel il est seulement précisé que Monsieur … a la garde de … et qu’il est autorisé à s’occuper de son éducation et de sa santé, le ministre pouvait a priori refuser de faire droit à la demande de regroupement familial litigieuse.
Cependant, le tribunal est amené à préciser que si le neveu ou la nièce d’un ressortissant de pays tiers disposant d’une protection internationale ne sont certes pas visés par l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008, tel que cela a été retenu ci-avant, cette disposition légale est toutefois susceptible de heurter les articles 7 de la Charte et 8 de la CEDH, dont les termes respectifs sont les suivants : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. », et « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans 2 Commission européenne, 3 avril 2014, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial.
3 CJUE, 26 mars 2019, SM contre Entry Clearance Officer, UK Visa Section, C-129/18, point 73.une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
A cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative - telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH - est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale4,5.
Partant, si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH6.
Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois7.
Incidemment, il y a lieu de souligner que « l’importance fondamentale »8 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86, prémentionnée, transposée par la loi du 29 août 2008, et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».
Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires. En ce sens également, une lacune de la loi nationale ne saurait valablement être invoquée pour justifier de déroger à une convention internationale.
4 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 80 et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 26 avril 2019, n° 41089 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 524 et les autres références y citées.
6 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, n° 1948/04, § 135, et trib.
adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 476 et les autres références y citées.
7 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.
8 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -
CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.En ce qui concerne les faits de l’espèce, il échet de rappeler qu’il est de jurisprudence que l’argumentation consistant à soutenir que le « parent collatéral » serait d’emblée exclu de la protection de l’article 8 de la CEDH est erronée. En effet, s’il est vrai que la notion de famille restreinte, limitée aux parents et aux enfants mineurs, est à la base de la protection accordée par ladite convention, il n’en reste pas moins qu’une famille existe, au-delà de cette cellule fondamentale, chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment étroits9.
Le tribunal observe que, de la même manière, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », que si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, la Cour a également reconnu l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH, entre autres, entre frères et sœurs adultes10, et entre parents et enfants adultes11, mais aussi entre tantes/oncles et nièces/neveux12.
Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements que la notion de « vie familiale » ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national13. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays14, à savoir, en l’occurrence, leur pays d’origine, l’Erythrée, que Monsieur … a quitté pour solliciter une protection internationale au Luxembourg.
De plus, il y a lieu de constater que cette conception de la notion de « famille », étendue au-delà du noyau familial, pour prendre en compte l’existence d’éléments de dépendance supplémentaires entre parents proches, est cohérente avec les dispositions - certes non applicables à l’espèce - de l’article 56 (1) de la loi du 18 décembre 2015, concernant le contenu de la protection internationale, qui prévoit la possibilité pour le ministre d’étendre le bénéfice des droits découlant du statut de bénéficiaire de protection internationale aux membres de la famille du bénéficiaire, sur base d’une définition élargie de la notion de « membre de famille ».
L’article 56 (1) de ladite loi dispose, en effet, que « Le ministre veille à ce que l’unité familiale puisse être maintenue. Il peut décider que les dispositions du présent article s’appliquent aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille du bénéficiaire à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à sa charge ».
A ce propos, la Commission européenne a encouragé, dans la communication précitée, les Etats membres à considérer également comme membres de famille les personnes qui n’ont pas de liens biologiques, mais qui sont prises en charge au sein de l’unité familiale, telles que 9 Trib. adm., 18 février 1999, n° 10687 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 497 et les autres références y citées.
10 Voir en ce sens CourEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c. France, n° 22070/93, § 35.
11 Voir CourEDH, 9 octobre 2003, Slivenko c. Lettonie, n° 48321/99, §§ 94 et 97.
12 Voir CourEDH, 25 novembre 2008, Jucius et Juciuvienė c. Lituanie, n° 14414/03, §§ 20, 21 et 27, et CourEDH, 4 décembre 2012, Butt c. Norvège, n° 47017/09, § 76.
13 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 et les autres références y citées.
14 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 et autres références y citées.les enfants recueillis, en soulignant que les Etats membres conservaient toute latitude à cet égard. Elle a également précisé que la notion de « dépendance » était l’élément déterminant15.
Il suit des considérations qui précèdent que les neveux et nièces d’un regroupant peuvent, en principe, être considérés comme membres de sa famille, en tant que parents collatéraux, en application de l’article 8 de la CEDH.
Cependant, il ressort de la jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH qu’un regroupant ne peut invoquer l’existence d’une vie familiale à propos d’une personne ne faisant pas partie du noyau familial strict qu’à condition qu’il démontre qu’elle est à sa charge et qu’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux est établi.
Il ressort également de la jurisprudence de la CourEDH, et notamment de l’arrêt du 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, qu’à chaque fois qu’un mineur est concerné, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale et que l’Etat refusant le regroupement familial doit ménager un juste équilibre entre les intérêts des demandeurs d’une part, et son propre intérêt à contrôler l’immigration, d’autre part. La CourEDH y a encore indiqué que, pour mettre en balance ces différents intérêts, elle tenait compte de l’âge des enfants concernés, de leur situation dans leur pays d’origine et de leur degré de dépendance vis-à-vis de leurs parents. Elle y a également précisé qu’elle avait précédemment rejeté des affaires dans lesquelles les enfants concernés par le regroupement familial avaient atteint un âge où ils n’avaient vraisemblablement pas autant besoin de soins que de jeunes enfants et où ils étaient de plus en plus capables de se débrouiller seuls16, avant de retenir que, dans l’affaire dont elle était saisie, il y avait violation de l’article 8 de la CEDH par le refus d’octroyer à la mineure de 15 ans concernée un regroupement familial avec sa mère dans la mesure où sa grand-mère, qui s’en occupait en Ethiopie, l’avait retirée de l’école et qu’elle risquait de la marier17, de sorte que sa situation personnelle, en tant que mineure, dans son pays d’origine faisait pencher la balance en faveur de l’octroi d’un regroupement familial dans son chef.
Dans une autre affaire, la CourEDH a retenu que l’étendue des obligations pour l’Etat variait en fonction de la situation particulière de la personne concernée et de l’intérêt général, et que les facteurs à prendre en considération dans ce contexte étaient la réalité de l’entrave à la vie familiale, l’étendue des liens des personnes concernées avec l’Etat en cause, la question de savoir s’il existait ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine d’une ou plusieurs des personnes concernées et celle de savoir s’il existait des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion18, tout en précisant que lorsqu’il y avait des enfants, les autorités nationales devaient, dans leur examen de la proportionnalité aux fins de la CEDH, faire primer leur intérêt supérieur19.
Il ressort de ces arrêts que, dans le cadre de la demande de regroupement familial avec un mineur, il est nécessaire de prendre en compte l’âge de l’enfant concerné, sa situation dans 15 Commission européenne, 3 avril 2014, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, page 23.
16 CourEDH, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, §§ 44 et 49.
17 CourEDH, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, § 50.
18 CourEDH, 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, n° 52701/09, § 44.
19 CourEDH, 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, n° 52701/09, § 45.son pays d’origine et son degré de dépendance vis-à-vis du regroupant, puis de vérifier la réalité de l’entrave à la vie familiale, notamment l’étendue des liens des personnes concernées avec le Luxembourg, s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine de l’une de ces personnes et s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion, tout en faisant primer l’intérêt supérieur de l’enfant.
En l’espèce, à titre liminaire, dans la mesure où il n’est pas allégué qu’il existerait des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion à l’encontre de …, le tribunal n’analysera pas ce point.
En ce qui concerne, ensuite, les liens entre les demandeurs, le tribunal est amené à constater que Monsieur … a indiqué que son frère, le père de …, avait disparu en 2009, que l’épouse de ce dernier avait disparu en 2010 et que depuis lors, sa propre mère s’occupait de l’enfant jusqu’en 2015, année à partir de laquelle elle n’était plus capable de subvenir à ses besoins.
Ces affirmations n’ayant pas été contestées par la partie étatique et lesdites déclarations étant appuyées par le jugement érythréen du 17 mars 2015, qui renseigne que la mère de Monsieur … s’est occupée de … à partir du 8 juin 2010 et qu’elle a transféré son droit de garde à son fils à partir du 17 mars 2015, jugement qui ordonne à la même date son placement sous la tutelle exclusive de son oncle paternel, il échet de constater que les liens de consanguinité entre les demandeurs sont avérés.
Outre les liens de consanguinité qui peuvent laisser supposer l’existence de liens affectifs entre les demandeurs, il leur appartient encore de démontrer l’existence de liens de dépendance autres que les liens affectifs normaux.
Ainsi, le tribunal est amené à retenir que cette décision de justice érythréenne démontre que … était officiellement à la charge de Monsieur … depuis l’âge de huit ans, qu’elle dépendait entièrement de lui jusqu’à la fuite de ce dernier de son pays d’origine et qu’il existe entre … et son oncle paternel des liens de dépendance au-delà des liens affectifs normaux, au sens de l’article 8 de la CEDH. Après le départ de Monsieur …, … a vécu de nombreuses années avec l’épouse de celui-ci, qui en a pris soin, ce qui a également créé un lien de dépendance vis-à-vis de cette dernière.
Cette analyse est confortée par le fait que le ministre et le délégué du gouvernement, à défaut de contester la réalité de ces liens entre les demandeurs, ont proposé d’accorder une autorisation de séjour sur base de l’article 78 (1) c) de la loi du 29 août 2008 à …, reconnaissant implicitement mais nécessairement l’existence de liens personnels ou familiaux, intenses, anciens et stables entre cette dernière et son oncle paternel.
En ce qui concerne la situation personnelle de …, force est de constater que la demande de regroupement familial a été introduite alors qu’elle était âgée de 14 ans, soit à un âge où il est supposé qu’elle ne peut subvenir à ses propres besoins. Entretemps, elle a quitté son pays d’origine pour se réfugier en Ouganda en novembre 2021 en compagnie de Madame … et de ses trois enfants, qui s’en occupait depuis le départ du regroupant d’Erythrée, tel que le renseigne l’« Asylum Seeker Certificate » émis par les autorités ougandaises en date du 1er novembre 2021. Ainsi, il existe de ce fait, tant dans le chef du regroupant, bénéficiaire du statutde réfugié au Luxembourg, que dans le chef de la regroupée, réfugiée en Ouganda, des obstacles insurmontables à ce qu’ils puissent vivre dans leur pays d’origine, l’Erythrée.
Force est à cet égard de constater, - outre le fait qu’il n’est pas allégué que la famille pourrait se réunir et vivre en Ouganda -, qu’en ayant autorisé le regroupement familial de l’épouse de Monsieur … et de ses trois enfants au Luxembourg, le ministre a concédé que la vie familiale ne pouvait se dérouler qu’au Luxembourg, de sorte qu’en refusant la venue de …, il a compromis leur vie familiale.
Ainsi, au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le ministre en refusant le regroupement familial dans le chef de …, tout en octroyant une autorisation de séjour au seul adulte présent à ses côtés, à savoir Madame … avec laquelle elle s’est réfugiée en Ouganda, a porté atteinte à son intérêt supérieur d’enfant, tel que consacré à l’article 3 de la CIDE, et au droit à la vie privée et familiale du regroupant, tel que consacré à l’article 8 de la CEDH.
Cette analyse n’est pas remise en cause par l’argument de la partie étatique consistant à soutenir que la proposition du ministre d’octroyer une autorisation de séjour sur base de l’article 78 (1) c) de la loi du 29 août 2008 permettrait de remplir les requis de l’article 8 de la CEDH.
Il y a lieu de relever que cet article dispose que « (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées : […] c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus […] », envisageant, ainsi, la possibilité pour le ministre d’accorder une autorisation de séjour aux ressortissants de pays tiers ne remplissant pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux sont tels que le refus d’autoriser le séjour porterait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée ou familiale, consacré par l’article 8 de la CEDH.
Or, force est de constater que l’autorisation de séjour prévue à l’article 78 (1) c) de la loi du 29 août 2008 ne permet pas de redresser l’atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant … engendrée par le refus du regroupement familial, tel que constatée par le tribunal dans les développements qui précèdent, de sorte que le moyen de la partie étatique afférent encourt le rejet pour être non fondé.
Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que les décisions ministérielles déférées des 20 décembre 2021 et 28 mars 2022 encourent l’annulation, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation ;
au fond, le déclare justifié, partant annule les décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile des 20 décembre 2021 et 28 mars 2022 et renvoie l’affaire en prosécution de cause au ministre actuellement compétent ;
condamne l’Etat aux frais et dépens.
Ainsi jugé par :
Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 22 avril 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.
s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 14