Tribunal administratif N° 47365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47365 3e chambre Inscrit le 27 avril 2022 Audience publique du 23 avril 2024 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une « décision » du Directeur du Lycée Josy Barthel en matière de lutte contre la pandémie Covid-19
JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 47365 du rôle et déposée le 27 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie BAULER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, agissant en son propre nom et en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur …, demeurant tous deux à L-
…, tendant, d’après le libellé de la requête introductive d’instance, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une « décision non datée de Monsieur le Directeur du Lycée JOSY BARTHEL […] formalisée par la décision de mise en quarantaine du 6 janvier 2022 annoncée par téléphone par un membre de la « cellule COVID » du Lycée JOSY BARTHEL et confirmé par […] » un courriel d’un membre de la « cellule COVID » du même lycée du 25 février 2022 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Laura GEIGER, en remplacement de l’huissier de justice Carlos CALVO, tous les deux demeurant à Luxembourg, du 3 mai 2022, portant signification de ce recours à l’établissement de droit public LYCEE JOSY BARTHEL, représenté par ses organes statutaires actuellement en fonctions, établi et ayant son siège à L-
8268 Mamer, 2, rue Gaston Thorn ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 octobre 2022 par Maître Jean-Marie BAULER, pour compte de ses mandants, préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 novembre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les actes entrepris ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Caroline ARENDT, en remplacement de Maître Jean-Marie BAULER, et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 janvier 2024.
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En date du 25 février 2022, Madame … adressa un courriel à la direction du Lycée JOSY BARTHEL, désigné ci-après par « le Lycée », dans les termes suivants :
« […] Le jeudi 6 janvier 2022, vers 8h30, un membre de la « cellule Covid » de votre Lycée m’a appelée pour que je vienne chercher mon fils …, élève de la classe …, parce qu’il a été mis en quarantaine jusqu’au 11 janvier 2022.
Or, je n’ai pas été informée à l’écrit sur les raisons de cette mise en quarantaine. Ainsi, je vous prie de bien vouloir me faire parvenir ces informations à l’écrit. […]. ».
Par courriel du même jour, Madame … de la « cellule COVID » du Lycée lui répondit dans les termes suivants :
« […] je viens vers vous suite à votre demande d’une justification écrite de la quarantaine de votre fils … en date du 6 janvier 2022.
La quarantaine a été imposée à votre fils à cause d’un Scénario 3 qui s’est déroulé dans la classe …, fréquenté par ….
Un Scénario 3 impliquait que les élèves ni vaccinés ni rétablis sont mis en quarantaine pour une durée de 6 jours et devait présenter un test PCR négatif pour pouvoir revenir en cours.
Quelques jours après cela, les réglementations ont changé.
Sur ce, … pouvait de nouveau participer aux cours sans être concerné par une mesure de quarantaine et sans devoir faire de test PCR. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 avril 2022, Madame … a, en son propre nom et en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur …, fait introduire un recours tendant, d’après le libellé de la requête introductive d’instance, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une « décision non datée de Monsieur le Directeur du Lycée JOSY BARTHEL […] formalisée par la décision de mise en quarantaine du 6 janvier 2022 annoncée par téléphone par un membre de la « cellule COVID » du Lycée JOSY BARTHEL et confirmé par […] » un courriel d’un membre de la « cellule COVID » du Lycée du 25 février 2022.
En ce qui concerne tout d’abord la recevabilité du recours introduit par Madame … en sa qualité de représentante légale de son fils …, le tribunal a, à l’audience publique des plaidoiries, soulevé d’office la question de la capacité de Madame … à introduire seule au nom de son enfant, le recours sous analyse, le père de l’enfant n’étant en effet pas partie à l’instance.
Face à cette question soulevée d’office et relevant de l’ordre public, le litismandataire de la demanderesse a affirmé que rien ne s’opposerait à ce que la mère exerce seule un recours au nom de son fils mineur et qu’il semblerait que les parents sont séparés.
Le délégué du gouvernement, quant à lui, s’est rapporté à ses écrits.
En ce qui concerne la capacité de la demanderesse à introduire seule le recours sous analyse, il convient de rappeler que l’article 372 du Code civil dispose que « L’autorité parentale est l’ensemble des droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt supérieur de l’enfant.
2 Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne.
Les parents associent l’enfant selon son âge et son degré de maturité. ».
Il en ressort que l’exercice de l’autorité parentale, se traduisant par l’ensemble des droits et devoirs que les parents ont vis-à -vis de leur enfant mineur, appartient en principe aux deux parents.
L’article 372-1 du Code civil dispose quant à lui que « Tout acte de l’autorité parentale, qu’il ait un caractère usuel ou non-usuel, requiert l’accord de chacun des parents lorsqu’ils exercent en commun l’autorité parentale.
Cet accord n’est pas présumé pour les actes non-usuels.
En cas de désaccord, le parent le plus diligent saisit le tribunal qui statue selon ce qu’exige l’intérêt supérieur de l’enfant. ».
Il résulte de ladite disposition légale que l’autorité parentale envers un enfant commun mineur est exercée conjointement par les deux parents, qui doivent dès lors donner conjointement leur accord pour tout acte en relevant. Il s’ensuit qu’il y a d’ores et déjà lieu de rejeter l’affirmation du litismandataire de la demanderesse selon lequel rien ne s’opposerait à ce que la concernée introduise seule un recours au nom de son enfant mineur.
Force est ensuite de constater qu’il n’est pas contesté par le litismandataire de la demanderesse que l’autorité parentale envers l’enfant mineur … est exercée tant par elle-même que par le père de l’enfant, le litismandataire n’ayant en effet soulevé aucun élément qui pourrait laisser douter de cet exercice commun de l’autorité parentale. A cet égard, il convient encore de souligner que même à supposer que les deux parents soient séparés, ce qui n’est pas établi en cause, la séparation des parents est en tout état de cause sans incidence sur les règles de dévolution de l’autorité parentale. 1 Il s’ensuit, au vu du libellé de l’article 372-1 précité du Code civil, que l’introduction du recours sous analyse, laquelle a un caractère non-usuel, nécessitait nécessairement l’accord du père de l’enfant …. Dans la mesure où l’article 372-1 du Code civil précité, en stipulant que l’accord ne se présume pas pour les actes non usuels, exclut explicitement un tel accord implicite, celui-ci faisant défaut en l’espèce, le recours sous analyse n’a pas pu être valablement introduit au nom de l’enfant …, par la demanderesse seule, sans que le père de celui-ci ne soit partie au litige ou ait au moins donné son accord explicite à l’introduction de la présente affaire en justice.
Il s’ensuit que le recours introduit par Madame … en sa qualité de représentante légale de son enfant … est à déclarer irrecevable pour défaut de capacité à agir seule en son nom.
1 Cour d’appel, 1er ch., 21 décembre 2022, n°CAL-2022-00994 du rôle.
En ce qui concerne ensuite la recevabilité du recours introduit par Madame … en son nom personnel, et nonobstant la question de l’intérêt à agir de celle-ci à l’encontre de l’acte litigieux, alors qu’elle ne prétend pas être personnellement visée par la mesure de quarantaine y prétendument imposée, le tribunal relève que, dans son mémoire en réplique, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours sous analyse en ce qu’il serait dirigé, d’une part, contre une prétendue décision du Directeur du Lycée, désigné ci-après par « le Directeur », du 6 janvier 2022 dont l’existence ne serait pas établie par Madame … et, d’autre part, contre un courriel d’un membre de la « cellule COVID » du même lycée du 25 février 2022, qui ne constituerait pas une décision administrative susceptible de recours, vue sa nature purement informative et l’absence d’un élément décisionnel y contenu.
Le délégué du gouvernement précise encore, dans ce contexte, que le courriel litigieux du 25 février 2022, ne serait pas non plus de nature à constituer une preuve de l’existence de la prétendue décision orale du Directeur du 6 janvier 2022, alors que ledit courrier se bornerait à expliquer à Madame … les motifs d’une quarantaine « dans le cadre d’un scénario 3 ».
Dans sa requête introductive d’instance, Madame … explique que par « décision » du 6 janvier 2022 du Directeur, son fils aurait été mis en quarantaine et l’accès à l’école lui aurait été refusé, cette décision lui ayant été « notifiée » oralement par téléphone d’un membre de la « cellule COVID » du Lycée. Elle précise encore que le recours sous analyse serait dirigé contre cette « décision », ainsi qualifiée, du 6 janvier 2022.
Dans son mémoire en réplique, elle fait plaider que le contenu du courriel litigieux du 25 février 2022 établirait que par « décision orale » du 6 janvier 2022, le Directeur aurait, au cours d’un entretien téléphonique, imposé une mesure de quarantaine à son fils. Dans la mesure où ladite « décision orale » constituerait une mesure prise par une autorité administrative, agissant dans sa sphère de compétence, ledit acte constituerait une véritable décision dans l’intention de ladite autorité et lui causerait grief, dans la mesure où celle-ci imposerait à elle et son fils des obligations.
A titre liminaire et en ce qui concerne l’objet du recours sous analyse, le tribunal constate que Madame … précise, dans sa requête introductive d’instance, que celle-ci serait dirigée à l’encontre de la seule « décision orale », ainsi qualifiée, du Directeur du 6 janvier 2022, le courriel reçu par elle de la « cellule COVID » du Lycée en date du 25 février 2022 n’en faisant pas l’objet et servant uniquement comme preuve de la réalité de l’acte du Directeur du 6 janvier 2022. Il s’ensuit que l’analyse du tribunal se limitera à la seule « décision orale » du Directeur du 6 janvier 2022, la demanderesse ayant circonscrit l’objet de son recours à celle-ci.
L'article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif limite l'ouverture d'un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l'acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à -dire émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et que cet acte doit affecter les droits et intérêts de la personne qui le conteste. En d’autres termes, l’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à -dire, un acte final dans la procédure susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de l’intéressé.
Il faut à ce sujet rappeler que la compétence ratione materiae des juridictions administratives est définie par rapport au contrôle des actes administratifs et non des autorités dont ils émanent. Il a ainsi été jugé qu’2« au Luxembourg, la loi qui confère au juge administratif le pouvoir d'annuler les actes administratifs ne vise pas les autorités administratives en tant que telles, mais les actes administratifs, ce qui appelle l'application de critères matériel ou fonctionnel plutôt qu'organique pour la détermination de l'existence d'un acte administratif. ».3 S’il est de jurisprudence qu’il n’existe aucune condition de forme à remplir par un acte, il faut néanmoins que son existence soit établie4 .
En l’espèce, Madame … soutient, en substance, que la réalité d’un appel téléphonique par la « cellule COVID » du Lycée en date du 6 janvier 2022 par lequel la « décision », ainsi qualifiée, du Directeur de soumettre son fils à une mesure de quarantaine lui aurait été transmise, serait prouvée par le contenu d’un courriel de la même cellule du 25 février 2022.
Or, le tribunal constate que, malgré l’inquisition par Madame … dans son courriel du 25 février 2022 quant à une mise en quarantaine de son fils jusqu’au 11 janvier 2022, la réponse y donnée par courriel du même jour de Madame … de la « cellule COVID » ne permet pas de conclure à l’existence d’une décision émanant du Directeur imposant une quarantaine au fils de Madame … en date du 6 janvier 2022. En effet, alors même que Madame … affirme dans son courriel que « […] La quarantaine a été imposée à votre fils à cause d’un Scénario 3 qui s’est déroulé dans la classe …, fréquenté par …. […] », cette dernière ne précise ni la date d’une telle prétendue décision, ni que la quarantaine y visée aurait été imposée par le Directeur, ni les conditions et la période de ladite quarantaine. Or, l’analyse par le tribunal de l’existence d’un acte administratif susceptible d’un recours devant ses instances doit nécessairement, même si certes pas exclusivement, se faire par l’analyse de l’organe ayant émis l’acte en question, l’analyse du caractère décisionnel de l’acte s’effectuant, par ailleurs, par le contenu dudit acte. Or, à défaut pour la demanderesse d’avoir apporté un quelconque élément établissant une date, le contenu ou encore l’identité de l’auteur d’une prétendue « décision orale », celle-ci est restée en défaut d’apporter la preuve d’une « décision », ainsi qualifiée du Directeur soumettant son fils à une mesure de quarantaine, de sorte que le recours y afférent doit être déclaré irrecevable pour défaut d’objet.
S’agissant encore de la demande en communication du dossier administratif formulée par l’intéressée au dispositif de son recours, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de 4 pièces, contenant l’échange de courriels du 25 février 2022 entre Madame … et Madame … de la « cellule COVID » du Lycée, ainsi qu’une note du ministre à l’attention des directions et du personnel enseignant et éducatif de l’enseignement fondamental (cycles 2 à 4) et de l’enseignement secondaire du 13 janvier 2022, une note du ministre concernant le dispositif sanitaire et démarches de traçage en contexte scolaire (3e trimestre 20212/22) du 29 mars 2022 et une attestation de consentement pour l’année scolaire 2021/2022. Dans la mesure où ces pièces correspondent a priori au dossier administratif et à défaut d’éléments permettant de retenir que le dossier ainsi versé ne soit pas complet, la demande afférente qui tend à ordonner la communication du dossier administratif encourt le rejet.
2 trib. adm. du 26 août 2010, n° 23551 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Acte administratif n°5 et les autres références y citées.
3 Cour adm. du 13 janvier 2009, n° 24616C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Acte administratif n°6 et les autres références y citées.
4 Cour adm. du 14 janvier 2010, n° 25846C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Acte administratif n°169 et les autres références y citées.Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500,- euros telle que sollicitée par Madame … sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.
Finalement, il échet encore de constater que Madame … sollicite l’effet suspensif du recours sous examen pendant le délai et l’instance d’appel conformément à l’article 35, alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’instance d’appel ».
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que l’acte attaqué n’est pas à qualifier de décision administrative faisant grief et que la demanderesse est à débouter de son recours il ne saurait être fait droit à sa demande basée sur l’article 35, alinéa 1er de la loi du 21 juin 1999, précité.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;
déclare le recours en réformation, sinon en annulation introduit par Madame … en sa qualité de représentant légal de l’enfant … irrecevable pour défaut de capacité à agir seule en son nom ;
rejette le recours en réformation, sinon en annulation introduit par Madame … en son propre nom pour défaut d’objet ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la demanderesse ;
rejette la demande basée sur l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 ;
rejette la demande sollicitant la communication du dossier administratif ;
condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 avril 2024 par :
Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Nicolas Griehser, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 6